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Du niveau des étudiants

Envoyé par Jean-Marc du Masnau 
Bien chers amis,

J'ai entendu hier, sur les ondes de France Culture, Alain-Gérard Slama nous parler de l'intelligence moyenne des étudiants, qu'il avait nettement vu progresser, et nous indiquer dans le même temps qu'on avait vu, dans le monde universitaire et spécialement dans son domaine, apparaître une sorte de "société duale".

M. Slama indiquait par ailleurs qu'il avait noté un effondrement des aptitudes littéraires.

Étant donné la formation et le parcours de M. Slama, et le fait que l'examen de l'ensemble de ses interventions montre qu'il est tout sauf un ami du désastre, ces commentaires m'ont fait une forte impression, d'autant que j'avais déjà entendu à peu près cela dans le domaine scientifique.

Se pourrait-il que nous soyons dans la situation suivante : nos "premiers sujets" seraient-ils moins cultivés qu'autrefois, mais plus intelligents ?
Existe-t-il une intelligence "hors-sol" ? Si oui, sur quoi pourrait-elle alors s'exercer ? Autrement dit, la culture n'est-elle pas un élément constitutif de l'intelligence, ou à tout le moins un de ses attributs ?
Je pense qu'il y a le même rapport de l'intelligence à la culture que de la pensée au langage ; ce qui ne signifie pas, naturellement, qu'être cultivé implique que l'on soit intelligent, ni que parler signifie qu'on pense...
Je pense que M. Slama devait plutôt faire allusion à cela, ainsi que, curieusement, à la curiosité des élèves.

Il serait dommage que nous fassions l'économie d'une réflexion sur cette question : je me répète, j'ai assez souvent entendu des remarques de cette nature de la part de personnes qui supervisent les travaux de "doctorants" ou de "post-doctorants" et qui, maîtrisant parfaitement le sujet technique en question, sont à même de correctement apprécier les méthodes mises en oeuvre par les étudiants.
15 juin 2010, 13:49   Re : Du niveau des étudiants
Votre question, cher Jean-Marc, mériterait un colloque. Cette question de la synthèse du savoir, de génération en génération, m'intéresse et je trouve que ça ne se passe pas comme on pourrait l'espérer. L'histoire et la littérature, par exemple, dont la connaissance devrait éclairer le débat politique, sont, en réalité, polluées par la propagande politique. Et je ne parle pas de la concurrence de l'image.
J'ai trouvé samedi, chez un bouquiniste, Elise architecte de Jouhandeau. Ce petit livre plein de notations facétieuses sur des sujets matériels des plus anodins est un vrai délice. Je ne vois personne, dans les générations actuelles d'étudiants en lettres, en retirer quelque plaisir.
"Se pourrait-il que nous soyons dans la situation suivante : nos "premiers sujets" seraient-ils moins cultivés qu'autrefois, mais plus intelligents ?"


L'intelligence découplée de la culture, le raisonnement sans la langue ? C'est une blague. J'ai eu l'occasion, moi-même, de fréquenter ces dernières années des cours de lettres modernes : ce qui frappe, c'est l'absence totale de curiosité intellectuelle chez les étudiants, dont se plaignent d'ailleurs couramment les professeurs. On prend pour de l'intelligence ou de l'esprit critique ce qui n'est souvent qu'une propension à rejetter tout ce que les maigres facultés linguistiques dont disposent les élèves ne leur permettent pas d'assimiler. L'impuissance à admirer ce qui les dépasse prend alors le masque d'une critique éclairée, par l'usage immodéré du jargon universitaire qu'on met à leur disposition.
15 juin 2010, 14:12   Re : Du niveau des étudiants
"L'impuissance à admirer ce qui les dépasse prend alors le masque d'une critique éclairée, par l'usage immodéré du jargon universitaire qu'on met à leur disposition. "

Je crains, cher S. Bily, que vous ayez raison.
En fait de jargon, je ne résiste pas à vous faire goûter les âpres beautés que renferment certains textes de l'actuel président de la Sorbonne, Georges Molinié, dont je suivis les cours de stylistique il y a quelques années :


« Le narrateur dit au lecteur que la princesse de Clèves dit à son mari, M. de Clèves, que la reine Dauphine lui a dit (à elle la princesse) que le vidame de Chartres lui a dit (à elle la reine) que M. de Nemours lui a dit (à lui le vidame) qu'un ami lui a dit (à lui le duc) qu'une dame a dit à son mari (son histoire) », Georges Molinié et Alain Viala, Approches de la réception. Sémiostylistique et sociopoétique de la réception (PUF, 1993), pp. 79-81.


