C'est à dire qu'en Orient, cher Johannus, l'erreur ne fait pas qu'engager l'avenir, elle révèle, en s'actualisant, que tout l'antécédent de l'erreur, ce que vous appelez "l'acte considéré dans l'environnement des circonstances" est faux, malvenu, injustifiable, voué à l'anéantissement, nul et non advenu, de tout éternité un dispositif-déchet. Le tireur à l'arc, l'intention qui l'habite, la cible et la flèche, ne sont pas quatre éléments disparates à réunir en un, mais, dès l'origine, un seul élément. Si la flèche manque son but, c'est l'unicité de cette composition qui est fausse. A vrai dire, il n'est pas d'
erreur humaine à proprement parler, mais une erreur de la nature, une horreur de la nature dans laquelle le responsable de "l'erreur" n'est qu'un élément, partie à l'horreur. En physique du chaos, l'intention de l'archet (ou sa concentration sur la cible), la cible, l'arc et la flèche peuvent être décrits comme un système unique, instable certes mais qui n'en n'est pas moins tout un, et la flèche enfichée au coeur de la cible un arrêt du système (sa mort en fait) dans la stabilité. L'erreur révèle que tout, depuis le début, dans l'être qui en porte la responsabilité, était faux, jusqu'à ses ancêtres et aux circonstances de sa conception.
Donc si vous commettez une erreur, vous révélez que vous êtes, depuis très longtemps, partie à une monade corrompue. Ce qui aussi peut expliquer le fait qu'à l'époque communiste le savant qui ne produisait pas les résultats attendus dans les délais prescrits était considéré comme un traître à la nation, une véritable pomme pourrie à extraire du baril, le révélateur d'un être-déchet à proscrire, à bannir, à rayer des livres d'histoire: tout, objets, circonstances, associés, qui avaient entretenu avec lui quelque commerce ou quelque rapport, était faux, intrus dans les systèmes stables de l'exactitude et du vrai.
La force de l'Occident fut puisée dans une spiritualité particulière qui se caractérise, comme chacun sait, par une économie du salut et une dispensation du pardon. L'Occidental ne peut être considéré comme plus intelligent ni plus brave que certains hommes qui ne sont pas lui. Mais la spiritualité qui fut la sienne lui ôta la peur irrationnelle des esprits (des
revenants du passé, précisément), qui, partout, dévore les nuits de l'Oriental, fût-il samouraï. Alors, en Occident, toutes ces craintes furent réduites en une seule, celle du péché et du Jugement dernier,
c'est ainsi que toute crainte fut ramassée en une seule grande crainte projetée vers le futur d'un jugement qui ne jugera ni ne condamnera aucun antécédent du péché commis. Et la crainte d'une faille révélatrice d'un antécédent condamnable s'étant ainsi évaporée avec l'instauration de cette économie de la rétribution relative et du pardon, l'audace en l'Occidental ne connut plus de bornes, et toutes ses conquêtes en devinrent possibles, sur tous les fronts de l'esprit, des techniques et des armes.
Si l'on s'autorisait à résumer cela un peu brutalement, l'on pourrait dire que l'effacement du péché originel, l'absolution accordée au nom de la Sainte Trinité, du même coup lava l'Occidental de ses craintes ancestrales (dont celle de subir toute rétribution rétroactive des puissances mondaines -- blâme remontant vers l'amont de l'être, comme en Orient-- et celle du châtiment descendant, que sont susceptibles d'infliger en Orient les mauvais esprits et les revenants) et débrida sa créativité en laissant cours à l'invention et aux oeuvres de l'esprit exécutées sans peur. Je ne sais pas si l'on réalise bien la féroce modernité du christianisme paulinien, système qui part d'une table rase, la Révélation, au-delà de laquelle, pour l'homme chrétien
seul existe l'avenir !