Phix vous êtes désolant. Ci-dessous un texte très éclairant !
Je suis arrivé à Cuba en mai 2001. Je vais y passer 3 ans jusqu’en 2004.
Je suis arrivé de nuit, et en entrant à La Havane avec le taxi qui me conduisait à l’hôtel, ma première impression fut d’entrer dans une ville récemment bombardée. Une ruine. Ce qui était il y a 50 ans une merveilleuse ville du continent américain, était réduite à une misérable ruine. Je n’oublierais jamais l’énorme désolation de ces rues, la sensation que quelque chose de terrible avait du se passer ici.
Le lendemain matin je sors de l’hôtel, me voilà devant el Parque Central. Autour de moi, tout avait les formes et les habits des années 50, les voitures, les façades, les êtres humains, jusqu’à l’air que je respirais. Cette ville semblait être tombée dans un trou noir spatio-temporel qui l’aurait complètement gélifiée. La différence avec les vraies années 50 apparaissaient immédiatement : ces voitures étaient une ruine décrépite dont on ne pouvait qu’imaginer le chromes rutilants d’antan ; ces maisons tombaient en ruines, on ne pouvait que deviner leur splendeur passée ; ces êtres humains sentaient la résignation, on ne pouvait que pressentir leur ancienne joie de vivre hispanique, américaine, africaine.
Ruine, voilà le seul mot qui m’a sauté aux yeux immédiatement.
On voyait qu’une destruction avait été entamée, et qu’elle s’était abattue sur tout ce qui m’entourait, pierres et vivants. Mais non pas une destruction pour raser, non une destruction commencée avec des moyens techniques classiques, bombes, bulldozers, pioches ou marteaux, mais une destruction qui avait dû se faire uniquement et justement en ne faisant rien. L’immobilité, la paralysie, la stagnation, c’était cela qui avait détruit cette ville, c’est cela que j’ai pensé dés les premières minutes. Pas besoin de démolir une maison pour la détruire, il suffit de l’abandonner à son sort, lentement mais sûrement elle s’écroulera. On peut faire exactement la même chose avec les humains. Et des mois après, c’est cela qui m’apparut dans toute son horreur, ce système n’avait pas besoin de tuer en masse ces opposants, il suffisait de les abandonner, de les écarter de la vie, de les rejeter dans une non-vie pour qu’ils meurent bien lentement, bien sûrement et bien à l’abri des regards réprobateurs. Une maison qui tombe en ruines, abandonnée, et un être qui tombe à petit feu, abandonné, meurent tous deux de leur belle mort, sans que rien ni personne ne puisse être accusé ou en porter la responsabilité. Voilà un crime qui passe inaperçu. Un crime parfait. Supprimez à un individu toute vie sociale, travail, maison, amitiés, relations, éloignez de lui jusqu’à sa propre famille, maintenez-le dans un isolement complet, avec interdiction de sortir de ce trou qu’on a creusé pour lui, même de se déplacer sans autorisation jusqu’à la ville voisine, avec les pires difficultés pour qu’il puisse se faire soigner ou pour donner à ses enfants une éducation scolaire ou universitaire, enlevez lui jusqu’à sa maison sous prétexte que tout appartient à l’Etat- et vous aurez réussi à tuer un être humain au compte gouttes mais aussi efficacement que si vous lui aviez mis une balle dans la tête, avec cet avantage que personne ne saura que vous l’avez tué. Il sera mort tout seul.
Jacques Derrida nous avait prévenus : « laisser mourir est parfois tout aussi grave, voire plus grave, que tuer. » Dans cette île on laisse mourir. Avec l’exemple hitlérien et stalinien, le perfectionnement de l’assassinat était inévitable, car on ne pouvait plus prendre le risque de se voir assimilé à une telle barbarie. Le crime devait être dissimulé. Inutile de passer au lance-flammes toute l’île pour créer un homme et une pierre nouvelles, il suffit d’attendre qu’ils meurent, de les laisser mourir. Combien sont morts de cette mort lente à Cuba ? Des centaines de milliers depuis 40 ans. Destruction systématique, patiente, planifiée d’un peuple et d’une culture. Absolue et totale extermination de toute parole différente, marginale, dissemblable par la méthode « douce ». Contre les plus récalcitrants ou les plus révoltés, la prison. Encore une fois, non l’exécution pure et simple, mais la prison pendant 10, 20 ans. Sans aucune espérance d’en sortir avant la date fixée par les tribunaux populaires. Les geôles cubaines ne peuvent être visitées par aucune organisation internationale, on se doute bien pourquoi. Une mort lente encore une fois. Si vous en réchappez, si vous sortez de l’enfer d’une geôle cubaine, vous n’entrez pas dans la liberté, vous mettez le pied dans une autre geôle, plus grande c’est tout, l’île elle-même. L’île est un immense camp de concentration d’où vous n’avez aucune chance d’en sortir sinon avec une patera, une embarcation de fortune direction là ou vous mèneront les vents du large. Combien sont morts pour avoir voulu fuir une vie en ruines ?
