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Horreur démographique

Envoyé par Michel Le Floch 
28 mai 2010, 09:39   Horreur démographique
Afrique : la bombe démographique


Le continent subsaharien comptera près de 2 milliards d'habitants d'ici à 2050, soit un cinquième de l'humanité. Corollaire de cette explosion démographique, l'urbanisation galopante qui touche principalement les 16 pays de l'Afrique de l'Ouest. Opportunité sans précédent de développement économique et social ou source de conflits gigantesques ?


Au moment où l'on s'apprête à célébrer les cinquante ans des indépendances africaines, l'Afrique, plus que jamais, « est là », comme on dit là-bas : au sud du Sahara, les Africains étaient 180 millions en 1950, ils sont 860 millions actuellement et seront de 1,8 à 2 milliards dans quarante ans. Une multiplication par 10 de la population locale en un siècle.

Du jamais-vu dans l'histoire de l'humanité. Comparaison confondante : « Si la France avait connu la même croissance que la Côte d'Ivoire entre 1960 et 2005, elle compterait aujourd'hui 250 millions d'habitants, dont 60 millions d'étrangers », écrivent Jean-Michel Severino - jusqu'à il y a quelques jours directeur général de l'Agence française de développement -et son conseiller Olivier Ray, qui ont fait de cette émergence démographique la pierre angulaire de leur récent ouvrage « Le Temps de l'Afrique » (2). Un gonflement humain « qui dépasse l'entendement », reconnaît un expert. Et une sacrée surprise pour tous ceux qui imaginaient ce continent encore vide et le retrouvent soudainement plein.

Sur le terrain, l'Afrique se donne pourtant depuis des années des faux airs de Bangladesh populeux. On y sent concrètement la multitude. Lagos a depuis longtemps fait son image de marque des fameux « go-slow », ces embouteillages démentiels, et Kinshasa suffoque sous les marées humaines qui chaque matin progressent au coude-à-coude vers ses centres et refluent vers les banlieues le soir venu. Les petits pays sont logés à la même enseigne : au Bénin, la centaine de milliers de « zemidjans », ces motos-taxis qui inondent et enfument les rues, donnent à Cotonou des allures de fourmilière. Hormis les zones désertiques, les campagnes elles non plus ne sont pas en reste : on y croise toujours quelqu'un.

Le record du Niger
Sur le papier, les statistiques parlent d'elles-mêmes. Quelques exemples : une naissance sur quatre dans le monde a aujourd'hui lieu en Afrique ; un être humain sur cinq sera africain au milieu de ce siècle ; il naît chaque année au Nigeria davantage d'enfants que dans toute l'Union européenne ; le Niger, où l'on enregistre le plus fort taux de fécondité au monde (plus de 7 enfants par femme), va voir sa population pratiquement quadrupler entre 2000 et 2050 pour atteindre… 50 millions ; d'ici à quarante ans, la population du Nigeria va dépasser celle du Pakistan, du Bangladesh, de l'Indonésie et même peut-être des Etats-Unis, explique Gilles Pison, directeur de recherches à l'Ined, alors que le Congo RDC et l'Ethiopie risquent de dépasser la Russie et le Japon. L'Afrique est désormais en matière de population le continent de tous les records et le réservoir mondial de croissance démographique du futur : son taux de fécondité est le double de la moyenne mondiale, son taux de croissance de la population au moins le double aussi et son taux de natalité, à 2,5 %, au moins le double encore, souligne l'Ined. Sans surprise, le corollaire en est sa jeunesse : 45 % de sa population a moins de quinze ans. L'Ouganda, par exemple, est considéré comme le pays le plus jeune au monde. Même les ravages du VIH en Afrique australe ne peuvent rien changer à cette dynamique.

