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Communiqué n° 1039 : Sur l'extension du musée Gustave-Courbet et la dévastation du site d'Ornans

Communiqué n° 1039, samedi 24 avril 2010
Sur l'extension du musée Gustave-Courbet et la dévastation du site d'Ornans

Le parti de l'In-nocence souhaite attirer l'attention sur les vastes et coûteux projets actuellement en cours d'exécution à Ornans, Doubs, et qui consistent à parachever la dévastation déjà bien avancée du site cher à Gustave Courbet en transformant sa maison natale en un vaste musée s'ouvrant sur la Loue par une façade retentissante, vouée à arracher tout ce qui peut lui rester de caractère et d'authenticité à cette portion centrale de la vieille ville, pourtant célébrée jadis pour son pittoresque attesté.

Le parti de l'In-nocence juge d'autant plus alarmantes les intentions affichées du Conseil général que celui-ci a déjà perpétré la lobotomisation radicale de la ferme de la famille Courbet à Fagey, au sud d'Ornans, métamorphosée à grands frais en ferme-auberge, café, lieu d'exposition pour artistes méritants du cru et hangar à panneaux didactiques relatifs à Courbet, cela à grand renfort de ciment, de murettes basses, de vélux, de portes vitrées, de banderoles de racolage et de parcs de stationnement. Ici et là le dessein est le même : exploiter touristiquement un nom et un site, en accroître les "retombées économiques", attirer vers Courbet les vastes parties du public qui ne s'y intéressent pas "naturellement", c'est-à-dire culturellement, quitte à détruire toute matière à curiosité, émotion et enseignement pour ceux des amateurs qui n'ont pas besoin d'incitations médiatiques et publicitaires. La structure opératoire est celle-là même qui préside à la grande déculturation en général : détruire la culture afin qu'elle soit à tous, et d'abord à ceux qui n'en veulent pas.
Superbe communiqué !

Citation
métamorphosée à grands frais en ferme-auberge, café, lieu d'exposition pour artistes méritants du cru et hangar à panneaux didactiques relatifs à Courbet,

Je signale à l'attention des liseurs de ce forum qu'hier samedi Alain Finkielkraut a recu F. Luchini dans Répliques pour parler de son spectacle FABRICE LUCHINI LIT PHILIPPE MURAY au theatre de l'atelier à Paris et que ce fut une des meilleures émissions de ces dernières années.

A écouter séance tenante !!!!!
Oui, c'est une véritable désolation, qui serre le coeur.
"[...] attirer vers Courbet les vastes parties du public qui ne s'y intéressent pas "naturellement", c'est-à-dire culturellement" :

vous seriez pas un peu élitistes, des fois ?
(Message supprimé à la demande de son auteur)
On pourrait dire que l'élitisme, l'élitisme républicain pour être précis, est un des piliers de la pensée in-nocente.
Malraux a écrit : « La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert. »

Il me semble que c'est volontairement, avec efforts, que l'on se cultive et non simplement en payant un droit d'entrée au "Courbet-land" (ou tout autre "-land").
Personne ne peut affirmer que la volonté et le labeur soient les apanages d'une quelconque élite déterminée.
Cela dit, celui qui a pris le chemin de la culture s'éloigne forcément de « ceux qui ne s'y intéressent pas "naturellement" »...


Un in-cultivé qui le sait.
25 avril 2010, 13:18   Demeures de l'esprit
A propos des Demeures de l'esprit, voici l'intéressante remarque que j'ai trouvée dans la préface de Jean Goldzink aux Écrits autobiographiques de Voltaire, dans la collection de poche Garnier-Flammarion (pp. 32-33) :

« Ce que ni le recueil de Colmar ni les Mémoires des Délices ne pouvaient évoquer, c'est le château de Ferney, qui a fixé la légende de Voltaire et illustré à jamais le culte moderne de l'artiste, de ce qu'on appellera à partir de la fin du XIX° siècle le "grand intellectuel" (Hugo, Tolstoï, Sartre, Picasso ...) Pour la première fois sans doute, se constituent sous les Lumières des lieux de mémoire dédiés aux écrivains : Ermenonville pour Rousseau, Ferney pour Voltaire, mais aussi Les Charmettes et Les Délices. C'est dire que l'écrivain qui le mérite (et le cherche?) devient autre chose qu'un littérateur, qu'il acquiert une consistence sociale et symbolique nouvelle... »

« pour la première fois sans doute » : cela pique la curiosité et donne envie de savoir s'il y eut des précédents. Je me souviens confusément d'une querelle qui opposa les habitants de plusieurs îles de la Mer Ionienne, qui revendiquaient l'honneur pour leur patrie d'avoir été le lieu de naissance d'Homère ; que peut-être, certains écrivains ou poètes (sans parler d'Orphée ou de Pythagore) firent l'objet d'un culte officiel dans l'Antiquité ; que l'architecte Imhotep fut divinisé et que sa tombe, si on la connaît, pourrait devenir (en quelque sorte) une demeure de l'esprit (au sens égyptien du terme) ; je me souviens d'Evhémère, ce penseur qui enseignait que les dieux n'étaient en fait que des bienfaiteurs de l'humanité dont on avait oublié la demeure terrestre natale pour les placer au ciel ; ou enfin qu'en Iran, les mausolées de Hafez et de Saadi sont des lieux de pèlerinage fréquentés (avec de beaux jardins) où se pressent des familles entières, venues réciter des vers de ces poètes la main posée sur la pierre du tombeau ... Ce ne sont que des tombes, mais je ne manque jamais d'aller voir Keats quand je vais à Rome.
Utilisateur anonyme
25 avril 2010, 13:55   Re : Demeures de l'esprit
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Merci cher Didier de cette vision in-nocente de la question.
Je n'étais pas satisfait de ma propre contribution ; c'est que je débute....
(Message supprimé à la demande de son auteur)
"Une ville, ce n’est pas seulement une forme, c’est aussi — surtout si elle occupe une éminence — la composition d’un volume. Comment dix siècles ont-ils pu avoir le génie des volumes, sans y penser, et le nôtre le secret de les gâcher tous, dès qu’il bouge le petit doigt ? Gendarmerie, institution spécialisée, lotissement, villas blanches : toutes choses éminemment utiles, loin de nous de prétendre le contraire, et même indispensables, suppose-t-on. Ceux qui détruisent les paysages avec leurs hangars de tôle ondulée, leurs camps de concentration pour les canards ou leurs dépôts Intermarché, ont toujours le même argument : pas moyen de faire autrement. Et en effet, il n’y a pas moyen. La poésie est seule, ou disons la littérature, par décence — et c’est encore un bien grand mot ; l’âme, ou disons la liberté ; le paraître, ou disons la dignité, l’imposition de la forme, ou son maintien, le grand refus, en somme, le grand non, l’angélique et luciférien non serviam — seule, seuls, donc, seuls contre tous, à se buter, absurdement, dans le déni de la contingence. Ils sont ce qui trouve le moyen, quand il n’y a pas de moyen ; ce qui se dérobe obstinément aux lois de la statistique ; le reste irréductible, dans les opérations comptables du réel."


