Votre message demande réflexion, cher Francis. D'abord, sur ce que l'on nomme vérité, en l'occurrence, la manipulation des jeunes esprits ignorants. La révélation du fait n'a pas ce caractère explosif et inouï, parce que l'ignorance est volontiers reconnue par les élèves que je connais, ensuite, parce qu'ils ont une longue
expérience scolaire de la manipulation idéologique. Autrement dit, seuls vivent dans une bulle ceux qui le veulent bien, les rédacteurs de journaux lycéens, les militants, une infime minorité à qui l'on n'a pas grand chose à dire. Les autres, je crois, savent déjà tout cela, ont appris à trier d'eux-mêmes entre l'utile et l'accessoire, et un professeur qui leur dirait cette vérité, je crois, ne leur apprendrait pas grand chose. Bien sûr, ils portent la marque d'un endoctrinement, mais il n'est pas sûr qu'elle joue grand rôle dans la construction de leur personne. Autrement dit, on n'est pas en situation de détenir un savoir explosif face à un public qui l'ignore. Si tel était le cas, il serait criminel de composer et de finasser, en effet. Je crois les lycéens plus intelligents encore que vous ne faites, et je les présuppose mes égaux en ce qui concerne l'essentiel (et j'ai rarement été déçu, les plus obtus étant souvent les plus solides, les plus imperméables à la doxa). Je travaille ensuite avec eux à transmettre des savoirs, c'est-à-dire à parler d'autre chose, d'un sujet qui va nous occuper et qui n'est pas nous-même, ni l'école, ni notre relation, ni le mensonge global dont ils font l'expérience scolaire, dont ils savent intuitivement qu'il est le ciment de tout groupe humain. Je vous réponds tout cela à la fin d'un cours de plusieurs semaines sur Pascal, où j'ai testé leur
résistance aux vérités les plus corrosives sur l'homme ; ils avaient déjà une idée de ce mensonge social que les
Pensées décrivent, et il était intéressant de les voir réagir à leur façon à ces textes. Le groupe a été très scandalisé, et très intéressé par la "pensée de derrière", cette boucle décrite par la réflexion qui, après avoir décelé que tout est mensonge, en comprend la nécessité stratégique, tant que l'essentiel, à savoir le salut éternel, n'est pas mis en danger.
A ce sujet, puisque vous vous référez à des traditions religieuses asiatiques que vous connaissez bien, laissez-moi vous rappeler deux événements bibliques porteurs d'un enseignement qui me guide : dans l'Evangile selon Saint Jean, au chapitre VI-35, Jésus dit à la foule que si l'homme veut vivre, il doit le manger. Cette vérité n'est pas même reçue des disciples, qui ne restent avec lui que par fidélité à sa personne, et non parce qu'ils ont accepté et compris ce qu'il leur disait (VI-68). L'autre événement est relaté au livre de l'Exode (XVII-8), juste après l'indiscutable révélation de la protection divine qu'est la Sortie d'Egypte : le peuple si manifestement protégé de Dieu est attaqué par les Amalécites, qui doivent savoir qu'ils ont eu de chances de le vaincre. Heureusement que je ne suis en aucun cas chargé de révéler la moindre vérité de cet ordre.