Vue de France, la situation de "l'Italie" est simple : c'est opéra bouffe, comédie à l'italienne, mélange de burlesque et de dérision, macaronis contre gelatti, pizzaiolos contre joueurs de mandoline, etc. Dimanche, lors de l'émission "Esprit public" (France Culture), Max Gallo a essayé de redresser cette vision manichéenne. En vain, semble-t-il.
Jamais en cinquante ans, de 1945 à 1990, un pays n'a autant changé, et en profondeur, que l'Italie : fin de la paysannerie, industrialisation, découverte de gisements de méthane, fin de l'émigration massive, fin de l'explosion de la population, déchristianisation, développement de l'immigration, etc. Or, en 50 ans, les résultats électoraux n'ont guère changé. A la fin des années 1980, la démocratie chrétienne obtenait régulièrement entre 30 et 35 % des suffrages, le PCI aux alentours de 30 %, les socialistes et leurs alliés républicains, de 20 à 25 %. On aurait pu s'attendre logiquement à ce que l'opinion évolue de le même sens que la société : rien de tel ne s'est produit. Comment l'expliquer ? Par le conservatisme ? La réalité prouvait que les Italiens ne sont pas plus conservateurs que les Français, puisqu'ils ont jeté aux orties les modèles anciens.
La seule explication qui vaille est la "lottizzatione" (orthographe ?) : le nantissement ou le partage effectif de l'Etat entre les trois grandes forces et cela dès 1945, ce qui a donné le "pacte" italien ou le pacte républicain. Tout a été partagé en trois parts égales : la télévision publique, les postes de responsabilités, les chaires dans les Universités, les services publics, les crédits, les subventions, etc. Autrement dit, si la situation politique n'a pas évolué, c'est que chacune de ces forces s'est constitué une clientèle électorale et a mené, par la corruption, une politique clientéliste ("mafieuse", diront les mauvais esprits). Bologne, la ville d'Europe où l'on voyait, de novembre à mars, le plus de manteaux de vison au mètre carré et dans tous les milieux, était dirigée par une junta communiste, qui tenait la ville, parce qu'elle "tenait" la moitié des électeurs.
Cette situation a éclaté au tout début des années 1990, sous l'impulsion de Berlusconi et de tous ces entrepreneurs qui ont fait l'Italie nouvelle et moderne et qui, sans cesse, devaient passer sous les fourches caudines des trois forces politiques (en bref, on les faisait cracher au bassinet). Quand Berlusconi est devenu assez puissant, il a dit : "non", et il a fait exploser le système. De fait, en Italie, a commencé à apparaître le système majoritaire : deux camps qui s'affrontent et se succèdent au pouvoir, à l'échéance prévue. C'est, objectivement, plus sain, d'un point de vue démocratique, que des gouvernements fondés sur des compromissions ou des alliances contre nature (les ennemis de mes ennemis sont mes alliés), même si c'est fort loin de l'idéal démocratique. Ainsi Berlusconi a pu gouverner à deux reprises pendant cinq ans et il va gouverner encore pendant cinq ans pour appliquer le programme qu'il a exposé à ses électeurs et que les électeurs ont avalisé. Il a tenu un discours en partie churchilien, et promis aux électeurs, ce que Sarkozy n'a pas eu le courage de promettre, mais ce qu'il va être obligé de faire, de la sueur et des larmes
Personnellement, si j'étais progressiste en diable, je soutiendrai ce qui se passe en Italie depuis 15 ans, ce que font d'ailleurs, mais sans le crier sur les toits, de nombreux progressistes de l'Université italienne.