Le site du parti de l'In-nocence

Un article bien senti sur le film de Yann Arthus-Bertrand

Envoyé par Ostinato 
Yann Arthus-Bertrand, go Home !

dans [www.causeur.fr]
Oui très bel article qui fait un sort à ce film, merci chère Ostinato.


J'aime beaucoup le passage suivant:

"Devenu multimillionnaire avec le succès mondial de son livre La terre vue du ciel (montrant la beauté supposée de notre planète scrutée depuis une flotte d’hélicoptères polluants), le photographe susurre dans tous les médias sa vieille rengaine apocalyptique"
Excellent, merci. Une baudruche qu'il fallait dégonfler !
J'ai regardé ce film, excellent, aux superbes images, et aux conclusions réalistes, et plutôt optimistes, car soulignant les premiers acquis dans la voie d'un développement pérennisable. La question de l'eau potable et de son accès y occupe une place centrale. Cette problématique est bien réelle; elle occupe les peuples et les Etats et le film la présente avec une certaine honnêteté intellectuelle toute au crédit de son auteur.

L'article du Causeur mis en lien est inepte, comme malheureusement le sont de plus en plus les articulets "vedettes" du site Causeur. Il est inepte car il élude tout commentaire quant au fond, au contenu, ou au message du film. La harangue assez pénible sur la personnalité de YAB, si on admet qu'elle puisse être amusante, ne mérite ni d'être couchée et présentée, ni d'être lue. Si dans dix ans, des archivistes de l'électronique retrouvent et ressortent ce petit morceau d'humeur et de faconde de bistrot, son auteur en aura honte.
Utilisateur anonyme
07 juin 2009, 00:13   Re : Toute honte bue
Parfaitement d'accord avec Francis Marche. Sauf, peut-être, sur la présomption de honte de l'auteur du torchon dans 10 ans. Car, comme disait Brassens, le temps ne fait rien à l'affaire....
07 juin 2009, 00:25   Re : Toute honte bue
Citation
L'article du Causeur mis en lien est inepte,
Mais c'est bon sang bien sûr, le contraire nous aurait étonné !
Un bon petit gouvernement mondial qui va nous concocter des solutions à tous ces problèmes d'environnement que bien sûr les Etats-Nations, ces entités dépassées, ne pourront jamais régler.

Un ONU écologique qui dit mieux ...
07 juin 2009, 02:44   Re : Toute honte bue
L'article ne rentre pas dans les polémiques stériles sur les répercussions écologiques de l'activité humaine, et c'est en cela qu'il est plus efficace : il met en exergue le ridicule et l'incohérence du travail de propagande de YAB. C'est une caricature, et rien d'autre. Les traits du photographe y sont grossis et son âme décadente est révélée. Si YAB ne vous (fait!) pas rire, c'est que vous l'avez mal regardé.
«Si YAB ne vous pas rire, c'est que vous l'avez mal regardé.»
Paronnez-moi, cher Olivier, mais je n'aime pas beaucoup ce genre de petite phrase lapidaire qui ne laisse aucune issue à celui qui, dans un espace d' échange comme le nôtre, devrait rester un interlocuteur.
07 juin 2009, 09:27   Re : Toute honte bue
Il a été dit dans un débat sur France 2 ayant fait suite à la projection que l'OMC devrait être contrebalancée par une organisation mondiale de l'environnement précisément parce que tous les problèmes évoqués dans le film ne peuvent avoir de solution dans les seuls mécanismes de marché. Il y a 75 fleuves et rivières transfrontaliers dans le monde (chiffre à vérifier) qui sont autant de sources d'eau potable et d'énergie pour les pays dont ils traversent les territoires. Comment les "Etats nations" peuvent-ils seuls, de manière séparée et "souveraine", disposer de ces ressources dans l'équité sans se mettre autour d'une table et élaborer des plateformes de coopération dans ce domaine ?

Les ONG, très actives dans les pays les plus menacés par la crise environnementale, ne dessinent aucun "gouvernement mondial", nombre d'entre elles étant d'obédience nationale ou régionale. Et puis zut Rogemi, si un "gouvernement mondial" peut nous préserver du désastre planétaire écologique qui menace, vive le gouvernement mondial !
Sans vouloir user un peu plus la célèbre image que l'on prête aux Chinois sur l'idiot qui regarde le doigt quand on lui montre la lune (en l'occurrence, la Terre), force est de reconnaître que la formule percutante et drôle d'Olivier ne mérite guère d'autre commentaire.
Il me semble que l'on peut très bien estimer que les problèmes que semble évoquer ce film et que cite Francis ici constituent des enjeux fondamentaux tout en ne supportant pas ce personnage. C'est mon cas. J'ai du reste décidé une fois pour toutes de ne pas prendre au sérieux tous ces gens qui se font les chantres de la préservation de la planète tout en étant par ailleurs populationnistes.
J'ai regardé ce film pendant quatre ou cinq minutes. Je n'ai pas pu aller au-delà. Pour deux raisons :
les grands mouvements de caméra, les images léchées de films porno soft, les travellings flamboyants, etc. et tout cela pour faire peur, comme ont pu faire peur à nos lointains ancêtres les images de l'Enfer avec chaudrons et instruments de torture;
les sermons religieux, ronflants et pompeux, et l'usage rhétorique qui y est fait des références à la "science", d'autant plus que les sermons d'YAB ont, pour raison d'être semble-t-il, de masquer la véritable cause du désastre annoncé, à savoir la croissance démentielle de la population humaine au XIXe et au XXe siècles, source principale des pollutions innombrables, de la raréfaction des ressources en eau, de l'urbanisation du monde, de la destruction des forêts, etc.
Le pire pour moi a été la musique lancinante qui aurait fait merveille dans quelque réunion de secte apocalyptique. Les temps arrivent, repentez-vous ! Heureusement le ton est devenu nettement plus raisonnable et somme toute assez plat à la fin : Développement des énergies alternatives.
Utilisateur anonyme
07 juin 2009, 10:53   Re : Un article bien senti sur le film de Yann Arthus-Bertrand
D'accord avec JGL. Une fois qu'on a rangé son mouchoir on pourrait en revanche analyser la situation et dénoncer, une fois pour toutes, la véritable cause du désastre annoncé, à savoir la croissance démentielle de la population humaine au XIXe et au XXe siècles.
Utilisateur anonyme
07 juin 2009, 11:35   Re : Un article bien senti sur le film de Yann Arthus-Bertrand
La musique, je devrais dire l'accompagnement musical, me tape aussi sur les nerfs. Du même tonneau (vide) que les fresques historiques sur Arte, où des timbales guerrières, des soupirs de dragons, des flûtes exotiques qui hurlent à la mort se déchaînent par vagues successives pendant que quatre pelés et deux tondus manifestement déguisés combattent dans un pré noyé dans le brouillard.

Tout à fait d'accord avec, entre autres, Francis, Zendij, JGL, Marcel.
Mais cela relance en moi à chaque fois la contradiction qui existe entre la limitation de la démographie, en route naturellement, possible volontairement dans nos contrées, et l'accroissement de population exponentiel en Afrique et au Moyen-Orient, qui mène à terme, si pas à notre disparition, du moins à notre complète sujétion. Or cela va très vite et aucune action ne semble possible au niveau mondial.
Si je n'étais pas sur le forum de l'In-nocence, je m'écrirais "vous me faites tous bien rigoler !", les "souverainistes" (Rogemi), les malthusiens (JGL, Meyer, Zendji) qui après avoir fustigé les prétendues visées apocalyptiques d'un YAB, et débusqué et vilipendé les visions de gouvernance mondiale prêtées au même et à ses sponsors, s'en vont royalement nous annoncer que le problème il est la population humaine MONDIALE, très précisément (soit un gros problème global/mondial), en laissant entendre que si toute intervention suggérée par leurs adversaires politiques moralisateurs-mondialisateurs sur nos modes de vie et notre confort mental (ooouuuuuh:!, l'anxiogène ouuuuhhhh!! cachez-moi donc cet anxiogène que je ne saurais voir plus de 4 minutes - JGL) est absolument attentatoire à notre liberté/identité (biffer la mention inutile) et est à banir, il est en revanche tout à fait concevable, il serait apparemment de bonne politique, de priver du droit de se reproduire, disons un bon tiers des humains aujourd'hui présents sur la planète, et ce apparemment sans la moindre discrimination "nationale" -- personne parmi nos dépopulationnistes radicaux ne dit "les Indonésiens sont trop nombreux, les Africains, les Suisses allemands, etc.", non non, nos dépopulationnistes ne font pas dans le détail national, le détail national ne vaut que pour eux et pour leur dégoût de toutes solutions technico-écologiques mondiales sur lesquelles ils crachotent avec dédain et parfois avec hargne (Rogemi). Bravo messieurs, on admire votre bravoure et votre aplomb ubuesque dans l'accommodement de vos contradictions.
07 juin 2009, 11:46   Re : Toute honte bue
Cher Eric, il est en effet des vérités qui ne se saisissent que par l'oeil, le goût, et peut-être le sens de l'humour. On ne peut pas, selon moi, être à la fois un "personnage insupportable" et un guide pour l'humanité, il y a là une contradiction qui doit nous aider à voir qu'il n'y a point de lune, mais seulement un doigt.
Sans la "croissance démentielle de la population humaine au XIXe et au XXe siècles", il est probable que vous ne seriez pas ici à nous sabler les oreilles et les yeux de ce genre de message Zendji, ni moi non plus pour vous le faire observer.
Cher Olivier, il doit y avoir dans vos propos des degrés qui m'échappent, veuillez m'excuser.
Je me relis, Cher Eric, et me trouve moi-même très obscur ! Veuillez m'en excuser. Pour être plus clair (tout en restant concis car le sujet n'est pas si important), je voulais dire que l'article dont nous parlions plus haut valait pour ce qu'il pointait, c'est-à-dire l'imposture et le comique du Yann Arthus-Bertrand sauveur de l'humanité. Je le défendais contre l'accusation d'"ineptie" et de vacuité dont il était l'objet, et qui me semblait injuste. L'article peut sonner creux à la première lecture, mais il s'avère percutant comme peut l'être une caricature ou un billet d'humeur bien senti. Pour le dire autrement : point besoin d'un long commentaire critique pour faire tomber une idole, ou déconstruire un discours. Avez-vous lu Le sourire à visage humain de Muray ? Un militant du PS pourrait très bien en penser : "Quelle ineptie ! aucune critique de fond concernant le programme défendu par Ségolène Royal, aucun effort de démonstration". Pourtant, l'effet est imparable. Une dimension du personnage Ségolène Royal, donc une dimension de son discours, de la valeur de tout ce qui émane d'elle, nous est immédiatement révélée par ce texte éminemment moqueur. En somme il faudrait écrire La Moustache à visage humain pour lever un voile sur la forfanterie écologiste d'Arthus-Bertrand.
07 juin 2009, 14:09   Fond et forme
Bien cher Francis,


Je partage totalement votre analyse (au demeurant, je trouve Monsieur Arthus-Bertrand insupportable).

