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L'agitation

Envoyé par Alain Eytan 
12 mars 2010, 22:26   L'agitation
« Tous les gens que j'ai vus travailler m'ont gêné. Sinon les simples artisans. Je ne sais quelle malheureuse notion de choix, de foi, de vocation ils mêlent à leur long martyre, de conscience professionnelle et autres âneries du même tonneau, qui ne font que remplacer avantageusement ce qui leur manque. L'essentiel. La paresse est sans doute la plus difficile, la plus fatigante façon d'être qui soit. Et l'état privilégié par excellence. Mais impossible à vouloir. On ne veut pas être paresseux. Il ne suffit pas de dormir, de se coucher sur le sable, d'attendre comme éternellement la mort. C'est tout le contraire. L'état nerveux par excellence ; mais incapacité d'épouser quoi que ce soit, de se faire aider, d'entrer dans un engrenage connu. »

Georges Perros, Papiers collés
13 mars 2010, 00:56   Re : L'agitation
L'abrutissement dans le travail, mené à toute force, est une forme d'auto-punition certes, de fuite devant cet essentiel que l'on n'a que trop compris; mais ce que ne dit pas Perros, et qui n'est pas moins terrible, est que la paresse et l'indolence ne le sont pas moins! Le paresseux s'autopunit lui aussi. Certains, qui pratiquent la paresse avec art, parviennent à s'autopunir sans en concevoir de gêne ou de culpabilité, mais c'est là que s'arrête leur distinction dans l'autopunition. Je me repose d'un travail dans un autre disait Cocteau, qui ainsi se reposait peut-être de l'essentiel et de ses assauts, qui sait; cependant que le paresseux qui fuit le travail abrutissant fuit lui aussi, à sa manière, la pensée, l'acte de penser. Celui qui travaille, de ses mains et autrement, se libère l'esprit qui affronte, dans le demi-sommeil intérieur qui accompagne l'action, même répétitive, libéré de toute appréhension, l'essentiel en question. Essayez donc: il se peut que jamais vous ne pensiez plus librement et plus audacieusement que lorsque vous serez occupé à des riens utilitaires qui semblent vous enchaîner au monde (pour un observateur extérieur, comme ici Perros) alors que leur véritable rôle est de vous dégager l'esprit.
13 mars 2010, 03:54   Re : L'agitation
Les lendores doivent être solidaires dans l'orgueil de leur condition, cher Francis, cet extrait recoupe le réputé : L'oisiveté est un état violent, que Proust a écrit je ne sais plus où.
Quant à l'essentiel, dont Perros ne garantit d'ailleurs nullement la jouissance par stupeur paresseuse (encore que nerveuse et intranquille), m'est avis qu'il échappe plutôt par quelque extrémité qu'on le veuille épingler. Cela doit être quelque chose comme l'être, qui ne se manifeste que par effacement et désignation de la place laissée vide par le retrait.
J'ai beaucoup aimé le : Essayez donc !
"Les plaisirs demandent tant d’efforts et d’énergie, c’est par paresse que je travaille."
La Salle des Pierres (17 décembre 1995)

"Le vrai travail est un mythe, de toute façon – non pas en cela qu’il n’y a pas de vrai travail, pas du tout, mais en cela au contraire qu’il n’y a rien d’autre. Consacrer toutes ses matinées à la lecture – ce matin j’ai failli -, est-ce du loisir, de la paresse, du travail ou du vrai travail ?"
Rannoch Moor - (12 octobre 2003)
Utilisateur anonyme
13 mars 2010, 09:24   Re : L'agitation
"Celui qui travaille, de ses mains et autrement, se libère l'esprit qui affronte, dans le demi-sommeil intérieur qui accompagne l'action, même répétitive, libéré de toute appréhension, l'essentiel en question."

C'est bien ce qu'a pensé et pratiqué Simone Weil, le travail manuel (tant en usine que dans les champs) ne laisse aucune échappatoire et met en contact avec la contradiction et par là purifie et peut faciliter l'accès au savoir essentiel, s'il est accompli dans un climat spirituel qui lui donne un sens.

« Je m'attends aussi à assister à l'extinction de ma propre intelligence par l'effet de la fatigue. Néanmoins je regarde le travail physique comme une purification – mais une purification de l'ordre de la souffrance et de l'humiliation. On trouve aussi, tout au fond, des instants de joie profonde, nourricière, sans équivalent ailleurs. Pourquoi attacherai-je beaucoup de prix à cette partie de mon intelligence dont n'importe qui, absolument n'importe qui, au moyen de fouets et de chaînes, ou de murs et de verrous, ou d'un morceau de papier couvert de certains signes, peut me priver ? Si cette partie est le tout, alors je suis tout entière chose de valeur presque nulle, et pourquoi me ménager ? S'il y a autre chose d'irréductible, c'est cela qui a un prix infini. Je vais voir s'il en est ainsi. »

S.W.
Lettre à Gilbert Khan
13 mars 2010, 09:49   Re : L'agitation
Il y a aussi ce moment merveilleux (ensorcelé) de transcendance collective par le travail dans Une Journée d'Ivan Denissovitch.
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