Renaud Camus, Le département de la Lozère, P.O.L., p. 134.

(Pardonnez-moi pour les guillemets anglais.)
(Message supprimé à la demande de son auteur)
"Comment dix siècles ont-ils pu avoir le génie des volumes, sans y penser, et le nôtre le secret de les gâcher tous, dès qu’il bouge le petit doigt ?"

Il faut bien dire que ce même "petit doigt" a peine appuyé sur un certain bouton a le secret de pouvoir rayer un pays entier de la carte...

Peut-être, le "génie des volumes", on a précisément le temps d'y penser sans y penser quand le "petit doigt" à peine bougé n'est pas capable de tant de rapides prouesses, autrement dit, si les dix siècles précédents avaient été aussi équipés que nous le sommes, je crois qu'ils n'eussent pas mieux été habités que nous ne le sommes par le "génie des volumes". Le "génie des volumes", commence avec le poids des pierres, la peine à les faire se mouvoir, la lenteur à les tailler et la résistance qu'elles opposent aux entreprises architecturales.

(Heureux de voir cité Le département de la Lozère, un des livres de Renaud Camus que je préfère.)
Le "génie des volumes", commence avec le poids des pierres, la peine à les faire se mouvoir, la lenteur à les tailler et la résistance qu'elles opposent aux entreprises architecturales.

Magnifique, Orimont !
C'est joliment dit mais est-ce exact ? Je vais me répéter car j'ai déjà dû écrire cela ici, mais on ne se rend guère compte de l'extrême lenteur de la réalisation des projets de construction ou d'équipement ou, si l'on préfère, de la très grande rapidité avec laquelle on construisait jadis.

Il faut une dizaine d'années pour construire une autoroute en France aujourd'hui. Lors de la conquête de la Dacie, les légions romaines ont, en un hiver, taillé à travers les Carpates une superbe voie dont certains tronçons sont encore en service. Au 12ème siècle, la France s’est couverte de châteaux-forts ; ils étaient parfois construits en quelques mois ! Même Château-Gaillard, l’un des plus imposants, des plus complexes et des plus beaux, a été décidé, conçu et construit en un an. Les pharaons du Haut-Empire ont pu, pendant la durée de leur règne, faire concevoir, construire et décorer leurs pyramides, des ouvrages dont la massivité, la perfection et l’extraordinaire richesse décorative seraient hors de portée du budget et aussi de l’ambition de n’importe quel État contemporain. On a souvent une fausse idée du rythme de construction d'antan parce que la construction des cathédrales, auxquelles on pense toujours, s'est étalée sur un siècle, parfois davantage. Mais en réalité, les chantiers de ces édifices, outre qu'ils étaient d'une ampleur et d'une complexité sans commune mesure avec ce qui se fait aujourd'hui, étaient souvent interrompus des décennies durant faute d'argent et quand on s'y remettait, cela avançait vite.
Je pense que Marcel Meyer a raison mais que Orimont Bolacre a encore plus raison. Marcel Meyer concentre son analyse sur des entreprises et des sites exceptionnels, quand l'immense majorité du territoire échappait à leur emprise. Les villages d'antan, aux volumes si harmonieux, s'échafaudaient pour la plupart très lentement (on mettra à part quelques "villes franches"), s'apparentant plus en cela à la lente accrétion de paysages (une nouvelle aile par ci, un four banal par là, une tourelle encore ailleurs) par la nature elle-même, en ses œuvres.
Certes ! On ne construit pas une ville avec des pierres (et moins encore du béton...), mais avec des siècles.
Marcel a raison : sans compter les délais de type administratif, les méthodes de construction actuelle sont beaucoup plus lentes que celles du passé, pour des questions techniques.

Un ouvrage en pierre ne connait comme limite que les capacités de taille et de pose des pierres (attention : souvent, seules les parois visibles et les parties portantes sont en pierre, le reste est formé de sables et graviers). Pour un ouvrage en béton, il faut environ un mois pour qu'il soit utilisable (concrètement, vous ne pourrez couler le tablier qu'un mois après que les piles aient été coulées, si celles-ci ont pu l'être d'un seul coup).
Je crois que c'est plus compliqué que cela. Si l'on veut bien faire abstraction des rêves un peu provocateurs de démiurge bétonneur à la Corbusier qui n'ont été appliqués que dans les extensions urbaines et pour reconstruire les villes détruites par la guerre (je sais, c'est beaucoup, mais voyez d'abord la suite), on n'a jamais, depuis qu'il existe des villes, autant conservé, si peu détruit et aussi peu remplacé qu'aujourd'hui.

N'oubliez pas que l'on n'a, avant l'époque romantique, jamais hésité à détruire l'ancien pour construire du nouveau : la Villa d'Este a été construite avec les pierres de la Villa d'Hadrien et Haussmann a détruit la moitié de Paris. Voyez du reste les centres des villes européennes : combien ont conservé leurs maisons médiévales ? Ces centres ont été rasés pour être reconstruits à la mode du jour, souvent plusieurs fois au cours de leur histoire.

D'autre part, les villes neuves ont existé à toutes les époques d'expansion : les Romains en construisaient partout (voyez Timgad, bon exemple de ville construite en très peu de temps et dont les ruines laissent penser qu'elle était magnifique), aux XIIe et XIIIe siècles, on en a construit dans toute l'Europe, et de nouveau plus tard (voyez, par exemple Neuf-Brisach ou Saint-Pétersbourg). Et ces constructions ex-nihilo ou reconstructions se faisaient à u rythme souvent plus rapide qu'aujourd'hui.

