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Le genre de victime que n'aiment pas les médias.

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 14:11   Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Dans sa maison derrière l’église du centre-ville de Waziers (commune du Nord, près de Douai), Lionel Brassart n’arrive plus à dormir. Il est victime, depuis des mois, d’insultes et de menaces de la part d’une bande de « jeunes ». Il a interpellé la mairie de Waziers et les forces de police qui doivent devraient se rendre sur place dans les prochains jours...



Vidéo :
Quelle misére... pauvre France !
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 16:02   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Oui Rogemi, pauvre France... et c'est à ne rien y comprendre puisque la police fait correctement son boulot - la preuve : on apprend dans un quotiden régional (24/11/2009) que des contrôles de vitesse sont prévus par les forces de l’ordre cette après-midi et cette nuit sur la départementale 13 à Dechy. Mais aussi à Waziers, Cuincy et Douai...
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 16:28   Comme aux jours de Waziers
II revient

Du printemps qui viendra tout l'hiver l'homme doute
La nuit a peine à croire aux blancheurs du matin
Et le pilote absent les passagers font route
Entre des récifs noirs et des phares éteints
Nous avions dans le cœur comme une défaillance
Le grand malheur d'un jour d'octobre qui frappa
L'homme que nous suivons mais avec lui la France
Où voici de nouveau que l'étranger campa
Ce fut lui le premier à dire de Strasbourg
Mein Kampf le plan gammé des aigles sur Paris
Rouvrir les poings fermés pour un geste d'aurore
Unir hier et demain dans la même patrie
Et réconciliant les deux chansons françaises
Faire ensemble monter du peuple de Valmy
L'Internationale avec la Marseillaise
Et se tendre la main les frères ennemis
Lui de qui la leçon féconde et nécessaire
Guida Sémard Péri Politzer et Fabien
Lui qui fut le dernier soleil à qui pensèrent
Ceux de Châteaubriant et du Mont Valérien
Lui sans qui de retour pour dire à l'aventure
Tu n'es pas le chemin du peuple triomphant
L'espoir impatient dans les choses futures
Dans le père et la mère aurait tué l'enfant
On avait beau se dire
Il reviendra c’est sûr
Et ce sera Maurice avec nous comme avant
Le mensonge ennemi ravivait la blessure
Que nous portions au cœur
Depuis plus de deux ans
On avait beau se dire
Au pays de Staline
Le miracle n'est plus un miracle aujourd'hui
Deux ans
L'attendre avec ce que l'on imagine
Et les propos des gens
Deux ans c'est long sans lui
Il revient
Les vélos sur le chemin des villes
Se parlent rapprochant leur nickel ébloui
Tu l'entends batelier ?
Il revient
Quoi ? Comment ?
II revient
Je te le dis docker
II revient oui II revient
Le wattman arrête la motrice
Camarade tu dis qu'il revient tu dis bien ?
Et l'employé du gaz interroge
Maurice reviendrait ?
Mais comprends !
On te dis qu'Il revient Maurice !
Je comprends ce n'est donc pas un rêve ?
Les vestiaires sont pleins de rumeurs
Vous disiez « II revient »
Ces mots-là sont la lampe que lèvent
Les mineurs aujourd'hui
comme aux jours de Waziers
II revient
Ces mots-là sont la chanson qu'emporte
Le journalier
La chanson du soldat, du marin
C'est l'espoir de la paix et c'est la France forte
Libre et heureuse
Paysan lance le grain
Ô femmes souriez et mêlez à vos tresses
Ces deux mots-là comme des fleurs jamais fanées
II revient
Je redis ces deux mots-là sans cesse
Tout se colore d'eux après ces deux années
II revient il revient il vient il va venir
En avant le bonheur de tous est dans vos mains
Il semble qu'à le dire on ouvre l'avenir
Et l'on entend déjà chanter les lendemains

Louis ARAGON
« Maurice est de retour »
L'Humanité,
8 avril 1953

A partir d'aperçus Google Book, à vérifier
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 17:31   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Comment un être humain peut-il être à la fois ce poète sublime et ce personnage infect que fut Aragon ? C'est alors que je me demande si cela vaut la peine de faire quelque chose.
« Comment un être humain peut-il être à la fois ce poète sublime et ce personnage infect que fut Aragon ? C'est alors que je me demande si cela vaut la peine de faire quelque chose. »

Je ne saurais mieux dire et souscris profondément à chaque point de votre court message, cher Obi.
24 novembre 2009, 18:00   Autre temps
Bien cher Obi,


J'ai toujours été un farouche opposant au communisme et j'ai, dans le même temps, toujours été surpris par l'emprise de cette doctrine sur les meilleurs esprits à une certaine époque.

Il serait injuste, de mon point de vue, de traiter Aragon de personnage infect : beaucoup pensaient comme lui, la vision des choses n'était pas la nôtre. Ce qui est évident maintenant ne l'était pas à l'époque.

Prenez le cas du chanoine Kir, peu suspect de sympathie pour le communisme : il fut toute sa vie un grand ami et grand admirateur de l'URSS (il jumela Dijon avec Stalingrad), en souvenir du rôle de celle-ci durant la guerre et du rôle des communistes dans la Résistance (Félix Kir fut mitraillé et laissé pour mort par les supplétifs de l'occupant, et fut cité à l'ordre de l'armée).
24 novembre 2009, 18:07   Devoir
J'ajoute par ailleurs qu'Aragon a toujours fait son devoir de citoyen. Il s'est vu décerner à deux reprises la Croix de guerre contre l'Allemagne, durant l'été 1918 et durant le printemps 1940.
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 18:44   Re : Devoir
Et entre Aragon et Drieu... hein Jmarc ? Il paraît que...
24 novembre 2009, 18:51   Il est certain que
Bien cher Zendji,


A la suite de certains débats, je m'interdis les embardées dans certaines directions. Je vous saurais gré de faire de même, et de noter par ailleurs que, grâce à la bienveillance d'un intervenant, mon prénom a récupéré ses majuscules.

Pour le reste, si ce que vous évoquez en matière de relations personnelles est du domaine de l'hypothèse, les différences de comportement à l'égard de l'occupant sont des certitudes.
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 18:57   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Le poème d'Aragon à la gloire du Guépéou

("Prélude au temps des cerises " In : Persécuté-Persécuteur, Ed. Denoel, 1931)

Il s'agit de préparer le procès monstre
d'un monde monstrueux
Aiguisez demain sur la pierre
Préparez les conseils d'ouvriers et soldats
Constituez le tribunal révolutionnaire
J'appelle la Terreur du fond de mes poumons
Je chante le Guépéou (2) qui se forme
en France à l'heure qu'il est
Je chante le Guépéou nécessaire de France

Je chante les Guépéous de nulle part et de partout
Je demande un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
Demandez un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
pour défendre ceux qui sont trahis
pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Guépéou vous qu'on plie et vous qu'on tue
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou

Vive le Guépéou véritable image de la grandeur matérialiste
Vive le Guépéou contre Dieu Chiappe et la Marseillaise
Vive le Guépéou contre le pape et les poux
Vive le Guépéou contre la résignation des banques
Vive le Guépéou contre les manúuvres de l'Est
Vive le Guépéou contre la famille
Vive le Guépéou contre les lois scélérates
Vive le Guépéou contre le socialisme des assassins du type
Caballero Boncour Mac Donald Zoergibel
Vive le Guépéou contre tous les ennemis du prolétariat."
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 19:01   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Celui que vous citez est nettement moins beau que Le wattman arrête la motrice et Il revient, il revient, il vient, il va venir

Ça avait de la gueule tout de même, même si c'était aussi gros que les mensonges d'Eisenstein.
Je vous ai dit que j'appréciais votre premier message, cher Obi. Je craignais un peu ce jeu des morceaux choisis. Avec Aragon, c'est trop facile. Il n'est que de cliquer Wikipédia pour y retrouver les vers du sinistre Front rouge  ou l'éloge tout aussi exalté du Goulag.
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 19:29   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Je n'ai pas préparé une thèse sur lui et profité de ce fil pour la placer cher Eric.
Le mot infect me vient du souvenir de différentes lectures, notamment du Livre noir du communisme dans lequel, si ma mémoire est bonne, on relate des lâchetés, des dénonciations honteuses, le profit matériel dont Aragon profita sans vergogne de la part de L'URSS. De toute manière ce poème suffit pour démontrer qu'il avait capitulé toute élémentaire humanité au profit d'une conversion intime au communisme.
Ce qui m'importe c'est l'extraordinaire contraste entre une sensibilité à fleur de peau, une délicatesse, une profondeur dans la compréhension de la condition humaine et ces appels au meurtre.
Et je me dis : comment est-ce possible ?
24 novembre 2009, 20:04   Livre noir du communisme
Bien cher Obi,

Qu'Aragon se soit trompé, cela me paraît évident et je ne le contesterai pas. Je voulais simplement dire qu'il n'avait pas été le seul à se tromper, et loin de là : bien des personnes fort sensibles se trompèrent, dans ce sens ou dans l'autre (Drieu n'était pas un homme insensible, Brasillach non plus).

Je ne saurais trop recommander un effort de distance quant à des ouvrages comme "le Livre noir du communisme", ouvrage que j'apprécie par ailleurs.

J'ai cité, il y a quelques semaines, "L'Ivrogne et la marchande de fleurs". Lisez-le : vous verrez avec stupeur que bien des personnes croyaient, au moment même où elles étaient broyées, en Staline.

Prenons un autre exemple, dans "The Lesser Evil", de Klemperer. Celui-ci, ayant échappé à la déportation pendant la guerre, est pris comme symbole par la République démocratique allemande et adhère à la KPD ("le moindre mal"). Il rencontre un jour un homme encore jeune, qu'il avait eu comme élève, et qui s'était montré digne et bienveillant avec lui lorsque le juif Klemperer fut chassé des bibliothèques par les nazis.

Klemperer trouve ce jeune homme fort mal en point, et apprend de lui qu'il n'était pas encore "dénazéifié". Klemperer s'étonne, car il en avait une excellente opinion, et lui dit qu'il va intercéder en sa faveur. A quoi le jeune homme répond en substance : "Ce n'est pas possible, Monsieur le professeur, car je crois encore en Lui".

Cela fait froid dans le dos.

En fait, tout un ensemble de gens intelligents avaient perdu leur bon sens. On a peine à croire cela maintenant.
24 novembre 2009, 20:18   L'écrivain et le Parti
Bien cher Obi,


Je viens de retrouver la fameuse lettre de Vittorini à Togliatti, telle qu' Esprit la publia.

Je la copie dans sa version intégrale, vous vous ferez une idée (et je saisis l'occasion pour présenter mes excuses aux lecteurs qui trouveraient ce texte encombrant par son volume, mais je ne sais où faire des coupes sans le dénaturer).

Cher Togliatti,
Au lieu de m’en tenir au sujet de ta lettre et de te faire une réponse simplement logique ou polémique, je me permets de profiter de l’occasion pour parler avec toi (sans toutefois vouloir te distraire longtemps de ton travail) de certains problèmes nés de notre Parti ou autour de notre Parti, qui me semblent ouverts aux solutions les plus diverses et sont pour cela considérés à l’entour du Parti avec incertitude, hésitation ou même avec méfiance, hypocrisie, aversion ou crainte.

