Le site du parti de l'In-nocence

Written in water

Envoyé par Alain Eytan 
04 octobre 2009, 05:01   Written in water
« Certes, il me dure d'être condamné à cette malédiction de l'épaisseur. Ce corps comme une outre plombée, pourrissant comme tout ce qui a ventre, et toute la servitude humaine dans ce mot, mot qui décapite les étoiles, le plus dérisoire, le plus clownesque que recèle le langage, graviter. Rien ne m'a jamais bouleversé comme l'avatar souriant de promesse au pied de mon lit dans son cadre de peluche d'un personnage devenu miroir, — et, sans doute à la fin lourd d'un secret de divine paresse, dissous dans le plan et confié au médiateur le plus consolant qui soit pour moi de l'infini. Pourrait-on jamais vivre qu'à fleur de peau, se prendre à d'autres pièges qu'à ceux des glaces et — déplié comme ces belles peaux de bœuf qui boivent le ciel de toute leur longueur — déplissé, lissé comme une cire vierge au seuil des grands signes nocturnes — bouquet séché qui livre ses souvenirs dans le noir — devant cette photographie jaunie dans son cadre de peluche ai-je jamais pu me glisser, tarot mêlé au jeu du rêve, entre les feuillets de mon lit sans songer au jour où — sans âge comme un roi de cartes — familier comme le double gracieux des bas-reliefs d'Égypte — plat comme l'aïeul sur fond de mine de plomb, à la belle chemise de guillotiné, des albums de famille — désossé comme ces beaux morts des voitures de course dont le cœur se brise de se réveiller trop vite au creux d'un rêve splendide de lévitation — je retournerai hanter ma parfaite image. »

Julien Gracq - Liberté grande

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