La raison de cet envol ? Une « singularité africaine », explique Gilles Pison : sa transition démographique tardive. Ce mouvement historique, qui fait passer les sociétés d'un modèle de natalité et de mortalité fortes à un modèle de natalité et de mortalité faibles, est déjà réalisé ou en cours un peu partout dans le monde, même dans les pays en développement. En Afrique, on n'en est toujours qu'à la première phase de cette « transition », car, si l'on vit plus vieux grâce à l'hygiène et à la médecine, une inertie sociale fait que l'on fait toujours beaucoup d'enfants : 4,6 enfants par femme en moyenne. « La contraception est timide et il n'y a pas de volonté politique en matière de planning familial », remarque à Dakar Philippe Antoine, directeur de recherches à l'IRD (Institut de recherche pour le développement). « On n'a pas de personnel pour gérer ça ! Notre urgence, c'est l'eau potable… », confesse Nicéphore Soglo, ancien président du Bénin et maire de Cotonou. Même si certains pays, comme le Ghana ou le Kenya, ont amorcé une baisse de leur fécondité dès les années 1980, l'ONU estime au total que la transition démographique africaine ne sera pas une réalité avant 2035-2040. A l'échelle de l'humanité, on peut toutefois ne voir dans ce décalage qu'un rattrapage. Saignée par la traite des esclaves et les épidémies importées par les colonisateurs, l'Afrique s'est dépeuplée quatre siècles durant et elle ne fait que retrouver aujourd'hui la part relative dans la population mondiale qu'elle avait… dans les années 1500.

Une mégalopole de 1.000 kilomètres
Inquiétant, ce boom démographique ? « Cela nous a sauté à la figure : la démographie est en fait le trait unificateur du continent, depuis le conflit au Tchad jusqu'à la croissance des villes, en passant par l'émigration vers l'Europe », explique Jean-Michel Severino. « Elle va soumettre la complexité des sociétés africaines à des bouleversements sans précédent, et non seulement transformer le continent africain, mais la planète tout entière. Il y a là des risques, mais aussi beaucoup d'opportunités. »

Miroir de cette puissante densification démographique, l'urbanisation est explosive, constatent les experts. En Afrique, la croissance de la population urbaine est la plus rapide du monde et a déjà été multipliée par 11 en cinquante ans. En 2030, un Africain sur deux sera citadin et presque deux sur trois en 2050. Un mouvement qui touche tout le continent, après s'être développé en Afrique australe autour des centres industriels et miniers, mais aujourd'hui tout particulièrement les 16 Etats d'Afrique de l'Ouest. Comme l'Europe du Nord ou la côte est américaine, on pourra ainsi une nuit prochaine apercevoir depuis l'espace les scintillements d'une grande mégalopole côtière de plus de 1.000 kilomètres et de quelque 100 millions d'habitants allant de Douala jusqu'à Abidjan.

Encouragé par la décentralisation presque partout à l'oeuvre, ce continuum urbain se tisse à vive allure. « De Lagos à Abidjan, on ne roule pas une demi-heure sans voir une ville. Celles de plus de 20.000 habitants sont distantes de moins de 25 kilomètres », explique John Igué, directeur scientifique du Lares (Laboratoire d'analyse régionale et d'expertise sociale) à Cotonou. Au Bénin, on peut aisément voir en modèle réduit les choses en marche. Les villes s'y étendent et se touchent et sont parties pour ne faire qu'une seule et même agglomération, entre la frontière avec le Nigeria et celle du Togo. Engloutis par la ville, le port et une cimenterie se retrouvent ainsi aujourd'hui en plein centre de Cotonou, et les zones lagunaires humides de ses confins se peuplent inexorablement, vers la capitale Porto Novo, à l'est, et vers la frontière togolaise, à l'ouest. L'avenir est écrit : à perte de vue, des pancartes fichées jusque dans les bas-fonds gorgés d'eau saumâtre et portant le nom du propriétaire de la parcelle annoncent une future construction. Et sur tous les bords de route, on fabrique des parpaings et on vend du sable et du ciment à tour de bras. Au Nigeria, le gouverneur de Lagos (14 millions d'habitants) vient de lancer la construction d'une autoroute à deux fois cinq voies - avec un tramway au milieu ! -reliant la capitale au Bénin, sa vraie ouverture portuaire sur le monde.

