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L'Energie renouvelée

Envoyé par Quentin Dolet 
13 mai 2010, 02:08   L'Energie renouvelée
Les deux font la paire. François Bégaudeau, nominé aux prix de la Nocence 2010 dans plusieurs catégories, a commis un nouveau bouquin en collaboration avec Joy Sorman, ancienne prof de philo, auteur d'un "manifeste pour un féminisme viril, Boys, boys, boys" et d'un éloge du groupe NTM, Du bruit. Ils sont interviewés dans le dernier numéro de Télérama. Effrayant.

Leur bouquin, intitulé Parce que ça nous plaît. L'invention de la jeunesse, tente de définir les contours de l'"être-jeune" et de l'"être-adulte" (ou vieux). Ils perçoivent en eux-mêmes des caractéristiques de la jeunesse, et pensent qu'elle est avant tout un "état d'esprit", "une culture qui traverse tous les âges de la vie" (Joy) et non pas "un début et une fin", comme on le pensait... avant. J'ai peut-être mal compris Faust; il me semblait pourtant que ce caractère atemporel de la jeunesse n'avait pas échappé à Goethe l'Ancien, il y a de cela quelques millénaires.

Ce que nos penseurs ont découvert, en vérité, c'est qu'à tout âge se manifeste un évident refus de vieillir - mais dans leur galimatias pseudo-philosophique, cela devient une "mutation anthropologique". Nous passerions d'une "conception de la vie chronologique" à une ère de "cohabitation entre les âges" ou l'adulte "garde un goût adolescent pour des tas de choses". Joy remarque que la seule chose qui l'éloigne de la jeunesse, c'est la fatigue physique : "Aujourd'hui, après une nuit blanche, je suis déchirée pour aller travailler le lendemain. C'est très bête, mais c'est comme ça".

Le duo se lance dans une argumentation pénible et nébuleuse : vieillir, ce serait "privatiser son espace sexuel", c'est-à-dire ne plus ressentir le besoin de partager ses frasques sexuelles avec ses amis; ce serait plus généralement fuir les lieux de rencontre pour "rentrer à la maison, à la fois littéralement et métaphoriquement". Ce serait prendre son rôle au travail ou son rôle de parent au sérieux, alors que le travail et la parentalité, tout comme l'intimité, sont des "comédies".

En somme, le vieux c'est le type embourgeoisé, sclérosé, englué dans sa fausse existence et plongé dans des soucis qui n'en valent guère la peine (révélation qui méritait bien un livre); mais c'est aussi - et voilà en quoi nos intellectuels sont modernes - celui qui pense que certaines choses dans la vie requièrent une certaine gravité. C'est celui qui s'isole dans sa quête intérieure et s'éloigne des conformismes de la jeunesse - car il y a un conformisme de la jeunesse - pour cultiver son jardin, et prendre sur ses épaules le fardeau de la condition humaine. L'ado éternel est un mouton qui bêle éternellement sa révolte imbécile.

Il aime la musique, "la forme d'expression la plus adéquate au métabolisme des jeunes" déclare François; il aime la danse, il aime bouger son corps, s'émouvoir. Alors que les générations précédentes étaient un peu coincées, "les jeunes sont aujourd'hui beaucoup plus à l'aise dans leur corps que nous au même âge (...) Il serait temps d'inquiéter notre culture, si française, de l'intellect. De réhabiliter le corps dans le champ de la pensée." Le jeune qui détruit une vitrine exprime cette énergie corporelle. Il jouit de son geste, et ne revendique rien. Sa destruction est positive, affirmatrice, innocente.

L'ado éternel est une bête blonde, gonflée à l'"énergie" - concept étrange qui vaut bien les funestes vitalismes de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe. Il est mu par une force irrationnelle, parfois violente, et toute völkisch diraient certains. Le nouveau dieu impubère qui sait danser brûlera des écoles et des livres, soyons-en sûrs. Il brûlera les maisons où les vieux se sont retirés pour méditer et pour mettre en pratique leur très rance "culture de l'intellect". Joy et François mèneront ce cortège de satyres au son de leurs flûtes rouges.
13 mai 2010, 18:32   Re : L'Energie renouvelée
Bégaudeau a décidément bien mérité son prix de la Nocence tant il incarne, de façon presque caricaturale, ceux dont nous combattons ici les idées : ton prétentieux et faussement décontracté, apologie de la déculturation et du jeunisme, etc.


Au-delà de tout cela, il est intéressant de constater, comme le fait si bien remarquer Olivier, à quel point la pseudo-pensée bobo aime faire l'éloge du "corps" et de l'"énergie" : Bégaudeau avait déjà utilisé ce concept pour décrire les émeutes de 2005, en disant que les "jeunes" avaient montrée leur "énergie" en brulant des voitures.