A mon sens, ce n'est pas parce qu'une idée appartient à la pensée unique qu'elle est de ce seul fait mauvaise.

Par exemple, beaucoup de cultures réprouvent le meurtre, le vol, l'inceste. On voit mal, dans ces trois cas, comment se dégager de la pensée unique.
07 juin 2009, 15:25   Re : Fond et forme
Cher Jmarc,

Merci de ce message. Je ne connais pas de pensée plus "mondialiste" que le malthusianisme (ou "dépopulationnisme") et je ne connais pas non plus de proposition plus anxiogène que celle qui n'est faite de rien d'autre que d'un regret de l'étant (cf. la déploration zendjienne sur l'explosion démographique du XXe siècle).

Nos souverainistes-dépopulationnistes ennemis de la prolifération humaine d'une part et d'autre part de toutes démarches techniques globales propre à résoudre des problèmes planétaires, démarches auxquelles ils reprochent de procéder en violation des souverainetés, réussissent ce tour de force qui consiste à associer dans un même discours critique l'interventionnisme le plus radical (ayant pour programme implicite de freiner la reproduction humaine) et un mondialisme non moins radical puisque apparemment ce programme ne s'embarrasse d'aucune distinction entre les nations et s'accommode du plus complet mépris de l'histoire et des aspirations des peuples souverains qui composent l'humanité dont ils voudraient réduire le nombre; le plus consternant est encore qu'ils ne semblent pas même avoir conscience de cette contradiction entre leur critique visant leurs adversaires et la philosophie de leur programme implicite.
Un grand merci, cher Olivier, pour votre effort pédagogique. Pour le coup, ce que vous écrivez est lumineux et m'intéresse vivement. Je me doutais bien que j'avais mis à côté de la plaque et je m'en désolais. La spontanéité et la concision qui font une part du charme de nos échanges, ajoutées à la différence de formation et de pratique des intervenants ne peuvent manquer d'entraîner parfois ce genre d'incompréhension. L’important, n’est-ce pas, est de continuer de se parler et de s’efforcer de se comprendre. J’aurais gagné dans cette embardée l'idée, nouvelle pour moi et que vous exposez très clairement, concernant la dimension du discours et la valeur révélée par un texte moqueur. Je cherchais à lire un livre de Muray, je choisirai celui que vous m’indiquez.
Utilisateur anonyme
07 juin 2009, 16:21   Re : Un article bien senti sur le film de Yann Arthus-Bertrand
Allez Francis, lâchez-vous donc un peu, une bonne fois pour toutes ! Pendant qu'vous y êtes n'oubliez surtout pas d'ajouter qu'Adolf Hitler - encore lui ?! - façonna sa doctrine historique après avoir lu - que dis-je ?, dévoré - les ouvrages de T. R. Malthus (mais aussi de Darwin, de Cardyle, de Ploetz, d'Edward Gibbon) et que, donc, de ce penseur-là au nazisme..., de ce penseur-là aux propos de certains forumeurs...
Il est exact que Yann-Arthus Bertrand est une vraie tête à claque. Mais je vous pose la question cher Olivier, très sérieuse, et solennelle: est-ce une raison pour lui donner des claques ?

Question subsidiaire: si YAB, au lieu de porter beau avec sa moustache et ses airs de papy sportif et sympa à vous donner des envies de ruiner la planète rien que pour le décevoir, avait eu la gueule renfrognée et atrabilaire de Jean Clair, seriez-vous écolo ?
Citation
Par exemple, beaucoup de cultures réprouvent le meurtre, le vol, l'inceste. On voit mal, dans ces trois cas, comment se dégager de la pensée unique.

Ah non, par pitié, Jmarc, ne tombons dans le sophisme et les comparaisons bancales.

Ce qui est à l'avance "hilarant" c'est de savoir que le film de YAB ne sera suivi d'aucun effet concret car personne ne veut changer quoique ce soit à son mode de vie.

Mais cette discussion a déjà été menée ici des dizaines de fois, alors ....
Non vous n'avez pas mis à côté de la plaque, Cher Eric, vous avez bien fait de me rappeler à la plus élémentaire courtoisie du dialogue, qui consiste à éviter les conclusions lapidaires, comme vous l'avez dit. Vous faites preuve d'une grande délicatesse et c'est une chose appréciable en général sur les forums de la "toile".

Je considère que nous vivons dans un monde de plus en plus inapte à cette "bonne" outrance qui, à travers la caricature notamment, mais aussi à travers le style polémique ou pamphlétaire, permet de montrer certains pans de la réalité, de donner toute la mesure de cette réalité. Muray, puisque nous parlons de lui, avait, je crois, parfaitement compris qu'on ne pouvait plus parler du monde moderne sans évoquer l'immense farce qui s'y joue en permanence, sans goût de l'exagération comique, sans volonté de le ridiculiser.
Utilisateur anonyme
07 juin 2009, 19:01   Le coup de l'ours blanc qui saute sur la glace
Je viens de voir le film du photographe Arthus Bertrand sur U-Tube, les images sont très belles, mais l'ensemble a déjà été montré cent mille fois et le propos pseudo-pédagogique parfois assez pesant. Le commentaire est un peu décousu et les messages affichés à la fin du film rappellent un peu les messages d'exhortations qu'Eisenstein nous assène dans certains de ses films (La ligne generale). "Un milliard d'homme ont faim ! Oui, hé bien quoi, dois-je manger des algues achetées aux Nouveaux Robinsons ou émettre moins de méthane ? Je n'ai pas envie de devenir végétarien ni de revendre ma nouvelle voiture.

En résumé : ce film n'a pas grand intérêt, à recommander aux insomniaques (je me suis endormi trois ou quatre fois).

Allez voir plutôt Still Walking de Kore-Eda Hirokazu, ça c'est du vrai cinéma.
Utilisateur anonyme
07 juin 2009, 19:09   Re : Toute honte bue
Il est vrai, cher Olivier, que votre explication de texte est éclairante, mais permettez moi de vous dire (vous ne savez pas combien cela me coûte de le faire) que n'est pas Philippe Muray qui veut et que votre François-Xavier Ajavon ne donne rien à voir, sinon sa haine des personnes à qui il s'en prend. Ainsi, reprocher à Y. A-B d'avoir utilisé un hélicoptère pour faire son film est vraiment, selon moi, d'un ridicule achevé.
Pour tout vous avouer, Chers Corto, Eric, Francis et tous ceux que l'article de Causeur a rebuté, j'ai eu le même sentiment que vous au fil de ma lecture : je n'y voyais rien de très convaincant, et je l'ai peut-être un peu surévalué. L'auteur va vite en besogne et ne prend la peine de nous montrer avec éclat en quoi, peut-être, l'usage des hélicoptères ou les collusions avec la haute finance sont incompatibles avec une posture de champion écolo. Il abuse du paradoxe facile, je vous le concède. Mais tout de même, il brise le consensus irrespirable du soft-écologisme !
ostinato écrivait:
-------------------------------------------------------
> Yann Arthus-Bertrand, go Home !
>
Je me suis douloureusement forcé à cette séance de prêche sur fond de light-show d'un nouveau genre, un peu figé, adapté aux attentes de foules supposées raisonnables. Musicalement on ne s'attendait donc pas à Jefferson Airplane, mais tout de même, à qui s'adresse donc cette insupportable suite de mélopées vous forçant à baisser le son puis à le remonter pour entendre le speech ? Faut-il vraiment enfoncer ça dans nos têtes de cette manière ? L'auteur ne prêche-t-il pas des convaincus (... que ce qui compte, musicalement ou autrement, c'est l'extra-européen qui, autre Nature, nous a tout appris), et en ce cas à quoi sert de nous vriller les tympans ? La messe, oui, mais alors allons vite au "Cum dederit" de Vivaldi, à la fin, un des rares moments musicaux où le public sauve ses oreilles, et l'un des rares moments du film où quelque chaleur humaine passe !

Quant à l'effet visuel, un public formé par le tout-image accumulatif et la très haute-définition sera comblé précisément par tout ce qui m'exaspère dans ces rectangles d'une "planète" surplombée mais aussi morcelée en pavés ectoplasmiques: le comble du spectaculaire, aussi par ce cadrage zénithal qui mine de rien subtilise l'essentielle dimension de l'horizon, c'est à dire de la conscience d'une position relative d'un sujet qui ne serait pas hors-jeu, extra-terrestre (ni divin).

Les images de ce photographe m'ont toujours heurté par leur parti pris vertical et il me semble que les précédents recueils de vues depuis ciel (dans les années 1960 si je ne me trompe, et hormis les ouvrages de géographie pure) étaient moins systématiques, de choix d'angles plus obliques, et qu'ils préservaient un peu de cet air qui manque fort à cette frontalité - pour comble - dénaturante. Nous sommes devant ces rectangles successifs prélevés d'en haut dans le vif, pleins d'un émail de rouges, de jaunes, de bleus surchargés de pigment ; ces cadres glacés où jouent des formes stables où mouvantes mais le plus souvent énigmatiques, dont l'équivalent se trouverait parfois aussi bien dans l'infiniment petit. De plus le rectangle des écrans, résultat de la relation homme debout/horizon, devient quelque peu arbitraire en vue zénithale.