Disparition des campagnes
En matière d'urbanisation, l'Afrique est bien singulière. Si on compte aujourd'hui près de 40 villes de plus de 1 million d'habitants en plein boom, « les mégalopoles africaines ne se font pas comme ailleurs par concentration, et verticalement, mais par étalement dans l'espace, vers la campagne, en une forme de "rurbanisation" à l'européenne. L'exode rural lui-même se fait du coup sur place, par une sorte d'urbanisation in situ », explique François Moriconi-Ebrard, chercheur au CNRS. Au nord-ouest de Cotonou, Abomey-Calavi, sa nouvelle banlieue, s'étend ainsi inexorablement et à perte de vue, à coup de maisons individuelles. « En 2002, rien n'existait. Cette ville a gagné 300.000 habitants en cinq ans », explique Monica Coralli, géographe à Paris-Ouest Nanterre. « La frontière devient souvent de plus en plus floue entre le rural et l'urbain. On assiste à une dilution en "semblants de villes", sans grandes cités intermédiaires. C'est préoccupant », ajoute François Moriconi-Ebrard. Ce modèle de « ville à la campagne » cher à Alphonse Allais, tricoté avec une forte croissance démographique et une tradition d'habitat de plain-pied dévoreur d'espace, risque de conduire à des situations extrêmes : « Un jour, au Burundi, il n'y aura plus qu'une seule ville ! » s'inquiète le chercheur.

Mais ce « basculement urbain » de l'Afrique peut être une chance pour le continent, estiment les experts. Car les villes sont des moteurs de développement. « Partout sur la planète, l'urbanisation s'est accompagnée de croissance économique », et l'aide au développement, qui devra être massive pour répondre à son énorme demande en services et infrastructures, « est plus efficace dans des zones densément peuplées », rappelle la FAO. « Si cette urbanisation et l'occupation des sols sont bien gérées et cohérentes, l'Afrique disposera là d'un booster gigantesque. Sinon, ce sera une source de problèmes et de conflits tout aussi gigantesques », estime Jean-Michel Severino.

Grâce à sa démographie, l'Afrique dispose désormais d'un marché intérieur en pleine expansion et, grâce à son urbanisation, d'importants réservoirs d'industrialisation et de productivité. Elle intéressait déjà le monde pour ses espaces agricoles, ses matières premières, ses pièges à carbone et ses premières réserves mondiales d'énergie hydroélectrique, mais c'est son « bonus démographique », cet immense bataillon de jeunes actifs urbains, qui commence à séduire les pays émergents. Chine, Brésil ou Inde, qui, d'ici à une quinzaine d'années, verront baisser leur compétitivité, pourraient y délocaliser leurs industries de main-d'oeuvre. Les villes, où la demande d'éducation est plus forte et l'élévation du niveau de vie bien palpable, réduiront alors à coup sûr la fécondité africaine : « Le développement économique et social est le meilleur des contraceptifs », aime dire la Banque mondiale… Et la boucle de la transition démographique sera bouclée.

DANIEL BASTIEN, Les Echos
1) Pyramide des âges de l'Afrique 1950-2050 : [www.ined.fr]

2) Editions Odile Jacob.

Chronologie des déclarations d'indépendance des Etats africains sur www.lesechos.fr/inter
J'apprécie la positive attitude que suggère la conclusion de cette analyse du «bonus démographique»
28 mai 2010, 19:04   Re : Horreur démographique
Citation

Mais ce « basculement urbain » de l'Afrique peut être une chance pour le continent, estiment les experts. Car les villes sont des moteurs de développement. « Partout sur la planète, l'urbanisation s'est accompagnée de croissance économique », et l'aide au développement, qui devra être massive pour répondre à son énorme demande en services et infrastructures, « est plus efficace dans des zones densément peuplées », rappelle la FAO. « Si cette urbanisation et l'occupation des sols sont bien gérées et cohérentes, l'Afrique disposera là d'un booster gigantesque. Sinon, ce sera une source de problèmes et de conflits tout aussi gigantesques », estime Jean-Michel Severino.

Je crois que dans la première phrase de ce paragraphe, "experts" signifie "Amis du Désastre". Il faut en effet être bien naïf optimiste pour compter sur une urbanisation "bien gérée et cohérente" en Afrique...