« Le stylème est appréhendé comme un caractérisème de littérarité, c'est-à-dire comme une détermination langagière fondamentalement non informative (même fictionnellement) dans le fonctionnement textuel», La Stylistique (PUF, coll. Que sais-je ?, 1989), p. 105.


« On peut donc se livrer à un deuxième ratissage de la page, en quête de marques langagières se constituant peu à peu, par accumulation-augmentation-imbrication, à l'intérieur et au cours du tissu textuel concret en question », La Stylistique (PUF, coll. Premier Cycle, 1993), pp. 191-2.


« Il convient d'associer à la considération, méthodologique, que la façon dont une discipline construit ses objets décide de l'interprétation qu'elle en tirera, la considération, épistémologique, qu'il y a distance, différence, entre l'objet et le concept, entre les formes empiriques et les constructions épistémiques », Approches de la réception (op. cit.), p. 2.


«Car, justement, c'est plus il avance que le texte devient plus nettement lyrique», La Stylistique (op. cit.), p. 177.


« L'environnement interdit une analyse selon la saisie 1 (S1), qui impliquerait ici un simple niveau I, difficile à concilier avec l'extrême focalisation introspective du narré : en revanche, cette saisie 1 (S1) serait parfaitement interprétative, avec un actant émetteur de type JE (récit à la première personne) : ce qui n'est matériellement pas le cas. Mais il ne faudra pas oublier ce sentiment (ou ce fantôme de sentiment) du lecteur. La saisie 2 (S2) est, paradoxalement, plus évidemment exclue encore : elle impliquerait une distanciation analytique très forte des héroïnes, bien difficile à admettre en l'occurrence, sans artifice de lecture assez violent. Et le modèle de la saisie 3 (S3) ? Elle permet [...] toutes les intégrations-fusions imaginables, ce qui est effectivement exigé dans cette phrase. Mais justement, l'intégration-fusion semble ici excessive : trop lisse, trop belle, et, finalement, comme se donnant presque elle-même en objet de discours. À l'intérieur de cette fusion, s'instaure comme une distanciation qui souligne à tout le moins, la manipulation d'une instance émettrice par l'autre instance (celle du niveau inférieur) : la saisie 3 (S3) ne suffit plus. Il faut pouvoir rendre compte de la fusion actantielle du type de la saisie 3 (S3), de l'impression que le narrateur (actant émetteur de niveau I, quelle que soit la stratification interne du I) est d'une certaine façon partie prenante de l'histoire racontée, et aussi de l'extériorité stylisée qui marque ce narré; ce dernier trait peut se gloser en disant que l'objet du récit est alors qu'une histoire est racontée. C'est tout ce mixte qu'il s'agit d'expliciter», Approches de la réception (op. cit.), pp. 82-3.

_____________________________

C'est ici :

[stalker.hautetfort.com]
15 juin 2010, 14:39   Types d'études
Bien cher S. Bily,


Ce n'est pas une blague, croyez moi.

Je vous cite :

L'intelligence découplée de la culture, le raisonnement sans la langue ? C'est une blague. J'ai eu l'occasion, moi-même, de fréquenter ces dernières années des cours de lettres modernes : ce qui frappe, c'est l'absence totale de curiosité intellectuelle chez les étudiants, dont se plaignent d'ailleurs couramment les professeurs. On prend pour de l'intelligence ou de l'esprit critique ce qui n'est souvent qu'une propension à rejetter tout ce que les maigres facultés linguistiques dont disposent les élèves ne leur permettent pas d'assimiler. L'impuissance à admirer ce qui les dépasse prend alors le masque d'une critique éclairée, par l'usage immodéré du jargon universitaire qu'on met à leur disposition

L'exemple que vous prenez, les lettres modernes, est pertinent : je ne vois pas comment on peut entreprendre de telles études sans une certaine culture, au moins littéraire.

En revanche, découpler le raisonnement de la langue, c'est possible, et même souhaitable dans certaines matières.

