Très bon article paru aujourd'hui sur le Causeur
Sarrazin vs. Sarrasins, L’identité nationale, version allemande
Publié le 7 septembre 2010, L'auteur Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l’édition.
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« Les Musulmans ne contribuent en rien à la prospérité de l’Allemagne et vivent aux crochets de l’Etat ». Telle, est, en substance, la thèse de Thilo Sarrazin, membre du directoire de la Bundesbank. En outre, ajoute-t-il, le taux de natalité quasi prodigieux de la communauté musulmane aurait un impact fâcheux sur le QI collectif des Allemands. Bref, « L’Allemagne se détruit », proclame Sarrazin dans le titre de son livre paru la semaine dernière et qui, d’ores et déjà, figure sur la liste des best-sellers d’Amazon outre-Rhin. L’ennui c’est qu’en raison de sa virulence, Sarrazin risque de rendre impossible un débat dont l’Allemagne a furieusement besoin – et qui rappelle beaucoup celui qui a tant de mal à émerger en France.
En quelques plateaux-télé, Sarrazin a donc conquis la gloire du brave type qui ose enfin dire à haute voix ce que la majorité silencieuse des autochtones pense depuis un certain temps. Il a été menacé physiquement par le groupe prétendument antifasciste « Antifa ». Et la classe politique allemande, à commencer par la chancelière Angela Merkel, n’a pas perdu de temps pour crier à l’outrage. Qualifiant les propos de Sarrazin d’« absurdes » et « complètement inacceptables », la nouvelle « dame de fer » de l’Europe a déclaré dimanche dernier, sur la chaîne télévisée ARD, qu’ils « divisaient la société allemande ». Le chef des Verts allemands, Cem Ozdemir, s’est carrément lâché, comparant Sarrazin à un « leader tribal du calibre de ben Laden ». De son côté le directoire de la Bundesbank, dont les membres n’ont jamais été sélectionnés pour leurs qualités professionnelles ou personnelles mais en fonction d’un dosage politique et régional, a demandé au Président allemand, Christian Wulff, la tête de Sarrazin. Un fait sans précédent dans la cinquantenaire histoire de cette très discrète institution, et un véritable casse-tête juridique qui suscite la perplexité des juristes du gouvernement. Mais il n’est pas certain que ce soit la première préoccupation de Sarrazin.
Une place à prendre à la droite de la CDU
L’Allemagne a changé. Et le docteur Thilo Sarrazin l’a compris. Mais il est loin d’être un loup solitaire. D’autres avant lui ont marché sur ses plates-bandes. Udo Ulfkotte, ancien conseiller du gouvernement Kohl et collaborateur régulier de la très respectable Frankfurter Allgemeine Zeitung, s’est fait remarquer pour avoir déclaré que « le tsunami de l’islamisation est en train de déferler à travers le continent européen ». Ralph Giordano, écrivain réputé et autorité morale, a estimé que l’Islam était une religion totalitaire. L’écrivain néerlandais Leon de Winter, connu en Allemagne grâce à ses contributions à l’hebdomadaire Der Spiegel, dit avoir identifié « le visage de l’ennemi », ajoutant, en termes plus sobres : « depuis les années 1960 nous nous trompions nous-mêmes en disant que toutes les cultures se valent ».
Pour la presse allemande, trois raisons expliquent son phénoménal pouvoir de séduction des masses.
Premièrement la « linguistique violente » de son livre, pour reprendre l’expression du chef du SPD, Sigmar Gabriel, s’avère correspondre aux attentes des Allemands. Si un sondage TSN Emnid réalisé pour l’hebdomadaire Focus révèle que deux tiers des Allemands rejettent la théorie de Sarrazin sur « l’abêtissement » général dû à l’accroissement de la population d’origine arabe ou turque, mais un autre sondage réalisé online par la chaîne d’information continue N-TV, révèle que ses opinions sont partagées par 96% des téléspectateurs. Et l’intéressé a affirmé sur la chaîne ARD que 95 % des lecteurs qui lui ont écrit estimaient qu’il n’était pas allé assez loin.