Mais je ne peux commencer sans parler de ma façon d’être communiste, façon qui en Italie est celle, un peu spéciale, de beaucoup de militants. Je ne me suis pas inscrit au Parti communiste pour des motifs idéologiques. Quand je me suis inscrit, je n’avais pas encore été à même de lire un seul ouvrage de Marx, ou de Lénine, ou de Staline. Je dois te dire à ce sujet, afin que tout soit le plus clair possible, même Politecnico et sa position culturelle, que je suis exactement l’opposé de ce que l’on entend en Italie par « homme de culture ». Je n’ai pas fait d’études universitaires. Je ne suis même pas allé au lycée ; je pourrais presque dire que je n’ai pas fait d’études du tout. Je ne sais pas le grec, je ne sais pas le latin. Mes grands-parents paternels et maternels étaient ouvriers, et mon père, employé de chemin de fer, eut tout juste les moyens de me faire aller à ces écoles qu’on appelait techniques. Ce que je sais ou crois savoir, je l’ai appris moi-même et mal, comme on apprend quand on apprend seul. Les langues étrangères, par exemple, je les sais comme un sourd-muet ; je peux lire, écrire ou traduire, mais je ne peux parler ni comprendre ceux qui parlent. Je ris de ceux qui réduisent le problème de la culture populaire à un seul problème de simplification quand je pense à la façon dont s’y prenait le groupe de jeunes ouvriers syracu-sains avec qui j’échangeais livres et opinions quand j’avais treize, quinze ou seize ans. Nous, nous n’hésitions devant aucune difficulté de lecture. Nous prenions par exemple la Science nouvelle de Vico, et si nous ne comprenions rien à la première lecture, nous lisions une deuxième fois et nous comprenions quelque chose ; nous lisions une troisième fois et nous comprenions encore un peu plus… et mes compagnons d’études trouvaient le moyen de faire cela après huit heures de travail manuel quotidien. Ils n’étaient pas des génies. Maintenant ce sont des ouvriers qui peuvent affronter n’importe quelle lecture et donner du fil à retordre à n’importe quel disciple de Croce. Mais la méthode de l’autodidacte est vicieuse ; elle laisse de mauvaises habitudes, des lacunes, des imperfections irrémédiables. Je sais tout cela d’après ma propre expérience et, si je ne refuse pas d’appartenir à la Culture, de militer désormais dans la culture, d’avoir des devoirs culturels, toutefois ce n’est pas exactement en professionnel de la « culture » que j’écris dans Politecnico et ce n’est pas comme professionnel de la « culture » que je me suis inscrit au Parti.

Je n’avais pas lu une ligne de Marx, je le répète, quand je me suis inscrit… Aux temps de mon euphorie d’autodidacte, les textes de Marx ne se trouvaient déjà plus dans le monde des livres, du moins à Syracuse. Les textes qu’on y trouvait étaient ceux de la Bibliothèque universelle Sonzogne, ceux de Laterza, ceux de Bocca, de Carabba. Marx d’ailleurs n’était jamais sorti en Italie de la culture politique de parti ; il n’était jamais entré dans la Culture avec un C majuscule et tous ceux qui en 1922 avaient dix ou douze ans devaient se contenter de le déduire des bourgeonnements de l’idéalisme crocien et non crocien.

Donc, moi, je n’ai pas adhéré à une Philosophie en m’inscrivant à notre Parti ; j’ai adhéré à une lutte et à des hommes. J’ai su ce qu’était notre Parti d’après ce que je voyais qu’étaient les communistes (à commencer par Arario Alicata qui fut le premier communiste que j’aie connu). Ils étaient les meilleurs parmi tous ceux que j’avais connus et les meilleurs même dans la vie de tous les jours, les plus honnêtes, les plus sérieux, les plus sensibles, les plus décidés et en même temps les plus gais et les plus vivants. C’est pour cela que j’ai voulu être du Parti communiste : pour être avec les seuls qui fussent bons et en même temps courageux et en même temps pleins d’espoir, non avilis ni desséchés, ni vides, pour être avec les seuls qui déjà (en 1941, 1942) luttaient et croyaient dans la lutte ; pour être avec les seuls qui, lorsqu’ils raisonnaient, raisonnaient en révolutionnaires. Ça n’a pas été parce que j’étais culturellement marxiste. Après le 25 avril, j’ai commencé à étudier les textes marxistes. Mais je me garderais bien de me dire marxiste pour cela. Pour l’instant, je trouve dans le marxisme une source culturelle qui m’enrichit. J’y trouve la nourriture de mon cerveau : proprement de l’« eau vive » dans le sens où on l’a dit de l’Évangile de saint Jean ; quelquefois ici et là de l’eau morte aussi. Mais je pense que, pour me dire marxiste, il ne suffirait pas que je parachève mes études sur le marxisme, ni même que j’adhère à chaque point du marxisme et que je l’accepte dans toutes ses conséquences ; cela serait pour moi une façon passive et inutile, non productive, d’être marxiste. Je pense que, pour me dire marxiste, je devrais être à même d’apporter, moi, quelque chose au marxisme, d’enrichir, moi, le marxisme, d’être moi-même eau vive affluant à l’eau vive du marxisme.

Je connais plus d’un camarade parmi les derniers connus, qui seraient capables, arrivés à ce point, de m’objecter : « Pourquoi, si tu n’es pas marxiste, fais-tu Politecnico ? Pourquoi parles-tu ? Et nous parles-tu à nous ? Pourquoi écris-tu ? Pourquoi ne te contentes-tu pas d’apprendre ? » Ceux-là pensent, apparemment, que, n’étant ou ne me disant pas marxiste, je ne possède pas la vérité et que, pour être un communiste cohérent, je devrais m’abstenir de parler. Mais cette mentalité, je sais que tu es le premier à la combattre chez ces mêmes camarades. Le droit de parler ne dérive pas pour les hommes du fait qu’ils « possèdent » la vérité. Il dérive plutôt du fait qu’ils cherchent la vérité et malheur s’il n’en était pas ainsi, malheur si on voulait le lier à la certitude de la « possession de la vérité » ! Il serait lié à la présomption que certains auraient de posséder la vérité et ne parleraient que les prédicateurs, les rhéteurs, les arcadiens [1Voir à la fin de la lettre le développement sur l’Arcadie. (N. du T. )], tous ceux qui ne cherchent pas. La culture redeviendrait cléricale comme elle le fut avant le protestantisme et donnerait à nouveau le spectacle bourgeois qui déconcertait tellement Marx dans l’Allemagne de son temps. Si Marx pensait qu’au moyen de sa méthode on devait en finir avec toutes les formes de bourgeoisie, c’est justement parce qu’il pensait qu’elle était une méthode de recherche et non de possession et parce que justement il pensait que tout langage devait désormais devenir recherche et non possession. Moi, je pense, en conséquence, pouvoir militer tranquillement dans notre Parti même sans me dire marxiste et pouvoir militer non seulement en écoutant et en apprenant, mais aussi en parlant, mais aussi en écrivant, aussi en faisant cette revue qu’est Politecnico !

C’est dans la nature du marxisme de me rassurer à ce sujet. Et que le Parti ait déclaré à l’occasion de son Ve Congrès national qu’il n’apportait pas aux militants des impératifs idéologiques, voilà qui a eu pour moi plus d’importance que le simple sentiment de la réalité dans laquelle je me trouvais parmi des centaines et des centaines de mille autres hommes. Le Parti s’est certainement rendu compte que son action politique correspond à ce que veulent en Italie un nombre de personnes de dix à vingt fois plus grand que celles que leurs positions idéologiques pourraient naturellement désigner, et il s’est certainement rendu compte qu’il peut satisfaire par son action politique à des exigences humaines qui s’expriment à travers d’autres idéologies que la sienne. Mais l’attitude du Parti ne peut avoir été simplement politique, et encore moins purement tactique. Il serait inconcevable qu’un Parti nous accueillît avec tous nos problèmes de crise ou de recherche de la vérité et voulût dans le même temps rester insensible à nos recherches, à nos crises, et voulût conserver dans le même temps la froideur de qui possède la vérité. Et à quoi cela servirait-il ? Une solidarité politique meurt dès qu’elle se trouve en mauvais terrain. Il n’aurait échappé à personne que l’œil du Parti était vitreux. L’attitude adoptée par le Parti communiste italien à son Ve Congrès national a donc une signification qui dépasse les limites de la nécessité politique italienne. Elle ne signifie pas que, par nécessité politique, le Parti met de côté momentanément son idéologie et la laisse dans les coulisses ; elle ne signifie pas que le Parti renonce, dans ce moment particulier en Italie, à être une philosophie et une culture. Des centaines et des centaines de mille comme moi peuvent avoir voulu adhérer seulement à une politique en adhérant au Parti. Mais par son attitude au Ve Congrès, le Parti nous a offert la possibilité d’adhérer aussi à une philosophie, à une culture, et d’avoir de nouveau une philosophie sans pour cela renier ce qui déjà en nous était – disons – philosophique.

AINSI LE PARTI S’EST FAIT PLUS PRATIQUEMENT PHILOSOPHIE ET CULTURE QU’IL NE LE FUT JAMAIS. Là est le sens de la décision prise au Ve Congrès. Le Parti a éloigné de son propre cœur les méfiances qui menaçaient de le fermer au langage de ses contemporains ; il a reconnu avoir beaucoup appris même dans le sens de l’idéologie à travers sa propre expérience humaine de la période clandestine, et il a reporté le marxisme italien sur la voie véritable du marxisme, qui est la voie ouverte de la philosophie comme recherche et non le sentier aveugle de la philosophie comme système.Venez à moi, nous a dit le Parti, même si vous êtes kantiens, même si vous êtes hégéliens, même si vous êtes existentialistes catholiques ou existentialistes athées. Mais, en disant cela, il n’a pas dit que seule lui importe notre adhésion politique et que peu lui importe ce que nous sommes. Pas du tout. Le Parti, selon moi, a dit au contraire que ce que nous sommes lui importe énormément et il a dit en outre que ça lui importe beaucoup plus que ce qu’il est lui, ou ce qu’il peut être. Le Parti s’est préoccupé en d’autres termes de rouvrir à toutes sortes de stimulants sa propre idéologie, en la remettant dans le courant de la vie où il doit recevoir aussi et non seulement donner, s’enrichir et non seulement dépenser et se remettre à chercher, à se développer, à évoluer. Il s’est préoccupé de mettre sa propre idéologie à même de redevenir sensible extrêmement, capable de saisir au contact des autres idéologies les problèmes qui aujourd’hui se posent à l’homme à travers les idéologies et combinaisons d’idéologies les plus variées et capable de les faire siens, de les poser dans ses propres termes. Mais en nous reconnaissant pour communistes, même si nous sommes kantiens, même si nous sommes hégéliens, et ainsi des autres, le Parti a reconnu à notre kantisme, à notre hégélianisme la possibilité de ne pas être un système fermé, mais, au contraire, une philosophie véritable, d’être une force propre à transformer le monde. Nous serons communistes dans la mesure où notre kantisme, notre hégé-lianisme, etc., ne nous tiendra pas immobilisés dans notre système et ne sera plus un système. Nous serons communistes dans la mesure où notre kantisme, notre hégélianisme, etc., sera philosophie dans le sens original du mot et recherche de la vérité, mais non pas possession de cette vérité.

- Double front de la culture Toutefois, je ne prétends pas que politique et culture sont parfaitement distinctes et qu’il faut considérer le terrain de l’une comme fermé à l’activité de l’autre, et vice versa. Je chercherai à montrer comment, au contraire, les deux activités me paraissent étroitement liées. Mais certes ce sont deux activités, non pas une seule, et quand l’une d’elles est réduite (pour des raisons internes ou externes) à ne pas avoir son dynamisme propre et à se tourner vers l’autre, à suivre l’autre sur son terrain, comme auxiliaire ou composante de l’autre, on ne peut pas ne pas dire qu’elle laisse un vide dans l’histoire.

La culture qui perd la possibilité de se développer dans ce sens de recherche, qui est le sens propre de la culture, et arrive à se maintenir vivante en se développant dans le sens d’influence, c’est-à-dire dans un sens politique, laisse inaccompli un devoir, pour aider à en accomplir un autre. Il ne faut pas croire qu’une aide semblable serve la politique (même si parfois la politique la sollicite ou franchement l’exige). L’influence que la culture peut exercer en tant que moyen mis au service de la politique sera toujours très réduite. Il arrive en outre qu’elle soit inadéquate, qu’elle soit imparfaite. Par contre, elle sert d’autant plus l’histoire – et la politique autant que l’histoire – qu’elle remplit son propre rôle et continue à poser de nouveaux problèmes, à découvrir de nouveaux objectifs d’où la politique tire un stimulant (malgré les inconvénients passagers) pour de nouveaux développements dans son propre domaine. Dans le cours ordinaire de l’histoire, seule la culture autonome (mais non déracinée, cela va de soi) enrichit la politique et, par conséquent, aide objectivement à son action ; tandis que la culture poli-ticisée, réduite à un instrument d’influence ou en tout cas privée de sa faculté essentielle qui est de poser des problèmes, ne peut fournir aucun apport qualitatif et ne peut aider à 1’action qu’à la façon d’un employé dans une entreprise.

