Des magistrats, des hommes d'étude, des savants: Pasquier, Fauchet, Henri Estienne, éprouvaient le même engouement que tout le reste de la nation, depuis le Roi jusqu'au dernier des artisans: «Jeu que j'ai bien aimé, dit le président Fauchet, et plus commun aux Français qu'à tous leurs voisins.» — «Je donnerai le premier lieu (au jeu) de la paume, écrit le philologue Henri Estienne, auquel on peut aussi dire la nation française être plus adonnée qu'aucune autre: témoin le grand nombre de tripots qui sont en cette ville de Paris. Et avons bien raison d'y être plus adonnés, tant pour y être plus habiles et adroits, que pour être un exercice non moins beau et honnête que profitable 34 .»
Rien de tel que l'exercice pour le corps, et même pour l'esprit, disait-on encore, à une époque où la part de l'esprit n'était certes pas des moindres, en 1668, au plus beau temps du Grand Roi: «L'exercice du jeu, dûment fait, échauffe le corps et les membres, purge les humeurs superflues et étrangères en les faisant évaporer, fortifie les facultés naturelles, éclaircit et réjouit l'esprit; en telle manière que l'homme qui sait choisir certain jeu d'exercice honnête et en user sagement, en vaut beaucoup mieux tant pour sa santé corporelle que pour la vivacité de son esprit.»
Suivent les «ordonnances (remontant à 1592) du royal et honorable jeu de la paume», lequel n'a guère d'autre inconvénient que de tellement exciter les joueurs qu'ils s'emportent parfois en jurons effroyables. C'est un grand tort; au jeu comme à la guerre il faut se posséder. — «Messieurs qui désirez vous ébattre et jouer à la paume, faut jouer, afin de récréer le corps et délecter les esprits, sans jurer ni blasphémer le nom de Dieu. Avant de jouer, convient tourner la raquette pour savoir» à qui le service. Dans les cas douteux, consulter les naquets ou marqueux, mais de préférence le public, constitué en tribunal arbitral, toujours formé alors de gens compétents, car à cette époque tout le monde jouait.
Des concours publics avec prix — des «championnats» — étaient organisés. Le jeu était ouvert trois jours durant à tous venants et le maître du jeu donnait «aux champions qui voulaient s'exercer au dit prix» trois objets: une couronne de fleurs, une paire de gants; enfin, prix suprême, un éteuf d'argent ou une raquette. Les joueurs devaient prendre, comme jadis les tournoyeurs, divers engagements préliminaires, proportionnés à l'importance de ces pacifiques batailles; le plus difficile à observer était de ne pas jurer; aussi les infractions étaient-elles punies d'amende: «Toutes personnes qui désirent jouer audit prix y seront honnêtement reçues, à la charge de ne jurer ni blasphémer le nom de Dieu, sous peine, pour chacune fois, de cinq sols d'amende.»
La bataille étant à tous venants, les «défendants», comme jadis Regnault de Roye ,Boucicaut et Saint-Py, doivent être à leur poste, les trois jours, du matin au soir. Ils seront donc au jeu à partir de huit heures du matin et ne s'en iront qu'à sept heures du soir, avec permission seulement d'aller «changer de chemise, et boire et manger à l'heure du dîner pendant une heure seulement».
Le jeu était qualifié de royal, et non sans cause. Capétiens, Valois et Bourbons s'étaient transmis, avec la couronne, l'amour de cet exercice. François 1er y était fort habile; son fils Henri II , tout autant. Il avait fait construire au Louvre une magnifique salle pour ce jeu 40 . «Il jouait à la paume et très bien, dit Brantôme. Il se plaisait fort quand la reine sa femme, madame sa sœur, et les dames le venaient voir jouer, comme souvent elles y venaient, et qu'elles en donnassent leur sentence, comme les autres, des fenêtres en haut.» Charles IX , écrit en 1561 Giovanni Michieli, ambassadeur de Venise, «aime passionnément le jeu de paume et l'exercice du cheval,» malgré que la «moindre fatigue le condamne à un long repos». Le duc de Nemours (Jacques de Savoie), le modèle des cavaliers, brille dans les palais et dans les camps, se distingue à la guerre et en amours, et ne dédaigne pas de s'acquérir, par-dessus le marché, à grande peine et par une longue pratique, la réputation d'excellent joueur de paume. Il était propre à tout, «très adroit et de belle grâce... les armes belles en sa main. Il jouait très bien à la paume: aussi disait-on les revers de M. de Nemours; jouait bien à la balle, au ballon, sautait, voltigeait, dansait,» et, par toutes ces qualités réunies, gagnait la faveur des dames. Brantôme déclare en avoir connu deux, «des belles du monde, qui l'ont bien aimé... Plusieurs fois leur ai-je vu laisser les vêpres à demi dites pour l'aller voir jouer ou à la paume ou au ballon, en la basse-cour du logis de nos rois.» Mais la femme qui fit le plus pour sa gloire ne fut aucune de ces deux dames-là et ne put jamais le connaître: ce fut Mme de La Fayette, qui le choisit pour héros de son immortelle Princesse de Clèves.
Quant à Henri IV , le plus «en cervelle» de tous ces rois et qui suffit à tout, chasse, administration, amour, guerre et jeux, il est constamment à la salle de paume. Dès le lendemain de son entrée dans Paris, on le trouve au jeu de la Sphère. L'entrée eut lieu, rapporte Lestoile, le 15 septembre 1594; le roi, «fort riant... avait presque toujours son chapeau au poing, principalement pour saluer les dames et demoiselles qui étaient aux fenêtres.
Le vendredi 16, le roi joua à la paume tout du long de l'après dînée, dans le jeu de paume de la Sphère.
Le samedi 24, le roi joua à la paume dans le jeu de la Sphère. Il était tout en chemise, encore était-elle déchirée sur le dos, et avait des chausses grises, à jambes de chien, qu'on appelle.»
Le 27 octobre, «le roi ayant gagné, ce jour, quatre cents écus à la paume, qui étaient sous la corde, les fit ramasser par des naquets et mettre dans un chapeau, puis dit tout haut: — Je tiens bien ceux-ci; on ne me les dérobera pas, car ils ne passeront point par les mains de mes trésoriers.»
En 1597, au milieu des affaires les plus graves, «il passait son temps à jouer à la paume et c'était d'ordinaire à la Sphère,» où les dames venaient le voir et en particulier «madame de Monsseaux», autrement dit Gabrielle d'Estrées. «Et ne laissait pour cela Sa Majesté de veiller et donner ordre à tout ce qui était nécessaire au siège d'Amiens pour le mois suivant; lequel étant venu, il donna congé au jeu et à l'amour, et y marcha en personne, faisant office de roi, de capitaine et de soldat, tout ensemble,» et reprit la ville aux Espagnols 41 .
Louis XIV avait un paumier-raquetier en titre, et les princes, un maître de paume qui leur donnait des leçons et qui était «porte-raquette du roi». Ces fonctions de cour subsistaient au siècle suivant; le maître-paumier avait l'honneur de «présenter la raquette au roi. Il a douze cents livres de pension, et cinquante livres, payées par le premier valet de chambre, pour chaque fois que le roi joue». Six marqueurs de cour complétaient ce personnel et recevaient chacun dix francs pour chaque partie royale 42 .