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Algériens, si vous saviez ...

Envoyé par Gérard Rogemi 
21 février 2010, 08:57   Algériens, si vous saviez ...
Je vous propose de lire un extrait d'un article paru en 2003 dans le numéro 62 de la défunte revue PANORAMIQUE de Guy Hennebelle. L'auteur de ce texte est Pierre Maillot, pied-noir de gauche favorable à l'indépendance.


[...] Il est temps, quarante ans après, de porter en terre avec dignité les haines, les horreurs réciproques, les malheurs que cette guerre coûta des deux côtés. Enterrons-les ensemble avec nos morts.
Quant au fait colonial, son procès a été instruit depuis longtemps, et jugé. Sa condamnation répétée est maintenant universellement connue. La colonisation avait aussi trouvé, dès ses débuts, de nombreux opposants en France même. Tout ce qu'elle a engendré comme injustices, dégradations, malheurs, en Algérie ou ailleurs, a été dit, écrit, répandu, enseigné dans nos écoles et nos universités depuis longtemps. La leçon de Memmi est passée dans les esprits et dans les mœurs. L'anticolonialisme et l'antiracisme de la jeunesse française, dont au printemps 2002 le monde a reçu une nouvelle preuve, en témoigne. Et si des points obscurs restent encore à découvrir et dénoncer, nous pouvons faire confiance aux historiens pour les rappeler, et C.R. Ageron s'y emploie encore activement. Mais après quarante années, il faut aussi savoir mettre un terme aux culpabilités ressassées, aux ressentiments cultivés, car sans mutuel pardon, pas d'avenir. Le passé est fait pour être dépassé, sinon il n'y a plus présent ni avenir.

Et puis aussi la colonisation a été autre chose que ce qu'on lui reproche d'une façon récurrente. Indépendamment du fait que l'histoire de toute l'humanité peut être vue comme l'histoire de colonisations mutuelles , et successives, il faut constater que les peuples protégés par la géographie de toutes les conquêtes, invasions, colonisations, dominations, sont aussi les peuples qui sont les plus primitifs et les plus vulnérables, ceux aussi qui ont le moins participé à l'aventure collective de l'humanité. Pendant des millénaires ils sont restés au même stade de développement et étrangers à l'histoire du monde : Indiens d'Amazonie, Aborigènes d'Australie, Africains de la brousse, Inuit du Grand Nord. Et il faut être un rousseauiste particulièrement obstiné et ignorant de tout pour croire que ce fut pour leur plus grand bonheur.

Cinquante ans après le portrait décisif d'Albert Memmi, il est temps de réviser notre vision de la colonisation.

La revalorisation de la colonisation... Je l'ai rencontrée quelque temps après l'indépendance, au cours d'une rencontre avec un ancien copain de la résidence universitaire à Paris, devenu sous-directeur de ministère. Il m'avait reçu dans son bureau du G.G. Après les congratulations, il m'avait demandé avec un sérieux que je crus joué, si je pouvais nommer le plus grand des bienfaits légués par la colonisation à l'Algérie nouvelle.
Bienfaits ? Bienfaits de la colonisation ? J'étais resté sans voix. Comme il me poussait encore, j'avais tenté :
- Les voies de communication ? Non, pas les voies de communication.
- Les écoles ?
Non plus. Ni les hôpitaux, ni les routes, ni les ports, ni les mines, ni le pétrole du Sahara, ni l'état sanitaire de la population, ni les assèchements des marais. Non, non et non. Et je voyais bien qu'il ne riait pas.
- Il y a mieux que toutes ces choses matérielles, une chose qui les contient et les permet.
Je ne voyais décidément pas.
- L'administration, dit-il en levant les bras ! As-tu jamais pensé à la somme de réflexion, au savoir, à l'intelligence, à l'expérience politique qui est contenue, par exemple, dans un organigramme de ministère ? L'administration est le plus grand legs de la colonisation.