En somme, la seule chose nouvelle, c'est l'extrême laideur de presque tout ce que l'on a construit depuis l'avènement du dit style international.
les méthodes de construction actuelle sont beaucoup plus lentes que celles du passé

Mais enfin, cher Jean-Marc, vous plaisantez ? Et la préfabrication, et la standardisation, qu'en faites-vous ? C'est bien simple, d'ailleurs, aujourd'hui, on ne bâtit plus, on assemble ! Quant à l'universel parpaing, comment ne pas voir qu'il introduit dans le processus constructif l'ubiquité, l'atemporalité et l'immédiateté, qui sont précisément ce qu'il y a de plus contraire au genius loci ?
Nous ne parlons pas des mêmes choses : effectivement, on peut aller très vite pour construire une maison moderne (encore que ce qu'on nomme le second oeuvre freine les travaux), mais on allait aussi très vite pour une maison ancienne (en partie parce que les techniques étaient simples, et qu'il y avait beaucoup de main d'oeuvre).

Il ne fait pas croire que toutes les maisons anciennes étaient bâties de pierres de taille jointives : en fait, elles étaient souvent formées de blocs plus ou moins de même taille, liés par du mortier, et ensuite recouverts de crépi.
Il y a aussi une différence de taille (sans jeu de mots) : c'est tout bonnement la quantité : comme dans tous les autres domaines de l'activité humaine, la massification a entraîné un double mouvement d'accroissement de l'efficacité et de perte de la qualité.

Pour avoir une assez jolie idée de l'étendue des réalisations de l'art (perdu) de bâtir en France, je vous conseille les Carnets d'architecture d'Albert Laprade (l'architecte, entre autres, mais très entre autres, comme dirait Renaud Camus, du palais de la Porte Dorée pour l'exposition coloniale de 1931).
Massification ? Au cours des deux décennies qui ont suivi la fin de la guerre, oui, incontestablement (reconstruction, exode rural, croissance rapide de la population). Mais depuis ? Non, je ne crois pas. Il faudrait disposer des chiffres mais je suis prêt à parier que l'on a construit au moins autant en France au XVIIIe siècle que depuis trente ans, et sans doute davantage au milieu du XIXe qu'aujourd'hui.
En effet, la question de la main d'oeuvre abondante est essentielle et, à mon avis, explique la rapidité de construction au temps jadis. Cependant, permettez-moi de maintenir que le XXème siècle construit beaucoup plus vite que les siècles précédents - et singulièrement que les siècles d'Ancien Régime.

Pour autant, ni Marcel ni Jean-Marc n'ont tort, à condition toutefois de juger, comment dire, "à l'unité" construite et non à l'ensemble. Un exemple au hasard dans ma région : on pourra éventuellement démontrer que la construction d'un groupe de bâtiments tel que "Marina Baie des Anges", au bord de la mer entre Nice et Antibes, a nécessité plus de temps que la construction d'un château de même emprise au XVIIème siècle ; on pourra même démontrer que, pris séparément, chaque bâtiment qui couvre ce littoral a été plus lentement édifié qu'un bâtiment équivalent dans le passé. Cela n'enlèvera rien au fait que ce même littoral a été ravagé de constructions en l'espace de quelques décennies seulement, cela n'enlèvera rien au fait que les souvenirs de paysage du moindre cinquantenaire (arrivé à une époque déjà bien entamée), évoqués avec ses enfants, le placent très curieusement dans la position d'être leur grand-père plutôt que leur père, tant il a l'impression de leur parler d'une époque chimérique, quand il allait à la plage et traversait des plantations de roseaux sauvages à l'endroit même où s'étale aujourd'hui le parking d'une "grande surface" et que, de plage à la ronde, il n'y a plus la moindre trace. On a tout juste cinquante ans et on croirait en avoir plus de 80, du point de vue des paysages qu'on a pu connaître il y a seulement une quarantaine d'années. Comment dès lors ne pas penser que la construction des bâtiments, d'une façon ou d'une autre, en détail ou en général, est plus rapide que jadis ?
"Mais depuis ? Non, je ne crois pas."

Dame ! Cher Marcel, c'est à bloc ! Que voulez-vous qu'on construise entre Nice et Cannes, pour en rester à mon exemple ?
27 avril 2010, 12:58   Monaco
Faire comme à Monaco, ou à Hong Kong ! prendre sur la mer, construire plus haut !

Ceci dit, Hong Kong, c'est très beau.
27 avril 2010, 13:30   Comment voir la ville
Sérieusement, la ville des Temps modernes (ou, plutôt, la ville d'avant 1850) est une ville très dense, aux rues étroites et sinueuses, avec très peu de perspectives.

Les monuments ne peuvent être vus, cernés qu'ils sont par toutes sortes de bicoques. Voyez l'île de la Cité, telle que représentée sur le plan de Turgot : impossible d'avoir une vue d'ensemble de Notre-Dame.

[www.linternaute.com]

Notre vision de la ville est en fait haussmannienne. Lorsque Tokyo a été détruite sous les bombardements, la reconstruction n'a pas suivi la logique hausmannienne, c'est pour cela que nous sommes déroutés par une ville de cette nature, qui a pourtant une grande logique.
27 avril 2010, 14:05   Fast bild
Cher Jean-Marc, il me semble que vous changez quelque peu de sujet. Il s'agissait moins de "voir la ville" que de tenter de mesurer la vitesse de construction des bâtiments à notre époque, vitesse et facilité d'emploi de matériaux pauvres (fussent-ils "high-tech") qui me paraissent incontestables (autant prétendre que les guerres du XXème siècle n'ont pas plus tué que les guerres du passé (mais je vous crois capable de soutenir un tel point de vue, calculette en main)).
"La forme d'une ville", selon l'expression de Baudelaire, est moins en cause, à mon avis, que l'emprise sur les alentours urbains, les collines, s'il y en a, ou les prairies, et je doute qu'une telle emprise eût été aussi rapidement mise à l'oeuvre et l'eût aussi vite emporté avec les modes de construction du XVIIème siècle (pardonnez-moi mais j'ai vraiment l'impression de débiter de telles évidences !)

Du reste, le Journal de Renaud Camus abonde en surprises "architecturales", ce ne sont que hangars qui surgissent en un clin d'oeil, pour ainsi dire entre deux promenades de l'auteur, espacées de quelques mois seulement. Je ne vois pas comment le thème, récurrent dans ce Journal, des "progrès de l'enlaidissement", n'entretiendrait aucun lien avec la rapidité d'édification de toute sorte de bâtiments en pleine campagne.
je suis prêt à parier que l'on a construit au moins autant en France au XVIIIe siècle que depuis trente ans, et sans doute davantage au milieu du XIXe qu'aujourd'hui.

