Brasillach était en son temps un ami du désastre, à ceci près qu'il s'est trompé de désastre, ou que son désastre a perdu la guerre. Il ne me semble pas différer
en essence des Eluard, Aragon et compagnie, dont le désastre favori a gagné, et qui ne pleuraient pas plus que lui sur les "victimes du progrès" et les oeufs que l'on casse. Aujourd'hui, son nom a acquis des fonctions politico-poétiques qui nous éloignent un peu de ce qu'il était vraiment comme écrivain et helléniste. C'est le problème avec les auteurs engagés : leur engagement repousse parfois d'un bon siècle le jugement serein sur la valeur de ce qu'ils ont écrit, à cause des passions provisoires (mais parfois prolongées outre mesure) que leur nom déchaîne. Un siècle et parfois plus : Voltaire, Victor Hugo, Claudel, dans le milieu enseignant, servent à distinguer ceux qui pensent bien des autres, indépendamment de ce qu'ils ont écrit. Les listes de petits classiques scolaires sont intéressantes à analyser car elles donnent une idée assez claire de la réception de ces auteurs. Je ne vivrai pas assez longtemps pour entendre lire Eluard et Brasillach comme on lit les vers polémiques de Ronsard contre Théodore de Bèze ou Agrippa d'Aubigné, en goûtant les beautés des
Discours sur les misères de ce temps ou des
Tragiques. Sur le sujet de l'antisémitisme littéraire, je pourrais raconter mille anecdotes savoureuses de salle des profs ou de classe : telle élève venant me voir, les larmes aux yeux, parce que nous allions étudier des extraits du
Voyage au bout de la nuit ... Ou telle "camarade syndiquée" à qui je parlais du choc que j'avais ressenti à la lecture de certains articles fielleux du
Dictionnaire Philosophique, et qui me répondait: "Ah oui mais, ce n'est pas pareil..." La même qui, ayant lu
Corbeaux, avait prononcé sur l'antisémitisme supposé de l'auteur: "Rien n'est dit, mais tout y est."
A propos des formules comme
obsession, avoir un problème avec (l'immigration), que je relève sur ce fil, on peut certes décrire la situation collective en termes de psychologie individuelle : refoulement, dénégation, catharsis, libération de la parole, etc... On ne le fait que trop dans les médias et chez les demi-habiles, qui ont imaginé d'utiliser la psychiatrique
phobie pour désigner les opinions qui les ennuient (islamophobie, judéophobie, etc). On y abuse d'un lexique sentimental bébé, plein de mamans, de gamins, de pleurnicheries et de gros mots savants. Prose de psychologue scolaire. Le manque de statistiques et d'études facilement accessibles, l'espèce de tabou et de sceau du silence religieux appliqués par les médias sur la question, peuvent attirer les blasphémateurs compulsifs, certains libertaires véritables, les provocateurs. C'est un des malheurs de notre pays : il est impossible d'
en parler, sans passer pour fou ou méchant. M. Le Pen a finement analysé ces mécanismes et sait en jouer, ce qui bloque le système verbal et idéologique, entrave donc toute politique.