On a parlé ici d'images léchées de porno soft (JGL), ce qui, soft ou pas, convient assez bien (les rapprochant de celles des docus animaux modernes aux couleurs ultra-définies) à ceci près que parfois on se trouve devant un pur jeu de formes sans référent, quelque chose de purement graphique, impression aggravée d'un effet de perte d'échelle (du microscope à Hubble). Le résultat: une esthétisation déplacée, et malheureusement pas beaucoup de cet amour qu'on nous martèle (il faut attendre Vivaldi). Et la séduction, pour qui s'y abandonne, l'emporte sur la conviction.

Le comble de la tarte à la crème revient à cette île en forme de cœur, bien connue désormais, laquelle ne laisse plus aucun doute à l'auditeur abruti de suraigus: ce film est pour le moins un râteau à très large racloir. Seuls des despotes peuvent être heureux qu'une île ait déjà une forme que d'autres despotes auraient pu lui donner (de palmier par exemple). Ici le despotisme est collectif bien sûr, et l'auteur n'est que le vecteur d'un courant de pensée - ou d'une classe spécifique - despotique.

L'auteur reconnaît souvent lui-même que de belles images viennent d'actes ou de résultats polluants: alors que vient faire le cinéma dans cette démonstration vertueuse, sinon un gigantesque clip ? Et si l'on tient, avec un peu de jugeote, que l'image peut servir à n'importe quoi, pourquoi lui donner cette fonction de preuve, à fortiori devant des convaincus ? La réponse est dans cette organisation d'une gigantesque kermesse de plus, un peu sur le modèle de la Fête-enterrement-de-la-musique (et pourquoi pas un rendez-vous annuel ?), où le monde-sans-doute peut se compter, se congratuler, s'aimer d'être là. Il ne fallait pas être devin pour parier sur la nature idéologique, mais surtout sociologique des spectateurs du Champ de Mars: jeune et très homogène, tout prêt à catéchiser sa propre progéniture iconophage et pixélodule.

La forme parle, ce n'est pas ce clip en couleurs qui nous amènera au fond du débat: si on ne sent pas la farce devant cet écran géant et cette organisation normative planétaire qui s'accommode si bien de l'esthétique refilée par les plus récentes techniques (ultime esthétique possible pour l'éternité, celle qui s'étouffe et nous étouffe déjà sous son hyper-définition), on ne la sentira jamais.

Bref ( ? ) si j'étais dans le sillage idéologique de l'auteur, je redouterais de l'avoir pour avocat. Je me demanderais pourquoi on me prend par la main (ou par les ouies) avec tant d'insistance. Et comment, si une telle propagande peut irriter les plus conscients de son propre camp, elle pourrait un jour convertir des multitudes non culpabilisées.

Le billet sur "Causeur" peut se discuter, style et arguments, mais je lui reprocherais surtout le recours (deux fois) à l'argument du kérosène: les coups bas c'est pas beau et c'est hors sujet.
Je n'ai pas encore pu voir le film, je ne prends pas parti dans le débat mais l'intervention de mélophile me met en joie. Quel talent ! J'apprécie notamment : « [...] ce cadrage zénithal qui mine de rien subtilise l'essentielle dimension de l'horizon, c'est à dire de la conscience d'une position relative d'un sujet qui ne serait pas hors-jeu, extra-terrestre (ni divin).»
Voilà le très bel article insolent qu'il fallait écrire, bravo.
Chèr(e) mélophile, j’avais bien repéré le parti pris de verticalité et d’absence d’horizon dans les productions de Yann Arthus-Bertrand, sans pouvoir lui faire dire ce que vous analysez si bien. C’est un peu comme la phrase la plus répandue à propos des pollutions dues au comportement humain : « c’est mauvais pour la planète » alors que l’on conviendrait aisément que la planète se fout bien de nos agissements et ne serait pas longue à se remettre du léger urticaire que lui aurait provoqué l’espèce humaine si celle-ci venait à disparaitre. De même que pensez-vous de ces films animaliers qui se doivent de comporter de superbes ralentis où le guépard bondit avec une telle grâce pour déchiqueter la gazelle ! Cet artifice technique me met mal à l’aise ; j’ai l’impression de voir quelque chose que je ne devrais pas, de souiller un mystère, de trahir ma place autant que le réel si cher à Francis.
Utilisateur anonyme
07 juin 2009, 22:28   Re : Bravo
Ah oui ! Quand Ostinato prend la plume, c'est autre chose !
Et comment, si une telle propagande peut irriter les plus conscients de son propre camp, elle pourrait un jour convertir des multitudes non culpabilisées.

A 24 heures de cette projection publique et internationale, les listes Europe-Ecologie ont réalisé aux Européennes le plus fort score électoral de l'histoire de l'écologie politique en France et semble-t-il en Europe. La critique esthétique, celle produite par Mélophile et que nous admirons, s'inscrit dans la grande tradition où se révèle une formidable aptitude pour juger non sans pertinence la valeur esthétique des oeuvres tout en méjugeant radicalement leur incidence politique et sociale. Cette dimension de comique involontaire, très présente dans ce fil, est indissociable d'un certain talent pour faire glorieusement fausse route, et qui tend de plus en plus à faire florès dans les sujets abordés ici.
Utilisateur anonyme
08 juin 2009, 10:18   Re : Un article bien senti sur le film de Yann Arthus-Bertrand
les listes Europe-Ecologie ont réalisé aux Européennes le plus fort score électoral de l'histoire de l'écologie politique en France et semble-t-il en Europe.


C'est atterrant... ces pauvres zombis de Français n’ont même pas l’idée de se venger par leur vote en sanctionnant des salopards qui comptent facilement gagner les subsides de député européen payés par leurs impôts, qui plus est en ne foutant rien, en n’y mettant jamais les pieds, et qui, quand ils y sont présents, travaillent en permancence contre eux.
Luc Rosenzweig rappelle quelques vérités gênantes pour Eva Joly. José Bové, faux paysan mais vrai péquenod, c'est ce type qui, entre autres perles, a un jour déclaré à propos de Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, qu'il avait transformé les banlieues françaises en un vaste camp. Ajoutez Daniel Cohn-Bendit et vous avez un triumvirat dont la France peut être fière. Cela dit, je ne suis pas mécontent de la peignée qu'ils ont flanquée au Béarnais.
Utilisateur anonyme
08 juin 2009, 14:14   Re : Un article bien senti sur le film de Yann Arthus-Bertrand
un triumvirat dont la France peut être fière.


Tous les trois sont des "sans-papiéristes" convaincus, tous les trois sont pour l'entrée de la Turquie dans l'U.E., tous les trois veulent davantage d'ouverture à l'Autre, d'adhésion au Sympa - en clair, c'est le triomphe de la "pensée bobo-écolo" : un vrai cauchemard.
Eric Veron écrivait:
-------------------------------------------------------
> Chèr(e) mélophile, j’avais bien repéré le parti
> pris de verticalité et d’absence d’horizon dans
> les productions de Yann Arthus-Bertrand, sans
> pouvoir lui faire dire ce que vous analysez si
> bien. C’est un peu comme la phrase la plus
> répandue à propos des pollutions dues au
> comportement humain : « c’est mauvais pour la
> planète » alors que l’on conviendrait aisément que
> la planète se fout bien de nos agissements et ne
> serait pas longue à se remettre du léger urticaire
> que lui aurait provoqué l’espèce humaine si
> celle-ci venait à disparaitre. De même que
> pensez-vous de ces films animaliers qui se doivent
> de comporter de superbes ralentis où le guépard
> bondit avec une telle grâce pour déchiqueter la
> gazelle ! Cet artifice technique me met mal à
> l’aise ; j’ai l’impression de voir quelque chose
> que je ne devrais pas, de souiller un mystère, de
> trahir ma place autant que le réel si cher à
> Francis.


Cher Éric Veron,

Je pense que comme tout ce qui existe nous avons en nous une part de négatif, que nous nous poussons en ôtant de là celui qui s'y était mis, et que consciemment ou pas nous (nous) faisons du mal en général et par conséquent à cette Terre qu'il est maintenant convenu de nommer "la planète", Lumières et Hubble obligent. Logiquement il ne faut pas de majuscule puisque ce n'est qu'une copine parmi les gentils astres, et que la conscience qu'on en a passe avant tout par l'album photo.

Vous parlez d'urticaire, l'image est amusante mais risquée et je pense que oui, il est certain que nous provoquons et avons déjà provoqué de l'irrémédiable, en tout cas du "désastreux durable", et en ce sens je ne peux que déplorer la conduite accaparatrice (en mode moderne ou en mode rustique) des humains. Mais je supporte mal que le bien agir nous soit inculqué par les mêmes tuyaux que n'importe quelle fable d'allumé. J'identifie cette répulsion à ce que mes papilles esthétiques se mettent de travers, et l'autre soir j'ai failli m'en étouffer, pour les raisons que j'ai dites.

J'ai du mal à gober un discours à ce point "customisé". Les adhésions sectaires même molles m'inquiètent, et je n'aime pas recevoir mes leçons d'écologie depuis la sphère du Bien, où pourtant rares sont ceux qui s'imagineraient vivre sans quelques portables, plusieurs ordinateurs et au moins deux télés, le tout avec accessoires et à renouveler sous peine d'obsolescence - et je me limite aux données domestiques (laissant de côté les vols "low cost" et la voiture électrique dont les batteries ne trouent pas la couche d'ozone). La société de la protection maximum, société du double-vitrage et du capiton (le capitonisme à visage humain), naviguera à vue entre le moindre mal et le délire consumériste, car nul n'est prêt à renoncer à … (remplacer les pointillés).

Il se passe que jamais nous n'avons eu les moyens ni le goût d'aller si loin si vite (voyages, information) et que les homélies exhortent au renoncement et à la frugalité. Moi-même, qui serais prêt sur l'heure à me passer de l'informatique et tout le tintouin, ou de la très grande vitesse, je n'aimerais pas devoir jeter mon tourne-disques.