Cher Marcel, je tombe des nues en lisant cela.
Ne serait-ce qu'en chiffres bruts d'accroissement de la population, il a fallu 210 ans pour passer en France de 20 millions d'habitants en 1600 à 30 millions en 1810 ; puis, 90 ans pour passer de 30 millions à 40 millions en 1900 ; puis 69 ans pour passer à 50 millions en 1969 ; enfin 34 ans pour arriver à 60 milions en 2003.
A chacune de ces périodes qui allaient en racourcissant, il aura fallu loger 10 millions d'habitants supplémentaires.
J'ai beau me creuser la cervelle, je ne vois pas comment il eût été possible d'y parvenir sans accroître du même coup l'espace nécessaire pour abriter ces foules grossissantes. Sans compter le fait que la seconde moitié du 20ème siècle n'a fait qu'exacerber ce processus par le biais de la transformation brutale des modes de vie (éclatement des familles monoparentales venant doubler les besoins, étalement urbain et banlocalistaion proliférante contribuant à l'artificialisation grandissante des sols, déplacements facilités entraînant le développement des infrastructures routières et de leur impedimenta immobiliers, etc.).
A moins d'être aveugle ou de mauvaise foi, il me paraît tout bonnement impossible de prétendre le contraire...


[fr.wikipedia.org]
27 avril 2010, 14:21   Re : Comment voir la ville
Rien de ce que j'ai écrit ici ne visait évidemment à minimiser le caractère désastreux de ce qui s'est fait et se fait toujours dans des lieux comme la Côte d'Azur ou les banlieues, ou sur les chantiers du vandalisme rénovateur. Je voulais seulement dire que c'est davantage le goût, le style, les matériaux qui sont en cause que la vitesse. Et davantage que celle-ci, il y a aussi le fait que l'on construit pour quelques décennies et non plus pour des siècles. J'entendais récemment un architecte vanter la durabilité que permettraient les nouvelles techniques de construction des façades en bois : il parlait de construire désormais de façon pérenne ; je lui demandai alors ce qu'il entendait par là et reçus en réponse satisfaite et fière l'assurance que cela durerait au moins trente ans ! Je lui parlai alors des superbes églises norvégiennes en bois dont certaines ont huit cents ans, il me rétorqua que ça, c'était une autre époque, qu'on ne pouvait pas comparer. Trente ans, c'est aussi je crois la durée de vie prévue pour le beau viaduc autoroutier construit à Millau par Norman Forster ; quand j'ai lu cela (là aussi, écrit avec fierté), j'ai songé aux assez nombreux ponts romains toujours en service.
27 avril 2010, 14:30   Matériaux pauvres
Bien cher Orimont,


Dans les temps anciens, le matériau pauvre est la règle et le matériau noble l'exception. Il y a des palais, des églises, mais aussi des maisons qui tiennent à peine debout. La maison du moyen-âge en pierre est un mythe.

En fait, pendant des siècles, on démolit et on reconstruit, à peu près à la même place (voyez le Panthéon à Rome : pour y accéder, on descend, chose curieuse. C'est simplement parce que le voisinage a vu le sol s'élever, constitué qu'il était de décombres).

La rupture majeure, c'est celle d'Haussmann et ses semblables : on discipline la ville.

Pour ce qui est des matériaux modernes, leur choix résulte non d'une question de coût, mais de raisons techniques.


La pierre traditionnelle est un excellent exemple : si vous voulez franchir une brèche, vous ne pourrez le faire, dès que la portée est assez grande, qu'avec une clé de voute. Pourquoi ? parce que la pierre tient très bien à la compression, et se brise à la traction.

En revanche, vous ne pourrez pas tailler une pierre de la forme d'une poutre (c'est à dire pour avoir plusieurs mètres d'un seul coup sans arc de cercle). Cette pierre se brisera, car le dessus travaillera en compression (c'est parfait) mais le bas en traction (ça ne va pas).

Avec du bois, vous avez une portée un peu plus grande, mais ce n'est pas extraordinaire.

Prenez maintenant le béton armé, et plus près de nous le béton précontraint : l'acier est placé dans la zone tendue (il est remarquable à la traction) et vous pouvez avoir de longues portées.


Pour le reste, je ne suis pas persuadé que le placoplâtre soit très inférieur aux horribles plâtras des appartements des centres anciens.
"puis, 90 ans pour passer de 30 millions à 40 millions en 1900 ; puis 69 ans pour passer à 50 millions en 1969"

Vous négligez les variations de rythme : en 1945, la population française était encore de 40 millions. Il n'a donc fallu qu'un quart de siècle pour gagner dix millions, de 1945 à 1969. Concernant cette période d'après-guerre, nous sommes d'accord. Mais depuis la croissance a ralenti.

D'autre part, gagner dix millions d'habitants quand on en a dix-sept, comme l'a fait la France au XVIIIe siècle, ce n'est pas la même chose que lorsqu'on part de cinquante.
27 avril 2010, 14:33   Dans le temps
Bien cher Marcel, c'est un point important : construire pour telle ou telle durée.

En fait, les bâtiments sont un peu des couteaux de Lichtenberg : prenez une maison XVIIIème. On a changé x fois les fenêtres, refait la toiture, on a installé la plomberie, l'électricité... est-elle encore XVIIIème ?

Dans ces conditions, il n'est pas stupide de penser à construire puis détruire pour rebâtir (c'est le système américain).

Pensez aussi à tous les ponts (et bâtiments) romains qui se sont effondrés !
27 avril 2010, 14:37   Viaduc de Millau
Une précision : il est prévu durer cent-vingt ans. Au delà, il faudra entrer dans de très lourdes réparations.

[www.leviaducdemillau.com]
27 avril 2010, 14:39   Pont Saint-Pierre
Qui, parmi les toulousains de ce forum, se souvient de ceci :


[www.geo.fr]
Ce n'est pas si vieux que ça, cher Jean-Marc. Je trouve le nouveau pont St Pierre assez banal, en retrait par rapport au pont St Michel très moderne et sobre de lignes.
En Corse toutues les anciennes maisons vieilles parfois de plusierus siècles sont en pierre . Même les abris de bergers.
"Pour ce qui est des matériaux modernes, leur choix résulte non d'une question de coût, mais de raisons techniques."

Fort bien. Je place parmi les "raisons techniques", précisément, la facilité et la rapidité de construction, mais je dois faire erreur puisque, si j'ai bien compris, 1 - on ne construit pas plus vite qu'avant, 2 - on ne construit plus tant que ça, pas plus qu'au XVIIIème siècle.

