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Stations de croix : My Taylor is poor

Envoyé par Michel Le Floch 
Longtemps, le matin, afin d'échapper aux fortes et entêtantes vapeurs doxiques émanant de France-Inter-Culture, j'ai pris pour habitude de me réfugier sur France-Musique. De retour de vacances, déterminé en cette rentrée à affronter courageusement la pensée bonne, j'avais décidé de ne plus déserter les deux stations généralistes et d'écouter courageusement, stoïquement, les successeurs de Demorand et Badou. Hélas, il y eut la burka, les Roms, les Afghans, les sans-papiers,Sétif, Guelma, Grenoble, les banlieues, les heures sombres : en ce mois de septembre des Niagara de bien pensance déferlèrent sur les ondes et la marée montante des mots qui puent, "stigmatisation", "répression", "discrimination", est revenue de plus belle au point qu'épuisé j'ai abandonné mes bonnes résolutions pour rejoindre entre sept et huit heures France-Musique. Et là, horreur : en l'espace d'un été tout a changé ou presque. Cette heure agréable consacrée à l'actualité musicale (concerts, livres) a été confiée à l'atroce Alex Taylor, l'homme à l"a bouillie dans la bouche". Afin de dépoussiérer (comme disent les amis du désastre) l'antenne, cet Anglais, qui reconnaît lui même faire difficilement la différence entre un tambour et un basson, entre Dorothée et Elisabeth Schwarzkopf, a transformé l'émission en une sorte de magma abject où s'agitent à un rythme accéléré les Beatles et Johnny sur un fond, probablement pour maintenir un semblant de tradition, mâtiné au mieux de quatre saisons albinonisées vaguement bolérisée et au pire, comme l'écrivait Rebatet dans son Histoire de la musique, de tziganeries de restaurant, hommage aux Roms "déportés" oblige. Le tout étant bien sûr saupoudré de ricanements et de blagues de potache à faire rougir de honte un Bigard. Insupportable. Ce n'est plus de grande déculturation qu'il s'agit mais de radicale éradication. Quoi qu'il en soit, je demande solennellement au ministre Hortefeux de bien vouloir expulser, en lieu et place de Lies Hebbaj, au plus vite l'Anglais Taylor du territoire français. Tout sauf Taylor.
L'interviouv de ce matin était affligeante : un spécialiste de techno était invité (un monsieur qui expliquait des choses intéressantes au demeurant). Première question : "Que prenez-vous pour le petit-déjeuner ?"
Vous ne rêvez pas !
Le reste n'était pas beaucoup plus relevé.
Virgil,


Vous trouvez cette question indiscrète ?
Utilisateur anonyme
24 septembre 2010, 11:41   Re : Stations de croix : My Taylor is poor
Monsieur Grand Remplacement et Mademoiselle Grande Déculturation
sont heureux de vous convier à leur mariage
sur les ondes de Radio-France
Comment vous dire ? Je la trouve d'une trivialité ahurissante. Elle est très américaine dans son inspiration : les Américains ont une propension à s'entretenir les uns avec les autres de tous les menus faits de leur vie quotidienne (technique de brossage de dents, marque de savon utilisée, manière de laver les verres...) qui m'étonne et m'agace toujours. Cela dispense d'avoir de véritables conversations, qui soient autre chose que des cris étonnées de concordances de vie quotidienne, des conversations discutant des idées, des manières de voir. Qu'on m'impose une telle question sur France musique, c'est consternant. "des oeufs au bacon", voilà la première chose que j'ai su de ce monsieur dont j'ignorais tout, y compris pourquoi il était là.
Non, Virgil, je ne partage pas votre point de vue à propos des Américains. Certes, ils vous demandent des choses comme "How are you today ?" mais ils se fichent complètement de la réponse. Faites l'essai de répondre que vous avez passé une nuit épouvantable, poursuivi par une diarrhée tenace, et vous allez voir le résultat.
Chers Petit-Détour et Agrippa, votre humour et votre alacrité, dans vos genres respectifs, ont éjoui celui en moi qui ne s'attriste que trop, généralement, de ce que vous épinglez.
Soyez-en remerciés.
En d'autres mots, France Musique fait désormais du Michel Drucker ("Vous aimez les chiens ?...")...
Surtout au petit-déjeuner, William, surtout au petit-déjeuner...
A propos du "How are you today?", je suis d'accord avec vous. Mais si vous tendez l'oreille pour écouter la conversation des Américains en visite à Paris, prenant le métro ou buvant un coca-cola à une terrasse de café, et vous saurez tout des menus détails de leur vie quotidienne... Lorsque je vivais aux Etats-Unis, c'était ainsi : on avait très rarement de vrais discussions, et sans arrêts de ces échanges qui relèvent du bavardage, du commérage, du "small-talk".
Je m'attriste de voir arriver cela sur nos ondes nationales.
Balzac définissait ainsi la province: le mari parle ouvertement de ce qu'il a mangé à midi, de sa digestion difficile, sans aucune honte; l'épouse de ses chiffons, du mari qui s'empâte, de la domesticité, de l'horrible petite famille heureuse qui fait tout l'horizon de l'existence et de la pensée. L'Amérique est une gigantesque province dont New York ne parvient pas à faire un Paris. L'Amérique, donc, dans tous ses propos, provincialise comme on dit "bêtifie": toute la littérature américaine ordinaire, hollywoodienne, est une gigantesque littérature provinciale qui ne sait parler que de soi. La grande et pure littérature américaine fut ainsi, par force, une littérature de marins (Melville), d'absents (Faulkner, Cadwell, étaient des marins du bayou, des marins perdus loin dans les terres, comme Cormac McCarthy dans ses lunaires déserts) de routards (Kerouac), d'alcooliques (Hemingway, Fitzgerald) en rupture de famille et de domesticité, et surtout, en rupture de femmes. L'Amérique, dès sa naissance, fut le paradis des femmes, de la femme dans toute cette plénitude de l'accomplissement domestique, provincial, étrangleur de l'esprit.
"Monsieur Grand Remplacement et Mademoiselle Grande Déculturation
sont heureux de vous convier à leur mariage
sur les ondes de Radio-France"