Je suis là seulement depuis 4 ou 5 jours, je me trouve dans une sorte de bar et une jeune fille de 15, 16 ans vient s’asseoir avec moi. En parlant avec elle je comprends qu’elle a faim. Le plus curieux c’est que pour trouver à manger dans la ville c’est très difficile, pas de restaurants ou très peu, aucun bar ou cafe pour prendre ne serait-ce qu’un sandwich, le touriste n’a que son hôtel pour se nourrir, en dehors ce seront les pires difficultés. Il reste un centre-ville à La Havane, parfaitement réhabilité pour le touriste, propret, une caricature de la vie de Hemingway avec sa bodeguita del medio, son hotel floridita et autres places de la cathédrale ou le visiteur est concentré, prié de ne pas en sortir, quadrillé à chaque croisement de rue par un policier. Autour de ce minuscule centre historique, une immense désolation. J’y ai passé des heures, des journées entières dans ces périphéries tellement misérables que personne ou presque ne s’y aventure. Cette jeune fille attend anxieuse que je lui offre à manger quelque chose. Je commande un poulet frit, qui est une pure infection, sans doute les poulets industriels écœurants, dioxinés, que vend Gérard Bourgoin à son ami Castro. Gérard Bourgoin, appelé le roi du poulet, président de la Ligue nationale de football entre juillet 2000 et avril 2002, grand ami de Castro, s’est associé avec Gérard Depardieu dans une société, Pebercan, créée en 1993 pour explorer les sols cubains à la recherche de pétrole. Bourgoin finira devant le tribunal correctionnel pour des mouvements de fonds suspects entre la société pétroliére et ses propres comptes, ruiné. Elle mange, heureuse, elle me dit qu’il y a très longtemps qu’elle ne mangeait plus de poulet. Elle aimerait quelque chose, qu’elle n’a jamais gouté, elle voudrait savoir comment c’est. Je lui dis quoi, des pommes, elle a vu des pommes dans une boutique à coté, on n’en voit jamais, elle voudrait en gouter une. On va en acheter, elle n’a pas mangé tout le poulet, elle en emmène pour sa famille. C’est la première fois que cette jeune fille cubaine mange une pomme dans sa vie. Je ne peux pas vous parler de ce que j’ai ressenti, ni elle non plus. Ce jour-là, cette minute-là j’ai juste compris enfin.
Un cubain gagne en salaire moyen 10 dollars par mois. J’ai acheté la pomme un dollar. Le litre de lait coute 2 dollars. A ce compte tout le monde vit de trafics nombreux et variés pour pouvoir survivre. L’île est une énorme entreprise de contrebande, trafics, marché noir de toutes sortes. Le cubain n’a plus même le sentiment de voler, de fait, personne ne vole personne puisque tout le monde vole. Mais autrement tu meurs de faim. Une société entièrement construite sur le pillage et le vol, unique façon de survivre dans un pays ou l’Etat est incapable de subvenir aux besoins élémentaires de la population. Le soir à 2 heures du matin à La Havane, vous pouvez voir devant un local qui ressemble à une boucherie et qui n’a pas ouvert de la semaine, des femmes qui se disputent quelques morceaux de viande dont on ne sait même pas de quel animal, qui viennent d’être mis en vente inopinément en pleine nuit. Dernière chance avant la prochaine, Dieu seul sait quand. La bagarre se termine en quelques minutes, l’attroupement se disperse, quelques uns ont réussi à emmener des morceaux de viande informes. Morceaux de la vie quotidienne.
