suite aux émeutes de 2005 donnait une image saisissante de l'attractivité de la Seine-Saint-Denis :
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Ce département, aux portes de Paris, conjugue, on le sait depuis longtemps, de multiples difficultés: taux de chômage record, urbanisme dégradé, multiplication des cités, immigration clandestine massive, etc. Côté délinquance, l'économie souterraine gangrène les cités, les bandes s'y déchirent et les jeunes y sont, plus qu'ailleurs, mêlés aux trafics et aux agressions. Car c'est surtout par sa violence que se distingue le «neuf-trois» ou le «neuf-cube». [...]
135 304 crimes et délits ont été officiellement recensés l'an dernier en Seine-Saint-Denis. Bien qu'en baisse depuis 2001 - une année exceptionnelle - la délinquance a augmenté de près de 30% en dix ans. «Par rapport aux autres départements de la petite couronne parisienne, la densité des faits de délinquance est sans commune mesure», souligne Jacques Méric, directeur départemental de la sécurité publique. Avec environ 100 000 habitants de plus, les Hauts-de-Seine, par exemple, totalisent 30 000 infractions de moins.
La délinquance de voie publique, celle qui pourrit la vie des citoyens, ronge le 93. En 2004, la police a enregistré 10 466 vols avec violence, deux fois plus que dans le Val-de-Marne, les Hauts-de-Seine ou le Val-d'Oise. Et ils ont grimpé de 32% en dix ans. «En se comportant violemment, un délinquant court moins de risques d'être pris, car le vol se fait plus vite, explique froidement un policier. C'est une question de rentabilité.»
Ainsi, les vols à la portière deviennent un véritable fléau en Seine-Saint-Denis. Des jeunes à pied ou à scooter se placent à des endroits stratégiques, lors des embouteillages quotidiens sur la RN 1 ou dans le tunnel de l'autoroute A 1, avant la porte de la Chapelle. Très mobiles, ils cassent les vitres des voitures avec des morceaux de silex ou des bougies d'allumage. Les femmes seules et les taxis revenant de l'aéroport de Roissy sont particulièrement visés. «Si la personne résiste, ils n'hésitent pas à la frapper», indique un officier.
Autre exemple de cette violence: le saucissonnage ou le vol à l'arraché. Le 25 octobre au soir, à Aubervilliers, deux individus encagoulés et armés pénètrent de force chez un homme de 36 ans. Après l'avoir ligoté, ils lui assènent deux coups de crosse sur la tête. Butin: 850 euros. Parfois, on frôle le drame. Ainsi, le 19 octobre, à Aulnay-sous-Bois, Jérémie, 17 ans, a eu la peur de sa vie en se faisant dérober son téléphone portable: l'auteur, armé d'un pistolet, a appuyé sur la détente, mais aucun coup n'est parti… Les armes blanches et de poing ne se comptent plus. Le 17 octobre, par exemple, les policiers se rendent à Clichy-sous-Bois, chez un menuisier de 20 ans auteur de nombreuses infractions au Code de la route. Ils découvrent des câbles électriques et un pistolet modèle Python, calibre 360, dont le numéro de série a été limé.
Non seulement frapper quelqu'un pour le voler n'est plus un tabou, mais la gravité des actes, elle aussi, augmente. «Auparavant, on pouvait avoir peur d'être attaqué; aujourd'hui, on peut être tué», s'alarme un élu. Le département bat en effet des records pour le nombre d'homicides: 57 en 2004 (+ 18% par rapport à 2003); le plus souvent, il s'agit de simples différends qui tournent mal. Un homme est mort pour avoir refusé de donner une bouteille à l'une de ses connaissances, alcoolique. Ce dernier l'a d'abord insulté, puis frappé à l'aide d'une batte de base-ball, avant de lui porter une vingtaine de coups de couteau. A la suite d'une querelle, à Aubervilliers, un autre individu est décédé dans la rue, atteint à l'abdomen par une balle de 9 millimètres.
Les prises d'otages et les séquestrations - 155 en 2004 (+ 32% par rapport à 2003) - sont de plus en plus érigées en mode de règlement des conflits. «Elles ont pour unique motif le recouvrement musclé des créances», explique un commissaire du SDPJ 93. La plupart sont liées au trafic de drogue dans les cités, ou aux problèmes des clandestins. Deux réseaux de passeurs chinois, issus de la même province, sont tombés récemment. Après leur arrivée en France, les étrangers étaient pris en charge par une organisation qui les maltraitait en attendant que leurs familles paient. Deux femmes violées sont ainsi passées par la fenêtre en tentant de fuir leurs geôliers. Un homme a été retrouvé ligoté et bâillonné en bas de son immeuble. Il avait été battu à coups de barre de fer avant d'être défenestré.