Prenez Bourbaki, qui révolutionna les mathématiques et en augmenta singulièrement le niveau. Cartan, Weil et Dieudonné ont créé une langue nouvelle permettant l'évidence des raisonnements mathématiques. Leur travail sur les structures vous intéresserait sans doute. Toujours est-il qu'on n'écrit pas les mathématiques de la même façon avant et après Bourbaki.
15 juin 2010, 14:45   Retour à Slama
Pour le reste, bien cher S. Billy, je ne pense pas que Slama soit un plaisantin, et qu'il s'aventure ainsi sans connaître son sujet.

Slama est un homme de culture (on n'est pas ancien d'Ulm, agrégé de lettres classiques, diplômé de Sciences Po, et ce avant mai 68, sans être cultivé), et un homme d'enseignement.

Prenons son domaine, les sciences politiques.

Il me paraît remarquablement bien placé pour juger de l'IEP, car il y fut élève, puis professeur, et de ses élèves.

Il y a donc bien quelque chose, il nous dit quelque chose, l'homme qui écrivit "La régression démocratique" et "L'angélisme exterminateur, essai sur l'ordre moral contemporain" ne peut avoir dit cela parce qu'il faut le dire, mais bien parce qu'il le pense.
15 juin 2010, 14:47   Des citations
Bien cher S. Billy,

Je ne sais si c'est hasard ou ironie, mais je pense la formule :


« Le narrateur dit au lecteur que la princesse de Clèves dit à son mari, M. de Clèves, que la reine Dauphine lui a dit (à elle la princesse) que le vidame de Chartres lui a dit (à elle la reine) que M. de Nemours lui a dit (à lui le vidame) qu'un ami lui a dit (à lui le duc) qu'une dame a dit à son mari (son histoire) »

Fort bien trouvée parlant de "La Princesse de Clèves" !
Oui, Jean-Marc, cette dissociation entre raisonnement et maîtrise de la langue s'applique peut-être davantage aux raisonnements purement conceptuels et mathématiques. Je n'avais moi-même en vue que mon expérience personnelle à l'université, essentiellement tournée vers les matières littéraires. Quant aux travaux des sieurs Cartan, Weil et Dieudonné sur les "structures", mon niveau en mathématiques (qui est celui du commun des mortels) m'interdit à jamais d'en saisir et d'en goûter les mérites. J'avoue, sans en tirer d'ailleurs aucune gloire, n'avoir jamais rien compris aux mathématiques.
Oui, pour ce qui est du passage sur La Princesse de Clèves, j'avoue avoir un peu hésité à le placer dans le même lot que les extraits suivants.

Si amélioration de l'intelligence globale il y a, elle demeure pour moi un mystère. Mais comment, comment le niveau aurait-il pu monter ?
15 juin 2010, 15:04   Niveau
A vrai dire, je ne sais pas comment il aurait en effet pu monter, itaque j'aimerais savoir comment des personnes que je sais honnêtes et compétentes (dans mon entourage) et que je pense honnêtes et compétentes (comme Slama) peuvent l'avoir ainsi perçu.

Notez que les unes appartiennent à l'univers scientifique et l'autre à celui de l'histoire des idées politiques : à mon sens , ces deux domaines sont ceux qui ont connu les plus grandes évolutions en un siècle, ce qui pourrait expliquer une part de mystère.

Je vais dire cela autrement : la culture classique poussée presque à sa perfection n'a pas évité que n'apparaissent, dans des pays civilisés, et ne soient portées par les intelligents de l'époque, des idées aujourd'hui aussi incroyables que le stalinisme ou le nazisme. Il y avait sans doute, dans la formation des personnes qui sombrèrent en ces abîmes et y prostituèrent leur intelligence, une faille irrémédiable.
15 juin 2010, 15:39   Re : Niveau
C'est, cher Jean-Marc, que si l'intelligence ne peut être dissociée de la culture, elle peut en revanche l'être des valeurs morales.
15 juin 2010, 15:44   Valeurs morales
Ce serait, bien cher Francmoineau, trop simple si les intellectuels qui soutinrent ces idées avaient été dépourvus de moralité : le pire est qu'ils pensaient cela conforme à la logique et la morale, comme on disait en philosophie, autrefois (il ne manque que la psychologie et la métaphysique).
La culture "littéraire" active, entretient, fomente l'esprit de finesse, alors que le développement technique et les connaissances spécialisées qu'il exige renforce les "géomètres" dans l'assurance de leurs principes et la prérogative de leurs esprits de plus en plus "forts et étroits".
Citation
Alain Eytan
La culture "littéraire" active, entretient, fomente l'esprit de finesse, alors que le développement technique et les connaissances spécialisées qu'il exige renforce les "géomètres" dans l'assurance de leurs principes et la prérogative de leurs esprits de plus en plus "forts et étroits".