Dans ces domaines qui demandent un débat scientifique purgé des affects (pléonasme nécessaire), et où beaucoup de questions resteront ouvertes - à moins d'être un temps fermées par une dictature -, surtout celles de la surpopulation, je me méfie des apôtres qui capitalisent la culpabilité d'autrui. Cela ne me range pas du côté des ultra-libéraux pour qui le Mal n'existe pas ou s'annule par l'emboîtement miraculeux des interactions.

Vers la fin du presque-débat qui suivait le film des dissensions sont apparues malgré tout, fugace moment de réalité: soupçon que toutes les belles mais si diverses motivations risquent de se télescoper en vol, et c'est ce que le film est chargé de noyer dans ses couleurs acides. C'est de ces contradictions qu'un film pédagogique sérieux devrait nous parler.

Les docus sur les animaux ? Nous devons éprouver la même gène à leur endroit, qui chez moi passe à l'aversion. Mais je les englobe dans une réprobation de la Dernière esthétique, celle des Dernières machines (l'ectoplasme est déjà réalisé et il n'y aura plus que des progrès d'ordre secondaire). Elles nous donnent tant de moyens et d'une telle précision que toute poésie fuit à jamais (c'est la seule espèce non protégée). En échange nous avons des effets pour voyeurs très rustiques. Ils ne peuvent pas s'empêcher de tripoter les curseurs, alors le ralenti, pensez ! C'est comme l'accéléré: voyez les fins de "Ce soir où jamais", quand c'est un rock un peu nerveux, les techniciens vous le découpent en milliers d'images saccadées et de flashes pour nous en rajouter un peu croient-ils, de l'énergie… Là ce n'est pas obscène, c'est simplement idiot.
Francis Marche écrivait:
-------------------------------------------------------
> Et comment, si une telle propagande peut irriter
> les plus conscients de son propre camp, elle
> pourrait un jour convertir des multitudes non
> culpabilisées.
>
> A 24 heures de cette projection publique et
> internationale, les listes Europe-Ecologie ont
> réalisé aux Européennes le plus fort score
> électoral de l'histoire de l'écologie politique en
> France et semble-t-il en Europe. La critique
> esthétique, celle produite par Mélophile et que
> nous admirons, s'inscrit dans la grande tradition
> où se révèle une formidable aptitude pour juger
> non sans pertinence la valeur esthétique des
> oeuvres tout en méjugeant radicalement leur
> incidence politique et sociale. (...)

Je ne pense pas avoir produit une critique seulement esthétique, et d'ailleurs qui le pourrait ? L'objet ne peut s'analyser que comme une machine complexe, constituée, sans hiérarchie entre les parties, d'une part d'une somme d'affects articulée à un discours, ensuite d'un hybride d'art cinématographique et de documentaire pédagogique, enfin d'une étude de marché à la fois esthétique et politique (en tout cas d'un marché, en tant qu'attente). La gestation, la production, la diffusion et la réception d'une telle œuvre sont dans tous leurs états et à touts les moments le lieu de la convergence - ou seulement coexistence - de ces données. Par exemple je ne vois pas un film notablement moins esthétisant faire l'objet de tant de succès à tous les étages, ni tant plaire. Non plus qu'un film à discours plus complexe (je ne dis même pas paradoxal).

Je pense (voir ma réponse à Éric Veron) que ce film ne peut fonctionner comme communion planétaire que dans la mesure où rien de ce qu'il charrie ne peut bousculer un public captif déjà tout acquis, demandeur d'un consensus. Comme le montrait très bien Éric Zemmour discutant avec l'auteur (ça raccourcira mon pensum) une telle démarche vertueuse ne trouverait sa réalisation que par la coercition.

Je vois bien l'incidence politique et électorale, mais elle ne fait que me confirmer que si nous n'y prenons garde les meilleures intentions, combinées à une terreur devant l'avenir sans doute très compréhensible mais un tantinet brouillonne, risquent de paraître le fait d'un genre néo-humain (la classe informée) très empressé à se protéger des catastrophes tout en gardant ses acquis. Je ne dis pas comme certains "la science trouvera bien les moyens", je dis que l'écologie dans sa part raisonnable ne convaincra pas avec ces luxueux moyens de propagande qui lui colleront une image surfaite.

En fait cette histoire me ramène à une autre production héliportée, sorte de chasse au trésor hebdomadaire où des coureurs lourdement chargés doivent sillonner les plus lointaines contrées (dont celle de "René Leys"), poser des questions à des autochtones dûment costumés, trouver des indices etc. Encore une fois la vue d'en haut ! Ce triste spectacle cumule à mes yeux le moralement révulsant et le ridicule définitif. Nous sommes bien dans le même monde traversable de part en part, soumis par mille techniques, indifférencié malgré les couleurs locales, où des consommateurs sûrs de leurs droits et connaissances peuvent débouler n'importe où pour… jouer ( ! ), sous la caméra d'un chef scout peu amène. Nul doute que tout ce petit monde était au Champ de Mars.
Jefferson Airplane, Roxy Music, Velvelt Underground... On n'y va pas de main morte avec les références musicales sur le forum du maistre de Plieux et c'est tout à son honneur qu'il n'ait pas entravé la liberté de ses commensaux.


"Et la séduction, pour qui s'y abandonne, l'emporte sur la conviction." Phrase qui, à mon avis, nuit beaucoup à la juste entreprise de démolition de ce film menée par Mélophile, même si amendée d'un "pour qui s'y abandonne". Et qui ne s'est abandonné à la séduction plutôt qu'à la conviction ?
Cher mélophile, décidément, j’aime votre prose. Elle me semble partager quelques ressorts avec celle de Francis Marche. Vos positions sont-elles d’ailleurs inconciliables ? Au bout du compte, c’est toujours la même histoire : ce qui est gênant dans l’écologie, ce sont les écologistes. Je me permets d’insister quant à l’urticaire planétaire. Nous n’avons pas provoqué de l’irrémédiable, en serions nous même capables ? Que nous ayons les moyens techniques et la folie susceptibles d’éradiquer l’espèce humaine de la surface de la machine ronde, je n’en doute pas mais je souris toujours de ce glissement anthropocentrique qui nous fait craindre pour notre planète. Laissez-lui quelques centaines de millions d’années débarrassée du prurit humain pour se refaire une beauté et elle sera prête à accueillir un nouveau Darwin, un nouveau Francis Marche et un nouveau Yann Arthus-Bertrand.
Je présente mes excuses à Francis Marche : impossible de concevoir une duplication de l'original.
08 juin 2009, 21:56   Sur la démographie
A propos, lu cet après-midi :

"Si par le passé les meurtres immenses dans l'espèce faisaient buter la raison sur la question "pourquoi" ?, il y a de fortes chances que bientôt un autre meurtre inédit "achoppe" sur la question "comment" ?"

Mezioud Ouldamer La cruauté maintenant (Editions Sulliver 2007)
Pour en rester sur le message du film, (son "fond" comme on l'a nommé ici): sa faiblesse serait de proposer une approche scindée entre pays du Nord (classés d'autorité comme "gros consommateurs/pollueurs") et pays du Sud pauvres et impuissants, et bien sûr "premières victimes" du désastre écologique en cours. Une bonne part du caractère déplaisant de l'entreprise YAB/Pinault peut s'expliquer par cette absence d'une conjugaison des solutions écologiques à celles des autres sphères de l'activité humaine. Sylvie Brunet dans le débat a insisté sur ce point: "la culpabilisation" du Nord n'apporte de remède à rien; les solutions, par exemple à la déforestation, naîtront d'une approche nouvelle qui responsabilise les populations riveraines des forêts dans leur gestion et leur entretien, et cette responsabilisation doit nécessairement s'accompagner d'une prise d'intérêt, y compris financier, de ces populations dans la gestion des forêts et des territoires. Le message du film n'abonde que dans un sens, celui de la "prise de conscience" du mal que nous faisons, etc. hors de toute articulation dynamique avec l'économie d'une part, mais aussi sans analyse historique et sociologique de la configuration dans laquelle se présente ce mal.

L'option de "rusticisation" du Nord, défendue par le responsable de l'entreprise "Commerce équitable" qui prône l'agriculture biologique pour tous, est un autre aspect déplaisant de cette mouvance de pensée et ce registre de sentiments dans lesquels baigne ce film. Ce responsable (dont je ne connais pas le nom et que je n'ai pas le temps de chercher) affirme que "le paysan doit retrouver la fierté de voir fructifier son travail par ses efforts". Ce qui dans cette déclaration sonne faux, et sonne creux et bouché comme une impasse est bien le fait que le paysan de jadis (en Europe) n'était pas un fermier, pas un agriculteur, mais bien un paysan, soit un homme né dans le "pays" et y travaillant la terre comme son père, autrement dit dans une totale absence de choix. Il n'avait pas choisi de vivre et de travailler là davantage qu'il n'avait choisi d'y naître, tel était le paysan "fier des fruits de son labeur" autant que fier de sa terre, fier de son "pays", etc. Cette fierté s'estompe avec le choix, la mobilité, l'expression du penchant personnel, du goût, de l'ambition. L'individu libre de sa vie, de donner cours à ses ambitions n'est "fier" de ce qu'il accomplit qu'à de très rares occasions; en fait, cette "liberté" et cette "mobilité" font de lui un insatisfait chronique de ce qu'il accomplit véritablement.

Le retour à la terre de certains, le choix de l'agriculture biologique, sont le fait d'une minorité d'individus qui "goûtent" ce choix de vie. Or cette minorité-là est infime dans la population générale du pays France. Si infime qu'elle ne suffira jamais à nourrir 67 millions d'habitants. C'est très simple, c'est ainsi: la vocation paysanne (celle de l'homme qui mouille la chemise 60 heures par semaine au soleil et en plein vent pour pouvoir étiqueter son vin "biologique" et en être fier et gagner 1,25 fois le SMIC) est fort rare, et il faut compenser cette rareté par l'intervention de la machine et de l'agro-industrie, il faut tabler sur les gros rendements, les grosses subventions, la production de masse de qualité moyenne pour que le citoyen, le citadin puissent consommer des fraises, des avocats et des pommes toute l'année et ne pas y prêter cas.

