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Le tourisme.

Envoyé par Philippe Versini 
21 mars 2010, 19:25   Le tourisme.
Encore un article intéressant de Christian Authier.

LITTÉRATURE
Touristes sans frontières

Dans un essai décapant et réjouissant, Tous touristes, Marin de Viry analyse les mutations de l’industrie touristique et les mœurs du touriste moderne.
Entretien.

Le tourisme de masse est un phénomène bien installé, mais il y a selon les discours officiels un bon et un mauvais tourisme.

J’essaie de montrer qu’il ne faut surtout pas poser au bon touriste comme nous y invitent les quotidiens ou les hebdomadaires et même certains écrivains comme Paul Morand. Il convient de penser les choses en termes d’évolution historique. Au XVIIIème siècle, le tourisme est une façon de finir sa personnalité. Au XIXème, il s’agit d’appartenir à une classe sociale et la destination vous qualifie. Au XXème et au XXIème, c’est devenu quelque chose de totalement différent que j’appelle le «tourisme atomique». C’est un tourisme de distraction.

Devient-on touriste par pression sociale et mimétisme ?

Oui. Pour partir, il faut qu’il y ait un puissant moteur et celui-ci n’est pas tellement à l’intérieur de soi, mais à l’extérieur : publicité, propagande, pression médiatique… Il est frappant de constater, dans les discours des grands professionnels que j’ai rencontrés, le rôle énorme de la pression sociale dans le choix des destinations et dans le type de services que l’on va demander.

Vous soulignez qu’il existe une «prime à l’exotisme» selon laquelle «loin, c’est mieux». En même temps, on a vu se développer un tourisme de proximité ou encore les fameux Center Parcs…

Les Center Parcs constituent une sorte d’exploit puisqu’il s’agit de «désauthentifier» l’authentique. Ils transforment l’ennui en distraction. Au lieu d’aller en Beauce s’ennuyer, on y va pour se distraire. Ce tourisme de proximité-là n’est pas différent à mes yeux du tourisme consistant à aller n’importe où sur la planète. En revanche, il existe un tourisme de proximité d’origine économique. Les professionnels vous disent que l’on va moins loin, mais ce n’est pas grave car, pour beaucoup de touristes, la distance importe peu. Ce qui est acheté n’est pas le voyage, mais la distraction.

En quoi le romantisme est-il «à la trame même du tourisme de masse» ?

Le romantisme vise à se bâtir une personnalité originale et exceptionnelle. Il postule que le moi est un absolu et que ce moi absolu est même en concurrence avec dieu. Le tourisme tel qu’il est pratiqué au XIXème siècle marque le début du tourisme de masse. Il consiste, exactement comme le romantisme, à façonner son identité, à se créer différent de ce que l’on est profondément. On va fabriquer son image en disant par exemple : «J’ai fait un voyage en Italie, donc je suis un homme cultivé», «J’ai été sur les rives du Brahmapoutre, donc je suis introduit à la sagesse orientale.», etc. Le romantisme a légitimé la construction d’une image de soi et le tourisme de masse procède de la même façon en permettant de se construire une image sociale.

Vous écrivez : «la banalité est devenue un objet de terreur et le quotidien de mépris ; la vie intérieure, la chose à fuir ; son prochain, l’émissaire de l’ennui ; et le jour, le royaume des ténèbres». De fait, le tourisme se marie à la fête qui est son prolongement naturel…

Le tourisme s’est amarré à la galaxie de la night. Depuis qu’il n’est plus une fabrication d’une identité sociale à travers le voyage, il est devenu une immense distraction avec le monde comme un gigantesque dance floor. La destination n’a dès lors plus d’importance et n’en acquiert que par la force de conviction que les gens chargés de la communication du lieu mettent. Mais, au fond, le tourisme est une industrie où l’on essaie d’attirer des gens cherchant la distraction.

Ces dernières années, le tourisme a investi la télévision : qu’il s’agisse des chaînes de voyage, de La Ferme célébrités qui est une sorte de Bronzés en télé-réalité ou encore de l’émission Rendez-vous en terre inconnue où des people vont à la rencontre de peuplades exotiques. La télévision n’est-elle pas la première destination touristique ?

Oui, l’évolution ultime est que l’on n’ait plus besoin de bouger pour se distraire. Si la télévision fournit le décor, il n’y a aucune raison particulière de prendre l’avion. D’une certaine façon, le véritable tourisme est devenu un tourisme face à l’écran.

Vous citez notamment Michel Houellebecq et Bret Easton Ellis. Pourquoi ces écrivains sont-ils si féroces avec les touristes dans leurs romans ?