Pardonnez-moi mais cette démonstration me rappelle étrangement ceux qui, chiffres imparables à l'appui assortis de non moins imparables observations sociologiques, prouvent par a+b que l'immigration est, contrairement aux idées reçues, moins importante qu'en 1880, que d'ailleurs elle a cessé depuis longtemps etc. Avec eux aussi bien qu'avec vous sur la question de la construction, il faut renoncer à voir ce qu'on voit, il faut se promener dans la rue et la campagne en se répétant : "et dire qu'au XVIIIème siècle on construisait autant..."
Vous êtes de mauvaise foi sur ce coup-là, Michel. Mes remarques visaient à essayer de mieux cerner les causes du désastre architectural et urbanistique contemporain. Vous croyez qu'il est essentiellement dû à la rapidité et au volume de la construction, j'ai essayé de montrer qu'on a souvent, à d'autres époques, construit aussi et même plus vite et à grande échelle sans faire laid, au contraire, et qu'il fallait donc plutôt aller voir du côté du style, de l'esthétique, des matériaux et de l'horizon qu'on a en tête en construisant. Libre à vous de croire ce que vous voulez mais ici c'est vous qui refusez la réalité en ridiculisant les faits précis qu'on vous oppose par un appel à une comparaison infamante.
Bien cher Orimont,

Vous ne comprenez pas le problème : c'est une question d'occupation de l'espace. Haussmann a, sur le même territoire, construit très rapidement moins de logements qu'il n'en a détruit, envoyant les classes dangereuses hors de Paris.

De même, si vous prenez une villa de banlieue actuelle, elle est de bien meilleure qualité qu'une modeste maison de ville 1850 ou un pavillon 1920. En 1850, il n' y avait pas de toilettes, et en 1920 pas de salle de bains.

Cassandre cite un des rares contre-exemples : celui des zones de montagne granitique (Corse, montagne du Tarn, partie du massif central...) où il y a des grandes et solides maisons familiales, bien entretenues et jalousement préservées.

Vous confondez l'outil (la facilité de construction) et la raison (l'urbanisme débridé).

Je persiste : ce n'est pas une question de coût. Actuellement, on construit avec les labels HQE et autres, je vous assure que ce n'est pas donné. Faites faire un devis par un artisan, vous ne serez pas déçu du voyage.
27 avril 2010, 19:23   La maison moderne
Qu'est-ce que c'est, dans le rêve de la population ?

- une "quatre faces" ;

- avec petite piscine ;

- climatisée ;

- photovoltaïquisée ;

- multisalledebainisée ;

- une chambre par personne et une pour les amis ;

- une salle de jeu ;

- si on a des sous, une salle de "home cinema" ;

- deux garages.
Bien cher Orimont,

S'il vous plait, lisez ceci :

[fr.wikipedia.org]
"Libre à vous de croire ce que vous voulez mais ici c'est vous qui refusez la réalité en ridiculisant les faits précis qu'on vous oppose par un appel à une comparaison infamante."

Comparaison infamante ? Le qualificatif me parait un brin exagéré. Vous savez, ceux qui prétendent que l'immigration n'est pas plus importante aujourd'hui qu'en 1880, 1900 ou 1920 pourraient bien présenter, sur le papier, de troublantes preuves de ce qu'ils affirment et on pourrait polémiquer à longueur de fil avec eux.

Que voulez-vous que je vous dise ? L'affirmation selon laquelle "on a souvent, à d'autres époques, construit aussi et même plus vite et à grande échelle" est peut-être vraie mais elle me parait bien abstraite, à l'oeil nu, quand je confronte ne serait-ce que de vieilles cartes postales du début du siècle avec la réalité qui nous entoure. Si, comme vous le dites, on a construit aussi et même plus vite et à grande échelle à d'autres époques, ce ne serait compréhensible qu'à la condition de considérer qu'aux-dites époques il n'y avait pour ainsi dire rien de construit et, en effet, passer de 2 bâtiments là, où il n'y en avait qu'un, c'est doubler le nombre de constructions.

Selon vous, il faudrait "aller voir du côté du style, de l'esthétique, des matériaux et de l'horizon qu'on a en tête en construisant." Je prétends que l'horizon qu'on a en tête est la conséquence des matériaux soudain disponibles et ceux-ci déterminent à leur tour l'esthétique et le style. Or, ces matériaux me paraissent toujours plus aisés à assembler que ceux de jadis et ils réclament moins de main-d'oeuvre en même temps que moins de style, moins de connaissances stylistiques pour être mis en oeuvre comme, pour un enfant, il est plus facile d'obtenir une construction ludique avec un jeu de Lego qu'avec un des premiers jeux de construction en bois du début du siècle. Je ne nie pas que le champ des connaissances requises ne se soit déplacé du côté des connaissances "normatives" (labels etc.), au grand détriment des questions esthétiques.

Peut-on soutenir qu'un quidam entre 1559 et 1610, un autre entre 1659 et 1710 auraient vu surgir de terre avec autant de rapidité et en pareille quantité des bâtiments de toute nature tel qu'un autre entre 1959 et 2010 ? N'est-ce pas une vue de l'esprit ?

"c'est une question d'occupation de l'espace" indique Jean-Marc. Oui, et alors ? "Vous confondez l'outil (la facilité de construction) et la raison (l'urbanisme débridé)." ajoute-t-il et c'est une vieille pomme de discorde, cette histoire d'outil. Je ne confonds pas, je crois que l'outil induuit très largement l'urbanisme débridé, mais, de cela, on pourrait en parler jusqu'à user les touches de nos claviers sans tomber d'accord.
De même, si vous prenez une villa de banlieue actuelle, elle est de bien meilleure qualité qu'une modeste maison de ville 1850 ou un pavillon 1920. En 1850, il n' y avait pas de toilettes, et en 1920 pas de salle de bains.

Cher Jean-Marc, la présence de toilettes et de salles de bains n'a pas grand chose à voir avec la qualité d'un bâtiment (j'ai envie de dire : heureusement !). D'autre part, un pavillon 1920, comme vous dites, a le modeste mérite (il n'en a peut-être guère plus, je suis prêt à vous l'accorder) d'avoir vécu quatre-vingt-dix ans pour le compte, ce qui n'est pas un exploit pour autant, mais je serais bien aise de pouvoir constater l'état des villas de banlieues actuelles, comme vous dites derechef, dans un siècle.
Ajoutons le déplorable manque de "savoir-vieillir" des bâtiments contemporains qui, quand par extraordinaire ils sont réussis, n'ont pour eux que l'éphémère beauté du flambant neuf, et l'affaire est pliée.