Mr Alain Eytan, permettez-moi de mettre en doute vos affirmations : les journalistes, les sociologues , les écrivains et les philosophes qui sont tous des littéraires, nous ont mené à la catastrophe actuelle !
Il ne faut pas oublier que les idées ont des conséquences : révolution française de 1789, communisme et aujourd'hui islamisation de l'Europe.

D'autre part, depuis dix ans, je suis bien obligé de constater que les élèves les plus conscients du Grand Remplacement sont aussi les moins littéraires : c'est à dire, ceux des classes techniques.
Pour une fois Alain Eytan a franchement tort (les joueurs de l'équipe de foot brésilienne, qui sont les plus grands et les plus maîtres de leur art, comme ça, dévissent leur frappe, ça leur arrive, une fois par tournoi): les études de lettres cultivent chez le littéraire le petit nuage de la satisfaction de soi vite acquise; les études des sciences et des techniques, matières indociles, enseignent que la satisfaction et la beauté ne sont qu'une et ne sont accessibles qu'au prix d'efforts douloureux, incertains, de doute, de frustration et j'en passe; elles enseignent aussi le goût de la vérité précieuse comme le diamant, lequel aurait en outre l'exigence envers les hommes d'être entretenu, huilé de vigilance.

L'auteur qui mit cela en relief -- la beauté des mathématiques -- fut le plus littéraire des auteurs littéraires: Lautréamont, comme notre ami Alain Eytan ne l'ignore pas.
Chers amis, il faut tout de même être deux pour danser ; il n'y a pas d'études qui produiraient en soi immanquablement leurs effets indépendamment de certaines prédispositions des élèves.
J'ai simplement indiqué une tendance générale qui favoriserait actuellement l'épanouissement des "géomètres", les "plus intelligents" selon Alain-Gérard Slama et Jean-Marc, étant donné le formidable essor des sciences et techniques, au détriment des "plus cultivés".
Et puis, il y a les géomètres, les esprits fins, et les esprits faux, ajoute Pascal. Que ces derniers se parent de toutes les dorures de la littérarité qu'ils voudront, cela ne les en rendra pas moins faux.
Cher Geronimo, c'est dommage que Zendji ne soit pas là pour vous assener que les grands écrivains n'ont jamais été que "de droite" (assertion que je ne partage bien entendu pas entièrement, mais enfin, cela rétablit un peu l'équilibre)...

Je répondrai à Francis plus tard, mon Basmati au saucisson sec bouilli casher est sur le feu...
» les études de lettres cultivent chez le littéraire le petit nuage de la satisfaction de soi vite acquise; les études des sciences et des techniques, matières indociles, enseignent que la satisfaction et la beauté ne sont qu'une et ne sont accessibles qu'au prix d'efforts douloureux, incertains, de doute, de frustration et j'en passe; elles enseignent aussi le goût de la vérité précieuse comme le diamant, lequel aurait en outre l'exigence envers les hommes d'être entretenu, huilé de vigilance.


Je ne vois pas pourquoi une inclination plutôt littéraire susciterait nécessairement chez celui qui la cultive plus de satisfaction de soi que chez celui qui croit voir Dieu dans les constellations, et usurpe les prestiges de la scientificité pour ne faire que de la mauvaise littérature. Certaine prétention d'avoir compris le monde et d'en réduire la totalité à ses quelques modèles de portions congrues de réalité est plutôt l'apanage d'apprentis scientifiques, ou de mauvais réducteurs de mondes, comme il est des réducteur de têtes...
Justement, je trouve que l'étude des sciences vous représente la matière rendue docile, déjà apprivoisée et défrichée, mise en boîte par la théorie (bien entendu, la conception même de la théorie, c'est autre chose), alors que la matière littéraire procède d'une démarche de pure indocilité : les sciences veulent expliquer ce qui existe déjà, alors que les meilleurs livres créent ce dont la justification est autosufisante.
La langue, et l'œuvre, n'ont de compte à rendre qu'à elles-mêmes.
Cela souffre de trop de généralités, mais tant pis...
17 juin 2010, 08:21   Littérature
Mais n'y a-t-il pas, bien cher Alain, non pas un littéraire, mais des littéraires ?