Il est indispensable, sans doute, que la culture ait une compréhension même politique de la réalité historique dans laquelle elle se trouve enracinée ; et il est non moins indispensable que la politique comprenne les problèmes posés par la culture et qu’elle soit prête à les faire siens à mesure qu’ils mûrissent. Et je n’appellerai jamais culture les manifestations formellement culturelles qui se laissent dépasser par le dynamisme des choses, au lieu de trouver ce dynamisme en soi et d’essayer ainsi de l’informer, de lui donner un sens ; mais cela ne signifie pas que la culture doive s’identifier à la politique.

Il est également indispensable que la culture ne perde pas contact avec le niveau culturel des masses et puisse se rendre compte constamment de leurs exigences culturelles ; elle doit se rendre compte, en outre, évidemment, de leurs exigences humaines qui, naissant des exigences culturelles, ont produit la culture elle-même. Dans les masses, on a l’exacte mesure historique de leurs proportions, et elles procèdent en se traduisant l’une dans l’autre, ou l’une traduisant l’autre : culture et vie, civilisation et vie. Et si le niveau culturel des masses constitue une force politique dont il est un devoir politique de se servir ; si même l’élévation d’un tel niveau est un devoir, qui, dans l’état actuel des choses, ne peut pas ne pas entrer dans l’action politique ; s’il est nécessaire de s’opposer à la prétention, parfois exprimée du côté politique, de « réaliser » la culture comme éducatrice immédiate et directe, fût-ce au prix de la tuer en tant que recherche ; s’il est nécessaire de clamer qu’une nouveauté inaccessible aux masses (Dante ou Cézanne, Machiavel ou Marx) peut avoir, outre son importance dans le domaine de la recherche ou de l’expression, un certain pouvoir éducatif, mais indirect et s’exerçant à travers les couches inférieures de la culture ou la politique elle-même ; toutefois il est nécessaire que la culture ne manque point du stimulant que doit être pour elle le contact avec le niveau culturel des masses – et aussi l’expérience de leurs problèmes humains – qui l’incite à « chercher » dans des directions historiquement justes.

Ainsi la culture doit se développer sur un double front. D’une part, elle doit faire en sorte d’adhérer toujours aux masses, d’en empêcher l’arrêt, de leur fournir au contraire l’impulsion dont elles ont besoin pour accélérer leur mouvement et se débarrasser toujours plus rapidement de ces survivances de culture dépassée qui entravent leur dynamisme historique. D’autre part et en même temps, elle doit faire en sorte qu’on ne puisse constater d’arrêt dans son développement ni d’altérations dans sa nature par suite du retard des masses ou d’une partie des masses. La politique peut régler son pas sur le niveau de maturité atteint par les masses ; et elle peut s’arrêter justement parce que la culture, elle, continue à aller de l’avant. Et même je dirais que c’est en cela que réside la différence entre politique et culture ; ou du moins c’est seulement par là qu’on peut voir la ligne de séparation de leurs eaux dans le courant de l’histoire. On appellera politique la culture qui, pour agir (et ici je prends le mot « agir » dans le sens de l’historicisme idéaliste, aussi bien que dans celui du matérialisme historique), suit constamment le niveau des masses, marque le pas avec elles, s’arrête avec elles et, à l’occasion, explose avec elles. Par contre, on continuera à appeler culture la culture qui, ne s’astreignant à aucune forme d’action directe, saura aller de l’avant sur le chemin de la recherche. Mais si toute la culture devient politique et s’arrête sur toute la ligne, s’il n’y a plus recherche nulle part, alors bonsoir ! D’où la politique recevra-t-elle le signal de repartir, si la culture s’arrête ? Le recevra-t-elle directement de la vie ? En fait, ce sera la vie qui devra remettre la culture en mouvement et la culture remettre la politique en mouvement. Mais, en attendant, nous aurons eu un Moyen Âge d’automatisme, comme nous avons eu un Moyen Âge d’exploitation. Et pourquoi ? Pourquoi devrions-nous le subir ? Le marxisme n’est pas seulement une méthode de lutte contre l’exploitation. C’est aussi la promesse d’une méthode contre l’automatisme. Et il me semble qu’aucune doctrine politique, aucune forme de culture non plus, ne peut refuser d’avoir au moins en commun avec le marxisme cette promesse de lutte contre l’automatisme par quoi se règlent les rapports entre politique et culture, car cette lutte assure à la culture la possibilité de se développer sur son double front comme avant-garde dans le sens de recherche, et comme trait d’union avec les masses. Ce lien, elle peut l’assurer comme un officier de liaison et si possible par la vulgarisation mais par une vulgarisation qui conserve son interrogativité critique, qui ne s’égare pas hors du terrain de la recherche, qui ne fasse pas naître la présomption de posséder la vérité absolue et qui, en un mot, n’assume pas ce caractère « catéchistique » dont s’affuble malheureusement d’ordinaire la vulgarisation, recouvrant ainsi la terre du poids mort des catéchisés.

Maintenant j’en arrive à un point qui constitue l’argument central de ta lettre. Tu m’accuses d’avoir fait une « fausse généralisation ». Mais c’est un malentendu et j’avoue que j’ai rougi à l’idée de m’être prêté par mon expression à une telle interprétation. J’ai écrit : « La politique agit normalement sur le plan de la chronique. La culture au contraire ne peut pas ne pas se développer en dehors de toute loi tactique ou stratégique, sur le plan de l’histoire. » Et toi, tu me fais dire simplement que « la politique est chronique et la culture histoire ».

Comment se fait-il que tu résumes ainsi mes paroles ? Je crois qu’il vaut mieux, dans l’intérêt de la discussion, que je m’explique davantage. Je voulais dire, et je veux dire, ceci seulement que j’ai dit plus haut : que la politique agit en tenant compte de la réalité même sous son aspect le plus contingent et en se pliant même à son aspect le plus contingent, tandis que la culture se développe en tenant compte de la réalité sous son aspect le plus largement historique sans avoir à se mesurer aux contingences. La politique (ou culture qui se fait action) doit se pénétrer de la nécessité tout entière pour pouvoir devenir action. La culture (ou culture qui reste recherche) doit se limiter à trouver en soi le sens de la nécessité pour pouvoir être encore recherche (fût-elle science ou poésie). La politique est donc de l’histoire, tout comme la culture. Seulement la culture est l’histoire se développant en fonction de l’histoire, et la politique est l’histoire qui doit en passer par la menue monnaie de la chronique. J’ai voulu dire et je veux dire ceci : je ne pense pas que la distinction entre politique et culture peut se traduire par une distinction exacte entre hommes politiques et hommes de culture. Qu’est-ce que c’est qu’un homme politique ? C’est l’homme de culture qui abandonne la recherche pour l’action. Et qu’est-ce que c’est, un homme de culture ? C’est l’homme de culture qui se tient en dehors de l’action pour continuer la recherche. Mais, dans la réalité, il est difficile pour un homme politique d’être tout entier politique et tout entier plongé dans l’action, et pour un homme de culture d’être tout entier homme de culture et tout entier plongé dans la recherche. Souvent, on trouve dans le même homme un mélange d’activité culturelle et d’activité politique ; pour cet homme, un acte politique est aussi recherche ou franche découverte, et un acte de recherche ou de découverte est aussi acte politique. On ne peut jamais dire où l’homme politique finit pour laisser la place à l’homme de recherche. Et on ne peut jamais dire si l’insuffisance ou l’erreur d’un homme politique ou d’un homme de culture sont insuffisance ou erreur politique ou culturelle.

Pour les hommes de la révolution américaine, par exemple, nous pouvons dire avec certitude que la grandiose action politique de Washington et des « fédéralistes » s’est trouvée limitée dans son développement à cause de leur indifférence en matière de culture ; mais nous ne pouvons affirmer que la capacité de développement de l’action politique de Jefferson soit due à la grandeur de sa culture, ou, au contraire, à la grandeur de sa politique. Croce nous offre l’exemple contraire. En déclarant le marxisme dépassé, il nous donne l’exemple d’une culture qui se révèle politiquement insuffisante et même d’une culture qui dégénère en pseudo-culture, quand ce n’est pas en anticulture.

Il arrêta par son attitude le développement de la culture italienne et l’exposa aux excès de la politique fasciste. Il y sema l’équivoque d’où sont sortis tous les mensonges culturels qui ont justifié en Italie les excès politiques et le fascisme. Le fait que Croce ait conservé, même pendant le fascisme, le faste des grandes constructions culturelles, prouve seulement qu’un certain faste culturel peut à la limite n’être plus culture. Il n’y a pas que la politique qui puisse immobiliser la culture (ou la transformation totale de la culture en politique) ; elle peut s’immobiliser d’elle-même. Elle se fait possession de la vérité, « système », et elle s’immobilise. Elle se fait saint Thomas et elle est fermée jusqu’au moment où elle reçoit des coups de pied dans les tibias, ce qui se produit quand la société devient « protestante ». Mais convient-il que j’honore comme culture l’arrêt d’un système ? J’appellerai plutôt culture et honorerai comme culture (en opposition à l’esprit bourgeois de Croce) la résistance opposée à Croce par les chefs les plus illuminés du mouvement ouvrier, que tu t’obstines à appeler politique.

Mais cela ne signifie pas que l’intransigeance politique doive nécessairement donner les meilleurs résultats et seulement les meilleurs, à la fois dans les domaines politiques et culturels, quand elle est issue d’une sensibilité historique plus aiguë que ne le comporte la position culturelle à laquelle elle s’oppose. Il y a des exemples d’actes politiques nécessaires en soi et de grande importance politique qui ont eu des inconvénients culturels, dangereux tôt ou tard pour la politique elle-même et tout de même il y a des exemples de positions culturelles justes qui ont eu des résultats politiques dangereux tôt ou tard pour la culture elle-même. Par exemple, ce livre de Lénine sur ce qu’on appelle l’« empiriocriticisme ». Lénine est le type de l’homme très grand dans l’action et aussi grand dans la pensée. Cependant, son livre sur l’empiriocriticisme (qui fut politiquement nécessaire et eut une grande importance politique contre le péril politique que représentait la position des empiriocriticistes à ce moment-là) a donné lieu à un inconvénient culturel qu’exploite encore aujourd’hui le marxisme vulgaire (et le trotskisme et le boukharinisme) avec dommage politique, encore aujourd’hui pour ce qu’est, aujourd’hui, notre Parti.Toutes les méfiances et les réserves des hommes de culture les plus vivants de notre temps à l’égard du Parti communiste naissent de ce livre de Lénine qui, considéré du point de vue culturel, paraît transposer le marxisme de méthode en système, le lier à la science de l’époque et le fermer par suite à la possibilité, devenue dorénavant nécessité, d’assimiler les résultats de l’épistémologie contemporaine (science qui, s’étant détachée de l’empiriocriticisme, s’appelle aussi physique des quanta, physique atomique, biophysique, etc.). Aussi trouvé-je plus grande que le léninisme la doctrine de Staline qui a su opposer au rigorisme de la logique révolutionnaire une si grande sagesse, en nous enseignant, contre les impatiences du rationalisme scientiste, « qu’on ne peut faire l’un après l’autre des pas rationnels mais que chaque nouveau pasrationnel se fait quand le précédent a pénétré au moins en partie dans les habitudes, dans la psychologie humaine, et est devenu en somme une nature irrationnelle ».

Antonio Gramsci, en Italie, est grand spécialement sous cet aspect. Il nous a donné dans ses ouvrages toute possibilité d’avoir une position culturelle marxiste correspondant à celle qui est aujourd’hui en Italie la politique si libre et vraie du Parti nouveau. Mais venons-en à ma distinction entre un cours ordinaire de l’histoire, dans lequel la politique ne ferait que des modifications quantitatives, et ses moments extraordinaires pendant lesquels elle ferait, au contraire, des modifications qualitatives. Je ne me suis pas mal exprimé ; je me suis trompé et tu as pleinement raison de me renvoyer à la « doctrine du bon vieux Hegel » qui nous a appris à « ne pas séparer la qualité de la quantité ». Je me suis trompé à cause de mes convictions mêmes sur ce qui est politique, sur ce qui est culture et sur ce que sont, dans l’histoire, les rapports entre politique et culture. En dépit de mon aversion pour la pensée mécanique et de ma sympathie pour la physique moderne, je suis tombé dans le concept mécanique qui veut que la transformation qualitative soit comme le résultat d’une somme ininterrompue de nombreuses transformations quantitatives ; ou plus simplement me suis-je raidi dans une fiction mentale qui m’aidait à raisonner ? Des tours de ce genre arrivent souvent à ceux qui ne s’expriment pas d’habitude par raisonnements explicites et le jour où ils se voient obligés de le faire ils peuvent être encore plus abstraits qu’un formaliste de la logique. Me suis-je donc raidi dans une abstraction qui me facilitait les choses ?