Tenez, pour mémoire, ce court passage de Tristes tropiques, où Levi-Strauss effleure la question :

"Au moment où les nouveaux quartiers se dressent, ce sont à peine des éléments urbains : ils sont trop brillants, trop neufs, trop joyeux pour cela. Plutôt on croirait une foire, une exposition internationale édifiée pour quelques mois. Après ce délai, la fête se termine et ces grands bibelots dépérissent : les façades s'écaillent, la pluie et la suie y tracent des sillons, le style se démode, l'ordonnance primitive disparaît sous les démolitions qu'exige, à côté, une nouvelle impatience."
27 avril 2010, 20:31   Le coût
Bien cher Francmoineau,

Ma phrase était sans doute impropre : je ne parlais pas de qualité architecturale, mais plutôt de commodité. Je voulais surtout dire que ce type de maison est cher, et qu'on ne peut dire qu'on construit davantage parce que c'est moins cher.

Le débat est un peu emmêlé : Marcel et moi voulons dire que, s'il y a une démarche esthétique, une volonté politique, on peut construire vite et beaucoup, avec un excellent résultat : je reviens toujours au Paris d'Haussmann.
 « Si, comme vous le dites, on a construit aussi et même plus vite et à grande échelle à d'autres époques, ce ne serait compréhensible qu'à la condition de considérer qu'aux-dites époques il n'y avait pour ainsi dire rien de construit et, en effet, passer de 2 bâtiments là, où il n'y en avait qu'un, c'est doubler le nombre de constructions. » 

Quand Haussmann a reconstruit la moitié de Paris en vingt ans, il n'y aurait donc eu, selon vous," rien de construit" avant ? Relisez les textes des écrivains de l'époque se lamentant devant la disparition du vieux Paris. Et les reconstructions des centres de presque toutes les villes européennes entre le XVIe et le XVIIIe siècle ? Mais j'ai déjà cité ces exemples et vous n'en tenez absolument aucun compte. Alors à quoi bon ?

Plus intéressant est ce que vous écrivez sur la question du rapport entre les techniques et les matériaux d'une part, l'horizon, le style et l'esthétique de l'autre. Remarquez tout de même que les techniques de construction industrielles apparaissent avant la grande mutation stylistique. Les années trente sont à cet égard très intéressantes : on voit coexister, avec les mêmes techniques de construction (en gros), le style international, qui ne s'imposera définitivement qu'après la guerre, et le style Arts Décoratifs auquel on doit de très belles réalisations qui ne constituent pas cette rupture dans le paysage urbain qu'entraîne le premier cité.
Mais pourquoi me renvoyer sans cesse au Paris d'Haussmann quand j'rai devant les yeux des "stabulations", des "lotissements", des "Marina", des ZAC et des grands ensembles ? J'avoue, oui, j'avoue, ne pas comprendre.

Si vous comptez dans les constructions prétendument aussi nombreuses et rapides du XVIIIème siècle la reconstruction du centre de presque toutes les villes françaises auxquelles il faudrait ajouter celle des châteaux, alors bien sûr, on construisait aussi vite (et même plus vite) et aussi en masse il y a trois cent ans qu'aujourd'hui ! Mais bon sang ! Est-ce que je suis le seul à voir ce que je vois ?

"(...) s'il y a une démarche esthétique, une volonté politique, on peut construire vite et beaucoup, avec un excellent résultat : je reviens toujours au Paris d'Haussmann." Tiens, un peu d'uchronie. Imaginez les ruines de l'après-guerre (45) relevées avec les moyens techniques du temps d'Haussmann et non pas ceux des années cinquante. Imaginez Le Havre reconstruit par Haussmann avec les ouvriers de son temps et les techniques de son temps. Ou bien imaginez Haussmann, chargé de la reconstruction en 1946 et dites-moi s'il n'eût pas, à peu de choses près, reconstruit dans la même optique et la même imagination que les reconstructeurs d'alors (d'ailleurs Le Havre est au patrimoine mondial.)

"S'il y a une démarche esthétique, une volonté politique"... on pourrait en dire autant de la télévision et, personnellement, je n'y crois pas, pas plus qu'à l'utilisation intelligente de la voiture comme moyen de locomotion. Pour moi, il y a des "outils" dont on ne peut rien tirer de bon et tous les matériaux de construction actuels en font partie. Il faut attendre patiemment qu'ils soient dépassés, oubliés, rendus inutilisables. Remplacés par quoi ? Je n'en sais rien.
Remarquez tout de même que les techniques de construction industrielles apparaissent avant la grande mutation stylistique.

Oui, cher Marcel, et pour une bonne raison, c'est que les architectes de la première époque du ciment armé n'étaient pas prêts à affronter les exigences nouvelles qu'impose un tel matériau - il s'agit tout de même pour l'architecture d'un bouleversement de ses modèles et de ses méthodes classiques : la stéréotomie, la répartition des forces dans les différents points du bâtiment (comme l'a bien dit Jean-Marc), l'articulation de ses éléments, tout cela est forcément différent et implique une révision complète de l'approche structurelle et stylistique. Au début de cette aventure, ce sont d'abord les inventeurs et les ingénieurs (comme Hennebique) qui en ont fourni les applications concrètes. C'est avec Auguste Perret que les architectes se sont emparés véritablement du matériau pour lui donner une forme et une cohérence plastique jusqu'à l'élever à un style propre. De Perret, le flambeau passera dans les mains du Corbusier, et, de là, avec les avatars que l'on sait, dans celles de tous les suiveurs...

Auguste perret, qui dit ceci : Mais la puissance presque illimitée de ce mode de construction n'a pas que des avantages ; elle autorise les pires élucubrations : "ça tient toujours". Il faut se servir du béton armé vertueusement. Il compose l'ossature , le squelette de l'édifice, ce squelette doit être beau, il doit pouvoir rester apparent ; le point d'appui, la poutre, sont à la fois des éléments essentiels et les plus beaux ornements de l'architecture.
Cher Orimont, je vous accompagne...
28 avril 2010, 10:34   Urbanisme
Bien cher Orimont,

Les "stabulations", les "lotissements", les "Marina" sont effectivement l'antithèse de l'urbanisme, sur ce point je suis d'accord.

En revanche, et je parle là sous le contrôle de Rogemi, allez à Berlin : vous verrez que la cicatrice du Mur a été traitée de façon fort correcte. Prenez Singapour : la ville a sans doute bien changé, mais ce n'est pas mal du tout. Prenez Hong Kong (influence du Feng Shui ?) : la ville doit être très différente d'il y a quarante ans, mais je trouve cela très beau, il y a un réel travail architectural. Qu'en pense Francis ?
Oui, oui, Jean-Marc, je saute sur Berlin, je prends Singapour et j'enfile Hong Kong, super.