Dans le cas de Houellebecq, je pense qu’il n’est pas féroce. Il a compris que les poulets de batterie du tourisme avaient une âme et il mobilise une grande capacité d’observation qui confine à la tendresse. Quant à Bret Easton Ellis, la vision est moins réfléchie, mais il fait d’instinct le rapprochement entre la massification et la catastrophe. Le fait d’agréger autour des propositions de distraction des foules immenses conduit à l’accident.

Peut-on échapper au tourisme ?

Oui, il suffit de le vouloir. Il s’agit de ne pas bouger, de ne pas voyager, mais vouloir ne pas bouger réclame peut-être trop de volonté…

Propos recueillis par Christian Authier
21 mars 2010, 21:13   Re : Le tourisme.
Une définition de Jean Mistler (je cite de mémoire, approximativement ) :
Le tourisme consiste à prendre des gens qui seraient mieux chez eux pour les mettre dans des lieux qui seraient mieux sans eux.
21 mars 2010, 22:42   Re : Le tourisme.
"Le tourisme consiste à prendre des gens qui seraient mieux chez eux pour les mettre dans des lieux qui seraient mieux sans eux."

Suivez mon regard !
22 mars 2010, 00:20   Re : Le tourisme.
Dans son analyse, Marin de Viry semble réduire le tourisme actuel à la quête de distractions. Le tourisme ne serait plus, comme au XIXe siècle, construction d'une image sociale. A mon avis, cet aspect n'a pas du tout disparu au XXe siècle, et je pense qu'il est encore prépondérant aujourd'hui. Être allé (comme avoir vu telle ou telle "expo") ici et là, avoir beaucoup voyagé, goûté les gastronomies étrangères, s'être "enrichi de diverses cultures", etc., est indispensable si l'on ne veut pas passer pour un demeuré, un incurieux, ou pire : un enraciné. La distraction n'est pas le but premier du voyage touristique. Le touriste va faire le plein de bibelots narcissiques, il va prendre les photos qu'il montrera à ses amis, durant des soirées interminables, afin de prouver son ouverture au monde, son être allé, précisément (qui n'est en l'occurence qu'un avoir supplémentaire, une image de soi scintillante).
22 mars 2010, 08:45   Re : Le tourisme.
Citation
Olivier
Être allé (comme avoir vu telle ou telle "expo") ici et là, avoir beaucoup voyagé, goûté les gastronomies étrangères, s'être "enrichi de diverses cultures", etc.

J'aime dans le compte-rendu d'un certain tourisme, l'expression «avoir fait» J'ai fait l'Inde du sud; il a fait l'expo du Grand Palis, l'été prochain; nous ferons le Vietnam...
22 mars 2010, 09:45   Re : Le tourisme.
"Il faut une bonne journée pour faire le Louvre."

L'emploi de faire, vous avez raison, n'est pas anodin. Ca, c'est fait. C'est terminé. On n'aura plus besoin d'y retourner. C'est empaqueté, classé, consommé.
22 mars 2010, 09:51   Re : Le tourisme.
Une femme demande à sa copine une idée de cadeau pour son mari.
-- Offre-lui un livre.
-- Il en a déjà un !
22 mars 2010, 10:05   Re : Le tourisme.
Citation
Olivier
afin de prouver son ouverture au monde, son être allé.

J'aime beaucoup cet être-allé !
22 mars 2010, 10:12   Re : Le tourisme.
À noter dans le beau texte de Laurent Lafforgue, sur un autre fil, le tourisme présenté comme l'aboutissement du concept "moderne" (fin du XVIIIe s.-fin du XXe s.) de "culture".
22 mars 2010, 10:38   Re : Le tourisme.
L'anti-touriste: l'être-en-allé (Lord Byron, Jim Thompson, Jacques Brel, etc.)
22 mars 2010, 12:09   Re : Le tourisme.
... Ou l' être-demeuré (aux deux sens du terme).
22 mars 2010, 12:21   Re : Le tourisme.
Citation
Florentin
Une femme demande à sa copine une idée de cadeau pour son mari.
-- Offre-lui un livre.
-- Il en a déjà un !

Véridique: j'ai connu un brave homme qui n'avait qu'un seul livre chez lui. Je crois que c'était un livre sur les chevaux. Chaque année, invariablement, il partait en vacances dans le même camping et chaque année, alors que sa femme préparait les bagages, il lui disait: «N'oublie pas mon livre»...
22 mars 2010, 12:25   Re : Le tourisme.
Petite suggestion de lecture inactuelle : Acteur et témoin (Posth. 1959), d'Henri Calet, très agréable recueil de chroniques dont certaines d'entre elles donnent une bonne idée du développement du tourisme populaire, au début de années cinquante, en France (excursions en autocar, premiers "villages-vacances (à Guethary)...)
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