Les bienfaits de la colonisation on les avait entendus chantés par la bouche des colonialistes. Qui pouvait les croire ? Puisqu'on disait qu'ils en avaient profité seuls. Pour la première fois j'entendais un Algérien, un responsable algérien, tenir les mêmes propos. On pouvait donc ne pas réduire la colonisation à ses crimes. La colonisation avait eu aussi un aspect positif, un aspect majeur : l'organisation de l'État. L'administration de l'État, pour un pays neuf, quel héritage ! Imagine- t-on ce qu'une société moderne exige comme structures d'État pour véhiculer à travers le corps social l'ensemble des informations nécessaires à son bon fonctionnement ? Mais l'administration implique, en amont dans la hiérarchie des structures, ce qu'elle est chargée de régler, appliquer, mettre en œuvre, c'est-à-dire un Code, un Droit, des textes, des lois, bref un État moderne ; et aussi, en aval, des services publics, des institutions, des hommes et des femmes pour les faire fonctionner. L'Algérie avait effectivement hérité un État qui l'ouvrait à la modernité, c'est-à-dire à la rationalité du droit et des règles écrites contre le droit coutumier, à la démocratie contre l'arbitraire autocratique, comme elle s'était ouverte également à l'idée de Nation, apprise du colonisateur, et condition préalable à toute autre dans le chemin vers l'indépendance. L'Algérie était devenue une nation. Son peuple pourrait enfin prendre sa place, faire entendre sa musique dans « le concert des nations » comme il est joliment dit. La colonisation avait permis cela.

Le jeune pays n'avait pas trouvé seulement des institutions d'État. La présence française avait équipé le pays en infrastructures de toutes sortes : moyens de communication, développement agricole, industriel, institutions médicales, pédagogiques, etc. Le pays que quittait un million de Français d'Algérie, après cent trente ans de présence, avait un visage très différent de celui qu'ils avaient découvert à leur arrivée. La population algérienne était passée de trois à dix millions, et si elle avait fait l'expérience douloureuse de la soumission coloniale, elle venait aussi de recevoir un pays transformé, enrichi, modernisé, équipé et qui était son meilleur atout pour sortir des archaismes qui sont les causes de son malheur présent, comme de ses malheurs passés.[...]
21 février 2010, 09:44   Re : Algériens, si vous saviez ...
Certes, mais enfin la bureaucratie règne et le régime me semble davantage une copie du système soviétique au profit d'une nomenklatura, qu'une adaptation de l'administration coloniale.
Mais ostinato ce dialogue a eu lieu juste après l'indépendance. Entre-temps pas mal d'eau a coulé sous les ponts.
21 février 2010, 11:01   Re : Algériens, si vous saviez ...
Dans le passage en caractères gras j'ai relevé l' aventure collective de l'humanité: c'est l'aune de nos jugements. La mondialisation a oublié cela, elle développe le repli sur soi et le ressentiment. Dans le très bel article que nous propose Rogemi je vois, en filigrane, cet altruisme qui différencie les dominateurs des civilisateurs, civilisateurs à l'aune universelle de l'aventure collective. On se souvient qu'à l'époque de la guerre d'Algérie la pensée d'un Teilhard de Chardin connut, par la hardiesse de sa vision, une remarquable notoriété.
21 février 2010, 11:20   Re : Algériens, si vous saviez ...
Rogemi, vous avez raison.
Je vous propose de lire cet article de Guy Hennebelle, paru dans la revue Panoramique.Je trouve significatif qu'il n'ait pas trouvé d'amis algériens pour cosigner cet excellent article.


Chers compatriotes ou hôtes francais

Autocritique arabo-musulmane

Cette tribune n’a pas trouvé preneur dans la presse française ni de cosignataires algériens. Et pourtant...

Déstabilisés, terrifiés, pétrifiés par le succès électoral de Le Pen au premier tour de la présidentielle française, les meilleurs, ou les moins défavorisés, d'entre vous battent la campagne, le pavé ou leur coulpe pour dénoncer le péril fasciste.

Et proclamer votre solidarité, afficher votre fraternité envers nous les Néo-Français avec qui vous n'avez jamais rechigné, dans l'Hexagone, sinon dans vos ex-colonies, à partager votre bienfaitrice nationalité qui nous permet de bénéficier de la liberté de vos institutions démocratiques et de l'élévation de votre niveau de vie.

Qui nous permet aussi, quand nous sommes musulmans croyants, d'envisager, enfin,
une ijtihadisation c'est-à-dire un aggiornamento, de la conception archaïque de l'islam qui nous étouffe depuis dix siècles au moins, qui opprime nos compagnes et qui a dégénéré dans nombre de pays « musulmans » en d'affreuses dérives islamistes. Et quand nous ne sommes plus croyants de nous déclarer agnostiques sans risquer notre vie. Qui nous permet encore de conclure ou vivre sans entraves tous les mariages mixtes que nous souhaitons, dans les deux sens, sans les interdictions qui écrasent sans aucune exception tous les peuples qui ont le malheur de vivre dans des pays dits musulmans de l'Atlantique à l'Indonésie.