Mais si je reste sur mon balcon comme une rime facile, en face du Mamac (en travaux de rénovation, c'est qu'il a bien, je ne sais pas moi, ce gros cube, une vingtaine d'années, alors vous pensez qu'un lifting s'impose, avec, depuis février, un poster géant de porc tatoué par Wim Delvoye (et on pourrait aussi parler des grosses merdasses d'artistes qui restent exposées aux regards pendant des mois)) avec vue sur des collines si entièrement et méthodiquement gauffrées d'immeubles, comme en plein boom immobilier du XVIIIème siècle, ne l'oublions pas, que, pour ne pas apercevoir des bicoques, ma vue doit se hisser jusqu'aux lointaines montagnes du Mercantour ( avant que ne les efface l'espèce de brume de pollution qui va tomber sur la ville aux premières chaleurs), si je reste sur mon balcon (bis) il ne me reste qu'à bramer après une démarche esthétique et politique, et me dire, allez, tout ça, c'est du déjà vu, il y a bien eu des époques où l'on a construit aussi vite et autant, sans parler d'Haussmann, ah ! Si seulement Haussmann s'était occupé des collines niçoises, on aurait un peu vu !
comme en plein boom immobilier du XVIIIème siècle

On peut être ou ne pas être en désaccord avec vous, cher Orimont, mais on ne peut pas vous dénier un certain sens de la formule !
Marcel Meyer a probablement raison: le Paris hausmannien, c'est à dire le Paris qui fait Paris, qui porte l'identité architecturale de cette ville, fut construit en douze ans! (de 1852 à 1870) I C I. L'adage qui rappelle que Paris ne s'est pas construit en un jour est trompeur. Il me semble me souvenir qu'il a fallu à peine moins de temps cent ans plus tard aux architectes et entrepreneurs pour démolir les Halles Baltard et combler le trou qu'ils y laissèrent afin d'installer cette vaste poubelle de chrome et de verre dans son "écrin" de jardins ressemblant à des squares de sous-préfecture.

De manière générale, on peut douter que l'architecture des temps anciens nous présenterait l'unité qui rend ses ensembles identifiables sans une certaine célérité de la chaîne qui va de la conception à l'exécution, et bien sûr de l'exécution elle-même.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Mais au fait, où héberger les oeuvres monumentales du communeux Courbet ?

Citation
Francmoineau
Remarquez tout de même que les techniques de construction industrielles apparaissent avant la grande mutation stylistique.

Oui, cher Marcel, et pour une bonne raison, c'est que les architectes de la première époque du ciment armé n'étaient pas prêts à affronter les exigences nouvelles qu'impose un tel matériau - il s'agit tout de même pour l'architecture d'un bouleversement de ses modèles et de ses méthodes classiques : la stéréotomie, la répartition des forces dans les différents points du bâtiment (comme l'a bien dit Jean-Marc), l'articulation de ses éléments, tout cela est forcément différent et implique une révision complète de l'approche structurelle et stylistique. Au début de cette aventure, ce sont d'abord les inventeurs et les ingénieurs (comme Hennebique) qui en ont fourni les applications concrètes. C'est avec Auguste Perret que les architectes se sont emparés véritablement du matériau pour lui donner une forme et une cohérence plastique jusqu'à l'élever à un style propre. De Perret, le flambeau passera dans les mains du Corbusier, et, de là, avec les avatars que l'on sait, dans celles de tous les suiveurs...

Auguste perret, qui dit ceci : Mais la puissance presque illimitée de ce mode de construction n'a pas que des avantages ; elle autorise les pires élucubrations : "ça tient toujours". Il faut se servir du béton armé vertueusement. Il compose l'ossature , le squelette de l'édifice, ce squelette doit être beau, il doit pouvoir rester apparent ; le point d'appui, la poutre, sont à la fois des éléments essentiels et les plus beaux ornements de l'architecture.

Il me semble que ceci est faux. La répartition des forces dans un bâtiment ne dépend pas des matériaux utilisés, même s'il est vrai qu'avec des matériaux plus résistants, l'on peut moins s'en préoccuper. Auguste-Perret en pointe bien l'inconvénient (et l'effondrement du terminal de Roissy aussi).

Rien n'empêcherait donc, avec les techniques de construction présentes, de construire plus beau, plus durable, tout en étant plus économe. La pierre moulée en béton n'empêche pas de faire des voûtes, au contraire : cette capacité de mouler la pierre évite d'avoir à les tailler.

Existe-t-il, par exemple, des pierres moulées, sortes de parpaing, produit par l'industrie pour concevoir des voûtes ?
Existe-t-il, dans les magasins de location de matériel, de la charpenterie en bois reconstitué pour les construire aisément ?
Nul doute que si ces produits existaient, les portes voutées fleuriraient partout en France.

Est-ce par réflexe marxiste que vous êtes porté à estimer que l'architecture nouvelle est le produit d'une matière nouvelle ? En fait, il me semble que c'est surtout l'idéologie architecturale qui s'est recentrée sur l'utilitaire, et les savoirs-faire se sont perdus.

Vu la laideur du Havre, je me dis qu'Auguste-Perret n'est pas une bonne référence en matière de jugement esthétique...
Il me semble que ceci est faux. La répartition des forces dans un bâtiment ne dépend pas des matériaux utilisés

Voilà qui est intéressant. Ainsi, des éléments structurels en béton armé (au fait, pourquoi arme-t-on le béton, selon vous ?) joueront de la même façon que des éléments en lamellé-collé, en chêne, en métal ?
Avez-vous observé les différences formelles qui existent entre des charpentes en bois et des charpentes métalliques ? A quoi sont-elles dues, selon vous ?
Croyez-vous que le poids, la densité, la texture du matériau mis en œuvre n'influent en rien sur le comportement dynamique de celui-ci au sein d'un bâtiment ?
Pensez-vous que la plasticité spécifique, ou l'homogénéité plus ou moins importante de tel ou tel matériau, ne modifient pas la distribution des tensions et des compressions qui s'y exercent ? Que les déformations subies par une paroi en brique, en pierre, en bois, en carton, que sais-je, sont identiques à contraintes égales ? Savez-vous ce qu'est la ductilité d'un matériau ? (Le chêne et le roseau, vous voyez ?...)
Bref...

La pierre moulée en béton n'empêche pas de faire des voûtes, au contraire : cette capacité de mouler la pierre évite d'avoir à les tailler.
Là, il faut vraiment que j'y aille.
Je maintiens, en principe : la manière de se répartir des forces ne dépend pas de la matière. La théorie physique ne varie pas selon les matériaux employés. Si les matières ont en effet des caractéristiques variables, ce n'est pas en qualité, mais en quantité. Tout matériaux supporte d'une certaine manière la compression, la traction. Chaque matériaux a sa ductilité et son élasticité. La même forme peut être faite avec des matériaux différents et les forces se répartiront identiquement. Mais il est vrai que les dimensions atteignables à volume identique varieront : une tour Eiffel en bois serait moins haute qu'une tour Eiffel en acier, bien que les forces s'y répartissent de manière identique.