Pour l'africaniste Bernard Lugan, cette explosion démographique est une des causes du retard de développement de l'Afrique :

Citation

Contrairement à ce qui est trop constamment affirmé, l’Afrique se développe, mais sa démographie est plus rapide que son développement. Certains chefs d’Etats en sont conscients. C’est ainsi que dans le discours prononcé le 9 juin 2008 lors de l’ouverture du deuxième congrès national sur la population, le président Moubarak d’Egypte déclara que la pression démographique était la « mère de tous les maux », la huitième plaie d’Egypte en quelque sorte. Avec une population de 80 millions d’habitants concentrée le long du Nil sur quelques dizaines de milliers de km2, avec un indice de fécondité de 3,1 par femme et un taux de croissance naturelle de 18,5 pour 1000, la catastrophe est effectivement annoncée. Le président égyptien est allé jusqu’à reprocher à ses compatriotes (je cite) de « faire concurrence aux lapins ».

I- La situation actuelle : une démographie qui bloque le développement

Aujourd’hui, l’accroissement de la population est tel qu’il gomme les effets du développement du continent et qu’il annonce de graves crises alimentaires.

Quelques chiffres permettent de saisir l’ampleur du phénomène : dans les années 1900, la population de l’Afrique était d’environ 100 millions d’individus ; dans les années 1950-1960, au moment des indépendances, elle était de 275 millions ; en 1990, de 642 millions dont 142 en Afrique du Nord ; en 2002, de 689 millions ; en 2004, de 872 millions et en 2005 de 910 millions. En 2007, la population de la seule Afrique sud-saharienne était estimée à 788 millions. Selon les Nations Unies, dans les années 2050, les Africains sud-sahariens seront un peu moins de deux milliards si toutefois les femmes n’ont que 2,5 enfants en moyenne, et aux environs de 3 milliards si elles continuent à en avoir 5,5 (1).

Or, il faut bien comprendre que c’est cette croissance démographique et elle seule, qui annule les effets du développement. Entre 1966 et 2005, le PNB du continent a en effet augmenté de 3,9% en moyenne, ce qui est une excellente performance, mais, ramené à l’évolution de la population, ce taux tombe à 1,6% (FMI, mars 2005). Entre les années 1960 et 1995, la production agricole africaine a progressé en moyenne de 1,25% par an, soit 43,75% en trente-cinq ans, ce qui est remarquable. Mais, dans le même temps, comme la population croissait de 3% par an, soit 105%, l’écart entre les besoins et les moyens s’est considérablement creusé ; le phénomène ira en augmentant car un taux de 3% entraîne un doublement de la population tous les 20 ans.

En 1970, 200 millions d’Africains n’avaient pas accès à l’électricité ; en 2002, ils étaient 500 millions. Et pourtant, en 30 ans, des dizaines de milliers de kilomètres de lignes furent tirés, mais là encore, la démographie est la grande responsable de ce constat car les naissances sont allées plus vite que l’électrification. Cet exemple se retrouve dans tous les domaines.

Autre conséquence de la surpopulation, les disettes saisonnières qui, dans la société traditionnelle apparaissaient régulièrement au moment de la soudure entre deux cycles agricoles ou lors d’accidents climatiques ponctuels, se sont transformées en famines, car les ressources alimentaires ont-elles aussi progressé moins vite que la population.

Des années 1960 à 2000, deux grandes zones furent quasiment en permanence frappées par le phénomène de famine : le Sahel et la Corne de l’Afrique. En 2002, une troisième zone s’y est ajoutée, l’Afrique australe où cinq pays, à savoir le Lesotho, le Mozambique, le Swaziland, la Zambie et le Zimbabwe furent sévèrement touchés par une crise alimentaire. Cette année là, la crise agricole frappa également des pays comme le Sénégal où la récolte céréalière 2002/2003 fut en forte baisse par rapport à celle de l’année précédente et où, faute de pâturages, certains troupeaux furent gravement affectés. Selon la Banque mondiale (Rapport de décembre 2002), en 2002, 30 millions de personnes dans toute l’Afrique eurent besoin d’une aide alimentaire. Ce chiffre a encore augmenté depuis, notamment en 2007-2008, quand 135 millions d’Africains reçurent une aide alimentaire (Banque africaine de développement, avril 2008).