La conséquence grave pour qui adopte ma distinction mécanique entre quantitatif et qualitatif est qu’il peut voir dans l’activité politique deux principes et deux courants, l’un qui identifie l’activité politique à la chronique, pendant la phase quantitative, et l’autre, au contraire, qui l’identifie à l’histoire, lui faisant remplir ainsi une fonction supérieure qualitative. Tu me fais dire ainsi le contraire de ce que je crois, et c’est ce qui me fait penser que je me suis trompé dans toute cette histoire de quantitatif et de qualitatif.

Toutefois, je n’ai jamais eu l’idée de revendiquer pour la culture la fonction de diriger. Qu’aurais-je fait, ce faisant ? J’aurais revendiqué pour elle la possibilité de se transformer en politique, car, automatiquement, dès qu’on se place sur le terrain d’une direction à donner, de l’action, la culture se transforme en politique. Parler de culture qui dirige, c’est parler de politique, et des « directions », dans la vie sociale, il y en a toujours : dans la révolution comme dans les phases de simple évolution ou involution, dans le sens conservateur comme dans le sens novateur, pour le compte d’une classe au pouvoir, comme pour le compte d’une classe qui veut le pouvoir. Mais que signifie « diriger » quand il s’agit de la politique à l’égard du reste de la culture qui continue à se poser des problèmes sur la route de la recherche (scientifique, artistique, philosophique, etc.) et que nous appelons culture tout court ? Que la politique peut avec des moyens et des buts politiques : limiter la recherche, lui donner une certaine orientation plutôt qu’une autre, l’arrêter sur un point, la précipiter sur un autre et, en somme, l’asservir à sa propre action ? De ce que j’ai exposé plus haut il ressort clairement que je refuse une interprétation semblable de la fonction de direction, laquelle conduirait à une politicisa-tion totale de la culture (avec les conséquences néo-médiévales d’appauvrissement progressif dans la politique elle-même), et il ressort clairement que je revendique une autonomie pour la culture qui lui permette de développer, à travers toutes les erreurs auxquelles toute recherche se trouve exposée, son propre travail non politique. Mais je sais qu’aux moments les plus aigus des révolutions la politique coïncide avec l’intérêt de la culture au point de rendre impossible toute distinction entre l’une et l’autre et impossible toute autonomie de la culture. C’est pourquoi j’ai fait ma distinction mécanique entre quantitatif et qualitatif : pour dire que la culture doit être autonome à l’égard de l’action politique (fût-ce à l’intérieur d’un même homme politique) sauf dans les moments décisifs des révolutions ; et non pas pour dire qu’au moment X la direction revient à la culture tandis que dans la période Y on « peut la laisser » à la politique…

Je peux me tromper dans ce sens même et je peux aussi ne pas m’être rendu compte des choses ; mais il reste que mon objection était utile, qu’elle était au moins le signe qu’il était nécessaire d’approfondir la question et de l’éclaircir. Tu voudras bien me céder que le rapport politique-culture n’est pas toujours le même, qu’il varie, qu’il varie peut-être souvent, mais au moins entre les phases d’action et de réaction historiques. Giuseppe Ferrari appelait révolution tout mouvement même rétrograde. La création du podestat par exemple dans les communes du Moyen Âge, il l’appelait « révolution des podestats » et celle des gonfaloniers il l’appela aussi « révolution des gonfalo-niers ». Mais nous, quand nous parlons de révolution, nous pensons aux grands bouleversements sociaux comme la Révolution anglaise du XVIIe siècle, la Révolution française du XVIIIe ou la russe du XXe. La culture « veut » ces bouleversements. Elle tend à la « révolution ». Pourquoi ? En quel sens ? Par le fait même qu’elle est recherche de la vérité (et elle l’est encore quand le philosophe romain, en l’occurrence Pilate, met en doute devant le Christ qu’il puisse y avoir une vérité), la culture insère une possibilité pour nous de choisir dans l’automatisme du monde. La culture est la vérité qui évolue et se transforme, et elle évolue, elle se transforme non pas seulement grâce aux exigences de changement qui se présentent dans le monde, mais grâce à son propre mouvement, dans la mesure où elle est ce mouvement même, dans la mesure où elle ne s’endort pas, où elle ne se cristallise pas en possession et en système. Elle est la force humaine qui met à découvert dans le monde le besoin de changer et lui en donne conscience. C’est elle donc qui veut la transformation du monde, mais, ce faisant, elle aspire à ordonner le monde de façon qu’il ne retombe plus sous la domination d’un intérêt économique ou de quelque autre nécessité, de quelque automatisme, mais, au contraire, de façon à pouvoir identifier son mouvement avec celui de la recherche de la vérité, de la philosophie, de l’art, en somme avec le mouvement même de la culture. Ainsi la culture aspire à la révolution comme à une possibilité de prendre le pouvoir par le moyen d’une politique qui soit culture traduite en politique et non plus intérêt économique traduit en politique, privilège de caste traduit en politique, nécessité traduite en politique.

Cette aspiration est particulièrement évidente, par exemple, dans la culture qui a précédé la Révolution française, et Robespierre a laissé sa tête sur l’échafaud parce qu’il voulait être l’homme d’une politique qui fût justement culture traduite en politique, sans aucune compromission avec la nécessité ou avec d’autres intérêts sociaux qui s’étaient fait sentir au cours de la Révolution. Lui et les Jacobins eurent l’illusion de pouvoir considérer la Révolution française comme « la » Révolution par excellence et de pouvoir exercer le pouvoir pour le compte de la culture, sur un plan de développement qui correspondît au développement de la culture ; au lieu de l’exercer pour le compte d’une force sociale sur un plan de développement qui correspondît à la capacité de progrès de cette force sociale. Puis apparaît un certain Burckhart et il nous dit, plus de soixante-dix ans après, que l’antique aspiration de la culture à prendre le pouvoir (et à le prendre dans le sens d’une réalisation continuelle de son propre développement et non d’une réalisation ponctuelle d’un de ses moments arrêtés) est devenue réalité depuis la Révolution française avec la démocratie parlementaire. Marx, au contraire, sait voir plus loin que l’illusion qui avait persisté jusqu’à lui. Il nous montre ce qu’il y a sous la démocratie parlementaire, mais il ne nous enseigne pas à désespérer, ni à renoncer à l’antique aspiration. Il nous dit que nous pouvons avoir une révolution extraordinaire, telle qu’elle soit réellement celle qu’aurait voulu être toute révolution (en tant que culture) et qu’elle puisse assurer véritablement la primauté du choix sur l’automatisme, de la recherche sur le système, de la culture sur la nécessité, à travers une politique qui soit toujours culture traduite en politique et jamais plus privilège traduit en politique. Et c’est dans une société sans classes, nous dit Marx, que nous pouvons avoir un pouvoir qui soit fonction de la culture. Mais Marx n’exclut pas qu’il y ait danger, même dans une société sans classes, de voir la culture se retrancher de la recherche, s’installer dans la possession de la vérité, se fortifier en système et ainsi précipiter le monde dans un automatisme d’origine culturelle. Marx sait bien qu’un monde libéré de la nécessité par l’intermédiaire de la culture peut très bien retomber en esclavage par l’intermédiaire de la même culture. Dans la culture aussi il y a une tendance à l’inertie. L’Église catholique est un exemple typique de cristallisation de la culture en une doctrine et une politique qui emprisonnent le monde dans leur automatisme, à l’intérieur du cadre de l’automatisme économique et appuyé sur lui ou, demain, en dehors de lui. L’élimination de l’automatisme économique n’est pas en lui-même une garantie contre tout automatisme. Il entre donc dans la conception marxiste que la lutte contre l’exploitation soit aussi lutte particulière contre telle ou telle forme d’automatisme à l’intérieur de la culture, comme, à l’intérieur de la politique et qu’elle le soit d’autant plus que la Société approchera davantage de la libération du besoin.

Je dirais même que le marxisme pose l’exigence de la lutte contre l’exploitation avec un esprit de lutte contre l’automatisme, apparenté à ce qui fut l’esprit du protestantisme. Les Marx n’étaient pas de religion israélite ; ils étaient protestants du côté maternel et paternel. Karl reçut une éducation protestante et, s’il identifia la révolution protestante à la révolution bourgeoise, il n’identifia pas l’esprit du protestantisme à l’esprit bourgeois, mais à l’esprit de la bourgeoisie comme classe en progrès, ce qui est fort différent. Cet esprit-là est esprit de progrès, esprit critico-construc-tif, antiphilistin, esprit de problème, et cela est si vrai que, à peine arrêtée, la bourgeoisie l’abandonne pour un équivalent de l’esprit catholique et retourne par conséquent pendant l’arrêt ou la période descendante au catholicisme. Marx aspire à sa révolution « extraordinaire » comme à une révolution par laquelle l’homme fait des acquisitions définitives et ne cesse plus d’être en « montée ».Ainsi nous pouvons dire que l’esprit du protestantisme est une conquête humaine faite une fois pour toutes ; que le marxisme la contient ; qu’il a là un précédent historique, qu’il en est l’héritier ; qu’il le développe, et nous pouvons nous demander si le marxisme ne se trouve pas exposé à des conséquences limitatrices chaque fois qu’il affronte une réalité que n’a jamais traversée une secousse protestante ou analogue à la secousse protestante. Nos ennemis considèrent le marxisme comme une conception millénaire qui fait de la société sans classes son unique et ultime fin, et ces ennemis-là l’expliquent comme un rejeton du judaïsme. Il me semble que ce sont ses ennemis et non ses sympathisants ou ses adhérents qui veulent lui donner un sens mystique sans s’arrêter à considérer son anti-automatisme essentiel qui fait de lui le contraire d’une conception millénaire, le rejeton du protestantisme, et non du judaïsme, qui fait qu’il est moderne et non extra-temporel, et qui fait qu’il considère la Société sans classes comme un moyen de libération de l’homme, rien de plus.

Très souvent on prend les constatations de Marx pour des fins et son dégoût de l’histoire « telle qu’elle est » pour un goût supposé de l’histoire « telle qu’elle devrait être ». Marx constate que les activités de l’homme se développent en fonction de l’activité économique ; et on ne comprend pas qu’il vise précisément par là à les libérer de la tutelle économique. Marx constate que ce sont les manifestations collectives, non les individuelles, qui ont un certain poids dans l’histoire, et on ne comprend pas qu’il souhaite précisément une histoire où les manifestations individuelles, comme culture, comme qualité, aient un certain poids. On confond le grandiose idéalisme moral de Marx et l’arme puissante de son réalisme, et on ne comprend pas que, tout en enseignant qu’il ne peut y avoir de libération individuelle sans effort collectif, Marx défend une révolution qui n’est pas à tendance collectiviste, mais individualiste et même la première révolution véritablement individualiste qui nous ait été proposée.

Engagé dans la lutte pour la conquête de la société sans classes, le marxisme n’est pas encore allé très loin dans le sens de son développement véritable. Et il n’a pas encore trouvé le moyen d’empêcher le glissement vers un quelconque automatisme de la culture, d’un quelconque automatisme de la politique, et de maintenir vivant dans l’homme cet esprit de montée de la bourgeoisie (qui s’est appelé protestantisme). Une société (fût-elle sans classes) où cet esprit ferait défaut à l’homme (ainsi que la faculté de remettre en question qui en dérive) serait une société où nul nouveau Marx, nul nouveau philosophe, nul nouveau poète n’auraient de raison de vivre. Elle serait le contraire de la société qu’a rêvée Marx, dans laquelle, pour finir, l’individu aurait obligatoirement une raison qualitative de vivre. C’est pour cela qu’il est nécessaire que la culture ait constamment la possibilité d’être culture, c’est-à-dire la possibilité de chercher, de poser des problèmes, de se renouveler. C’est pour cela que la culture doit éviter avant tout le danger d’être système traduit en politique et qu’elle doit viser de toutes ses forces à être recherche traduite en politique. C’est pour cela qu’il est nécessaire que les rapports entre la politique et la culture ne soient réglementés ni par l’une ni par l’autre, qu’ils soient laissés libres de varier (et de comporter une plus ou moins grande sujétion ou indépendance réciproques) suivant les phases que l’histoire traverse dans sa marche vers la société sans classes dont le premier stade est la liberté de l’homme.