Pour revenir aux forêts tropicales, le problème n'est guère différent. Les forêts sont incendiées, massacrées, pillées, rasées pour la même raison: comme pour la prêtrise dans l'Eglise catholique, elles souffrent d'un manque de vocations qu'aucune subvention ne vient compenser, ou n'est venue jusqu'ici compenser (même si les programmes REDDES ou MDP dans l'après-Kyoto pourraient modifier la donne). Les forêts tropicales ne sont pas "jardinées" ou très peu parce que personne au monde, si ce n'est éventuellement le natif d'une tribu dont elles composent le territoire ou une partie d'icelui, n'est prêt à sacrifier sa vie à entretenir un milieu qui compte parmi les plus hostiles de la planète (la biodiversité tant vanté de ce milieu y est mortelle pour l'homme, absolument létale); un ouvrier forestier tropical, pour qu'il respecte ce milieu, savoir pour qu'il accepte de s'abstenir notamment d'y pratiquer la chasse commerciale, celle de la "viande de brousse", devrait être payé autant qu'un technicien envoyé en mission en Antarctique, soit au moins 10000 euros par mois net, au regard de la pénibilité de sa tâche. Or on paye ces gens dix fois moins.

La problématique écologique, au nord comme au sud, est d'abord une problématique économique. Dans le monde tropical, les villes enflent, deviennent des mégalopoles de misère, les campagnes se vident parce que la "vocation paysanne" (ou sylvicole) qui jadis fixait par force (vocation contrainte comme je l'ai indiqué supra) l'homme au milieu, doit désormais se monnayer puisque l'homme est libre de n'y pas rester.

L'alternative est simple: rémunérer l'homme libre, rétribuer sa bonne volonté à entretenir les milieux ou bien imposer le retour à la terre en payant l'homme de mots, de moraline (Pétain) ou en usant de coups de crosse de fusils dans les reins (Pol Pot). L'homme étant libre, n'étant pas un serf, n'appartenant pas au pays qui ne lui appartient pas davantage, et ne pouvant de ce fait trouver sa rémunération dans une quelconque fierté qui s'enracinerait dans un tel lien d'appartenance réciproque avec un maître ou une terre, il convient pour "le maintenir en place" de rémunérer sa seule présence disponible en un lieu donné, c'est du reste sur ce principe que repose le salariat dans l'industrie depuis plus d'un siècle. Sachant qu'il n'est pas davantage dans la population générale de "vocation" agricole que de vocation, disons à l'ébénisterie ou à la verrerie, et sachant que d'autre part toute l'humanité doit être nourrie tous les jours alors qu'elle n'a pas besoin de plus de quelques meubles par vie, et que les impératifs de préservation des équilibres terrestres sont non moins vitaux, il faut soit fortement rémunérer ceux qui s'y sacrifient, soit trouver des solutions techniques de contournement (mécanisation, automatisation des tâches dans le monde agricole, intervention de la chimie, etc.). C'est la deuxième solution qui a prévalu jusqu'à présent et qui est appelée à continuer de prévaloir dans les pays développés n'en déplaisent aux amoureux de l'agriculture biologique. Dans les pays en développement, on hésite, mais il semble que le "maintien en place" des hommes sur les lieux où leur présence et leur intervention sont indispensables, et revêtent un caractère d'urgence, conduise à explorer la première solution, celle de "fixer les populations" en les intéressant, en les motivant, par l'argent autant que par la persuasion.

En dehors de cette alternative, on ne voit guère d'autre voie que celle où plane l'ombre de Pol Pot, de Pétain, du retour à la terre (à la Terre) contraint par la moraline propagandiste ou la coercition, ombre rodant encore dans l'indécis d'un flou artistique particulièrement savant, qui rend aux yeux et aux oreilles (musique New Age) de certains l'entreprise YAB-Besson-Pinault si peu engageante. On les comprend.


[corrections: un paragraphe ajouté]
Une pensée, cher Francis, pour le fermier qui est bien obligé de traire ses vaches, mais dont le lait est acheté beaucoup moins cher que l'eau minérale : un scandale...
Utilisateur anonyme
09 juin 2009, 12:33   Re : Un article bien senti sur le film de Yann Arthus-Bertrand
Très bien vu cher Francis, "Ma vie parmi les ombres" de Richard Millet illustre splendidement autant qu'elle la confirme votre excellente analyse.
Francis Marche écrivait:
-------------------------------------------------------
> Pour en rester sur le message du film, (son "fond"
> comme on l'a nommé ici): sa faiblesse serait de
> proposer une approche scindée entre pays du Nord
> (classés d'autorité comme "gros
> consommateurs/pollueurs") et pays du Sud pauvres
> et impuissants, et bien sûr "premières victimes"
> du désastre écologique en cours. (...)


> En dehors de cette alternative, on ne voit guère
> d'autre voie que celle où plane l'ombre de Pol
> Pot, de Pétain, du retour à la terre (à la Terre)
> contraint par la moraline propagandiste ou la
> coercition, ombre rodant encore dans l'indécis
> d'un flou artistique particulièrement savant, qui
> rend aux yeux et aux oreilles (musique New Age) de
> certains l'entreprise YAB-Besson-Pinault si peu
> engageante. On les comprend.

Voici les termes du débat bien étalés sur la table. Un simple regard sur les murs de pierre sèche dans nos campagnes nous le confirmerait: si le mur s'écroule c'est qu'une cohésion sociale (une aliénation comme on disait il y a peu de temps) s'est délitée, dont il sera bien difficile de remplacer les attentions multiples, quotidiennes et qui, prises dans leur temps cyclique et dans la conscience ou l'inconscience de chacune, ne pouvaient sourdre que d'un sentiment d'éternité. Or l'éternité n'a plus la majorité, la marche du monde vers le "portable" en tous ses sens ne s'arrêtera pas pour replacer un caillou (mais plus sûrement pour en subtiliser à replacer en horrible décor d'une villa), et nous avons ainsi le paysage que la majorité produit.
"(...) Laissez-lui quelques centaines de
> millions d’années débarrassée du prurit humain
> pour se refaire une beauté et elle sera prête à
> accueillir un nouveau Darwin, un nouveau Francis
> Marche et un nouveau Yann Arthus-Bertrand."

C'est pour ça que je dis "en tout cas, du désastreux durable". En fait je ne pense qu'au présent (et au passé) et le souci de ce que seront les étoiles dans un million d'années ne me taraude pas, à vrai dire pas plus que celui de l'avenir de l'humanité - et même la présente, surtout attifée comme elle aime, m'indiffère assez. Je m'en tiens à l'esthétique (celle qui va jusqu'à la beauté ou la laideur du geste), c'est un raccourci commode. De ce point de vue, il est objectif de déplorer une nappe de mazout sur l'eau, même si de quelconques amibes ont été prévues de toute éternité pour faire le ménage (ce qui n'est pas beau, c'est à la fois le mazout sur l'eau et le contournement des règlements). Je n'aime pas qu'on dégrade, point. Après, je sais que comme disait un paysan "les choses se font"…
Orimont Bolacre écrivait:
-------------------------------------------------------
(...)
> "Et la séduction, pour qui s'y abandonne,
> l'emporte sur la conviction." Phrase qui, à mon
> avis, nuit beaucoup à la juste entreprise de
> démolition de ce film menée par Mélophile, même si
> amendée d'un "pour qui s'y abandonne". Et qui ne
> s'est abandonné à la séduction plutôt qu'à la
> conviction ?

Cher Orimont,


Mon incise "pour qui s'y abandonne" aggraverait plutôt mon cas, puisque je dédaigne ce genre de séduction à deux francs, pour toutes les raisons que j'ai dites. Ce n'est pas la séduction en soi que je réprouve, loin de là, encore que je pense qu'elle s'éduque et qu'ensuite même en termes d'images elle ne soit pas le plus haut accès, ce que je réprouve en est un usage anti-poétique au possible (où l'image tue l'image, mais cela nous entraînerait dans un autre débat).

De plus je prends au mot le film, qui prétend nous prouver ou nous expliquer quelque chose, mais nous chante autre chose. J'ai parlé de light show, et dans ce sens même les images sont secondaires, aussi bien que les explications ("dix mille litres pour" etc.). On peut presque dire que c'est la musique à dominante world/new age qui donne le vrai sens de l'entreprise (Vivaldi est enrôlé à la fin comme caution culturelle mais aussi, et c'est la "récupération" du Baroque, comme élément intégrable au New-Age, lequel ne s'est pas privé d'en fabriquer des copies au mêtre ; on peut dire que notre monde trie dans le passé "ce qui peut passer" dans sa bande-son).


Qui veut connaître le vrai message de France-Culture par exemple peut s'en tenir aux intermèdes musicaux, clef de tout le discours explicite ou implicite.
09 juin 2009, 13:27   Jingle
Ce n'était que vous taquiner un brin, cher Mélophile, lire ce tronçon de phrase "hors contexte". Quant à savoir si la séduction peut s'éduquer, c'est sans doute vrai dans la mesure où elle peut être pervertie, à quoi s'emploient avec un indéniable succès toutes les agences de publicité. Il n'en reste pas moins qu'un "noyau dur" de la séduction (celui-là même qui est bien capable de bouleverser irrémédiablement la conduite de nos vies) résiste à toute "éducation" et fait de nous son jouet.

Sur la question des "intermèdes musicaux", on trouve cet aphorisme dans Corée l'absente (31-07-2004)

"Les jingles sont les hymnes nationaux, ou les chansons de marche, de l'asservissement à l'imbécilité."

(Il me semble que les "jingles" sont surtout là pour attester du bon fonctionnement de l'appareil ou de la transmission, tout silence entre deux émissions étant naturellement assimilé à une panne quelconque (comme, au téléphone, on s'inquiète vite, pour un silence qui se prolonge, de savoir si l'interlocuteur "est toujours là"))
Citation
Un simple regard sur les murs de pierre sèche dans nos campagnes nous le confirmerait: si le mur s'écroule c'est qu'une cohésion sociale (une aliénation comme on disait il y a peu de temps) s'est délitée, dont il sera bien difficile de remplacer les attentions multiples, quotidiennes et qui, prises dans leur temps cyclique et dans la conscience ou l'inconscience de chacune, ne pouvaient sourdre que d'un sentiment d'éternité.