Le phénomène a été amplifié par l’exode rural et par la création de mégapoles non productives mais grosses consommatrices, ce qui entraîna une baisse des productions vivrières et par conséquent l’augmentation du déficit alimentaire : « Les villes et les agglomérations du continent vont devoir absorber une vague de 12 à 13 millions d’habitants en 2008, si bien que la population urbaine va croître plus vite que la population rurale à l’horizon 2035 » (2) Or, souligne la BAD, cette urbanisation n’est pas le résultat de l’industrialisation, mais de la misère rurale.

La surpopulation a également eu des conséquences dramatiquement observables sur l’environnement, amplifiant le phénomène de désertification. Depuis la décennie 1960, le déboisement de l’Afrique qui en est une conséquence directe a même pris des proportions alarmantes. Les 3/4 des Africains se servent en effet de bois ou de charbon de bois pour la cuisson de leurs aliments ; 85% du bois coupé en Afrique sert en bois de feu, 10% pour l’habitat et 5% seulement pour l’exportation.

C’est cette démographie devenue suicidaire qui fait que l’Afrique sud-saharienne est aujourd’hui plus pauvre qu’elle ne l’était en 1960 puisque, depuis les indépendances, le revenu par habitant y a baissé entre moins 0,5 et moins 1% par an.

II- Les réponses historiques à l'accroissement démographique

Première difficulté, nous ignorons quelle était la population de l’Afrique sud-saharienne à l’époque précoloniale. Il semblerait que jusqu’aux XVI-XVII° siècles, elle fut un monde de basse pression démographique. De nombreux indices permettent de penser qu’un essor considérable se produisit ensuite à partir de l’introduction de plantes américaines par les Portugais : maïs et haricots devenus la nourriture de base dans toute l’Afrique australe et dans l’Afrique interlacustre, patates douces, manioc, etc., partout ailleurs.

Dans les années 1970, le phénomène avait fait dire à Yves Person, alors titulaire de la chaire d’histoire de l’Afrique à la Sorbonne que la traite européenne avait en quelque sorte « épongé » l’excédent d’une population en explosion et qu’en définitive elle avait eu peu d’impact sur la démographie africaine. Yves Person avait-il raison ? Sans entrer dans ce débat extérieur à notre sujet, et dont les développements ont été faits par Pétré-Grenouilleau en France, nous pouvons mettre en évidence plusieurs éléments :

1. Aussi bien en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique de l’Est et australe, les traditions indiquent que partout, des milieux nouveaux ont été défrichés à partir de la fin du XVI° siècle, avec une accélération jusqu’à la veille de la colonisation.

Dans un monde que j’ai particulièrement étudié, qui est celui de la région interlacustre, les traditions des lignages défricheurs indiquent la venue de ces derniers dans la zone de la crête Congo Nil qui était alors une forêt primaire qui fut achetée aux pygmées Twa à partir du XVI° siècle. En Afrique du Sud, les traditions des Nguni du Nord (Zulu et apparentés), aussi bien que celles des Nguni du Sud (Xhosa et apparentés) indiquent le même ordre de grandeur chronologique. Dans les deux cas nous sommes en présence d’un excédent de population qui part conquérir des territoires nouveaux, l’expansion territoriale jouant alors le rôle de soupape.

2. Pour nous en tenir à ces deux ensembles régionaux sur lesquels nous sommes particulièrement bien documentés, nous constatons que la réponse des hommes à l’essor démographique y eut des applications différentes.

Dans la région interlacustre, milieu de dualisme entre la civilisation de la vache et celle de la houe, la réaction des uns et des autres face à l’essor démographique fut très différente. C’est ainsi que les pasteurs tutsi limitèrent leur croît démographique, en l’alignant sur celui des bovins. Chez eux, les pratiques abortives ou les comportements sexuels adaptés permirent de limiter l’essor de la population. Alors que les Tutsi étaient généralement polygames, cette polygamie ne déboucha pas sur une explosion démographique car les femmes les plus belles n’avaient que peu d’enfants afin qu’elles puissent conserver l’élégance de leurs formes. Il en était d’ailleurs de même avec les vaches royales.

