Je comprends, cher Marcel Meyer votre détestation. Mais justement ses positions devraient conduire à ce qu'il ne soit pas tant haï car elles sont bien dans l'air du temps.
Ci-dessous l'idéologie béhachélienne au moment de la
France moisie.
(interview donnée au journal Marianne)
Plut au ciel que cette haine consensuelle ait pour cause ses prises de position sur ces sujets. Je ne le crois pas.
*********************
Une prétendue gauche, une très vieille droite, ce sont les deux faces d'une même médaille.
Marianne: Le texte de Sollers dans «le Monde» ne vise-t-il pas, après tant d'autres, la gauche républicaine ? Dans votre esprit, comme dans celui de Sollers, le véritable ennemi aujourd'hui serait-il la gauche républicaine plutôt que l'extrême droite ?
B.-H.L.: C'est à Sollers qu'il faut poser la question ! Il appelle «France moisie» ce que j'appelais, il y a presque vingt ans, «idéologie française». Alors «gauche républicaine», dites-vous ? Tout dépend de ce que vous entendez par là. Si c'est, par exemple, ce fameux Mouvement des citoyens qui n'est ni un «mouvement» ni spécialement «citoyen», peut-être bien, oui, qu'il est justiciable du procès instruit par Sollers. Une prétendue gauche, une très vieille droite, ce sont l'avers et l'envers de la même médaille, ce sont les deux ailes de la même réalité: ce que j'appelais, encore une fois, l'«idéologie française». C'est un corps idéologique qui a une main droite et une main gauche; c'est Maurras et Esprit; c'est Mégret et Chevènement. Le texte de Sollers est un texte d'écrivain. Il est vif, cinglant et, d'ailleurs, formellement très réussi. On peut dire, il me semble, que c'est tout ça qu'il vise, même s'il ne nomme explicitement personne. J'ajoute, soit dit en passant, qu'il a été dans le temps parmi les très rares défenseurs de l'Idéologie française, attaquée par presque tout le monde. Vous voyez: tout ça est assez cohérent.
Les formules choisies dans l'article ne datent-elles pas d'un autre temps ?
C'est ce que disaient les sartriens aux hussards après guerre. En gros: «Vous vous prétendez jeunes, vous nous jouez l'air de la jeunesse insolente et irrévérencieuse; en réalité, vous sentez la poussière et la naphtaline de la France pétainiste, rance et aigrie.» C'est le procès fait par Sartre à Nimier, à Blondin... Il y avait quelque chose en effet de glauque dans cette France prétendument renaissante. Et la vraie jeunesse de l'esprit était du côté de Sartre. Aujourd'hui: elle est du côté de Sollers.
Pour vous, il y a donc toujours les mêmes deux France ?
Les deux France, toujours, oui. Le pétainisme était déjà une forme abâtardie et perverse du péguysme. Le vrai socle est là. Il y a, en effet, en France un socle idéologique qui emprunte ses harmoniques -pour aller vite - à Péguy, Barrès, Bernanos - trois grands écrivains, surtout Péguy -, qui ont eu à certains moments de leur vie des positions morales admirables, mais qui constituent une espèce d'humus qui se déploie à travers tout le siècle, aujourd'hui encore, et qui produit des effets désastreux. Je crois qu'on n'en est pas sorti.
Le débat sur ces deux France doit-il toujours reproduire éternellement les mêmes querelles ?
Moi aussi, je rêve d'une France apaisée où ce genre de débat prendrait une forme civilisée ou serait, du moins, définitivement arbitré. Mais c'est la France moisie dont parle Sollers qui, hélas !, ne désarme pas. Regardez, là, ce coup-ci, d'où sont concrètement venues les hostilités. C'est Chevènement attaquant, sans sommation, la tête de liste des Verts ! Quand on est ministre de l'Intérieur, on n'appelle pas Cohn-Bendit «Cohn-Bandit». On ne dit pas «anarchiste allemand». On évite «élites médiatisées». On peut polémiquer contre Cohn-Bendit, c'est même l'objet de la campagne qui s'ouvre ces jours-ci. Mais croyez-vous que dire «Cohn-Bandit», c'est ouvrir le débat de fond ? C'est un acte de guerre caractérisé. Et ce sont des mots qui, je vous le répète, sont presque inquiétants dans la bouche du «premier flic de France».
Chevènement appartient donc définitivement à la France d'en face ?
Il serait parfaitement démontrable que Chevènement est fondamentalement un idéologique maurrassien. Il a les réflexes d'un maurrasien, il a l'idéologie d'un maurrassien: lorsqu'il se pense «de gauche», lorsqu'il s'en prend à l'argent, au grand capital, à l'impérialisme, comme il l'a fait plus jeune, il est encore et toujours maurrassien. Mais laissons Chevènement, vous voulez ?
A lire ce qu'écrit Debray, ces dernières années, sur la place de la République, sur l'économie, sur le gaullisme, etc., on peut se demander si vous ne le rangez pas, lui aussi, dans la France moisie...
Longtemps, j'ai entretenu un dialogue avec Régis Debray. Mais je suis très perplexe face à ses dernières prises de position: la République portée au pinacle, l'éloge des blouses grises et de la police républicaine, la politique réduite à la police. Parce que c'est ça: il y a un courant aujourd'hui en France qui prétend réhabiliter la politique, alors qu'il ne fait que la remplacer par la police (la police des corps, la police des âmes, la police des banlieues). Si la politique s'y réduit, alors la déception sera terrible, y compris chez ceux qui réclament de la police. Ils réclament de la police tout en attendant aussi de la politique. Il y a des intellectuels aujourd'hui qui n'ont plus qu'une définition policière de la politique.
Lundi 08 Février 1999 - 00:00
Philippe BOGGIO Maurice
Lu 231 fois