- Emboucher la trompette de la révolution Ici je pourrais considérer que j’en ai fini avec la discussion ; je pourrais m’arrêter, mais je n’ai pas encore dit ce que je crois avoir d’important – de particulier et important – à dire. Des termes de ta lettre me vient une impression de grande bonté et voilà surtout ce qui a du sens pour moi. Penseras-tu que je veuille en profiter ? Non ; je veux exprimer entièrement la perplexité de tant et tant d’intellectuels (et je parle aussi des intellectuels non inscrits au Parti) à l’égard de ce qui aujourd’hui rend difficiles, et presque impossibles, les rapports entre politique et culture à l’intérieur et autour du Parti. Je ne reviendrai pas sur la polémique suscitée par Politecnico. Je n’ai jamais voulu dire que l’homme politique ne doit pas intervenir dans les questions de culture. J’ai voulu dire qu’il ne doit pas intervenir avec un critère politique, avec des buts politiques, avec des moyens politiques, des arguments politiques, par pression ou intimidation politiques. Mais en tant qu’homme de culture, qu’homme de recherche, il ne peut pas ne pas participer aux batailles culturelles. Seulement, il doit le faire avec un critère culturel, sur le plan même de la culture.Vois, par exemple, la réaction marxiste contre Croce. Elle a été menée culturellement et, pour finir, elle triomphe dans les œuvres de Gramsci qui rétablit l’actualité du marxisme, non sans avoir accueilli certaines des objections de Croce, non sans s’en être aidé, non sans les avoir exploitées, non sans avoir tiré matière à développement ou à éclaircissement pour le compte même du marxisme. Admets au contraire qu’elle se soit développée « politiquement ». Je ne dis pas précisément en faisant disparaître la personne physique de Croce, ou en faisant taire cette vieille bouche par un boycottage général, un décret ou une action quelconques ; je dis par un refus formel et méprisant, par un « non » catégorique et aveugle ou par des raisons politiques maquillées de culture ; par des mensonges. Le marxisme italien en serait resté au point où il en était en 1908, lié entièrement au positivisme, et la politique elle-même de notre Parti serait aujourd’hui plus pauvre ; elle ne serait pas la politique du Parti nouveau.Ainsi pour Politecnico, si j’accepte tes critiques et une bonne part des critiques d’Alicata, je n’accepte pas cependant le critère politique qui a faussé la voix de ce dernier et les possibilités mêmes de discussion, quand, pour prendre un exemple de ce qui nous intéresse, il a parlé d’Hemingway comme d’un petit écrivain impressionniste qu’on peut se passer de connaître. C’est à cela que je me suis opposé et que je m’oppose : cette tendance à porter sur le terrain culturel, camouflées sous des jugements culturels, des hostilités politiques et des considérations à usage politique, avec le désir louable évidemment de rendre plus aisée la tâche politique, mais altérant en même temps les rapports entre politique et culture pour le plus grand dommage des deux. Se servir du mensonge politique équivaut à faire usage de la force et se traduit par l’obscurantisme. Ce n’est pas participer à la bataille culturelle et faire progresser la culture vers son but, à savoir transformer et se transformer. C’est vouloir atteindre un certain résultat dans la culture, en restant en dehors de ses problèmes. C’est agir sur la culture, non à l’intérieur de la culture. Obscurantisme, ai-je dit. Et cela produit ce que produit l’obscurantisme : mensonge, aridité, absence de vie, abaissement du niveau, arcadisme, enfin arrêt absolu.

Un semblable péril n’est pas à craindre aujourd’hui en Italie entre la plus vivante culture italienne et la politique de notre Parti. Et même il semble qu’il s’éloigne chaque jour davantage. Mais nous avons des siècles de catholicisme sur le dos, et ce danger pourrait se présenter à nouveau. Par ailleurs, il est latent dans plusieurs pays du monde occidental ; il apparaît parfois en France, parfois aux États-Unis aussi, je pense que c’est un danger auquel nous autres communistes sommes particulièrement exposés et contre lequel nous devons nous armer de vigilance. Prends l’Amérique. Il fut un temps où les meilleurs conteurs, les meilleurs poètes, les savants et les penseurs les plus vivants travaillaient dans un sens pro-communiste. La revue trimestrielle Science et Société nous donne encore aujourd’hui un exemple de la richesse des problèmes que la culture américaine se posait dans ses contacts avec le marxisme. Mais un grand nombre de bonnes revues littéraires, qui étaient au début communistes ou procommunistes, sont devenues aujourd’hui politiquement agnostiques tout en conservant leur haute tenue. Tandis que d’autres sont restées communistes, mais ont perdu leur mordant. Hemingway, Caldwell, Steinbeck, Dos Passos, Richard Wright, James T. Farrell ont cédé leur place d’écrivains sympathisants à notre Parti à des hommes qui ne sont pas précisément de premier ordre, comme Howard Fast ou Albert Maltz. Pourtant, on ne peut dire qu’ils aient changé de ligne, dans leurs recherches d’écrivains ou qu’ils se soient « attelés à la réaction ». Certains, sans doute, ont commis des erreurs politiques (Hemingway, dans des pages qui sont parmi les moins bonnes, a falsifié le visage d’une grande révolution française) ; mais le fond de leurs ouvrages garde son importance révolutionnaire ; et c’est d’après leur compétence culturelle, non d’après leur plus ou moins accidentelle incompétence politique, qu’il convient de juger un écrivain.

Suffit-il qu’un écrivain « dise du mal de Garibaldi » pour être traité de contre-révolutionnaire ? Très souvent, les hommes politiques parlent très mal des écrivains révolutionnaires et on ne les traite pas pour cela de contre-révolutionnaires. Giuseppe Mazzini, pour citer un exemple illustre, a écrit de Leopardi qu’il était un petit poète décadent à côté du « grand poète politique » (figurez-vous !) G.-B. Niccolini ; cependant, aucun homme de culture ne s’est avisé de traiter Maz-zini de réactionnaire. Nous pensons tout au plus que Mazzini n’était pas à même de comprendre la valeur rénovatrice de la poésie de Leopardi. Pourquoi n’a-ton pas la même indulgence du côté politique à l’égard des écrivains qui ont manqué de compétence politique dans leurs jugements ?

Mais n’errons pas davantage. Demandons-nous plutôt quels sont les défauts, les vices de notre attitude envers la culture, qui ont pu dessécher à ce point les rapports entre politique et culture. Ils nous viennent peut-être de ce que l’aliment spirituel qui gonfle le marxisme attire dans son voisinage trop de petits intellectuels qui s’en nourrissent et vivent grâce à lui au-dessus de leurs revenus, trop de petits intellectuels, qui, incapables de vivre sur leur propre fonds, deviennent ses hargneux cerbères et s’en servent comme d’une espèce de code de la culture et de la politique, prêts à réclamer de tel ou tel qui s’apparente p1us ou moins à eux une triste adhésion conformiste, veuve de problèmes comme la leur. Ainsi toute exigence « autre », tout problème non réduit et non résolu, qu’un écrivain plein de vitalité pose dans son œuvre, l’expose à une levée d’accusations abstraites qui tôt ou tard l’épouvantent, le déconcertent et le poussent à se tenir loin de nous. Petit-bourgeois, décadent, individualiste sont les qualificatifs les plus doux que les poètes ou les penseurs se voient attribuer par ces suiveurs zélés d’un prétendu marxisme depuis des années dans plus d’un pays du monde occidental. À des romanciers de premier ordre ils ont conseillé de prendre exemple sur des écrivains populistes de quatrième ordre. Et ces derniers mois encore, tandis que l’Amérique penche dangereusement vers les conceptions de Calhoun, doctrinaire de l’esclavagisme, voici que, dans un hebdomadaire pourtant sérieux et conscient de ses responsabilités comme New Masses, on publie un article superficiel et sectaire contre le plus grand penseur progressiste d’outre-Atlantique John Dewey, dont Antonio Banfi et Galvano Della Volpe peuvent dire combien il nous serait utile ici contre la doctrine conservatrice de Gasperi et des crociens.

La ligne qui sépare dans-le domaine de la culture le progrès de la réaction ne coïncide pas exactement avec la ligne qui les sépare en politique. C’est ce que souvent nous ne comprenons pas, nous communistes ; ou nous ne sommes pas prêts à comprendre ou nous ne voulons pas. De là viennent ces méfiances et ces hostilités qui rendent la politique quelquefois incapable de soutenir la culture progressiste et de s’y appuyer, et la culture progressiste incapable de soutenir la politique progressiste et de s’y appuyer. II nous arrive de vouloir juger d’après les manifestations politiques d’un poète ou d’après ce qu’il en a explicité, si sa poésie est à tendance progressiste ou réactionnaire… Par exemple Dostoïevski. Mais nous oublions d’aller chercher dans le fonds même de ses œuvres les plus vivantes le sens véritable de ce qu’il a écrit. Du temps de Marx, le marxisme savait se rendre maître de ce qu’il y avait de progressiste dans les ouvrages des plus grands écrivains de son temps, fût-ce Hölderlin, Heine, Dickens ou Balzac, sans se préoccuper qu’ils fussent de droite ou de gauche.Aujourd’hui, nous avons tendance à refuser les plus grands écrivains de notre temps ou à les ignorer. Nous ignorons complètement Kafka, par exemple, qui pourtant a su représenter sous forme mythique la condition où l’homme est réduit dans la société contemporaine et nous refusons en bloc, par exemple, l’œuvre d’Hemingway dont pourtant les personnages sont aux prises avec ces problèmes mêmes qui rendent indispensable une transformation du monde. En admettant qu’Hemingway se compromette politiquement, nous pourrons, par exemple, considérer sa personne comme ennemie ; mais ses livres seront encore nos amis, et je suis irrité de les voir réfuter comme livres réactionnaires et bourgeois. Bien sûr, il y a encore à reprendre même du point de vue culturel dans Hemingway et d’autres. Son héros est encore un type de surhomme, non d’homme. Mais on ne peut peindre tout en noir quelqu’un qui a un peu de noir, ni tout or quelqu’un qui a un peu d’or. C’est agir selon un critère obscurantiste qu’on ne peut adopter quand il est question de culture. Il appartient à des ouvrages concrets plus neufs d’annuler ou de réduire l’importance des ouvrages concrets d’un Hemingway. Et nous, quand nous entendons traiter de scribouilleurs des écrivains de premier ordre, nous nous sentons tout diminués ; il nous semble que notre métier même s’en trouve diminué, que la culture elle-même en est diminuée et que nos efforts révolutionnaires ne seront jamais reconnus comme tels par nos camarades politiques.

Que signifie pour un écrivain « être révolutionnaire » ? Ma familiarité avec certains politiques m’a appris qu’ils reconnaissent la qualité de « révolutionnaires » à ceux qui embouchent la trompette de la révolution autour des problèmes politiques, à ceux qui s’emparent des problèmes politiques et les traduisent en bel canto avec des mots, avec des images, avec des comparaisons. Mais cela, à mon avis, n’a rien de révolutionnaire ; au contraire, c’est une façon « arcadienne » d’être écrivain.

