Le tri des embryons

Chers amis, j’aimerais prendre un peu de distance avec l’actualité la plus chaude et soumettre à votre réflexion et votre sagesse un thème qui me parait crucial. Je m’étonne que certains sujets sociaux, certes majeurs, tels ceux touchant à l’homoparentalité, déchaînent les passions alors que d’autres qui me semblent engager l’humanité jusque dans ses fondements ne me semblent pas occuper dans le débat la place qui devrait leur revenir. Il en est ainsi de certaines questions touchant la bioéthique. Elles ne sont abordées que par leur aspect le plus médiatique et le plus choquant (la mère célibataire et ses quatorze enfants de moins de sept ans). C’est précisément sur le diagnostique préimplantatoire (qu’il convient de distinguer très nettement du diagnostique prénatal) que j’aimerais recueillir votre point de vue. Les souffrances évitées par un eugénisme négatif sont à prendre en considération mais la liste des pathologies à éviter ne cesse de s’allonger et diffère d’un pays à l’autre. Par ailleurs on voit bien la lourde hypothèque qu’un projet parental élaboré dans ces conditions fait peser sur la liberté de l’enfant. Qu’en pensez-vous ?

Cher Monsieur,

Ces problèmes ne sont que très rarement abordés car ils touchent, comme vous dites, aux fondements même de notre humanité. Impossible d'avoir une position clairement argumentée et définitive sur la question sans avoir au préalable mené une longue réflexion. Impossible de résoudre les problèmes que posent ces nouvelles possibilité à coups de propos de comptoir.
Je me risque à donner le point de vue d'un jeune père de 31 ans.
Aborder la procréation sous l'angle d'un "projet parental" semble déjà mal engager la conversation. Très simplement, un enfant est le résultat d'une séance de coït. L'idée de concevoir des enfants hors de ce système est une aberration parce que, selon toute théorie de l'évolution, deux adultes qui sont incapables de se reproduire naturellement et qui le font par le truchement d'une technologie (qui résout tous nos problèmes, n'est-ce pas?) mettent en cause la survie même de l'espèce. Ce "progrès", mis en oeuvre pendant des dizaines de génération, aboutira à la fin de l'humanité. Il mène déjà lentement à la disparition de la race blanche.
Alors le diagnostique préimplantatoire, tu vois...

Ce "progrès", mis en oeuvre pendant des dizaines de génération, aboutira à la fin de l'humanité... telle que nous la connaissons.

Si rien de très colossal ne ne vient se mettre en travers des travaux des biologistes, il faut s'y attendre.

Très simplement, un enfant est le résultat d'une séance de coït. L'idée de concevoir des enfants hors de ce système est une aberration parce que, selon toute théorie de l'évolution, deux adultes qui sont incapables de se reproduire naturellement et qui le font par le truchement d'une technologie (qui résout tous nos problèmes, n'est-ce pas?) mettent en cause la survie même de l'espèce.

Pas nécessairement, cher Monsieur : ce que fait la technologie, en l'occurrence, c'est de transmettre des gènes qui seront "certifiés" être exempts de ce qui a motivé le recours à la technologie, précisément.
Les deux adultes en question "reproduiront" donc des individus capables, eux, de se reproduire par voie naturelle.
En principe. De la diversité en plus, finalement.
De véritables petits CPE.

En imaginant que cette technologie fonctionne, cela impliquerait que la stérilité soit héréditaire, puisqu'on peut supprimer les gènes qui l'implique ?
Plus sérieusement, les causes de stérilité de nos jours se trouvent le plus souvent être environnementales. Donc soit les individus ont résisté à leur environnement, se sont adaptés et arrivent à faire des enfants qui pourront à leur tour procréer, soit leur race doit s'éteindre.
C'est un raisonnement qui tient la route.
Il est de toute manière évident qu'on fausse les cartes de l'évolution, dans sa phase critique : la transmission des gènes.
L'évolution fonctionne grâce à 2 principes :
1. le matériel génétique est constant et sa transmission se fait sans interférence ni modification dans 99,9% des cas.
2. Dans de très rares cas, il y a mutation.

C'est la permanence du matériel génétique et les très rares cas de mutation qui font que la machine fonctionne. Si on augmente les mutations et diminue la permanence, l'équilibre est rompu.

Je fais un beau petit bide avec mon tri d’embryons, ce qui est déjà un enseignement. Avant de retourner à nos chères petites passions toutes chaudes et de remettre sous le boisseau l’enfer de demain, je tiens à vous saluer chers DJF, Orimont et Alain et vous remercier de vos contributions qui sont les premiers pas d’une discussion qui reprendra un jour, j’en suis sûr. Quand il sera trop tard ?

Faire un bide avec les embryons, c'est normal non ?

Excellent. Vous me mettez de bonne humeur pour la matinée, chère Agrippa.

Bien cher Eric,

Il est tout-à-fait frappant que, dans un monde qui prêche la diversité, le respect absolu du "plus défavorisé", la protection du "plus exposé", dans un monde qui garde jalousement des places de parking pour handicapés et qui traduit tout en langue des signes, on élimine en même temps des enfants potentiels qui ne sont pas "parfaits".

A l'heure actuelle, ce critère de perfection va du handicap lourd (forte pression du corps médical pour une fin de grossesse) au handicap léger. Demain, la couleur de cheveux ou la taille pourront être prises en compte.

En fait, on est encore dans la logique infernale du "parce que je le veux et je le vaux bien".

Si vous voulez voir encore des mongoliens en liberté, des anormaux ailleurs que dans les musées des écoles de médecine, allez à l'église : les seules familles européennes qui acceptent et accueillent encore un tel enfant sont les catholiques pratiquants.

Cette question de l'enfant parfait m'amène d'ailleurs, parfois, à me demander ce que nous défendons exactement au nom de l'Occident.

Merci bien de votre écho, cher jmarc. La contradiction que vous soulignez n’en n'est pas une, du point de vue prométhéen. Nous allons réformer les malformations sociales comme nous éradiquerons les malformations biologiques. D’un autre point de vue, nous sommes bien obligés de tenir compte du « progrès » puisqu’il est là. En biotechnologie moderne, la question philosophique et humaine qui se pose est celle de la limite. Elle est rendue cruciale par son couplage avec celle de la souffrance (voila pourquoi je soulignais la barrière séparant le diagnostic préimplantatoire du diagnostic prénatal). L’utérus artificiel, cher au professeur Atlan, se fera, c’est certain ; il suffit que deux technologies fassent leur jonction. La perspective de libérer enfin la femme de la grossesse, celle de voir les hommes revendiquer les mêmes droits à l’enfantement que leurs compagnes, le marché potentiel, tout cela nous prépare des lendemains chimériques, cher jmarc. Serons-nous encore là pour en goûter ? Je ne le souhaite guère. Vous voudrez bien excuser le « décousu » de mon message mais je tenais à vous saluer sans tarder.

Dérivé de la loi de Murphy : tout ce qui est réalisable sera réalisé.

C'est ce qu'a beaucoup dit Houellebecq au moment de la sortie de Possibilité d'une île.

Les anticipations proposées par Houellebecq paraissent les plus plausibles, en effet, surtout dans le fait que le changement d'espèce, le clonage, et la disparition d"homosapiens (qui n'est d'ailleurs pas totale, des "poches" d'humains totalement avilis subsistant ça et là), s'accompagne d'autant de maîtrise technique que de bidouillages, d'escroqueries opportunes et de directions choisies par hasard, en somme d'imperfections, puisque c'est un être imparfait (l'homme) qui pilote son propre dépassement.

Il reste pourtant que personne n'a jamais pu prévoir de quoi serait fait l'avenir.