Ayant choisi d’être minoritaires par rapport aux agriculteurs hutu qui les entouraient, il fallut aux Tutsi prendre le contrôle politique des premiers afin que le fait d’être minoritaires ne soit pas un handicap pour eux. C’est alors que, selon l’adage de l’ancien Rwanda, il fallut « sauvegarder les biens de la vache (les pâturages) contre la rapacité de la houe », et pour ce faire, un système de contrôle des hommes fut instauré au profit des Tutsi. La réponse de ceux des Hutu qui se sentirent emprisonnés fut de migrer vers la crête-Congo-Nil pour la défricher. Le mouvement fut général, ce qui explique d’ailleurs pourquoi les clans hutu de la région sont éclatés.

A la différence des Tutsi, les Hutu, pourtant monogames, affirmèrent leur différence par une démographie galopante et le phénomène s’accentua à partir du moment où ils s’implantèrent dans les zones de montagnes. Il y eut deux raisons, à cela. D’abord parce qu’il fallait des bras pour défricher la forêt et ensuite parce que ces régions étaient exemptes de malaria ou de maladie du sommeil. La seule limite au développement démographique y était la mortalité infantile due au froid et qui provoquait ces affections bronchiques dont les effets néfastes furent éliminés par la médecine coloniale.

3. En Afrique australe, le mouvement fut différent car les populations qui appartiennent à deux grands groupes, les Sotho Tswana et les Nguni, pratiquaient à la fois l’agriculture et l’élevage. Les Sotho Tswana qui vivaient sur le plateau central de l’actuelle Afrique du Sud occupaient l’espace depuis le fleuve Limpopo au nord jusqu’au nord du fleuve Orange au Sud. La limite méridionale de leur zone d’occupation était pluviométrique car au sud d’une certaine limite, l’agriculture n’était plus possible. Nous sommes mal renseignés sur eux.

En revanche, nous sommes bien documentés sur les Nguni, ou du moins sur les Nguni du Sud, à savoir les Xhosa et apparentés car dès le XVI° siècle nous disposons de témoignages de naufragés européens. Puis à partir des années 1760, le contact s’étant établi avec les Hollandais, les archives de la colonie du Cap contiennent une importante documentation les concernant. Je ne ferai pas l’histoire du contact entre les front pionniers blanc et Xhosa en Afrique du Sud, pour m’en tenir au seul point qui nous intéresse ici, à savoir la question démographique.

Les Nguni du Sud qui vivaient dans le piedmont oriental de la chaîne du Drakensberg et dans les plaines littorales à partir du sud de la région de Durban furent confrontés à un double problème : ceux qui en avaient les moyens étaient polygames et ici, la polygamie engendrait une nombreuse progéniture, or, l’espace était limité dans trois directions. Au nord, par les autres tribus nguni qui maillaient étroitement l’espace, à l’est par l’océan et à l’ouest par la chaîne du Drakensberg qui était un obstacle naturel. La seule expansion possible était donc vers le Sud. C’est pourquoi, et nous sommes très bien documentés sur la question, à partir là encore du XVI° siècle, à chaque génération, le surplus de la population partait conquérir des espaces nouveaux sur lesquels de nouvelles chefferies étaient créées.

Le phénomène est essentiel et il mérite que l’on s’y attarde. L’exemple des Xhosa, les plus connus parmi les Nguni du Sud, illustre bien cette réalité. Ici, l’organisation était comme souvent lignagère, tribale et clanique. Politiquement, l’organisation était la chefferie. Chaque chef avait plusieurs femmes dont les huttes étaient situées par ordre d’ancienneté à droite de la hutte du chef, d’où les épouses dites « de la main droite » et les « enfants de la main droite ». Mais, ne pouvait être l’héritier de la chefferie, que l’aîné des garçons né de la Grande épouse. Or, cette dernière ne pouvait être désignée qu’après l’accession au pouvoir du chef. En d’autres termes, tant qu’il était dauphin, l’héritier ne pouvait avoir de Grande épouse. A la mort de son père, il choisissait donc une nouvelle femme qui devenait sa Grande épouse et qui vivait dans son enclos chef.