- Un effort pour éviter l’Arcadie « Arcadie » ne signifie pas l’Art pour l’Art. L’art pour l’art peut être Arcadie, et même académique, mais la formule « l’Art pour l’Art » n’est pas forcément arcadienne. Historiquement, nous la trouvons employée dans l’Angleterre victorienne et dans la France du second Empire par des écrivains désireux de sauver du conformisme le développement de certaines conceptions de vie nouvelles. L’Angleterre victorienne comme la France du second Empire prétendaient que l’art devait servir à inculquer directement ou indirectement les principes de la morale dominante. Aussi quand elle parlait d’Art pour Art, la Culture voulait-elle seulement revendiquer pour elle la liberté d’exprimer de nouvelles exigences de vie. Et Swinburne comme Baudelaire, Flaubert et Thomas Hardy, Oscar Wilde lui-même furent des progressistes. Ils ouvrirent une fenêtre dans le conformisme ; ils préparèrent l’esprit à recevoir des enseignements nou-veaux.Ainsi ils ne prétendirent point que l’art ne doit pas enseigner, mais qu’il doit « enseigner » dans des limites qui dépassent celles qu’impose la société. C’est l’Arcadie qui n’enseigne pas. L’Arcadie, c’est l’art que souhaitaient l’Angleterre victorienne et le second Empire français, l’art du conformisme ; et je dis qu’il n’« enseigne pas » parce qu’il n’enseigne rien qu’il trouve lui-même, qu’il découvre lui-même dans la vie ; parce qu’il n’a rien de neuf à dire qui lui appartienne ; parce qu’il se contente de répéter des « enseignements » que déjà enseignent la morale commune, la coutume ou l’Église.

Quand nous parlons d’Arcadie, nous pensons d’ordinaire à une seule forme d’art arcadique : à celle qui module ses variations pastorales sur un thème d’amour. Mais cette forme d’Arcadie n’est pas arca-dienne parce qu’elle traite d’amour. Combien ont parlé d’amour et n’étaient pas arcadiens ! Non ; elle est arcadienne parce qu’au lieu d’atteindre directement à la réalité des passions, elle n’appréhende que la conception conventionnelle qu’une certaine société s’est faite de l’amour à travers certaines traditions. Elle est arcadienne, par conséquent parce qu’elle n’accède pas directement à la vie, parce qu’elle ne sort pas directement de la vie ; parce qu’elle n’accède qu’à un principe qui est déjà « culture », lui-même reflet ou produit de la vie, déjà conquête à son terme, déjà vérité consommée, et qu’elle en use comme d’un thème qui lui est extérieur et qu’il s’agit de magnifier ou d’illustrer.

L’esthétique arcadienne implique une distinction entre poésie et vérité, qui fait que la vérité en vient à se démettre de cette part d’elle-même que constitue la poésie, et la poésie en vient à ne plus être partie intégrante que de la vérité et de la recherche de la vérité. Le rationalisme abstrait qui mesure tout à une petite échelle visiblement rationnelle et ne veut pas reconnaître pour rationnels les pas plus longs ou moins visiblement rationnels, ou qui ne paraissent pas rationnels, est la position culturelle qui favorise le plus le glissement de l’art vers l’esthétique arcadienne. Elle le favorise par une philosophie facile et aussi par la politique. Elle amène les poètes à dire : « Mettons-nous au service de la vérité. » Et elle ne s’aperçoit pas que cela signifie ne pas travailler pour la vérité, ne pas remplir son devoir de découverte de la vérité, elle ne s’aperçoit pas qu’elle les conduit au contraire à emboucher la trompette pour une forme de vérité déjà atteinte, à laquelle manquera toujours cette part de vérité dont ils auraient dû l’augmenter. Que la trompette soit embouchée sur des thèmes politiques, scientifiques, sociaux, plutôt qu’amoureux, ne change rien au caractère arcadien d’une pareille musique. Une bonne partie de la littérature arcadienne italienne du XVIIIe siècle a pour thèmes des thèmes politiques, et c’est en arcadien que Vincenzo Monti chante la montgolfière ou les comices de Lyon, en arcadiens et pastoureaux de la politique qu’écrivent les poètes politiques que Giuseppe Mazzini préférait à Leopardi ; et qui embouche la trompette pour une politique révolutionnaire n’est pas moins arcadien et pastoureau que qui l’embouche pour une politique réactionnaire et conservatrice. Les poètes de la révolution américaine comme John Trumhull, Philip Fre-neau, Timothy Duight, se trouvent aujourd’hui tout aussi arcadiens que les poètes qui à Londres embouchaient la trompette pour la reconquête des colonies. Le sujet du chant peut être un grand problème révolutionnaire, mais, si l’écrivain ne l’a pas trouvé directement dans la vie, s’il lui vient par l’intermédiaire de la politique ou d’une idéologie, s’il lui vient « comme thème », il embouchera la trompette là-dessus et il sera arcadien, il ne sera pas un écrivain révolutionnaire. Dans la meilleure hypothèse, s’il a un tempérament lyrique, il nous donnera du lyrisme au lieu de bergerie et il sera, mettons, Maïakovski. Mais ce n’est certes pas le lyrisme qui peut rendre un écrivain révolutionnaire. Est révolutionnaire l’écrivain qui réussit à poser dans ses ouvrages des exigences révolutionnaires autres que celles de la politique ; des exigences intérieures, secrètes, cachées dans l’homme, que lui seul sait découvrir dans l’homme, qu’il lui appartient de découvrir, à lui écrivain, et qu’il lui appartient à lui écrivain révolutionnaire de poser, et de poser à côté des exigences que pose la politique, en plus des exigences que pose la politique. Quand je parle d’efforts révolutionnaires à fournir par nous écrivains, je parle d’efforts résolument portés vers de semblables exigences. Et si j’exprime la crainte que nos efforts d’écrivains révolutionnaires ne soient pas reconnus comme tels par nos camarades politiques, c’est parce que je vois bien que nos camarades politiques ont tendance à reconnaître comme révolutionnaire la littérature arcadienne de ceux qui embouchent la trompette de la révolution plutôt que la littérature qui contient de telles exigences, la littérature dite, aujourd’hui, de crise.

Refuser ou ignorer les meilleurs écrivains de crise de notre temps signifie refuser toute la littérature grosse des problèmes nés de la crise de la société occidentale contemporaine. Et n’est-ce pas refuser la problématique même comme révolutionnaire ? N’est-ce pas refuser de considérer la crise même comme révolutionnaire ?

Une grosse partie de la littérature de crise est certes d’origine bourgeoise. Elle descend du romantisme ; elle est pétrie d’individualisme et d’esprit de décadence. Mais elle est lourde aussi de la nécessité d’en sortir et elle est un effort pour en sortir. On peut l’appeler bourgeoisie, mais dans le sens seulement où elle est une autocritique de la bourgeoisie. Les motifs bourgeois sont des motifs de honte d’être bourgeois, de désespoir d’être bourgeois. Donc, elle est révolutionnaire, malgré ses défauts bourgeois, comme le fut la littérature anglaise ou française du XVIIIe, malgré ses défauts aristocratiques. Les écrivains qui militent dans notre Parti reflètent eux aussi la honte bourgeoise, le désespoir bourgeois, en somme la crise bourgeoise des écrivains qui sont restés en dehors. Ils sont révolutionnaires pour des motifs peu différents de ceux de Sartre ou de Camus. Toutefois, ils ne sont pas révolutionnaires ; ils font seulement de l’arcadisme de parti ou du lyrisme de parti.

La littérature russe elle-même, dans la mesure où il nous est donné de la juger à travers des traductions, fait de l’arcadisme et du lyrisme ; de l’arcadisme le plus faible, du lyrisme le plus fort. Cela montre que la crise de la culture est aujourd’hui mondiale ; elle est « insuffisance de politicité » dans la partie monde encore capitaliste ; elle est « saturation de politicité » dans la partie du monde déjà socialiste. D’un côté, la culture est exposée au danger de se voir impliquée dans la réaction ; de l’autre, elle est exposée au danger non moins grave de tomber dans l’automatisme. L’écrivain révolutionnaire des pays capitalistes devra éviter les deux dangers. Et l’écrivain révolutionnaire qui milite dans notre Parti devra refuser les tendances esthétiques de l’URSS non seulement parce qu’elles sont le produit d’un pays déjà parvenu à la phase de la construction socialiste ; et non seulement parce qu’elles sont un certain produit particulier à un pays, à savoir la Russie, et qu’il n’est pas dit qu’il doit être celui de la construction socialiste française ou italienne ; il devra les refuser tout simplement pour le danger qu’elles contiennent.

Certes, nous, écrivains de parti, sommes préparés à l’éventualité de limiter notre activité le jour où ce sera indispensable pour la construction de la société sans classes. Je dirais que nous sommes préparés à l’éventualité de renoncer tout à fait. C’est là la seule différence entre nous, écrivains de parti, et les écrivains étrangers aux partis. Nous savons ce qui est arrivé, dans toute grande révolution, entre politique et culture ; nous savons que, chaque fois, la poésie a été arca-dienne ; nous savons que la culture est devenue une servante de la politique, chaque fois. Et nous acceptons l’éventualité qu’il se produise la même chose avec notre révolution… Mais le marxisme contient certaines phrases qui permettent de penser que notre révolution peut être différente des autres, et extraordinaire. Elle peut être telle qu’il n’y ait point d’arrêt dans la culture, que la poésie ne tombe point dans l’Arcadie et nous, nous devons au moins nous efforcer de faire en sorte qu’il en soit ainsi.

Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 21:16   Re : L'écrivain et le Parti
A la suite de certains débats, je m'interdis les embardées dans certaines directions. Je vous saurais gré de faire de même,

Ah mais qu'est-ce que vous êtes compliqué mon cher Jmarc... et un (gros) brin procédurier - non ?
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 21:19   Wiki Vittorini
"Elio Vittorini (23 juillet 1908, Syracuse -12 février 1966, Milan)
Romancier italien.
Il laisse une œuvre peu abondante" !!!
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 21:21   Re : Wiki Vittorini
Heureusement qu'il précise en début de sa lettre : "sans toutefois vouloir te distraire longtemps de ton travail"

Il ne manquait pas d'humour. Avec un petit côté sadique malgré tout : "Ici je pourrais considérer que j’en ai fini avec la discussion ; je pourrais m’arrêter, mais je n’ai pas encore dit ce que je crois avoir d’important – de particulier et important – à dire."

Oh le monstre...
24 novembre 2009, 21:22   Italien
Bien cher Agrippa,


Il s'agit dans ce cas d'un romancier italien, je présume que le critère d'abondance est lui aussi relatif...

Vous comprendrez que je n'ai pas eu le courage de couper le paragraphe relatif à l'Arcadie...
24 novembre 2009, 21:23   Je serai bref...
En général, un discours qui commence ainsi ne me dit rien de bon...

C'est un peu comme le "je vais conclure...". On peut se rendormir.
Bien cher Obi,


Je reviens à la charge avec le cas de personnes vraiment insoupçonnables et qui furent soit des compagnons de route, soit des militants du stalinisme, et qui sont de très grandes illustrations de la France.

Ces personnes n'avaient rien à gagner, aucune prébende, rien.

Je pense à Frédéric Joliot et à sa femme Irène Curie, et à Paul Langevin.
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 21:38   Re : Wiki Vittorini
Il y a huit fois le mot trompette dans cette lettre, dont trois précédés de emboucher la : c'est une lettre à clé !
24 novembre 2009, 21:40   Cherchons le coupable
Vous avez sans doute raison...

Ce doit être une création des négateurs du changement climatique (ou plutôt du Mossad : voyez, il est question de huit fois, pour la trompette, et non de sept...).
Utilisateur anonyme
24 novembre 2009, 21:45   Re : Cherchons le coupable
C'était peut-être un admirateur de Boris Vian.
24 novembre 2009, 22:48   Re : Cherchons le coupable
Je n'ai pas encore lu la lettre de Vittorini (emploi du temps chargé pour les trois ou quatre prochaines nuits, donc), mais l'incompréhension d'Obi me fait penser à cette remarque de Pavese dans son Journal, Le métier de vivre, à propos du double visage du Romantisme ; que ne ferait-on pour éprouver l'exaltation sacrée du vivre ensemble :

« Il est curieux que le romantisme, qui passe pour la découverte et la protestation de l'individu, de l'originalité, du génie, soit tout entier imprégné d'une anxiété d'unité, de totalité cosmique : et qu'il ait inventé les mythes de la chute de la primitive Unité et recherché les moyens (poésie, amour, progrès historique, contemplation de la nature, magie etc.) de la reconstituer. Preuve de cette tendance est la création de tant de concepts collectifs (la nation, le peuple, le christianisme, le germanisme, le gothique, la latinité, etc.). »

Et le communisme, bien entendu.
25 novembre 2009, 06:57   Re : Cherchons le coupable
On étouffe, on suffoque dans cette pensée où les mots "action" ou "liberté", "monde libéré de la nécessité", etc. nous enserrent à chaque détour de phrase comme des serpents. Cette pensée du "ceci est bien MAIS...". Le communiste s'exalte avec ses "mais" d'une dialectique inachevée. Mais mais mais... la mort. La vie la vie la vie MAIS.... l'objectif suprême, soit la mort de tout ça, de tout ce à quoi on avoue humblement être attaché, et que l'on condamne, l'Arcadie, la poésie, l'amour, etc... Tout cela, voyez-vous, parce que nous sommes communistes, nous conduit à prendre les armes, à établir l'enfer, qui par un jeu de boucles complexe, fera advenir, au terminus des luttes, l'Arcadie.