Même quand nous avons choisi de ne pas solliciter, pour l'heure, la nationalité française, pour l'essentiel, et malgré quelques discriminations moins importantes que votre gauche caviar se complaît, avec un paternalisme qui, au fond de notre cœur, nous insupporte plus que nous ne vous le disons à voix haute, vous ayez le bon goût de nous permettre de bénéficier de l'égalité des salaires, de l'enseignement, des prestations sociales, familiales, hospitalières, scolaires et autres. Seules certaines professions, dont le statut de fonctionnaires, nous sont fermées par la préférence nationale (largesse de vues qui n'est pas de mise dans certains autres pays européens, on ne vous le dit pas assez).

Feu le président Bourguiba avait bien raison quand il s'étonnait que tout en dénonçant le « racisme » français, tant de Tunisiens choisissent de « voter avec leurs pieds » pour la France verbalement et tactiquement honnie. Et le président Chirac était tout récemment encore accueilli avec chaleur à Bab-el-Oued (où, malgré toutes les avanies que la nomen-Matura algérienne corrompue vous a fait subir depuis l'indépendance qu'elle a usurpée pour ruiner un si beau pays que vous aviez, malgré tout, doté de si belles infrastructures, il était venu apporter la solidarité de la France face au déluge de la boue). Et avec quelle revendication, je vous le demande ? « Chirac, des visas ! » Est-ce pour cela, glorieux chouhada (martyrs) de la lutte de « libération » algérienne que vous vous êtes battus ?

Certes, vous n'êtes pas parfaits. Certes, vous n'êtes pas des anges de vertu égalitaire absolue. Certes, il existe en douce France des individus moins recommandables que la majorité d'entre vous. Certes, on peut détecter ici ou là des comportements condamnables, certaines discriminations, parfois, à l'embauche ou au logement... ou à l'entrée dans certaines boîtes de nuit... Mais nous admirons le fait que plusieurs de vos organisations antiracistes sont carrément présidées par des Français d'origine maghrébine.

Il est vrai que nous n'occupons pas encore une visibilité suffisante (mais c'est aussi du fait, parfois, de notre insuffisance de dynamisme et de notre tendance à jouer les saules-pleureurs) dans les cercles les plus élevés de la hiérarchie sociale, dans la presse écrite (qui pourtant vous donne volontiers des leçons... mais de plus en plus nombreux sont les noms à consonance arabe dans les génériques télévisés). Il est vrai que depuis Mademoiselle Nefissa Sid Cara, sous de Gaulle, nous n'avons jamais eu de ministre dans un gouvernement. Il est vrai que nous n'avons eu que quelques députés d'origine arabe au Parlement européen à Strasbourg : le premier, le bachagha Djebour, sous l'égide du Front National (sic), la seconde, Djida Tazdaït, sous l'égide des Verts, et le troisième, Sami Naïr, sous l'égide du MDC de Chevènement. D'autres encore, notamment des femmes. Mais voici Tokia Saïfi, secrétaire d'État au développement durable dans le gouvernement Raffarin et Hamlaoui Mekachera aux Anciens combattants (ce qui ne manque pas de sel...). Rappelons que sous la IVe république, le président du Sénat, Gaston Monnerville, était noir et que Kofi Yamgnane, d'origine togolaise, a été ministre socialiste, tandis que des Antillais, Bambuck ou Cheveau-Levry, ont aussi obtenu des portefeuilles ministériels. Nous en oublions peut-être.

Mais, ne le répétez pas, nous rions souvent sous cape au spectacle de votre propension, abusivement chrétienne, à l'autoculpabilisation masochiste. Il arrive à nombre d'entre nous de nous jouer de ce gros défaut national, dérive d'une trop débonnaire bonhomie.

Nous savons bien que ce n'est pas par charité mais par utilitarisme que le patronat a déraciné, dès après la première guerre mondiale mais davantage encore après la seconde, certains de nos grands-pères ou arrière-grands-pères qu'ils ont d'abord confinés dans des bidonvilles assez infâmes et encore maintenant, parfois, dans des « foyers » ethniques relativement indignes.