J’ai honte. J’écoute le discours d’Ignacio Ramonet à la télévision cubaine… Honte qu’un vulgaire dictateur, propriétaire de 11 millions d’êtres humains se glorifie de la venue du directeur du Monde Diplomatique à Cuba, et que celui-ci lui cède les droits d’auteur de son livre « Propagandes silencieuses ». Un livre où l’auteur nous parle d’endoctrinement, de réduction de liberté, de manipulation, de propagandes insidieuses et qu’il vient présenter dans une des dernières dictatures totalitaires, qui justement se gave de tout ce qu’il dénonce ! Ce serait à mourir de rire si cela ne tuait, vite ou lentement, des hommes des femmes et des enfants. J’avais vu, un peu avant, un artiste français en mal de sensations fortes ou de reconnaissance révolutionnaire, laisser en cadeau quelques drapeaux de son cru au tyran. J’ai bien ri une fois encore, sachant combien ce pays est gangréné par le nationalisme le plus bête et le plus répugnant, en voyant notre artiste( Jean Pierre Raynaud) se fendre d’une coquette œuvre…de drapeaux glorieusement et patriotiquement cubains ! Sara Montiel, actrice espagnole vieillie, aussi est passée à Cuba, presque en même temps que notre directeur diplomatique, pour dire à la télévision cubaine, le plus sérieusement du monde, qu’avec Franco le cinéma espagnol avait une autre tenue. Sous Franco c’était tout de même autre chose que tous ces déshabillages postérieurs…Venir vanter le régime franquiste à Cuba, et sous les applaudissements des journalistes officiels cubains !Rions, rions. D’autres viendront se faire enrubanner par la Révolutionnnne ! Ils repartent sanctifiés par le Révolutionnaire en chef et chargés de répandre la bonne nouvelle : Cuba est un paradis sous les étoiles et il faut détruire le Capitalisme ! Prenez un verre de rhum 20 ans d’âge et un cigare avant de quitter vôtre hôtel 5 étoiles, monsieur le directeur, monsieur l’artiste d’art contemporain…
J’ai honte. Honte. Une honte tellement profonde…Quoi penser d’un individu qui vient donner des leçons de morale, parler de l’exploitation impérialiste, de propagandes silencieuses, etc. etc. devant le lucide créateur d’un monde en cage, de crimes forcenés, dans une île compressée dans un étau idéologique infâme ? Car nous connaissons l’interne composition des idées de ces régimes. Qui ne sait, aujourd’hui, ce que furent les « démocraties populaires » ? Se souvient-on encore de Derrida emprisonné en Tchécoslovaquie ? De Deleuze, parlant d’une révolution sans bureaucratie, rappelant qu’il n’y a pas de bonne destruction sans amour ? De Foucault, luttant contre l’oubli des résistants polonais, prononçant cette phrase : « On s’imagine souvent que les pays socialistes fonctionnent à la peur, à la terreur et à la répression. Mais ce sont aussi des pays qui marchent à la combine, au passe-droit, et à la récompense. » Pauvre et ridicule Ignace, sais-tu au moins qu’on te récompense ?
Insupportables réalités. Celle-ci, par exemple, entre tant et tant : les artistes sont condamnés à la censure la plus absolue. Impossible comme artiste-plasticien de réaliser un travail librement, je dois rendre compte d’abord au président local de l’UNEAC, l’organisation du Parti qui surveille et contrôle toutes les productions des écrivains ou des artistes-peintres. Il s’agissait de quoi ? D’aller réaliser un travail photographique dans les quartiers « marginaux », terme employé par la dictature pour qualifier les quartiers pauvres, immenses périphéries des villes. Interdiction donc d’aller, ne serait-ce que de se promener dans ces coins de misère et d’indigence. Ne pas montrer ces abcès surtout, le régime tient à ce que la population les ignore et avec elle le reste du monde. Interdiction me fut faite d’aller photographier et même de m’y rendre, mais ce n’est pas le président de l’UNEAC lui même qui me le dit, mais un artiste qui me le déconseilla…Il ajouta qu’il valait mieux ne pas insister. Je n’ai pu voler quelques images que parce que je pouvais prendre comme prétexte la visite d’amis, et en cachant l’appareil.
A Cuba il est interdit de vendre des ordinateurs, imprimantes, scanners, etc. aux particuliers. Ceux qui en possèdent un, rarissimes, c’est par un hasard de circonstances dues au marché noir et clandestin. Ou bien parce qu’ils sont les affiliés du régime, membres du Parti, d’organisations, bref les privilégiés que le régime ne craint pas, les récompensés. Même pour avoir un téléphone il faut montrer patte blanche, et soumission. D’ailleurs, toute personne étrangère qui entre dans le pays doit déclarer son ordinateur à l’entrée et en sortir avec lui. Au cas ou cet ordinateur resterait clandestinement entre les mains d’un cubain. Quand à Internet, contrôle absolu, total. Tout est filtré dans les courriers électroniques, le cubain devant attendre avant de lire son courrier que d’autres l’aient lu avant lui, la police. Expérience vécue.
Autre exemple de la surveillance systématique de la population. Un touriste qui prend une chambre chez l’habitant est automatiquement surveillé et contrôlé par le propre logeur. Le cas d’un touriste allemand qui a vu sa chambre retournée sens dessus dessous par la police parce que suspecté à cause de son ordinateur portable, est banal. Le logeur s’est empressé de le dénoncer à la police et le touriste est reparti sans se douter un seul instant qu’on avait fouillé ses valises de fond en comble en son absence. Les individus participent avec zèle à la délation, car la menace est constamment au dessus de leurs têtes : interdiction de louer, maisons confisquées, emprisonnement, contraventions exorbitantes, perte de tout emploi…Ainsi, ça n’est même plus la police qui s’occupe de la surveillance et du contrôle de tout et de tous…ce sont les cubains eux-mêmes. Régime parfait dans sa répression et qui pourra durer encore 40 ans allégrement. Et durera grâce, aussi, à ces imbéciles dangereux venus repus, gras et gavés de démocratie, serrer la main d’un misérable vieux despote barbu.
