Au fait, cher Jean-Marc, vous me demandâtes naguère d'expliciter ce passage de Nietzsche :
«
Le vautour parle seul et raconte : je suis le vautour de Prométhée et, par le plus étrange concours de circonstances, je suis libre depuis hier. Lorsque Zeus me donna l’ordre de dévorer le foie de Prométhée, il voulait m’éloigner parce qu’il était jaloux à cause de Ganymède. »
Eh bien, je dois dire que je ne vois toujours pas très bien où il veut en venir : le vautour peut signifier, entre autre, deux choses chez Nietzsche : il est d'une part cette vérité lancinante dévorant le foie de Prométhée (mauvaise conscience ?), que la civilisation et la culture ont pour corollaire inéluctable l'asservissement de la masse des faibles par les forts, autrement dit l'affirmation de l'esclavage nécessaire. La libération de Prométhée annoncerait alors l'ère d'
innocente cruauté, retrouvée ou advenue (mais que vient faire là Ganymède (d'autant qu'il semble y avoir confusion entre le vautour et l'aigle, car si Prométhée eut le foie dévoré par l'aigle, le ravisseur de Ganymède n'est autre que Zeus lui-même, en la personne de l'aigle, ce qui voudrait dire que ce vautour dévoreur de foie soit un Zeus schizophrène (on s'y perd) ?) ?).
Au reste, dans
La Naissance de la tragédie, me semble-t-il, Prométhée n'est libéré du vautour le rongeant, en tant qu'artiste dionysien voué à la perte par démesure et passion, que par la musique, puissance ondoyante de métamorphose et de renouvellement. Si le vautour est rappelé et Prométhée s'en trouve libéré, c'est à en croire cette citation que Zeux a cessé d'être jaloux, et donc de vouloir séparer le vautour de Ganymède, ce qui de fait aurait pour conséquence de rendre à nouveau possible les retrouvailles de Prométhée-Dyonisos et de Ganymède-Apollon, scellant par la musique leur union dans la Forme ?
Peut-être quelque spécialiste de Nietzsche pourra-t-il nous éclairer davantage...