Nous n'oublions pas non plus que c'est malgré l'ordre de de Gaulle que certains militaires ont pris sur eux de transférer en France une minorité des « harkis » pour leur permettre d'échapper aux infâmes représailles des « marsiens » du FLN qui rappellent les « résistantialistes du 32 août » que vous avez connus à la Libération du nazisme. Nous n'ignorons pas qu'une partie a été enfermée dans des camps et dans une condition peu propice à leur assimilation à la nation française qu'ils avaient revendiquée au prix de leur sang par conviction ou par suite de circonstances aléatoires.

Nous pourrions encore brunir ou noircir le tableau pour être dans le ton des « grands-Blancs » de votre risible et hypocrite gauche caviar qui s'acharne à stigmatiser une France uniformément moisie, passé le périmètre du Quartier latin ou les quadrilatères du xvi, v, vi, ou viip arrondissements de Paris.
Il y a beaucoup à dire sur la structure architecturale des quartiers ou de banlieues que l'on a pu qualifier de relégation. Il y a beaucoup à redire sur la persistance de « grumeaux ethniques » qui sont dus autant à un laisser-aller gouvernemental qu'à un tribalisme endogène propice aux faux leaders barbus et aux vrais dealers cossus.
Il reste, il reste, il reste...

Il reste, chers et affectionnés compatriotes, qu'au total nous nous sentons bien en douce France où l'on vit infiniment moins mal que dans tous les pays arabes, que dans tous les pays musulmans, que presque tous les pays du dit tiers monde et même de bien des ailleurs moins, mal ou sous-développés.

Tous comptes faits, nous avons décidé, au risque de nous faire médiatiquement lyncher par les maîtres censeurs qui gouvernent la bien-pensance en ce pays de cocagne, de vous dire de grand cœur « merci ». Merci pour les valeurs de Voltaire et de Diderot que vous nous avez enseignées à l'école laïque et obligatoire. Merci pour la liberté religieuse et philosophique que vous nous permettez de vivre ici. Merci pour le niveau de vie dont vous nous faites bénéficier, même s'il est vrai que nous avons contribué pour une part indéterminée à le coédifier avec vous, fût-ce, redisons-le par équité dans la boue des bidonvilles. Merci de nous ouvrir si largement et sans réciprocité (cent à cent cinquante mille par an) les portes de votre nationalité. Merci de nous donner droit à toutes les prestations sociales et autres comme si nos ancêtres avaient été des Gaulois.

Et pardon.
Oui pardon de nous montrer parfois si ingrats et si arrogants.

Pardon pour toutes ces « incivilités », ces insultes, ces « Nique ta mère », ce machisme, ce racisme à l'envers ou à l'endroit, à l'égard des « Gaulois » d'aujourd'hui que certains de ceux de notre origine que vous appelez trop pudiquement des «jeunes» alors qu'on ne devrait les désigner que comme des voyous et des délinquants, pratiquent allègrement en profitant de votre coupable indulgence.

Pardon pour une majorité des quinze mille voitures incendiées chaque année, dont les coupables sont rarement arrêtés, s'ils sont identifiés. Phénomène qu'on ne rencontre, dit-on, dans aucun autre pays européen.
Pardon pour toutes ces raisons d'avoir contribué puissamment à propulser Le Pen, pour notre honte à tous, au second tour des élections présidentielles. Au-delà des dispersions, regrettables ou non, du premier tour.
Pardon de n'avoir pas su, à votre exemple, nous livrer, nous aussi, à une indispensable autoremise en question face à des tares culturelles ou religieuses qui sont propres à notre héritage archaïque et qui « plombent » plus sûrement notre ascension sociale que votre supposé << racisme » vichyste et endémique.

Pardon, même s'il y a beaucoup à dire sur le communautarisme juif et l'oppression des Palestiniens par la forme actuelle du sionisme, pour ces dizaines de synagogues dégradées et ces frères juifs menacés. Pardon pour notre judéophobie ataviquement coranique.

Face au péril qui nous menace tous, quelles que soient notre origine, notre couleur, nos convictions, nos situations socio-professionnelles, nous vous proposons de définir et conclure tous ensemble un nouveau pacte sur les principes d'une République laïque et fraternelle, multiraciale mais non point pluri-com-munautariste.

Et examiner de le prolonger dans deux directions : celle de l'Europe qui gagnerait à assimiler vos valeurs assimilationnistes et celle du Sud maghrébin et africain où les populations s'enfoncent dans une décrépitude de plus en plus tragique et à très court terme déstabilisatrice.

Vive la République de 1789 et de 1848 et merci la France.

(Fin du rêve, fin de cette fiction...)

Halim CHERGUI
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