Je ne savais pas qu’Hélène Cixous existait encore. Non seulement elle existe, mais elle est encore Hélène Cixous, l’ancienne compagne de Jacques Derrida est curieusement encore belle ; elle est encore l’angliciste H.C. à l’œil de biche, à la bouche volontaire et à la parole hésitante ; son visage sculpté et maigre, osseux et régulier comme un masque ressemble, par mimétisme inconscient, à celui de son feu compagnon. Evidemment, comme tous ceux qui savent écrire, H.C. ne sait pas parler.
Sur le plateau de télévision, il est question du 11 septembre ; prenant l’émission en cours, j’entends que H. C. dit que la conspiration et le révisionnisme sont à distinguer même si, face à Marin Karmitz, elle est vite arraisonnée pour déclarer, à mi-voix, que l’un appelle l’autre.
L’un appelle l’autre bien sûr mais à cause de quoi ? A cause de ceci : l’œuvre des assassins du siècle fut d’abord une œuvre de fiction. Hitler était un auteur de fiction qui, emporté dans cette œuvre, la fit authentiquement subir à ses victimes, tout en la cachant après l’avoir clamée. Hitler dit qu’il va exterminer les juifs, puis extermine les juifs mais cache et dissimule et enrobe d’ambiguïté cette extermination. Il en est ressorti un trouble historique dans lequel le révisionnisme eut des circonstances atténuantes. Quelles circonstances atténuantes ? Et bien disons que le révisionnisme à beau jeu et dit le vrai lorsqu’il dit qu’après tout la Shoa n’est qu’une fiction. A vrai dire, il dit vrai, la Shoa est bel est bien une fiction, sauf que pour la fois unique dans l’histoire, parce que cette fois fut la première et qu’elle ne se produira plus, la fiction fut accomplie dans le réel ; la fiction emporta le réel dans son jeu.
La solution dite finale ne pouvait être nommée ni conçue ni pensée ni concrétisée autrement que dans un état du monde où, pour la première fois, l’animé portait à la fin de son film le mot
fin. Rien, avant cet animé, n’avait de fin, ni d’histoire achevée, ni, dans les actions enchaînées des hommes, de répercussions qui ne connussent un terme arrêté.
Il n’était guère que dans les studios de Berlin et de Hollywood que l’histoire en image mouvante portât un terme nommé
fin. La
solution finale, hollywoodienne dans son inspiration (l’image emporte l’acte qui emporte la finalité et la fin), participe encore de l’image, de l’emportement diabolique.
Revenons à Hélène Cixous et au 11 septembre. Le 11 septembre 2001 est un événement filmé, une tragédie en acte, progressive, accomplie, nantie d’une fin, d’une datation indiscutable et d’une unité de temps et de lieu classiquement définie ; elle comporte ainsi toute la griffe fictionnelle et complotée (mise en scène) qui « prête le flanc » à l’interprétation paradoxale que peut en faire le révisionnisme. Sa fin étant arrêtée elle ressort comme complotée ; et tous, H. Cixous, et Mathieu K. de nous dire, légitimement, en bon vigilant de toutes les logiques : là où il y a le mot fin, il y a complot, il y a coup monté, mise en scène,
fascisme. Ils ont raison. Pourtant, le réel, au-delà de toute raison, tue quand même, et tue deux fois par la voix d’hommes qui s’en revendiquent. Les auteurs du 11 septembre sont-ils ceux, les barbus des grottes afghanes, qui s’en revendiquent ? Oui : celui qui revendique l’autorat de la fiction est l’auteur du meurtre, quel que soit le sens putatif des images et celui de leur scénario libre de toute appartenance. Celui qui dit « le meurtre est de moi », il faut lui imputer le meurtre, car sinon, il est pas de fin au mouvement de mort.
Le 11 septembre, comme l'hitlérisme ou le fascisme, interroge les hommes sur la possibilité d'un complot, soit celle que laisse naturellement supputer aux hommes toute
fin ultime; c'est que le diabolique événement fut filmé, retransmis, présenté en une artificieuse mise en scène qui s'annonça comme un coup de théâtre (ouvert par un "bang" comparable à celui du brigadier des scènes d'autrefois) et se conclut par l'effondrement de la scène, comme en un théâtre de cruauté. Le déroulé de ces actes est trompeur: il dénonce une fiction. Et oui: il y a fiction. Mais il y a immolation d'innocents aussi. Cela est possible: le 11 septembre, comme la deuxième guerre mondiale, est un coup monté, un coup de théâtre, un gigantesque faux événement hollywoodien, en même temps qu'une effroyable, sanglante immolation. Cela est encore très difficile à admettre par la plupart de nos contemporains: qu'un événement puisse être
faux, grossièrement faux, et cela étant, grossièrement, et très authentiquement cruel et sanglant.