Sous la plume d'un critique de Télérama (Jacques Morice), on pouvait également lire à propos du film Entre les murs :
"L'énergie est le maître mot, ce sur quoi le film s'appuie pour croire que rien n'est perdu. Energie débordante d'une jeunesse peu « gauloise », plurielle. Lorsque Esmeralda, Souleymane ou Khoumba s'expriment, ce sont aussi leurs visages, leurs corps tout entiers qui entrent en action - s'ils n'ont pas tous le niveau scolaire requis, au moins ont-ils la santé, et n'est-ce pas le plus important ? Le film dégage quelque chose de charnel et de pudique à la fois, de musical et de chorégraphique. "
Or, à bien y réfléchir, on peut trouver cela paradoxal de la part d'un apôtre de la "diversité" et des "identités plurielles" de finalement renvoyer les enfants d'immigrés à leurs attributs purement physiques, tout en précisant qu'il est sans importance qu'ils n'aient pas le niveau intellectuel requis. On n'est finalement pas loin du cliché selon lequel les Noirs auraient "le rythme dans la peau" ! Cette tartufferie inconsciente de bien-pensant en dit long sur l'idéologie antiraciste du "droit à la différence" et ses effets pervers : alors que l'assimilationnisme considérait que tous les élèves devaient être traités de la même manière quelles que soient leurs origines, le "culte de la différence" fait que l'on modifie inconsciemment le regard que l'on porte sur eux et du même coup on revoie à la baisse les exigences que l'on devrait avoir vis-à-vis des enfants d'immigrés ; cela explique (entre autres) les désastres dont est victime l'école actuelle...
"Cette tartufferie inconsciente de bien-pensant en dit long sur l'idéologie antiraciste (...)"

Oh que oui ! Il est d'ailleurs toujours amusant, si l'occasion se présente de discuter avec l'un de ces tartuffes - bien souvent tartuffes de bonne mauvaise foi -, de conduire la conversation avec malice et patience jusqu'à mettre l'interlocuteur en face du sentiment de supériorité sur lequel repose tout son discours, de la condescendance à l'égard des "jeunes", on peut même aller, si le terrain est propice, jusqu'à rappeler, l'air de rien, la fascination des nazis pour le corps, l'énergie, je dis pas ça pour toi, bien sûr, c'est juste un truc qui me vient à l'esprit. Succès garanti en gardant le sourire et, peut-être, graines semées pour un début de prise de conscience qui fera son chemin.
"(...) au moins ont-ils la santé, et n'est-ce pas le plus important ?"

Santé, jeunesse, énergie, vitalité, nature, corps... Il faut vraiment s'inquiéter lorsque ces valeurs deviennent prédominantes (même s'il serait plus exact de parler d'anti-valeurs, ou de valeurs par défaut, par carence d'esprit).
14 mai 2010, 21:23   Ah les belles dents
Je crois me souvenir que Musil trouvait merveilleux dans L'Homme sans qualités que l'on s'extasiât des qualités physiques d'un cheval au point de le qualifier de "génial".
Félix a raison, ces gens en deviennent des maquignons.
14 mai 2010, 22:21   Hans et Pepi
Certes, bien cher Alain, certes, mais êtes-vous certain que Musil veuille bien nous dire cela ?

Est-ce Musil qui trouve cela merveilleux, ou bien Ulrich qui s'aperçoit qu'il est sans qualités ?

Comment classez-vous Hans et Pepi, et tout le bestiaire ?
14 mai 2010, 23:24   Re : Hans et Pepi
Qu'Ulrich s'enquiert de ses qualités possibles et redoute de ne pouvoir tirer sa singularité du jeu arasant de l'époque, c'est sûr.
Que Musil trouvât euphémiquement la génialité du cheval "merveilleuse", cela n'est à mon avis pas moins douteux.


« Si l'on devait analyser un grand esprit et un champion national de boxe du point de vue psychotechnique, il est probable que leur astuce, leur courage, leur précision, leur puissance combinatoire comme la rapidité de leurs réactions sur le terrain qui leur importe, seraient en effet les mêmes ; bien plus, il est à prévoir que les vertus et les capacités qui font leur succès à chacun ne les distingueraient pas beaucoup de tel célèbre steeple-cheaser ; on ne doit pas sous-estimer les qualités considérables qu'il faut mettre en jeu pour sauter une haie. Puis, un cheval et un champion de boxe ont encore cet autre avantage sur un grand esprit, que leurs exploits et leur importance peuvent se mesurer sans contestation possible et que le meilleur d'entre eux est véritablement reconnu comme tel ; ainsi donc, le sport et l'objectivité ont pu évincer à bon droit les idées démodées qu'on se faisait jusqu'à eux du génie et de la grandeur humaine. »
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