Cet éditorial, on dirait l'un de nos communiqués...
L'Afrique enchantée de Nicolas Sarkozy
Vous êtes tous des amis ", a répété Nicolas Sarkozy aux représentants de 51 des 53 Etats d'Afrique réunis à Nice, les 31 mai et 1er juin, pour le 25e sommet Afrique-France. Le président français avait envisagé, un moment, de supprimer ces grand-messes créées sous Georges Pompidou et qu'il jugeait sans autre utilité que d'afficher l'ascendant de Paris sur ses anciennes colonies. Il s'est finalement bien gardé de le faire.
En s'affichant de préférence avec le président sud-africain, Jacob Zuma, et le premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, plutôt qu'avec des chefs d'Etat francophones, M. Sarkozy s'est habilement posé en interlocuteur privilégié et en avocat de tout un continent à l'avenir prometteur. Il le fait à un moment où le poids économique et diplomatique de la France est battu en brèche, par la Chine, l'Inde ou le Brésil notamment. Mais, en réalité, ce changement d'ordonnancement n'a été que cosmétique. Depuis des années déjà, la réunion surannée de la famille françafricaine s'est élargie à tout le continent. Le président français n'a fait qu'ouvrir à tous les invités le " dîner des amis ", jusque-là réservé aux seuls chefs d'Etat francophones.
Formellement, le pari est réussi. Non seulement les " nouveaux amis " africains de la France comptent parmi les locomotives économiques du continent, mais, du fait de l'absence de passé colonial avec Paris, ils sont aptes à entretenir la relation " décomplexée " dont le président rêve avec l'Afrique.
Dans sa distribution de compliments et d'encouragements, Nicolas Sarkozy n'a oublié personne, ni les militaires putschistes, ni les potentats corrompus, ni les fils de président mal élus, ni les satrapes pourchassant opposants et journalistes. Le président français s'est fait fort de plaider pour l'entrée de l'Afrique au Conseil de sécurité des Nations unies et le financement de la lutte contre le réchauffement climatique. Mais il a fallu le Sud-Africain Jacob Zuma pour s'émouvoir de la présence, sur invitation française, des chefs des juntes de Guinée et du Niger, et du mauvais exemple ainsi donné à l'Afrique.
Certes, un sommet international n'est pas une réunion de belles âmes. Mais, vingt ans après le discours de La Baule de François Mitterrand, qui prétendait promouvoir la démocratie en Afrique, la France n'a toujours pas de politique ni même de message clairs dans un domaine où les représentants des sociétés civiles africaines, au-delà d'élections formelles souvent bâclées, réclament des avancées au quotidien et un soutien international.
A Nice, des expressions comme " élections volées ", " corruption ", " captation des richesses " ont été bannies. Restait une sorte d'Afrique enchantée, celle des " amis " de Nicolas Sarkozy. " A quoi sert-il d'être amis si l'on n'évoque pas les sujets qui fâchent ? ", aime interroger M. Sarkozy. La véritable défense du continent passe aussi par la fin des amitiés douteuses et la rupture du silence sur les pratiques prédatrices. Elle suppose le soutien aux Africains qui luttent pour les libertés démocratiques.