Gardons nous toutefois de mythifier la vie dans nos campagnes d’autrefois. La maçonnerie que l’on croit à pierre sèche recèle bien souvent au cœur de l’ouvrage, invisible de l’extérieur, du mortier d’hirondelle. La composition du liant en question n’est pas toujours joli-joli. La cohésion sociale pouvait s’abreuver à des sources moins pures que celle du sentiment d’éternité et le regard clos ne l’était pas toujours sur une vie intérieure intense.
L'envahissement de l'espace public par la sonorisation est tel qu'il devient difficile de lui échapper : restaurants, supermarchés, gares et salles d'attente sont presque entièrement occupés, la rue l'est un peu partout à l'occasion de plus en plus fréquente de quinzaines commerciales et autres kermesses destinées à fournir à Festivus festivus sa pitence quotidienne. Cette omniprésence du haut-parleur est la marque du totalitarisme pour lequel il est un des moyens principaux d'établir son règne. Voyez aussi bien du côté du fascisme que de celui du communisme : plus le régime est dictatorial, plus il y a de haut-parleurs. L'Empire du Bien fait encore mieux : progressivement, le haut-parleur se double d'écrans. On imagine parfaitement ces écrans diffusant bientôt, à longueur de journée, le film de ce monsieur Yann-Arthus.
Vous oubliez les églises, cher Marcel Meyer. Je ne suis pas loin de penser que certains clercs fantasment sur de grands hypermarchés du spirituel. Les adversaires de la liturgie grégorienne s'en servent aujourd'hui de musique d'ambiance.
> du côté du fascisme que de celui du communisme :
> plus le régime est dictatorial, plus il y a de
> haut-parleurs.

Il faut avoir vu ces poteaux plantés en plein champ en Chine, encore dans le début des années 80, avec à leur sommet un bouquet de haut-parleurs diffusant de la musique de gymnastique, des exhortations de tous ordres à être heureux d'être , de travailler , de se donner et pas ailleurs. Toute la campagne de "retour à la terre" des intellectuels participait à cette remise en servage des populations, qui doivent impérativement ne pas vouloir être ailleurs, et à plus forte raison ne pas songer à revendiquer un dédommagement quelconque pour la "perte d'opportunité" (ou "coût de substitution" comme on dit en économie libérale) que vaut leur résignation à ne pas être ailleurs qu'à la terre qu'ils sont moralement tenus de travailler. Ainsi le servage fut rétabli, en rendant "le-fait-d'être-là" non négociable/non monnayable, à la différence de ce qu'il est par le salariat en régime capitaliste industriel (massique, non vocationnel et dans lequel les présences "durables" des travailleurs sur les lieux de production sont non ancestralement consenties); dans ce régime de servage, l'être-là du travailleur se voit fondé par la seule vertu de la loyauté -- en Chine communiste : loyauté envers la Révolution, venue remplacée la loyauté féodale envers le maître.

L'Empire du Bien fait encore mieux
> : progressivement, le haut-parleur se double
> d'écrans. On imagine parfaitement ces écrans
> diffusant bientôt, à longueur de journée, le film
> de ce monsieur Yann-Arthus.

C'est déjà le cas en France, sur les écrans plats des bureaux de poste, ou les images de notre Yann-Arthus sont diffusées en boucle sur fond sonore New Age à très bas volume. L'écran plat des bureaux de poste est en hauteur, fixé au plafond, comme les haut-parleurs dans les campagnes chinoises.

Au passage, avez-vous remarqué comme les bureaux de LaPoste ressemblent de plus en plus à des salles de classe d'école primaire: les timbres, les petits livrets d'apprentissage ludique ("J'apprends l'anglais", l'arabe, les dinosaures, la Provence, etc.), les affichettes de la com maison, tout y fleure la pédagogie à plein nez.
L'aposte est en voie de putréfaction rapide... il est d'ailleurs question de ne plus garantir que J+2 pour le courrier, par souci d'économies (enrobé de prétentions "environnementales").

[www.sudouest.com]
Merci pour ces précisions à propos de la Chine. J'ai vu des poteaux de ce genre dans un grand complexe industriel tchèque (morave pour être précis) au milieu des années soixante.

Je n'avais pas vu les images de Yann-Arthus sur l'écran de mon bureau de poste. La dernière fois que j'y suis allé, il diffusait, me semble-t-il, des clips sur LaPoste elle-même ; cela m'a mis en fureur, d'autant que le son était fort et m'empêchait de lire le livre que j'avais emporté en prévision d'une attente qui pouvait être longue. J'ai protesté mais les seuls qui semblaient me comprendre étaient les employés qui devaient supporter cela toute la journée. Depuis, je prie mes fils de m'éviter cette corvée.

Quant aux timbres bisounours, je les refuse ; quand il n'y a rien d'autre, je n'achète pas.

Mais détrompez-vous, Francmoineau, la poste n'est pas en putréfaction, elle est plus dans le vent que jamais ; enfin si, elle l'est, mais c'est en tant qu'institution représentative du monde qu'on nous a fabriqué.
Nous sommes confrontés, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, à une humanité de seigneurs. La démocratie a produit une masse de seigneurs absolument libres de leur vie et donc patrons de leur temps. Ces seigneurs sont seuls car, figurez-vous, ils n'ont pas de Seigneur. Soixante-sept millions de seigneurs en France à qui nous devons tout. Ces êtres modernes n'appartenant à rien, il faut constamment les dédommager d'être là. L'éternité s'est perdue certes, mais sa perte remonte à il y a longtemps; celle du lieu définitionnel (je suis né, je vis, je travaille ici) par contre, est une perte du XXe siècle. Ceux qui se souviennent de ce siècle se souviennent aussi que les lieux existaient. Je veux parler de ces lieux définitionnels, engageant l'humain, l'obligeant et, par là-même, faisant naître un double lien: celui, absolument souverain, par lequel on appartenait à eux et eux nous appartenaient, et les tiers sujets de ces lieux d'accompagner notre relation d'appartenance. Cette perte, ou cette conquête (le XXIe siècle en décidera) est irréversible. Tout retour en arrière ne peut se faire autrement que par le fascisme, celui de la parole fasciste ou de la crosse de fusil dans le dos, l'un généralement épaulant l'autre.

Il faut négocier le réel comme on négocie avec les hommes (ces seigneurs exigeants, libres, seuls, ennuyés de leur liberté et casse-pieds à la faire valoir et à la vouloir monnayer).

Dans les pays pauvres et misérables, désormais, la seigneurie est installée: les pauvres-mais-libres s'y ennuient, s'y divertissent par le crime.
Eric Veron écrivait:
-------------------------------------------------------
> >
> Gardons nous toutefois de mythifier la vie dans
> nos campagnes d’autrefois. La maçonnerie que l’on
> croit à pierre sèche recèle bien souvent au cœur
> de l’ouvrage, invisible de l’extérieur, du mortier
> d’hirondelle. La composition du liant en question
> n’est pas toujours joli-joli. La cohésion sociale
> pouvait s’abreuver à des sources moins pures que
> celle du sentiment d’éternité et le regard clos ne
> l’était pas toujours sur une vie intérieure
> intense.

Cher Éric Veron,

Ah, la métaphore du liant et du lien social ! Mais rassurez-vous, je ne mythifie pas. Je vois des murs de clôture qui accompagnent ma marche et rythment l'étendue. Parfois mal faits, certes, et faits aussi de malheur, de soupçon vicinal, de liens forcés et tout ce qu'on voudra. Mais ça faisait des murs, disons, le plus souvent pas vilains. Tout ça est remplacé par une liberté que j'aurais aimé moins oublieuse et par un paysage et des constructions d'une facture affligeante.

Le sentiment de l'Éternité devait bien s'accommoder de toutes scories et impuretés (voir le message de M. Marche), mais pouvait être simple comme la patience et la satisfaction d'assez bien poser des pierres pour qu'après plusieurs générations des ratés modernes comme moi éprouvent un peu de calme en longeant un mur. On se réfugie près de la douceur de ces pierres ajustées parce que de les ajuster fut un refuge.

Cela rejoint, d'une manière, le fait d'être de quelque part dont parle Francis Marche: il y a aussi la durée d'être là, d'être de là, et c'est un refuge en même temps qu'un point d'où s'élancer. À preuve que les nomadisés s'en bichonnent plusieurs dans leur mémoire. C'est même la condition de la création (pour les arts populaires bien sûr, et de façon plus complexe pour l'art savant), et voici pourquoi elle s'appauvrit jusqu'au vide.

Je ne vois que de la perte. Nous ne savons pas comment remplacer ces illusions qui faisaient une humanité, et si nous mettons ensemble les nouveautés du monde, qui sont des très grandes vitesses de tout, comment s'imaginer y trouver un refuge d'où repartir ? En échange de nos libertés plurielles et de nos milliards d'images sur orbite nous sommes condamnés à l'excitation perpétuelle. Nous n'aurons plus de repos, que des instants à remplir, c'était notre pacte avec le Diable.
Francis Marche écrivait:
-------------------------------------------------------
> Nous sommes confrontés, pour la première fois dans
> l'histoire de l'humanité, à une humanité de
> seigneurs. La démocratie a produit une masse de
> seigneurs absolument libres de leur vie et donc
> patrons de leur temps. Ces seigneurs sont seuls
> car, figurez-vous, ils n'ont pas de Seigneur.
> Soixante-sept millions de seigneurs en France à
> qui nous devons tout. (...)
> Il faut négocier le réel comme on négocie avec les
> hommes (ces seigneurs exigeants, libres, seuls,
> ennuyés de leur liberté et casse-pieds à la faire
> valoir et à la vouloir monnayer). (...)