Bien évidemment, il y avait une considérable différence d’âge entre les aînés des « épouses de la main droite » et celui de la Grande épouse. A chaque génération, il y avait donc contestation du pouvoir et les oncles ou demi-frères de l’héritier légitime partaient avec les membres de leur lignage et leurs dépendants pour s’installer plus loin vers le sud où ils fondaient de nouvelles chefferies. La soupape de la surpopulation était donc la conquête de terres vierges. Or, le mouvement fut bloqué à la fin du XVIII° siècle lorsque le front pionnier hollandais rencontra le front pionnier nguni. Le traumatisme fut tel chez ces derniers qu’il provoqua une crise existentielle et une anarchie dévastatrice.

Chez les Nguni du nord, la situation était différente car, même si l’organisation sociale était quasi semblable, la différence était qu’à partir du début du XVII° siècle, il n’y eut plus d’espaces vierges à conquérir, dans ces conditions, la réponse des Nguni du Nord à l’accroissement démographique fut la guerre afin que les plus forts se taillent un espace vital aux dépens des plus faibles. Or, la culture guerrière nécessitait une solide organisation laquelle déboucha sur l’étatisation dont l’accomplissement fut l’Etat zulu.

Dans les exemples choisis, nous venons donc de voir que ce fut quand il n’y eut plus d’espace vierge permettant au croît humain de s’établir que l’Etat apparut. Ce phénomène est bien connu. Pour ne prendre qu’un exemple, la naissance de l’Egypte dynastique, le « miracle égyptien », fut d’abord une réponse adaptée à un milieu particulier, l’étroite vallée du Nil, qui devait faire face à un insurmontable problème de survie de ses populations. Ce fut pour répondre aux défis de la démographie que naquit l’Etat égyptien. Rares sont les exemples de ce type car partout ailleurs en Afrique, l’espace existait et la logique n’était donc pas à la limitation de la population, mais au contraire à son essor car seuls survivaient les groupes nombreux capables d’aligner des guerriers pour se défendre et des bras pour défricher ou cultiver, d’où la philosophie de la virilité et de la fécondité.

Bernard Lugan pour Realpolitik le 14 février 2010

(1) En Afrique, le Sida a fait depuis le début de la pandémie 25 millions de morts. Dans les pays les plus touchés (Botswana 37% de la population, Zimbabwe 24%, Afrique du Sud 21%, on pourrait assister à une contraction de la population active mais pas à un dépeuplement.

(2) BAD (Banque africaine de développement), Compte-rendu de la réunion du 14 mai 2008, Maputo. Selon la Banque mondiale, en 1981 11% des pauvres de la planète vivaient en Afrique sud-saharienne. Cette proportion était de 27% en 2007 et elle sera de 33% en 2015. Selon la BM, il faudrait un « miracle » pour que la situation change (Rapport de la Banque mondiale du 26 août 2008, Washington.)

On se rappelle que Pascal Sevran avait été cloué au pilori par les bien-pensants pour avoir écrit : « Des enfants, on en ramasse à la pelle dans ce pays [le Niger] — est-ce un pays ou un cimetière ? — où le taux de fécondité des femmes est le plus élevé du monde, neuf enfants en moyenne par couple. Un carnage. Les coupables sont facilement identifiables, ils signent leurs crimes en copulant à tout va, la mort est au bout de leur bite, ils peuvent continuer parce que ça les amuse, personne n'osera leur reprocher cela, qui est aussi un crime contre l'humanité : faire des enfants, le seul crime impuni. On enverra même de l'argent pour qu'ils puissent continuer à répandre, à semer la mort. »
Si l'on peut lui reprocher la formulation peu élégante et la radicalité du ton, force est de constater qu'il avait raison sur le fond en dénonçant les ravages de la surpopulation.
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