À lire le blog Politicaly Incorrect, on se dit en effet que les Allemands peuvent aller très loin et qu’ils y vont. « L’islam est une maladie mentale volontaire », « Il n’y a qu’un seul mot pour décrire l’islam : barbarie ! », « Il est vain de se colleter avec cette culture inférieure », proclament les auteurs anonymes des post, tout en traitant les musulmans tantôt d’« enculeurs de chèvres », tantôt de « souillons voilées ». On peut s’indigner, crier au racisme comme le font nombre de commentateurs. On peut également, avec le chroniqueur de Der Spiegel, regretter que le scandale détourne l’attention du problème réel: « Bientôt, tout ce qui devait être dit à propos de Sarrazin sera dit et lui même oublié. Mais quel homme politique aura le courage de s’engager à ce que chaque enfant de quatre ans vivant dans le quartier des immigrés de Neukolln aille à l’école ? »
La deuxième raison du succès populaire de Thilo Sarrazin est qu’il fait entendre une voix manquante sur la scène politique allemande. À la différence de nombre de pays européens, l’Allemagne n’a pas de parti « populiste » qui occuperait l’espace situé à droite des chrétiens-démocrates. Avec pour conséquence perverse le fait que l’électorat qui serait tenté de donner sa voix à un parti d’extrême droite, et dont l’importance est estimé à quelques 20%, vote pour la CDU. Résultat, durant des décennies, le slogan officiel du parti, qui est par ailleurs opposé à l’entrée de la Turquie dans l’UE, a été : « l’Allemagne n’est pas un pays d’immigration ». Il y a dix ans, Friedrich Merz, député CDU au Bundestag, invitait tous les immigrés à rejoindre la Leitkultur allemande – la culture dominante- appel à l’assimilation évidemment interprété par la gauche comme un dénigrement des autres cultures. Avec l’affaire Sarrazin, la question de l’immigration se rappelle au bon souvenir de la chancelière qui ne peut pas négliger les bataillons d’électeurs qui y sont sensibles. D’où ses propos au quotidien turc Hurriyet : « Nous désirons offrir toutes les opportunités qu’un pays ouvert puisse offrir à ses citoyens issus de l’immigration. Ces gens-là doivent avoir leur part dans la vie sociale, économique et culturelle. Mais nous attendons également d’eux qu’ils déclarent clairement vouloir participer à cette vie et qu’ils en apportent les preuves. (…) Beaucoup de Turcs vivent en Allemagne et je suis persuadée que la majorité d’entre eux s’est intégrée parfaitement bien ».
Difficile quoi qu’il en soit d’occulter le réel. Nul n’a oublié le discours prononcé il y a deux ans par Recep Tayyip Erdogan devant la communauté turque de Cologne, dans lequel le Premier ministre turc mettait ses compatriotes en garde contre les méfaits de l’assimilation, en la qualifiant explicitement de « crime contre l’humanité ».
La popularité des thèses de Sarrazin a évidemment quelque chose à voir avec un passé ressassé – peut-être à l’excès. Comme le souligne Ulrich Kober de la Fondation Bertelsmann, « le rejet du racisme et du fascisme fait partie du mythe fondateur de l’Allemagne contemporaine ». Pendant les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les Allemands ont été obligés de prouver au reste du monde leur tolérance et leur ouverture. L’immigration ne pouvait pas être une question ou un enjeu politique mais simplement un fait. « Trop longtemps, lit-on dans la Suddeutsche Zeitung, les Allemands ont pensé qu’ils pouvaient laisser aux immigrés la décision de quand et à quel degré ils veulent s’intégrer. De même que la décision de s’ils veulent ou non s’intégrer. »
Une partie des immigrés refuse de s’intégrer
Le meurtre du cinéaste Theo van Gogh, les attentats de Londres et de Madrid et l’affaire des caricatures de Mahomet en 2006 ont alerté l’opinion publique. Certes le terrorisme islamiste a épargné l’Allemagne. Mais la presse nationale rapporte quasi quotidiennement des cas de mariages forcés, de crimes d’« honneurs », ou de règlements de comptes au sein des mafias albanaise ou arabe. Dans certains quartiers de Berlin, comme à Kreuzberg, trois quarts des élèves ne maitrisent pas suffisamment l’allemand pour pouvoir suivre les cours. Et selon Wolfgang Bosbach, le président de la Commission des affaires intérieures du Parlement, un tiers des étrangers inscrits à des cours d’allemand pour augmenter leurs chances sur le marché de l’emploi, ne se présentent même pas dans les établissements désignés. Dans ces conditions, il devient difficile de ne pas voir qu’une partie de la population immigrée refuse de s’intégrer à la société allemande.
Rien ne prouve cependant que cette prise de conscience aura des conséquences politiques – il est vrai que personne en Europe n’a de solution clé en main. Trop âgé et trop techno pour fonder un parti susceptible d’occuper la place vacante sur la droite de la scène politique, Sarrazin continuera tout au plus à participer à des talk-shows et à effrayer ses concitoyens en leur rappelant que le nombre des musulmans devrait s’élever à 35 millions en 2100. D’ici là, la politique d’immigration passive et indéterminée a encore de beaux jours devant elle.