Clair comme de l'eau de roche. Évidemment l'éternité est d'un autre âge, et ce qui achève de se perdre est "d'être de là", ce mélange de lieu et de durée qui était un peu une sécularisation de l'éternité si je puis dire. Nous voyons cependant que cette absence est douloureuse et que la plaie travaille. Je ne sais pas si la clef de l'avenir ne sera pas cette douleur indicible de la part manquante, qui rendra schizoïdes tous nos actes de petits seigneurs (bref, bienvenue à l'asile). Les "être de là" nous reviennent déjà en confettis quand nous éparpillons nos appartenances sur des sites du type "annuaire à trombines" ou dans divers jeux de rôles. Les parties du monde ou de nos sociétés qui ne sont pas converties à cette désappartenance définitive persistent à cultiver leur lieu ou rêvent d'en défricher chez l'infidèle. C'est le jeu. Ce n'est pas que de leur fait ni tout à fait de leur faute. Si en plus ils enlaidissent notre aire c'est vraiment pas de chance. La nature a horreur du vide et nous avons vidé les lieux.

Je ne sais pas, pour la conquête, mais contre la perte il ne faudrait s'en prendre qu'à notre vanité de petits seigneurs sans obligation ni sanction et à notre délaissement corrélatif du sens de la durée (et de la dette qui va avec). Aussi, tout se paie et nous l'avions oublié, la condition de seigneur même minable aussi, et aussi tout ce que nous n'aurions pas songé à demander mais prenons quand même et que nos machines nous déglutissent, pourvoyeuses de notre pauvre dépendance à des contenus infinis laquelle aurait bien fait rire Pascal ou Montaigne. En plus de trop nous offrir comme à des enfants gâtés, nos moyens nous font voleurs, comme ça, ce n'était pas prévu mais ça nous va bien et les plus intègres n'ont plus qu'à trouver une chicane juridique qui nous sauvera malgré nous. Comme on a furtivement changé d'humanité, mais que ça ne se sait pas trop, le plus grand nombre et surtout la jeunesse s'en tape un peu du vol, de la dette, du lieu, du lien.

La disproportion des moyens "culturels" au résultat culturel est une marque de notre perdition volontaire. Nous devons porter le fer sur nos illusions de communication (pas de communication sans lieu, pas de lieu sans sacrifice). Nous devons travailler notre plaie pour savoir de quoi se paie chaque facilité (dans tous les sens du terme). Sinon n'importe quelle puissance obscure peut bien venir s'abattre sur cette fourmilière affolée. On nous apportera de l'appartenance et du liant "clefs en main", et nous aurons l'illusion que ça nous est imposé d'en haut, ou d'ailleurs, alors que le poisson pourrit par ses mille pattes.

Pour ce qui est de négocier, avec le réel je veux bien, mais avec les petits seigneurs pris un par un ça risque d'être un peu fatiguant, en plus de l'ennui. De multiples expériences quotidiennes et très communes prouvent qu'il n'est pas besoin d'aller en des territoires perdus de la République pour se convaincre que tous ces nouveaux seigneurs "standard" se liguent vite et vous dépèceront si vous vous avisez d'attaquer violemment la médiocrité-majorité (je veux dire si vous ne voulez plus de musique dans le bus, ou si vous demandez un timbre normal à la poste).

corrigé: une préposition manquante.
10 juin 2009, 20:49   Une émission
J'ai écouté en fin d'après-midi l'émission Du grain à moudre, diffusée par France Culture. Le thème en était "le post humain peut-il se passe d'inhumain" (ou quelque chose comme ça.) Je n'ai rien à dire sur les points de vue développés dans ce débat. M'est simplement resté une drôle d'impression des perspectives discutées et de certaines phrases prononcées. J'étais en train d'écouter ça, ça y était, ce n'était pas du tout une émission d'anticipation.

Quelqu'un a dit (le professeur Mattei, je crois), quelque chose dans le genre : "Mais bien sûr que nous les accueillerons comme des humains, les clones." (il a fait une drôle de comparaison avec les enfants issus d'un inceste et qu'ils serait barbares de rejeter, une fois venus au monde.) Car à cet instant de la discussion, la question n'était pas du tout de savoir si on allait, un jour, pouvoir cloner des êtres, mais de savoir quel serait leur statut. Il fut ensuite question de la "charte des robots", qui existe déjà, parait-il, en Corée et au Japon. Et une foule d'autres questions proprement fantastiques agitées froidement, posément, par ce quintette d'adultes bon teint. C'était irréel.
Je ne vois que de la perte. Nous ne savons pas comment remplacer ces illusions qui faisaient une humanité, et si nous mettons ensemble les nouveautés du monde, qui sont des très grandes vitesses de tout, comment s'imaginer y trouver un refuge d'où repartir ? En échange de nos libertés plurielles et de nos milliards d'images sur orbite nous sommes condamnés à l'excitation perpétuelle. Nous n'aurons plus de repos, que des instants à remplir, c'était notre pacte avec le Diable.

Très beau.
En attendant, jon toujours pas bien entendu si l'acteur républicain disait en ouverture de son discours "Do not tell me it can be done " ou bien "it can't be done" ?

Can I del diou !
“…ce mélange de lieu et de durée qui était un peu une sécularisation de l'éternité si je puis dire.”

Comment l’homme était jadis dédommagé de son être au monde, voire de son “être-en-un-seul-lieu-du-monde” ? Réponse : par l’amour ! Celui, divin (accessible dans la prière) et partiellement répercuté par l’Eglise autant que celui lui parvenant par la fibre des liens de l’attachement (au maître, au “pays”, au sourire des anciens l’ayant connu petit, etc.).

Perdu cet état du monde, le dédommagement n’en reste pas moins dû. Il faut dédommager les humains d’être venus au monde et de consentir à ne pas s’en enfuir (à ne pas disparaître au loin, à ne pas se faire anachorète, etc.) et même à « pointer » en quelque lieu. Il faut donc inventer le RMI, le RSA pour « jeunes », le salaire minimum, les minimas sociaux qui sont autant de béquilles métaphysiques venues suppléer à la prière et au sourire des lieux ancestraux où la localisation, le déroulement des jours et le labeur ne faisaient qu’un.

Luttons contre la délocalisation dit la CGT ; elle dit aussi : « non au tâcheronnage » (s’agissant du travail à domicile pour lequel il n’est prévu de « pointer » en aucun lieu et où l'obligation d’être-là s’est évanouie) ; c’est sa manière à elle de proclamer la nécessité du retour à l’ordre ancien où la prière (celle des jeunes ouvriers chrétiens qui existaient encore dans les années 60 du siècle passé) côtoyait le salariat, savoir les deux formes anciennes du dédommagement (dédommagement de l’être-là féodal et dédommagement de l’être-là en régime capitaliste), ce côtoiement des deux ordres de dédommagement métaphysique ayant subsisté jusqu’à la fin du siècle dernier ou presque. Elle ne voit pas, la vieille CGT, que le monde a changé, que l’amour divin et la loyauté d’autrefois, qui retenaient l’homme et la société de se détruire, ne sont plus et qu’il faut désormais que des hommes et des femmes y suppléent pour d'autres hommes et femmes, en représentant « le social » avec son RMI/RSA, ou constituant la fameuse «cellule psychologique » pour les uns, ou prévoyant le « parachute doré » pour d’autres.

Dans le « Repos du Septième Jour », Claudel avait traité ce thème, avec génie. En Chine, la prière n’existant pas, et les hommes travaillant sept jours sur sept, la terre retient les âmes qui ne vont pas au ciel, et les ayant retenues en trop grand nombre elle en vient à libérer des fantômes qui harcèlent les vivants en réclamant le dû de la terre à laquelle on a trop pris sans rien lui rendre et qui doit de surcroît contenir tous les morts. La vie en devient impossible. Les hommes s’étant comportés en seigneurs durant leur vie (ignorant les vertus d'humilité, baignant dans le matérialisme, la cupidité et l'envie), les voilà morts monnayant auprès des vivants le dû à la terre contrainte à les retenir. Et voilà les vivants doublement privés de repos (travaillant la terre sans relâche et mêmement harcelés par les morts) et connaissant l’enfer ici bas.

Les vivants modernes, qui sont des morts, des zombies le pouce sur le clavier du mobile, qui ne savent plus rien, n’apprendront rien, ne fixeront leur esprit et leur présence au monde en aucun lieu définitionnel, réclament remboursement non plus comme autrefois de leur être-là mais désormais, de leur être-nulle part. Leur horde qui nous bouscule et nous tire par les pieds dans notre sommeil se révèle infinie.
Tiens, au fait, Claudel n'est-il pas dans le domaine public aux States ?
Francis Marche écrivait:
-------------------------------------------------------
> "(…)
> Les vivants modernes, qui sont des morts, des
> zombies le pouce sur le clavier du mobile (...)"

Place de village. Je viens de voir un vivant moderne de douze ou treize ans, sur son vélo mais presque à l'arrêt, un pied traînant au sol, "le pouce sur le clavier du mobile", entre deux mondes, à chercher son dédommagement affectif immédiat. Évitement du moment d'ennui qui guette. Accoutumance. Nouvelle guerre de l'opium !
Je passe de longs moments sur les remparts de St Malo à guetter la mer et lire le rivage. J’y croise aussi mes contemporains dont quelques jeunes modernes filant sur leurs rollers, les écouteurs vissés dans la trompe d’Eustache, l’hyper-pouce fébrile sur le clavier. Leurs courses lointaines à eux, sans doute.
Et que dirait monsieur de Chateaubriand ? Que le monde qui vient nous enivre de ses vanités, tuant les plaisirs pour des leurres grossiers ?
Eric Veron écrivait:
-------------------------------------------------------
> Je passe de longs moments sur les remparts de St
> Malo à guetter la mer et lire le rivage. J’y
> croise aussi mes contemporains dont quelques
> jeunes modernes filant sur leurs rollers, les
> écouteurs vissés dans la trompe d’Eustache,
> l’hyper-pouce fébrile sur le clavier. Leurs
> courses lointaines à eux, sans doute.