Certaines communautés étrangères, qui peuplent en nombre la Seine-Saint-Denis, importent leur propre délinquance et leur lot de violence. «Certaines n'ont pas de limites», indique un policier. Le 25 juillet, une bagarre entre une trentaine d'individus, dont deux armés de sabre, a éclaté dans un cinéma tenu par un Sri Lankais. Une femme originaire du même pays a subi des brûlures sur tout le corps et des coups de pied, de poing et de câble par son mari - et ses enfants! - qui la soupçonnait d'adultère… «Puisque les Maghrébins sont installés dans le trafic de drogue, les Noirs cherchent à s'imposer dans d'autres business: les vols à la portière ou le carjacking», remarque un commissaire.
Le dramatique assassinat de Jean-Claude Irvoas, à Epinay-sur-Seine, parce qu'il avait le tort de prendre des photos de candélabres dans un quartier auquel il était étranger, est la triste et révoltante illustration d'un autre phénomène, plus grave pour l'avenir. «C'est le signe de la ghettoïsation de certains quartiers, analyse Bruno Le Roux, député (PS) de la circonscription. Sa voiture n'est pas d'ici, on ne le connaît pas, il n'a rien à faire là, donc on le dépouille et on le frappe. Dans l'échelle de l'inacceptable, c'est le summum.» «Chaque cité est un champ clos», confirme un commissaire des Renseignements généraux, qui souligne la recrudescence des bandes depuis le début de l'année.
A Pantin, au début de 2005, deux bandes rivales, de la cité Hoche et de celle des Courtillères, se sont affrontées près d'un centre commercial. Un coup de feu a été tiré. En septembre, à Noisy-le-Grand, la police a interpellé une vingtaine de jeunes qui se bagarraient à coups de nerf de bœuf, de couteau et de barre de fer, après un concert de rap. «Ces phénomènes, à la base des violences urbaines, n'ont rien à voir avec les gangs américains, beaucoup plus structurés, souligne un spécialiste des RG. En France, les bandes s'articulent autour d'un petit noyau d'individus, liés par le territoire de la cité. Mais les groupes peuvent s'élargir de façon ponctuelle, en fonction des circonstances, pour s'affronter ou, comme en ce moment, mettre le feu et s'en prendre aux forces de l'ordre.»
Avant les troubles de ces derniers jours, une quarantaine de cités étaient classées «sensibles» par les RG, comme les Beaudottes, à Sevran, ou Aulnay 3000. Le calme relatif qui régnait dans les autres était attribué à la mainmise des voyous sur ces quartiers, où ils font prospérer leur business. Le désordre nuit aux affaires… L'économie souterraine est en effet une autre plaie du département. Par exemple, un groupe de trafiquants de drogue avait investi la cité d'Orgemont, à Epinay-sur-Seine. Il était organisé comme une véritable entreprise, avec sa hiérarchie et ses horaires. Autour d'un noyau dur, le grossiste et ses adjoints directs, gravitaient une quarantaine de personnes qui travaillaient de 9 h 30 à 21 heures précises, jamais plus de trois jours d'affilée. Les plus modestes avaient pour tâche de guider les clients vers les revendeurs, répartis dans huit endroits du quartier. D'autres assuraient le ravitaillement en drogue. Enfin, des «commerciaux» relançaient, par téléphone, les clients potentiels en proposant des promotions: «5 grammes de coke à 250 euros» …
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La délinquance des mineurs reste en effet le souci le plus préoccupant de la Seine-Saint-Denis. C'est un problème de fond. Comme en témoigne le commissaire Philippe Lutz, patron du district de Bobigny. Chaque année, il intervient dans les collèges afin de sensibiliser les enfants, auxquels il demande de répondre, de façon anonyme, à un questionnaire. «25% des élèves considèrent que frapper un copain ou insulter un professeur n'est pas grave, commente Lutz. Ils sont parfois 10% à penser qu'incendier un véhicule ne l'est pas non plus.»
On imagine sans peine que la situation ne s'est pas arrangée depuis...