Combien de fois l’ai-je vu commencer un discours à 20 heures et le terminer à 1 heure du matin ! Et pour dire quoi ? Un salmigondis de stupidités sur « la victoire coooolooossale » remportée sur un moustique, de lieux communs, bavardage obsessionnel, étrange rabâchage, inquiétante impossibilité à abandonner son discours, rivé à l’écoute de ses propres paroles, n’arrêtant son flot qu’à contrecœur et abandonnant son perchoir avec un regret immense. Que nous dirait de tout cela un psychanalyste ? Pendant ce temps le cubain rigole ou regarde une cassette vidéo, marché noir florissant. Les loueurs de cassettes vidéos, ces gens qui dévient le peuple des discours du comandante, finirent par énerver le régime.et furent un temps pourchassés par la police, peine perdue.
Mais certains jours une rage vous prenait. Arrivé sur l’île après un court séjour à Paris, j’attends de rencontrer un de mes amis artiste-peintre. On m’annonce qu’il est mort d’une crise cardiaque. 34 ans. Jamais souffert de la moindre pathologie. Les amis me précisent d’un air entendu qu’il venait d’être arrêté par la police et qu’il est mort en prison. Mort de mort naturelle, crise cardiaque. Je me rappelle alors qu’avant que je parte il était venu me voir pour que je l’aide à obtenir le papier officiel lui permettant de quitter l’île. Il savait comme moi que c’était pratiquement impossible mais il voulait voyager, voir autre chose me dit-il, il espérait. En fait, il se savait traqué. Arrêté pour avoir soi-disant détourné l’argent de la société de décoration qu’il gérait depuis des années, en fait parce qu’il avait des activités dissidentes, il est mort tout naturellement d’une crise cardiaque à 34 ans après son arrestation.
Et mon ami A. intérrogé pendant des semaines dans la prison de la sécurité d’Etat de La Havane à Villa Maristas. Membre d’organisations clandestines et interdites il fut systématiquement torturé. Aucune trace de sévices, les méthodes sont bien au point. Il n’a pas pu ni voulu tout me dire de ce qu’il avait vécu là-bas. Quand je le vis, il était anéanti. Il pleurait sur mes épaules en se rappelant ce qui lui avait été fait. Je n’oublie pas. Relâché parce que personnage compromettant et qu’il leur fut impossible de trouver la moindre preuve, il me disait qu’il pouvait à tout moment être assassiné dans la rue et faire passer ça pour un simple crime crapuleux d’un voleur ou d’un ivrogne. Il arrivait chez lui certains jours et sa porte d’entrée était fracassée. Ils étaient venus tout fouiller. Il ne mettait plus de serrure à sa porte, la laissait ouverte, ça lui évitait d’avoir à la changer. Visites constantes de la police, de la sécurité, menaces, intimidations. Il devait constamment se rendre à La Havane pour des contrôles et lui était interdit de quitter non pas la ville mais son quartier. Pour tout déplacement en dehors il devait demander une autorisation. Les vacances avec ses enfants à Guantanamo, ou sa femme avait de la famille, impossible, autorisation refusée. Je parle de la ville de Guantanamo, non de la base américaine, je parle d’un lieu misérable, abandonné du monde, ou survit une population indigente. Car, à côté des détenus de la base américaine il y a des détenus beaucoup plus nombreux et totalement innocents, dont leur seul crime est de demander la liberté. LA LIBERTE !!!!! POUR EUX, POUR LEURS ENFANTS !!! VOILA LEUR CRIME !!!! EXIGER LA LIBERTE !!!
Et qui leur vient en aide ?… j’ai envie de pleurer… Voilà ceux qu’on abandonne…les innocents… comme toujours. On se souvient d’eux une fois qu’ils sont morts. MORTS !!!
Mais qui les tue ? Le tyran ? Pas seulement. Ce sont les Ignace anti-mondialistes et enculeurs de mouches qui les tuent. Toute cette bien-pensante catégorie de purs sentiments, de générosité humaine, d’amour du prochain, tout ce tourbillon de débilité, cette idiotie incommunicable, ces serpillères de salon. Vous savez de quoi ils rêvent le Tyran et L’Ignace quand ils se rencontrent ? Qu’on leur rende les clefs de notre existence.
"Ce n’est pas le mensonge qui est craint, mais la vérité…La vérité fait peur."