Le mien, si je puis dire, était un peu plus jeune, pas déjà i-podé dans l'Eustache, pas encore à stocker les MP3 comme un malade, et plus campagnard. Pas trop de rollers à cet endroit, qui sont une chose de la ville. Dix ans en arrière il aurait continué ses tours en vélo, ou joué au flipper, ou battu ses jambes contre un parapet en guettant une occasion de bêtise. Quarante ans, il aurait même encore de temps en temps joué aux billes avec les plus petits. Tandis que là, il est happé, de l'autre côté. Les nouveaux gens sont de plus en plus de l'autre côté, ou, ce qui revient au même, nous nous sentons restés - rester - de celui-ci (laissés ?). Ça se vérifie à l'engouement pour les secondes vies de tous ordres.
12 juin 2009, 00:28   Tom Thumb's blues
Les secondes vies, autrefois, étaient celles du fantôme. Tout le virtuel, nous diraient les anciens, ou les anciens des anciens, s'ils revenaient, sont des vies de fantômes, un écho du vivant.

La grande question est celle du dédommagement. Les revenants revendiquaient, tiraient par les pieds, par la manche, ils clamaient leur droit à un dédommagement, comme les jeunes aujourd'hui, clamant des droits, des minimas sociaux, de l'attention, à l'instar de revenants envers les présents malheureux vivants habituels du monde, dédommageurs tout désignés.

Qui par mille voies (assentiments à sa présence au monde par le travail solitaire non reconnu, par non choix, persévérance à ne pas périr ou s'éteindre) a acquis de haute lutte, et sans prière, sans providence, sa présence au monde, se voit obligé d'affronter les revenants, qui sont des êtres revendicateurs, vindicatifs absolus, revanchards sans défaites passées, soit les jeunes, les zombies, les revenants affrontant les vivants revenus de tout, leur chauffant les pieds, leur mettant le pouce mobile sous la gorge comme pour leur rappeler un oubli.

Ah il est terrible le petit geste du pouce sur le mobile, le glissando du pouce sur le réel: le revenant glisse, vous noie, vous et vos pensées et votre histoire, du fracas de ses chaînes, il glisse et zappe, absolument fantômatique, virtuel, limbique, tel ce pouce habile, effaceur, justicier.
12 juin 2009, 10:00   Stuck inside of Mobile
> (...) tel ce pouce habile, effaceur,
> justicier.

Je viens de prendre conscience que ça se manoeuvre du pouce (acquisition d'un portable toujours remise au lendemain, malgré la pression globale). Pourtant j'use déjà d'un outil similaire mais domestique, un peu plus volumineux. Déjà que je trouvais cet objet très très petit et d'une manipulation horlogère, voire quelque peu discriminatoire pour les doigts boudinés et les rhumatismants...

L'habileté aux claviers est une des choses qui m'auront le plus étonné par ces temps. Et ce retour à l'écriture. Il fallait un dédommagement aux petites mains de cet apprentissage collectif non dénué de ridicule (dixit un quidam né au milieu du dernier siècle) et à ce retour à la ligne, et ce sera l'écriture phonétique ou pis allographe, vengeance de la nullité qui mieux qu'autre chose annonce la fin - à moins que le pompon n'en revienne à ces larges maculatures murales faisant l'effet d'une intimidation guerrière dont les agents peut-être à jamais dispersés, armée inconsciente, n'en abattront que plus sûrement ce qui reste de formes.
une des choses qui m'auront le plus étonné

Merci, cher mélophile, pour cet accord que personne ne fait plus.
Recherche d'un "(...) dédommagement affectif immédiat" ? Voire.

A mon avis, l'utilisation du portable est aussi, pour une très grand part, une sorte d'apprentissage du surbookage vain, comme une formation professionnelle.

Décider de simplement se retrouver entre amis pour passer une soirée ordinaire, pour simplement se voir, prend désormais pour les jeunes gens des allures de "taf", je te rappelle, on se rappelle, tu me rappelles, comme s'ils bossaient dur dans "l'événementiel".
Je suis toujours frappé par la difficulté des tout-électrique (j'allais dire des "sans-papier") à noter un rendez-vous, alors qu'il me faut, à moi, cinq secondes, avec mon porte-plume...
Oui, enfin, il n'y a pas que les jeunes gens qui soient emportés par le vortex du téléphone multifonctions à hyperpouce, non plus, hein... S'il y a bien un engin démocratique, pénétrant toutes les couches d'âge et les conditions sociales les plus variées, du haut jusqu'en bas, de la droite à la gauche, c'est bien celui-là. J'ai d'ailleurs souvenir de cette divertissante anecdote, dans le récent épisode de la rébellion des "aidants" aux clandestins sans-papiers, d'un résistant clamant que la moindre des choses pour un citoyen digne de ce nom, c'était de porter assistance à ces personnes-là, de leur donner un abri, une assiette, et de recharger leur téléphone portable...
"Oui, enfin, il n'y a pas que les jeunes gens qui soient emportés par le vortex du téléphone multifonctions à hyperpouce, non plus, hein..."

Evidemment, cher Francmoineau. Simplement, il était question de jeunes gens. (Mon petit cas personnel est le suivant : je n'ai pas de portable, c'est la seule manifestation d'une certaine cohérence ou d'un refus mis en pratique à l'égard d'un appareil. Comme bilan, c'est plutôt maigre.)
Orimont Bolacre écrivait:
-------------------------------------------------------.
>
> A mon avis, l'utilisation du portable est aussi,
> pour une très grand part, une sorte
> d'apprentissage du surbookage vain, comme une
> formation professionnelle.

Cher Orimont,

On se décarcasse pour trouver des titres évocateurs et c'est tout ce que ça vous fait.

Vous avez raison, pour la formation professionnelle et le surbookage vain. Au fond c'est complémentaire: dédommagement affectif par le contact maintenu, la tétée ininterrompue du lien sans fil, et agitation digne d'un standard téléphonique ministériel pour aller siffler un pack de douze. L'un ne va pas sans l'autre, et au moins pendant qu'on organise le vide qui vient on reste "collé - aux autres - dans le mobile", comme ne savait pas si bien dire Robert Zimmerman, avec en prime une surveillance implicite, une vérification de l'emploi du temps d'autrui.

Pour filer votre métaphore, ils bossent, mais ils surveillent aussi la petite famille, le portable devient une pointeuse perfectionnée, linéaire, toujours armée. Pensez qu'elle prend aussi des photos, des sons qui seront autant de pièces à conviction. Toutes ces fonctions qui nous sont dévolues, ou dont l'efficacité se trouve d'un coup décuplée comme par enchantement... Détective, par exemple, ou mouchard. Un régal pour les gentils organisateurs de la vie de leur petite soeur. Tout ce que vous n'auriez jamais songé à demander mais que le nouveau monde vous a offert, et ce n'était même pas Noël !

J'ai moi-même pensé à un "travail" ce matin en écoutant un peu une émission sur Culture, aussi dépaysante que la vôtre, qui causait de clonage - là c'était médias et Internet. C'était une avalanche de termes anglophones désignant les derniers systèmes de communication (Tweeter ans so on), de termes techniques, dans des phrases de plus en plus vides de termes usuels (et français, mais passons). Évidemment un auditeur d'il y a vingt ans aurait l'impression d'une langue étrangère, mais on peut penser qu'à ce train ceux qui viendront dans vingt ans n'y entraveront eux-mêmes que couic - ils parleront certes aussi cette langue, mais avec d'autres mots. Jusqu'où peut-on refuser d'entrer dans ce jeu, et que coûtera à la longue une solidarisation plus ou moins tenace avec les petits vieux (sachant que l'usage par untel de cette dénomination est de pertinence hautement dégradable au fil des ans) ? Tous ces mots qui sont des noms de procédés ou de machines, voire des marques, qui s'accumulent encore plus qu'ils ne changent, espèce tueuse, et nous laissent à la traîne, qu'expulsent-ils de notre langage ? Et l'écologie dans tout ça ? J'ai eu l'impression d'un travail harassant devant lequel je déclarerais bien forfait, et même d'une somme de tâches inutiles et dérisoires imposées par une entité ennemie (inhumaine ?) qui aurait aurait juré notre mutation. Collaborer ou périr socialement ?

corrigé "la votre à propos de clonage"/"la vôtre, qui causait de clonage"
12 juin 2009, 19:42   Re : Stuck inside of Mobile
Francmoineau écrivait:
-------------------------------------------------------
> une des choses qui m'auront le plus étonné
>
> Merci, cher mélophile, pour cet accord que
> personne ne fait plus.

Brr.

(je corrige uniquement pour confirmer: c'est bien ma réponse, ci-dessus, comme un courant d'air froid venait d'entrer avec la vôtre)
Dans certains pays d'Asie du Sud-Est, on nomme cette génération, la "génération du pouce" (the Thumb Generation - qui sonne à l'oreille comme "the Dumb Generation"). Récemment, dans une soirée Karaoké, six personnes, dont trois jeunes (moins de 25 ans) qui ont réussi, de toute la soirée, à ne pas décrocher le regard de leur écran de mobile coincé dans le creux de la paume droite, absents à tout, sans que personne chez les "adultes" ne songe à faire le moindre commentaire sur ce phénomène.

Avec la clope de jadis entre l'index et le majeur, au moins, la parole et le contact étaient encore possible, tandis qu'avec le pousse simiesque-opposable ainsi occupé, plus rien n'existe : on passe à rien (expression suffocante entendue récemment dans une conversation sur un tout autre sujet).
Utilisateur anonyme
12 juin 2009, 23:47   Mouaip
Et tous ces adultes qui ne décollent pas de leurs forums de discussion au lieu de parler à leurs voisin(e)s esseulé(e)s ? On est mal parti, tout cela finira mal...
Francis Marche écrivait:
-------------------------------------------------------

"on passe à rien" (expression suffocante entendue récemment dans une conversation sur un tout autre sujet).

C'était toutefois une preuve d'humanité résiduelle, parce que ce programme dans le vide peut encore passer pour une boutade désabusée, un refus de s'engager, ou un aveu d'impuissance... Tandis que la fonction des objets relationnels à consommation maniaque tels que le portable est proprement de débarrasser les gens du rien, d'ôter l'ennui de leur chemin, d'enlever le silence entre deux morceaux, de leur boucher tous les trous. C'était déjà un peu le cas (pour certains) du téléphone lourd, me direz-vous.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter