Bien, analysons.
"Donner tous pouvoirs aux présidents, c’est-à-dire à aggraver le localisme qui mine la qualité de l’université française et le niveau de son recrutement."
La loi LRU, votée par les représentants (régulièrement élus) du peuple français, ne donne pas tous les pouvoirs aux présidents. Dans cette phrase, ce qui est faux, c'est le déterminant "tous" (en français, faut-il dire "tous pouvoirs" ou "tout pouvoir" ?). La France, même quand elle est présidée par Sarkozy, n'a rien de totalitaire. Les présidents sont des universitaires élus par leurs pairs (et par les impairs), et non pas nommés par le Pouvoir. S'ils n'ont pas le soutien de ceux qui les ont élus, ils ne pourront rien décider. La loi donne aux présidents un peu plus de pouvoir qu'ils n'en ont (ou n'en avaient), l'essentiel de ce pouvoir, avant cette loi, étant aux mains de "conseils" (en russe : soviets) ingérables, très nombreux, ingouvernables, et manipulés par la minorité agissante.
Ce qu'il y a de faux, c'est la relation équative ("c'est-à-dire") établie par M. Jourde entre "donner tous pouvoirs aux présidents" et "aggraver le localisme". Je sais bien que personne n'est exempt de dire des conneries et qu'aller aussi vite en besogne dans un raisonnement, en sautant toutes les étapes, est le propre de l'esprit militant, mais, dans un débat public organisé hors de l'Université, il y a des facilités auxquels un intellectuel digne de ce nom devrait renoncer. Le localisme, en fait la préférence locale (pour recruter un MCF ou un professeur ou qui que ce soit d'autre, la préférence est donnée aux gens en place, aux copains, aux amis, à la famille, etc. au détriment de ceux qui viennent d'ailleurs), "mine", en effet, "l'université" et la déconsidère. Je fais le même constat que M. Jourde. Mais en quoi le fait de donner à un président un peu de pouvoir, plus qu'il n'en avait jusque là, va aggraver la préférence locale ? La préférence locale est due à la volonté des syndicats (ainsi, c'est eux qui décident des recrutements), à la volonté de la "gauche" (qui l'a imposée en 82, puis réimposée en 89, puis réréimposée en 98, chaque fois qu'elle a exercé le pouvoir), et elle est le fait, dans la pratique, de tous ceux qui font grève ou qui exigent des organisations d'étudiants qu'elles occupent les universités ou qui dansent dans "la ronde des obstinés".
Il serait bon (en langage militant : il est urgent) d'en finir avec le localisme. La seule solution, ce sont les concours nationaux à épreuves d'admissibilité écrites et anonymes, et épreuves d'admission orales, comme cela se fait dans les concours d'agrégation de l'enseignement supérieur (en droit et en économie). C'est simple : proposez d'étendre ce mode de recrutement à toute l'université,vous entendrez Sos-Université Recherche, les syndicats, les collectifs et les coordinations, etc. pousser leurs hauts cris (encore plus hauts qu'aujourd'hui).
"Ce que le ministère appelle évaluation n’est qu’une usine à gaz totalement irréaliste, destinée à récompenser les plus serviles, qui n’aboutirait, au prix d’une déperdition d’énergie monstrueuse, qu’à susciter une multiplication d’articles creux au lieu de favoriser la recherche fondamentale."
L'évaluation existe déjà et elle n'est pas une usine à gaz qui récompense les plus serviles ; quant à l'argument de la "recherche fondamentale", il sert presque toujours de prétexte pour masquer l'absence de résultats attestés ou vérifiés. Les enseignants chercheurs sont payés pour enseigner et pour faire de la recherche. Or, de 40 à 50% d'entre eux ne font pas de recherche. Telle est la réalité. Elle est désagréable et déplaisante. Elle déconsidère l'université un peu plus. Les militants de Sauver l'Université préfèrent se voiler la face. Que M. Jourde les imite quand il participe à une AG, serait-ce pour ne pas se faire casser la gueule, se comprend. Mais dans "Le Causeur", il ne risquait rien. Dans une université de province, des "chercheurs" ont voulu rendre hommage, en publiant son "oeuvre", à l'un de leurs collègues, très bien pensant syndicalement parlant, mort à 61 ans d'un cancer et qui est resté en poste près de 30 dans la même université. Résultat : ils n'ont trouvé dans ses papiers que 6 articles (à peine 40 pages), dont 2 ont été publiés, tous insignifiants. Le volume qui lui a été consacré est étique : pour y donner l'apparence d'un livre, neuf ou dix collègues se sont fendus d'un article d'hommage. Tout ça, c'est de la rigolade. S'il y avait eu une évaluation digne de ce nom, ce chercheur aurait dû être invité à faire de l'administration, en plus de son service d'enseignement, ou à doubler ce service d'enseignement. Tout ça pour qu'un semblant de déontologie soit respecté.