Les Communistes se tenaient chaud ainsi: en mélangeant tout: le paradisiaque amour de l'humanité et la chambre de torture. Ils se tenaient chaud dans ce mélange détonnant. Les Communistes furent les seuls (du reste furent-ils véritablement les seuls ? On peut penser que quelque gnose hérétique de l'entre-deux-ères, les Valentiniens peut-être ? y mordirent avant eux), furent les seuls pour qui l'enfer, celui dans lequel il convient de se vautrer et d'infliger à son prochain, soit le plus court chemin vers le paradis. Quelle curieuse hérésie. Les Khmers rouges et leurs killing fields, pourquoi ont-ils tué et torturé un tiers de la population du pays, ben pour aboutir à l'Arcadie tiens pardi!

Les communistes, Aragon en tête, avec Gramsci et Althusser et tous les autres, étaient bien tous aussi cons, et largement aussi dangereux que les islamistes djihadistes d'aujourd'hui. N'en déplaise à l'ami Jean-Marc, je ne crois pas qu'il y ait une ligne de plus à écrire sur la question.
25 novembre 2009, 09:22   Re : Cherchons le coupable
"Les communistes, Aragon en tête, avec Gramsci et Althusser et tous les autres, étaient bien tous aussi cons, et largement aussi dangereux que les islamistes djihadistes d'aujourd'hui. "
Là, je suis entièrement d'accord ! D'ailleurs je trouve que l'islam (isme) avec sa prétention de soumettre à sa loi la planète entière, pour son bien,y compris par la terreur, fonctionne comme a fonctionné le comunisme. D'ailleurs certains anciens communistes semblent fascinés par l'islam au point de s'y convertir.
25 novembre 2009, 09:37   Au final
Bien cher Francis,


Je suis d'accord avec vous, je voulais simplement dire à Obi que juger du comportement des communistes de l'époque avec nos critères était aussi vain que juger celui des anabaptistes de la révolte des paysans. Les termes comme "infect", qui supposent qu'on a des échelles de valeur communes (et non une sorte d'être supérieur qu'est le Parti et auquel tout doit être sacrifié, la fin et les moyens) ne me semblent pas appropriés. "Délirant" serait mieux.
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 10:53   Re : Au final
Reste que le communisme sera toujours comparable à l'altruiste mal chanceux qui tue ceux qu'il voulait secourir, alors que le nazisme sera toujours considéré comme un tueur en série. La conclusion qu'on en tire est que les crimes du nazisme étaient prévisibles, tandis que ceux du communisme ne l'étaient pas.
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 11:32   Starkline
C'est bien ça leur refrain, cher Zendji, le nazisme est intrinsèquement pervers alors que le communisme est une utopie qui a mal tourné. Le nombre de victimes est comparable mais certains bourreaux sont plus bourreaux que d'autres.
25 novembre 2009, 13:32   Différence d'échelle
Il y a une différence d'échelle dans le mal, que vous ne semblez par percevoir, et que Finkielkraut résume de façon très pertinente :

"D’autres massacres collectifs, d’autres crimes contre l’humanité que l’extermination des juifs ont été commis dans la seconde moitié du siècle. Ils n’en ont certes pas l’ampleur : seuls les nazis ont pris la décision inimaginable de faire disparaître un peuple de la terre. Mais ces actes n’en restent pas moins effroyables, et ils n’ont pas été jugés. Les crimes du communisme n’ont pas été jugés."
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 14:12   La vieille thèse de l'"unicité" du nazisme.
seuls les nazis ont pris la décision inimaginable de faire disparaître un peuple de la terre.

Le nazisme serait donc un phénomène "unique" ? - bein voyons, encore la fameuse thèse de l'"unicité du nazisme"... On notera que les mêmes qui s'indignent que l'on puisse comparer le communisme au nazisme, assimilent cependant eux-mêmes au nazisme toutes sortes d'idées qui leur déplaisent. Les mêmes (encore) qui affirment voir dans le nazisme un phénomène "unique" assurent le voir renaître tous les jours. On ne peut affirmer à la fois que le nazisme est "unique" et qu'il est potentiellement présent partout. Par définition, un événement "unique" ne saurait se reproduire. Si l'on estime qu'il peut se reproduire, alors il n'est pas "unique" !, enfin il me semble... (?)
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 14:16   Re : La vieille thèse de l'"unicité" du nazisme.
Il est vareuse.
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 14:25   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Citation
seuls les nazis ont pris la décision inimaginable de faire disparaître un peuple de la terre.
Pas de la Terre, de l'Europe.
Les communistes auraient fait, selon moi, presque pire, en exterminant qui bon leur semblait selon des citères si flous que tout le monde pouvait en être victimes : les koulaks en savent quelque chose qui ont été liquidés par millions. De plus ils ont ajouté l'imposture au crime en le camouflant sous de nobles sentiments.
Il me semble, cher Jean-Marc que vous faites dire à Alain Finkielkraut ce qu'il ne dit pas. Pour moi, il est un certain ordre du mal où aucune échelle n'a cours. Comment pouvez-vous affirmer « Il y a une différence d'échelle dans le mal » sans dire que le mal communiste est moindre que le mal nazi ? Ceci est absolument funeste. La gauche française, dans son acception la plus large, ne s'est jamais réellement guérie du marxisme et ne reconnait l'horreur communiste que contrainte et forcée, sans conviction profonde, sans y croire vraiment.
Si, je l'ai corrigé.
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 15:18   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Je n'ai rien à dire
Il me paraît assez vain de vouloir mesurer ces épouvantes sur une échelle de l'horreur : la famine organisée en Ukraine vaut-elle celle du ghetto de Varsovie ? Le massacre par étouffement au sac en plastique, une spécialité khmer rouge, vaut-elle les chambres à gaz ? Combien de mégamorts chez les uns et les autres ? On sent bien que cela n'a pas grand sens. C'est la seule objection que l'on puisse faire — s'il faut en faire une, ce qui n'est pas du tout certain — au constat selon lequel le processus d'extermination systématique d'une population à l'échelle d'un continent par des moyens industriels est un cas unique.

D'autre part, il est vain de nier qu'il existe, malgré l'extraordinaire symétrie des discours, des moyens mis en œuvre, des formes d'exercice du pouvoir et de l'horreur massive, une différence fondamentale entre le communisme et le nazisme : le premier est le naufrage psychotique et criminel de l'utopie de l'extrémisme universaliste et égalitariste, le second est le naufrage psychotique et criminel de l'utopie de l'extrémisme particulariste et raciste. Vous ne pourrez empêcher personne de penser qu'être universaliste et égalitariste est plus gentil et plus sympathique qu'être particulariste et raciste. Et alors ? C'est ainsi : les bonnes intentions, lorsqu'elles font fi du monde réel et de l'humanité réelle, mènent aussi sûrement en enfer que les moins bonnes.
Il est cependant une mesure "objective" de l'équivalence de ces deux horreurs: le nazisme et le communisme, et qui est que tous deux engendrent, obligent à, suscitent, portent en traine, diffusent par contre-coup, par effet retard, par désastre différé, le révisionnisme historique.

Vous me croirez si vous voulez mais ce révisionnisme qui doute de l'existence des chambres à gaz a son pendant ici, au Cambodge, chez les jeunes générations, les 18 à 30 ans, qui objectent à leurs aînés: mais enfin, pourquoi les Khmers Rouges auraient-ils voulu tuer des Cambodgiens par dizaines voire centaines de milliers ? Tout ça sent la propagande internationale, américaine, et que sais-je, à plein nez. Comment, vous les vieux, pouvez être aussi naïfs de croire à pareilles fariboles, etc...

On a beau leur montrer le camp S21 et les amoncellement de crânes: foutaise. Propagande. Méga-manip.

Ce parallèle donne la mesure d'une certaine équivalence dans ce qui faut bien nommer l'échelle de l'horreur.
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 16:47   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
D'accord avec M. Meyer. D'autre part il me semble que le trait dominant - qui n'a pas été souligné ici - , chez Lénine et ses successeurs, est une conception de la politique comme guerre civile. Si le nazisme combat sutout des ennemis extérieurs, pour le système communiste, l'ennemi est d'abord intérieur, c'est pourquoi ce système est voué à la purge permanente.
En 1937-38 le pouvoir soviétique en arrive à fixer des quotas aveugles d'individus à déporter... en clair, l'absence d'ennemis met en péril le système plus sûrement encore que leur présence. La politique communiste est une sorte de politique d'hostilité envers toute une société, laquelle est toujours conviée à se battre contre elle-même.
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 16:53   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Oui Francis, et ce qu'il leur faut, à vos Cambodgiens, c'est une bonne loi Gayssot !...
25 novembre 2009, 16:55   Ennemi extérieur
Les quotas les plus élevés des purges staliniennes furent ceux des étrangers qui avaient trouvé refuge en URSS (voir opus cité). Les autres quotas ne visaient pas spécialement les membres du parti, mais les "gens du passé".


Vous nous parlez des ennemis extérieurs du nazisme, de qui s'agit-il ?
25 novembre 2009, 16:57   Vietnam et Cambodge
N'est-il cependant pas exact, bien cher Francis, que le régime des Khmers rouges fut renversé par les Vietnamiens communistes, et que ce régime renversé resta cependant reconnu par les occidentaux, dont les Américains ?
"laquelle est toujours conviée à se battre contre elle-même"

En effet, de même que la société nazie est toujours conviée à se battre contre les autres, ceux de l'extérieur. L'inextinguible ennemi de classe, qu'il faut au besoin inventer, d'un côté, l'ennemi ethnique de l'autre : toute la similitude et toute la différence sont là.

Le parallèle de Francis, qui montre un autre point commun dans les conséquences, est très intéressant me semble-t-il.
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 17:05   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Vous nous parlez des ennemis extérieurs du nazisme, de qui s'agit-il ?


...
Pendant l'ère Khmers Rouges, les Vietnamiens se trouvaient envahis par des vagues ininterrompues de réfugiés cambodgiens, éléments du reste peu enclins à épouser les crédos du régime communiste d'Hanoï et donc de s'intégrer à une société vietnamienne de toute façon déjà malade de son communisme. Quand la barque fut pleine, en 1979, les Vietnamiens décidèrent d'envahir le Cambodge pour "chasser les Khmers Rouges vers la jungle", selon le mot de mon informateur cambodgien, et par là-même endiguer, espéraient-ils, le flot des réfugiés qui passaient la frontière. Ce fut donc une invasion militaire en réponse à une invasion civile. Un peu comme si nous avions eu en France un gouvernement qui, dans les années de la guerre civile espagnole puis plus tard dans l'ère franquiste, eût été suffisamment interventionniste ou simplement couillu pour envahir l'Espagne afin de mettre fin à l'afflux des réfugiés d'outre-Pyrénées. En d'autres termes, les considérations idéologiques ne pesèrent guère dans cette action des Vietnamiens: si Pol Pot avait pu "tenir ses réfugiés", Hanoï n'aurait jamais levé le petit doigt.
25 novembre 2009, 17:09   Mais l'occident ?
Mais pourquoi, bien cher Francis, les gouvernement d'occident s'obstinèrent-ils à reconnaître le seul gouvernement du Kampuchea en exil, sachant que c'était un assemblage de criminels ?
25 novembre 2009, 17:10   Nazis
Ils tuèrent aussi beaucoup de gens de gauche et de démocrates chrétiens...
25 novembre 2009, 17:20   Re : Mais l'occident ?
C'est une question complexe, cher Jean-Marc. Quelques pistes cependant: méconnaissance des réalités de terrain de la part des Occidentaux; les Etats-Unis, fâchés à mort avec le Viet-Nam depuis 1975, ayant pu raisonné comme les Américains raisonnent naturellement: les ennemis de mes ennemis sont mes amis. La France: par "amitiés" avec des francophones (Pol Pot l'était, comme vous savez) mais aussi, fortement manipulée par Sihanouk, véritable Janus de la politique internationale dans cette sous-région du monde.
25 novembre 2009, 17:21   Re : Nazis
Les premiers camps de concentration nazis (Dachau d'abord) étaient en effet destinés aux opposants, communistes, socialistes, démocrates-chrétiens. Mais, sauf exceptions, comme le dirigeant communiste Thälmann qui ne fut d'ailleurs exécuté qu'au moment de l'effondrement du régime et, bien sûr, ceux qui étaient également juifs, ces opposants n'étaient pas exécutés : l'idée était de les remettre sur le droit chemin par un mélange de dureté et de rééducation. la majorité des personnes enfermées au cours des premières années du régime furent au bout d'un certain temps libérées.
25 novembre 2009, 17:48   Topographie de la terreur
Bien cher Marcel, si vous vous rendez à Berlin, ne manquez pas la "Topographie de la terreur" (http://www.topographie.de/en/index.htm).


