Les deux font la paire. François Bégaudeau, nominé aux prix de la Nocence 2010 dans plusieurs catégories, a commis un nouveau
bouquin en collaboration avec Joy Sorman, ancienne
prof de philo, auteur d'un "manifeste pour un féminisme viril,
Boys, boys, boys" et d'un éloge du groupe NTM,
Du bruit. Ils sont interviewés dans le dernier numéro de
Télérama. Effrayant.
Leur
bouquin, intitulé
Parce que ça nous plaît. L'invention de la jeunesse, tente de définir les contours de l'"être-jeune" et de l'"être-adulte" (ou vieux). Ils perçoivent en eux-mêmes des caractéristiques de la jeunesse, et pensent qu'elle est avant tout un "état d'esprit", "une culture qui traverse tous les âges de la vie" (Joy) et non pas "un début et une fin", comme on le pensait... avant. J'ai peut-être mal compris
Faust; il me semblait pourtant que ce caractère atemporel de la jeunesse n'avait pas échappé à Goethe l'Ancien, il y a de cela quelques millénaires.
Ce que nos penseurs ont découvert, en vérité, c'est qu'à tout âge se manifeste un évident
refus de vieillir - mais dans leur galimatias pseudo-philosophique, cela devient une "mutation anthropologique". Nous passerions d'une "conception de la vie chronologique" à une ère de "cohabitation entre les âges" ou l'adulte "garde un goût adolescent pour des tas de choses". Joy remarque que la seule chose qui l'éloigne de la jeunesse, c'est la fatigue physique : "Aujourd'hui, après une nuit blanche, je suis déchirée pour aller travailler le lendemain. C'est très bête, mais c'est comme ça".
Le duo se lance dans une argumentation pénible et nébuleuse : vieillir, ce serait "privatiser son espace sexuel", c'est-à-dire ne plus ressentir le besoin de partager ses frasques sexuelles avec ses amis; ce serait plus généralement fuir les lieux de rencontre pour "rentrer à la maison, à la fois littéralement et métaphoriquement". Ce serait prendre son rôle au travail ou son rôle de parent au sérieux, alors que le travail et la parentalité, tout comme l'intimité, sont des "comédies".
En somme, le vieux c'est le type embourgeoisé, sclérosé, englué dans sa fausse existence et plongé dans des soucis qui n'en valent guère la peine (révélation qui méritait bien un livre); mais c'est aussi - et voilà en quoi nos intellectuels sont modernes - celui qui pense que certaines choses dans la vie requièrent une certaine gravité. C'est celui qui s'isole dans sa quête intérieure et s'éloigne des conformismes de la jeunesse - car il y a un conformisme de la jeunesse - pour cultiver son jardin, et prendre sur ses épaules le fardeau de la condition humaine. L'ado éternel est un mouton qui bêle éternellement sa révolte imbécile.
Il aime la musique, "la forme d'expression la plus adéquate au métabolisme des jeunes" déclare François; il aime la danse, il aime
bouger son corps, s'émouvoir. Alors que les générations précédentes étaient un peu coincées, "les jeunes sont aujourd'hui beaucoup plus à l'aise dans leur corps que nous au même âge (...)
Il serait temps d'inquiéter notre culture, si française, de l'intellect. De réhabiliter le corps dans le champ de la pensée." Le jeune qui détruit une vitrine exprime cette énergie corporelle. Il jouit de son geste, et ne revendique rien. Sa destruction est positive, affirmatrice, innocente.
L'ado éternel est une bête blonde, gonflée à l'"énergie" - concept étrange qui vaut bien les funestes vitalismes de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe. Il est mu par une force irrationnelle, parfois violente, et toute
völkisch diraient certains. Le nouveau dieu impubère qui sait danser brûlera des écoles et des livres, soyons-en sûrs. Il brûlera les maisons où les vieux se sont retirés pour méditer et pour mettre en pratique leur très rance "culture de l'intellect". Joy et François mèneront ce cortège de satyres au son de leurs flûtes rouges.