Un philologue ou un spécialiste du thème grec ont, de mon point de vue, un esprit proche de celui du scientifique.

C'est un peu ce qu'on disait autrefois. Bon en version : futur orateur, futur avocat. Fort en thème : futur mathématicien.
17 juin 2010, 09:57   Re : Du niveau des étudiants
"Le rôle de l'historien est-il de juger ? L'art peut-il se passer de règles ?"

Deux sujets très intéressants du bac 2010. Vous aurez noté l'urgence des questions, messieurs les journalistes et critiques d'art !
...Et pour le géomètre «qui croit voir Dieu dans les constellations» : «Une vérité scientifique peut elle être dangereuse ?»
» Un philologue ou un spécialiste du thème grec ont, de mon point de vue, un esprit proche de celui du scientifique.

Cher Jean-Marc, je suis d'accord avec vous.


» la culture classique poussée presque à sa perfection n'a pas évité que n'apparaissent, dans des pays civilisés, et ne soient portées par les intelligents de l'époque, des idées aujourd'hui aussi incroyables que le stalinisme ou le nazisme. Il y avait sans doute, dans la formation des personnes qui sombrèrent en ces abîmes et y prostituèrent leur intelligence, une faille irrémédiable.

Ça paraît impossible à démêler ; les "intelligents" de l'époque ont-ils réellement cru à la science raciale ? Ou ne s'était-il pas plutôt créé un situation où ce furent les médiocres qui avaient droit de cité (la médiocrité alliée à la puissance m'a toujours semblé être un raccourci valable de l'énigme du "type" nazi) ? Peut-être qu'aucune formation en soi ne peut prémunir de circonstances qui exercent une pression telle qu'elles font craquer la mince couche de glace protectrice qui permet de marcher comme s'il y avait une terre un tant soit peu ferme sous ses pieds. Faites se craqueler ce vernis et vous verrez qu'il n'y en vérité pas de fond, c'est à dire que tout système d'ordre, aussi aberrant paraisse-t-il, peut s'imposer si la rupture a été trop brutale.
D'où peut-être la nécessité vitale de sauvegarder les faux-semblants (en somme, les structures de médiateté)...
Bien cher Alain,

Prenez la Grande guerre : les personnes qui étaient à la tête des pays européens, les personnes qui comptaient dans la société de l'époque, étaient fort cultivées. Or, elles entrainèrent l'Europe dans cette boucherie.

Plus près de nous, en août 1939, alors que la classe instruite de Grande-Bretagne hésite, avec comme parfait représentant M. Chamberlain le bien nommé, la classe populaire pousse à la guerre avec résolution, car il faut en finir. De même, l'été 1940, Churchill trouve un appui non pas tant chez les anciens élèves des public schools, parfois pénétrés d'idées proches de celles des nazis, mais dans le peuple, chez les gens ordinaires.

Prenez juin/juillet 1940 : alors que la France cultivée a devancé de quelques centaines de kilomètres la France plus pauvre (l'une était mieux motorisée que l'autre), les parlementaires, pétris de culture classique, abandonnent toute fierté (sauf de rares exceptions). Dans le même temps, les pêcheurs incultes de l'île de Sein rejoignent la France libre.

A quoi cela sert-il de savoir comment se tenir à table si on ne sait comment se comporter au moment décisif ?
17 juin 2010, 22:37   Re : Faillite de la culture
Savoir se tenir à table sert tant qu'on est à table, je suppose. Pourquoi voudriez-vous que ces bienséances engageassent tout l'homme en toute circonstance, et l'améliorassent essentiellement ailleurs, surtout si ces circonstances à l'évidence le dépassent, quel qu'il soit ?
Force est de constater, vous avez raison, que d'autres qualités prévalent alors...
17 juin 2010, 22:49   Du raffinement
Pour ma part, je suis persuadé que trop de raffinement, trop de culture, finit par énerver, au sens premier, la personne. Elle se perd alors dans ses raisonnements, ne voit plus clair en plein jour, hésite et manque de ressort, ou bien opte pour le pire.