On y voit que bien des Allemands, qui n'étaient ni juifs, ni communistes, furent victimes des nazis.

Par ailleurs, vous pourrez constater que l'Allemagne catholique, qui fut réfractaire au nazisme, endura bien des persécutions (ironie du sort, Munich était la Mecque du nazisme...).
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 18:15   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Excusez mon silence, j'ai été soudainement très pris.
"En fait, tout un ensemble de gens intelligents avaient perdu leur bon sens. On a peine à croire cela maintenant". Et je me suis bien souvent demandé cher Jean Marc quelle aurait été mon attitude si j'avais été allemand en 1933. Mais aujourd'hui, rien n'a changé, il n'y a pas d'hier en la matière. Martine Aubry veut régulariser tout le monde, LE MONDE !
La discussion s'est vite portée sur l'embrigadement d'hommes intelligents dans des mouvements politiques. Ce qui m'intrigue, c'est ce qui se passe au niveau de l'individu lui-même, intelligent, cultivé et sensible, sans frustration dans l'expression, comme ce merveilleux poète. Qu'y a-t-il en lui qui l'amène à se réjouir du mal ?
J'appelle la Terreur du fond de mes poumons
Vive le Guépéou contre la famille

Séparer les membres d'une famille, dernière unité de résistance, puis enlever par la terreur ou l'idée de la terreur la conscience d'être un individu, le souhaiter au nom d'un progrès absolu, tout en admettant l'horreur passagère, nécessaire à la rééducation, à la renaissance d'une espèce humaine nouvelle et idéale. La douleur, les sentiments, les penchants, les amours, les enfants, les mères, les pères, les grands parents, les amis, les illusions, les convictions, les mémoires, les passions, les interrogations, l'art, tout cela est jugé ancien, perverti, irrécupérable. Ne pas comprendre qu'on fera le même homme, que l'homme, c'est l'homme !
Il y a une ligne qui est franchie. On quitte son humanité pour la jouissance du spectacle de la douleur sous prétexte de libération. Bret Easton Ellis dans American Psycho plonge dans le gore. Qui se régale du spectacle de l'abjection qui fait le roman : des jeunes filles, des intellectuels. Où est la limite, qu'est-ce qui fait que la conscience n'émet plus son signal, que le jugement s'altère, que le dégoût s'oublie, même et peut-être surtout chez de pareils gens ?
25 novembre 2009, 18:20   Séparer les familles
Ce fut aussi une des idées majeures des nazis, enlever les enfants du cercle familial, les mettre sous influence.
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 18:23   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
25 novembre 2009, 19:37   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Les nôtres le sont beaucoup plus. Les méthodes de la propagande d'alors étaient rudimentaires et publiquement assumées. Elles ont eu le temps de se perfectionner pour devenir plus insidieuses. Goebbels aurait beaucoup à apprendre de nos contemporains.
Utilisateur anonyme
26 novembre 2009, 00:23   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
On y voit que bien des Allemands, qui n'étaient ni juifs, ni communistes, furent victimes des nazis.



Rappel : les historiens s'accordent pour dire que 8 millions d'Allemands sont morts pendant cette guerre, et 20 millions de Russes. Mais on ne parle jamais de ces morts-là, on ne se souvient pas de leurs souffrances, ce sont des morts oubliés.
On ne peut qu'approuver le résumé de la question donné ici par Marcel Meyer. J'y ajouterais cependant ceci: le mal particulariste et le mal universel ne sont pas seulement en opposition sur l'axe du sympa/pas sympa; le mal particulariste est porteur de limites ontologiques: on pouvait difficilement être juif et nazi, Guinéen et nazi, Chinois et nazi du fait même du particularisme racial; tandis que communiste, on pouvait l'être Guinéen, Cambodgien, comme Allemand ou Russe. Cette différence qualitative (particuliariste/universaliste) s'est naturellement traduite par une différence sur l'échelle quantitative: l'horreur nazi d'ampleur continentale n'a pas duré plus de 12 années; tandis que l'horreur communiste d'ampleur trans-continentale a duré au bas mot soixante-quinze années, et dans certaines de ses manifestations morales, dure encore. Ainsi le Cambodge actuel, officiellement une démocratie, reste gouverné par un ex-mignon des Khmers Rouges (Hun Sen), avec à la timonerie un parti unique (le Parti du peuple cambodgien) qui fait ressembler ce pays à ce qu'était la DDR dans les années 70: pas de massacre de masse, certes, mais une oligarchie corrompue, une économie immobilisée, sous perfusion internationale, et partout, des murs qui ont des oreilles...
Je précise, car toujours anxieux d'être mal interprété ou mal entendu: ces formes parentes de dénégation des faits ou de l'échelle de leur accomplissement fournissent un indice objectif de la commune ampleur de des événements source.
26 novembre 2009, 02:51   Re : Mais l'occident ?
Je crois que la réponse à cette question, cher Jean-Marc, serait au fond la même que celle qui peut être apportée à la question: pourquoi les Américains se sont-ils obstiné à soutenir les Moudjahidines du peuple en Afghanistan dans le conflit qui opposait ce pays à l'Urss ? La doctrine américaine, mécaniste, Kissingerienne, immuable, le blanket reasoning de la diplomatie américaine, y répond d'un trait: les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Les Américains, chefs de file de l'Occident, donc, se reconnaissaient à cette époque un ennemi principal, l'URSS, elle-même alliée d'Hanoï; et c'est ainsi que l'équation ci-dessus fut mise en place et que l'on soutint les bouchers cambodgiens.
Considérez cependant, cher Zendji, que la carbonisation programmée des Stücke-matricules émeuve davantage que les clairvoyantes victimes sectatrices de l'édification d'un Reich millénaire, sous les décombres duquel elles furent ensevelies après une petite douzaine d'années.
26 novembre 2009, 09:24   Décombres
Bien cher Alain,


Cela me fait penser au sinistre Roland Freisler, président du Tribunal du peuple (et qui donc pourchassait des Allemands non juifs, les autres n'avaient pas droit à un procès).

Cette bête féroce (pourquoi bête : parce qu'il aboyait contre ses victimes) fut fort heureusement écrasée par une colonne du Palais de justice de Berlin, alors que cette canaille était remontée trop tôt de la cave pour peaufiner un dossier de mort.
26 novembre 2009, 09:26   La chute
Par ailleurs, bien cher Zendji, il ne faut pas oublier que le nazisme fut mis hors d'état de nuire par les bombes alliées, les soldats de tous pays et les chars russes.

Le stalinisme fut détruit par l'intérieur, Khrouchtchev n'était pas un agent de la CIA et Beria fut exécuté sans que le moindre TPI ne s'en mêle.

Cela fait à mon sens une sacrée différence.
Utilisateur anonyme
26 novembre 2009, 09:40   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Oui bien sûr, cher Alain, mais il faut être aveugle pour ne pas se rendre compte que l'horreur nazie portée à des sommets métaphysiques sert de référent permanent et de justification ultime au système d'abrutissement idéologique mis en place par les "vainqueurs". En pratique, la mise en spectacle de l'horreur absolue a pour résultat, sinon pour fonction, de banaliser toutes les horreurs concrètes (remplacement obligatoire d'un peuple par un ou par d'autres peuples, par exemple) auxquelles on peut être confronté. Une solution simple se présente, et c'est depuis des décennies la seule solution : Hitler, le nazisme, etait le monstre absolu, le monstre en soi.
Utilisateur anonyme
26 novembre 2009, 09:47   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
le mal particulariste est porteur de limites ontologiques: on pouvait difficilement être juif et nazi, Guinéen et nazi, Chinois et nazi du fait même du particularisme racial; tandis que communiste, on pouvait l'être Guinéen, Cambodgien, comme Allemand ou Russe. Cette différence qualitative (particuliariste/universaliste) s'est naturellement traduite par une différence sur l'échelle quantitative:

Superbement résumé !
Utilisateur anonyme
26 novembre 2009, 10:25   Re : Le genre de victime que n'aiment pas les médias.
Ô rage, ô désespoir...

J'arrive où je suis étranger

Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
O mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
A l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
» Cette bête féroce (pourquoi bête : parce qu'il aboyait contre ses victimes) fut fort heureusement écrasée par une colonne du Palais de justice de Berlin, alors que cette canaille était remontée trop tôt de la cave pour peaufiner un dossier de mort.

Voilà une délicieuse anecdote, cher Jean-Marc.
Au fait, j'ai vu la semaine dernière le dernier film de Quentin Tarentino, Inglorious basterds, qui a choisi, à titre personnel et purement cinématographique, de réunir tous les caciques du régime nazi, y compris Hitler et son plus proche entourage, dans une salle de cinéma, de les y boucler et d'y mettre le feu, en arrosant le tout de rafales de mitraillette soutenues.
On peut penser ce qu'on veut de Tarentino, mais la scène, sorte de satisfaction de l'enfantin et primesautier caprice de vouloir tous se les faire, est assez jouissive...
26 novembre 2009, 22:31   Hameln, le 13 décembre
Bien cher Alain,

Une autre anecdote.


Je ne sais si vous avez entendu parler d'Albert Pierrepoint, qui fut bourreau du Royaume-Uni, succédant à son père et à son oncle.

Il refusa, tant qu'il était en activité, toute interview et tout cadeau. Il fit cependant, pour les cadeaux, une exception.

Le 13 décembre 1946, il reçut une enveloppe avec un billet de cinq livres et une page avec le seul mot "Belsen". Il en reçut de même les années suivantes, sans mot. Un beau jour, elles cessèrent d'arriver, l'expéditeur étant probablement mort.

Pierrepoint était, dans le civil, tenancier de pub. Il offrit à ses amis une tournée avec les cinq livres.

Pourquoi Belsen et pourquoi le 13 décembre ? parce que le vendredi 13 décembre 1945 Pierrepoint pendit à Hameln Josef Kramer ("La Bête de Belsen") et douze co-accusés, dont Irma Grese à qui il plaisait de déchiqueter les femmes juives à coups de fouet.

Kramer et Grese moururent courageusement, en vraies bêtes féroces. Kramer tint à discuter avec Pierrepoint, honoré qu'on ait déplacé pour lui le bourreau de Londres et non désigné un quelconque militaire, et se montra fort satisfait quand, à sa question sur le nombre de personnes auxquelles il avait passé la corde au cou, Pierrepoint lui répondit avec flegme : "Plusieurs centaines".
Grese ne se repentit jamais et dit à Pierrepoint le seul mot : "Schnell !". Ses voeux furent exaucés car entre l'instant où Pierrepoint lui lia les poignets et l'instant où sa nuque se brisa seules quarante-cinq secondes s'écoulèrent.
Il n'est pas sept heures du matin, la nuit pâlit mais les étoiles sont encore visibles, il fait frais mais ne gèle pas, la journée va être belle. Je vous lis, cher Jean-marc et vous rétablissez les équilibres.
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