Prendre le train régulièrement (ou essayer de le faire), c'est-à-dire recourir aux services de la SNCF, "société nationale", jouissant d'un monopole sur les transports de voyageurs par le rail, et "service public" qui fait la fierté des délégués syndicaux, c'est faire presque chaque semaine une étrange expérience anti-cratylienne, du moins pour ce qui est de deux mots de "service public" : les choses qu'ils désignent vraiment sont si éloignées de leurs signes que l'on est en droit de se demander si ces mots ne sont pas empruntés à une langue étrangère.
En un mois et demi, pas un seul des trains que j'ai dû prendre n'est parti ou n'est arrivé à l'heure. La moyenne des retards, quand le train n'a pas été supprimé et remplacé par un autocar, a été d'une heure, et cela tantôt pour des raisons obscures, tantôt parce que le contrôleur désigné n'avait pas pris son service à l'heure (une heure d'attente (et de retard) : un train ne peut pas partir sans contrôleur !!!), tantôt à cause d'un accident sur un passage à niveau (les deux voies restant bloquées, le TGV a été remplacé par un autocar, 2 h de retard au moins), tantôt par un orage trop violent, tantôt par un glissement de terrain consécutif à de fortes pluies, tantôt par une défaillance technique (à Marseille, panne électrique, puis deux ou trois heures plus tard du "vandalisme" : quatre heures de retard)...
A cela, on peut ajouter les toilettes sans eau ou sans papier ou bouchées ou fermées (on ne sait pourquoi) ou toujours ouvertes (la porte ne fermant pas)...
En revanche, il suffit de manquer son train pour faire l'expérience enfin, mais à son détriment, de l'efficacité diabolique du "service public" : on vous retient 3 euros sur le billet que l'on vous rachète, on vous vend un nouveau billet au prix du jour (alors que vous avez peut-être eu 30 ou 40% de réduction en l'achetant trois semaines à l'avance), on vous fourgue une nouvelle réservation. Les "agents" du "service public" sont dressés au juste prix, toujours plus élevé. Mais demander qu'un retard d'une heure ou de deux heures vous soit compensé, on vous répond : "ce n'est pas de notre faute" ou "on ne rembourse pas les retards sur les lignes régionales", etc.
En bref, pas de service ou un service déficient et une cupidité dont auraient honte les capitalistes les plus cyniques.
Il en va de même de La Poste. C'est un excellent service public à condition de ne pas recourir à ses services, sinon de loin : surtout, ne jamais se rendre au guichet (c'est 20 à 30' de perdues); préférer le courrier électronique au courrier papier; la Banque postale rend d'excellents services sur internet : pas d'attente, les opérations se font en un clin d'oeil; la carte bancaire et les DAB dispensent de faire la queue au guichet pour retirer de l'argent...
En bref, les services publics, c'est bien, à condition de ne jamais recourir à leurs services. Je me demande aussi si cette utopie (des services sans public ou un public payant sans service) n'est pas le rêve secret de tous les agents syndiqués du service public.