J'ai connu, il y a dix ans de cela, à titre de simple témoin, un pareil phénomène de meute contre une enseignante de lycée, avec lettre collective des élèves. L'enseignante, chevronnée pourtant, était connue comme fragile (et si vous avez une réputation de « fragilité » dans ce beau métier, vous êtes fichu, tout le monde vous laissera tomber). Ses élèves de filière technologique, qui en avaient assez d'entendre ses jérémiades (ce que je puis comprendre du reste), imaginèrent malheureusement de faire une lettre collective pour dire qu'elle les tripotait, ou qu'elle copinait, enfin qu'elle violait leur intimité. Mme Royal, ministre déléguée à l'éducation nationale, avait pondu deux ans plus tôt sa fameuse circulaire destinée à lutter contre la pédophilie (Circulaire n° 97-175 du 26 août 1997). Ma collègue eut donc la désagréable surprise de trouver, un lundi, sa classe vide. Allant aux nouvelles à l'administration, elle se vit enjoindre de pénétrer dans le bureau de son proviseur, qui lui notifia non sans une certaine solennité qu'elle était suspendue, et qui lui signifia qu'il lui était interdit de chercher à rentrer en contact avec ses élèves.
Naturellement, comme le dossier présentait toutes les caractéristiques du vide spatial, tout le monde se montra très embêté presque aussitôt après. Le rectorat essaya de parler d'erreur de parcours et proposa, compte tenu du scandale, de muter la collègue dans le lycée de la ville voisine. Mais la collègue n'a plus jamais voulu enseigner. Aux dernières nouvelles, elle fait la comptabilité d'un collège, dans les services de l'intendance. C'était son métier. Elle était de formation comptable, et normalienne.
Ce qui m'est resté, c'est le discours de la collègue devant le DRH qui lui proposait la mutation à titre de compromis « diplomatique ». La collègue était tout à fait rentrée dans la logique de sa « condamnation ». Elle reconnaissait des dérapages et elle allait « travailler là-dessus avec sa psy ». Au fond, le plus sain dans son attitude était sa résolution de ne plus enseigner.
Je souhaite bien du plaisir à Mme Claudine Lespagnol, professeur agrégée d'anglais. Du point de vue de son administration, elle a « fait des vagues », ce qui signifie qu'elle est fichue. On ne l'aidera pas. Si on peut l'enfoncer, on l'enfoncera. De toute façon, si ses grandes élèves envoient des SMS ou se peinturlurent le museau pendant ses cours, c'est qu'elle « n'a pas d'autorité ». Son inspectrice aura certainement deux mots à lui dire sur ses pratiques pédagogiques.