Le peuple, du moins la fraction éduquée de celui-ci, possède, comme on dit, un "bon fond". C'est ce peuple qui, en France, gagna la guerre de 14, une armée de petits paysans et d'artisans commandée par des instituteurs, des ingénieurs et des notaires.

Un petit exemple de ce fond de bon sens, que je pense avoir déjà cité. Un jour, Catherine Hubscher avait eu un comportement par trop singulier, et une dame de haute lignée, mais volage, lui fit remarquer qu'elle manquait à ses devoirs de duchesse.

Madame Sans-Gêne lui répondit alors (pardonnez l'anachronisme) : "C'est vrai que j'oublie parfois que je suis duchesse, mais je n'oublie jamais que je suis la femme de Lefebvre".
17 juin 2010, 22:52   Re : Faillite de la culture
» ...Et pour le géomètre «qui croit voir Dieu dans les constellations» : «Une vérité scientifique peut elle être dangereuse ?»

Cher Eric, je ne vois pas exactement où vous voulez en venir ; care to elaborate ?
Vraiment, je n'ai pas l'impression de perdre mon temps à vous lire tous les deux.
18 juin 2010, 05:52   Re : Du raffinement
Citation
Jean-Marc
Pour ma part, je suis persuadé que trop de raffinement, trop de culture, finit par énerver, au sens premier, la personne. Elle se perd alors dans ses raisonnements, ne voit plus clair en plein jour, hésite et manque de ressort, ou bien opte pour le pire.

Peut-être. Probablement, mais chez ceux qui ne sont pas fait pour ça. Ce terme de "culture" au plan statistique, comme une donnée de PIB par tête de pipe, prête beaucoup à confusion : Avoir "trop de culture" pour quelqu'un dont ce n'est pas la vocation, je ne sais ce que cela veut dire au juste ; diriez-vous d'autre part qu'un érudit puisse jamais avoir trop de culture ?
Très concrètement, j'ai du mal à voir comment de bonnes lectures, même nombreuses, pourraient corrompre un jugement qui n'est pas faux au départ ; et s'il l'est alors elles n'y sont pour rien.
À tout hasard, Gide, Valéry ou Proust ont-ils trop lu ? Y a-t-il un sens à dire cela ?
Ces "classes cultivées" que vous semblez accuser de toutes les incompétences, ont-elles jamais eu de culturel, à vrai dire, autre chose qu'un vernis de manières propre à leur milieu, et surtout le fait de ménager une bien plus grande disponibilité de la culture, en son sens le plus noble, qui ne sera jamais concrétisée que par une minorité de toute façon très négligeable en termes de classe sociale ?
Bref, vos convictions en la matière font s'éveiller chez moi bien plus de questions que je n'ai de moyens d'y répondre...
18 juin 2010, 09:57   Culture et action
Bien cher Alain,

Il me semble, tout comme vous, évident que certains métiers nécessitent une certaine culture.

Je voulais simplement dire deux deux choses :

- culture et "polissage" ne sont en rien la garantie d'un comportement approprié à un moment fatidique. Les Spartiates l'avaient d'ailleurs noté, de même que les Romains de la République, voir ce qu'ils pensaient des Grecs ;

- à trop se perdre dans la réflexion, on finit par ne plus savoir comment agir. Voyez Clemenceau : "On est, en général, peu porté à l'action dans le monde des professeurs. On y a besoin de calme et de paix."
Utilisateur anonyme
18 juin 2010, 15:48   Re : Du niveau des étudiants
Le narré se marre en ratissant la page.
Cher Jean-Marc, j'en conviens. Simplement serai-je plus particulariste que vous, en ajoutant que la réflexion en général me semble un terme un peu vide : elle n'est que ce dont celui qui pense est capable. Or j'achoppe toujours sur cette difficulté, que je ne vois pas comment trop de réflexion pourrait gâter un tête bien faite, et d'autre part personne n'agit, s'il a décidé de franchir le pas, ayant la sienne tout occupée à ses pensers.
Retournez la phrase de Clemenceau : si certains professeurs agissent peu, ce n'est pas par excès de réflexion, mais parce qu'ils ne sont pas des hommes d'action au départ, d'où leur inclination aux choses de l'esprit.
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