Tout ce qui fut fait historiquement avec les matériaux anciens, pourrait être fait à l'identique avec les matériaux modernes. L'architecture pourrait atteindre des sommets inouïs de beauté et d'élégance si elle bâtissait à partir des matériaux modernes avec le goût d'autrefois.

Mais nous sommes dans l'ère du vite fait, mal fait, de l'utilitarisme.

L'explication de la décadence architecturale par l'évolution des matériaux me semble un peu courte.
"L'explication de la décadence architecturale par l'évolution des matériaux me semble un peu courte."

Portances ou pas, il exsite beaucoup de matériaux contemporains à partir desquels on ne peut rien faire. C'est surtout flagrant dans le cas des petits aménagements, de tout ce "mobilier urbain" qui nous environne, pour ne pas dire nous cerne. Combien de "jardinières", murets, "garde-corps", barrières et autres, sur la base d'exactement les mêmes formes seraient envisageables s'ils étaient façonnés dans d'autres matériaux ?
Est-ce par réflexe marxiste que vous êtes porté à estimer que l'architecture nouvelle est le produit d'une matière nouvelle ?

Oh, certainement — comme vous le confirmeront les habitués de ce forum, le marxisme est ma pente naturelle, mon péché mignon, ma douce folie...
Utilisateur anonyme
14 août 2011, 08:13   Re : La berlue et les idées reçues
(Message supprimé à la demande de son auteur)
On ne peut pas faire la même chose avec tous les matériaux. Le béton travaille à la compression, mais très mal à l'extension. Pour l'acier, c'est l'inverse. Le béton armé est un bon compromis.

Le béton précontraint permet d'autres solutions.
Je ne dis pas que l'on peut faire la même chose avec tout les matériaux,
je dis que l'on peut faire des choses forts différentes avec les mêmes matériaux.

Tant les cathédrales que le Parthénon sont en pierre.

Il y a donc manifestement des styles différents, à matériaux pourtant identiques.

Les variations de style sont indépendantes des matériaux : elle proviennent de considérations esthétiques propre aux civilisations.

Si évolution des matériaux il y a, celle-ci n'explique pas l'évolution du style d'architecture, qui est dû à un changement de paradigme esthétique. Ce changement de paradigme esthétique fut d'ailleurs manifeste dans d'autres parties de l'Art, comme la peinture, ou la sculpture, par exemple, où il ne me semble pas que les matériaux aient particulièrement changés.

L'évolution des matériaux de faire la même chose, en aussi beau et moins cher.

Quelques images pour illustrer ce qu'est historiquement l'usage du béton avec goût.
Maison des ouvriers de François Coigné

Maison témoin de François Coigné :
Plan:

Vestige :

Eglise Sainte-Marguerite du Vésinet :


CQFD : le béton, qui n'est que de la pierre reconstituée et moulée, pourrait être agencé de manière très esthétique et donner des résultats aussi beaux que de la vraie pierre.
Le béton vieillit mal, sa matière est moche, le peindre l'enlaidit. Il convient de le masquer par des matières plus nobles. Une réalisation moderne de qualité, le musée Gugenheim à Bilbao :

Pierre, verre, titane.
Bien fabriqué, teint dans la masse et poli, formant de belles et aériennes courbes, le béton peut être magnifique.
Marcel a raison, de mon point de vue.

Florentis,

En ce qui concerne le Parthénon et les cathédrales, la différence majeure tient aux progrès faits dans ce qu'on appelle la "résistance des matériaux", c'est à dire le calcul des structures.

Les Romains étaient très en avance sur les Grecs, et les architectes du moyen-âge très en avance sur les Romains.
Les Romains étaient très en avance sur les Grecs, et les architectes du moyen-âge très en avance sur les Romains.

Elle est amusante, cette phrase. C'est voulu ?
Disons que l'architecture romaine est plus élaborée que l'architecture grecque. Quant à l'architecture gothique, à force de virtuosité elle frôle la catastrophe, comme à Beauvais.
Oui, c'est ce que précise Florentin.

Beauvais est un bon exemple, mais il faut aussi se souvenir des effondrements nombreux de monuments romains, et plus encore de monuments grecs.

Pour préciser le point concernant Grecs et Romains : l'architecture civile romaine est, du point de vue des structures, très en avance sur la grecque (à une époque ultérieure, c'est vrai). Les Flaviens furent de très grands bâtisseurs, le Panthéon est remarquable (et toujours debout), certains réseaux hydrauliques existent encore.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Non, non, vous n'y êtes pas, Florentin et Jean-Marc : ce que je trouvais amusant, c'était le "en avance" (ce qu'a senti Jean-Marc, qui a rajouté "à une époque ultérieure c'est vrai"...
Mais si, on avait compris, la formulation était drôle.
L'appréciation de la beauté et de l'art est chose bien délicate.

Un voyage récent m'a conduit jusqu'à Metz où le centre Pompidou ne peut pas cacher sa vision conceptuelle de l'architecture ; c'est un joli dessin sur un papier, mais un immeuble discutable. Discutable quand on le regarde de près où, hormis ce fameux coup de crayon et l'idée qu'elle présidait, on ne voit qu'un bâtiment très moyen. Discutable en ce que l'argent public paraît mal investi pour l'avenir. J'exagère volontiers... le centre Pompidou aura une moins belle tête que la gare de Guillaume II lorsqu'on lui comptera le même nombre d'années. Mais pourquoi faut-il qu'on pense la construction de ces immeubles publics en terme d'investissement et jamais en termes d'entretien (j'aillais dire de maintenance mais ce serait discutable mais compréhensible tout de même).

Par ailleurs, ce même récent voyage m'a conduit sur la colline de Sion pour voir le monument dédié à Maurice Barrès ; j'aurais aimé vous faire partager la photo prise par mes soins (mais je ne sais comment faire quoique je ne sois pas malhabile avec les choses de l'électronique) d'une lanterne des morts sous un ciel de traîne et dominant une plaine immense... mais auprès de laquelle on a pris soin d'installer des bancs et tables pour le "picnic". Pauvre Barrès ! Certes, il n'y a personne pour penser jamais à Maurice Barrès ; le lieu y est désert sauf un couple faisant pisser son chien...
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