Excellent.
Citation
virgil
Lorsque je vivais aux Etats-Unis, c'était ainsi : on avait très rarement de vrais discussions, et sans arrêts de ces échanges qui relèvent du bavardage, du commérage, du "small-talk".

Oui : les Américains, à la différence des Français, ont cette particularité d'être beaucoup plus chaleureux au premier abord, mais le revers de la médaille est que ce comportement est bien souvent superficiel. On peut facilement se faire beaucoup d'amis aux Etats-Unis, mais peu de vrais amis. En France, les prises de contact sont plus dures mais il y a sans doute davantage moyen d'aller au fond des choses. Par exemple, il n'est pas rare d'être invité à déjeuner lorsqu'on est aux Etats-Unis (même par des gens que l'on connaît à peine) mais les repas ne s'éternisent jamais, contrairement à ce qui peut se passer en France, et l'on aborde peu de sujets qui fâchent. Ce n'est pas un hasard si le politiquement correct a pris son essor aux Etat-Unis ! Lisser les propos au maximum, ne rien dire qui puisse blesser...

Cette attitude trouve sans doute son origine dans le protestantisme : comme le puritanisme provoque une sorte de froide mise à distance dans les relations entre les individus, les bavardages superficiels permettent de la compenser en affichant un vernis chaleureux, même si cette attitude paraît très peu naturelle pour un Français.

J'avais regardé cet été des rediffusions de l'excellente émission Strip-tease dont plusieurs épisodes relataient les pérégrinations de Français établis en Amérique ; cette différence de comportement était alors très visible.
"Je ne connais pas de pays où il règne, en général, moins d’indépendance d’esprit et de véritable liberté de discussion qu’en Amérique...L’inquisition n’a jamais pu empêcher qu’il ne circulât en Espagne des livres contraires à la religion du plus grand nombre. L’empire de la majorité fait mieux aux Etats-Unis: elle a oté jusqu’à la pensée d’en publier…On voit des gouvernement qui s’efforcent de protéger les moeurs en condamnant les auteurs de livres licencieux. Aux Etats-Unis, on ne condamne personne pour ces sortes d’ouvrages; mais personne n’est tenté de les écrire." tocqueville
Utilisateur anonyme
24 septembre 2010, 20:55   Re : Stations de croix : My Taylor is poor
Tocqueville ? Oui, bien sûr ! Merci d'avoir précisé.
Je me souviens d'un livre de Sempé sur les Etats-Unis qui montraient de façon drolatique cette manière d'être que vous signalez des Américains.
Cher M. Petit-Détour, je suis vraiment ravi d'avoir l'occasion de vous signifier combien j'aime vous lire. C'est que j'ai quelque chose à dire à propos des mutations dont au sujet desquelles vous dites du mal sur France-Musique. Voyez vous, c'est avec le sentiment du luxe que je mène en Clio toute neuve, mon inépuisable fiancée qui entame sa trente neuvième et , j'ose l'espérer, dernière année au chagrin. Nous goûtons, pour deux euros, deux petits noirs avant que le gros de la journée nous sépare. Or, et c'est là que je voulais en arriver, au long des sept kilomètres et demi [help, gentil Jean-Marc, un s pas de s?] où, vrai de vrai, nous croisions hier encore deux chevreuils écervellés, nous écoutons sur le poste tout neuf de notre Clio toute neuve, France-Musique. Et c'était un vrai bonheur que de passer du sommeil à l'activité grâce au couple qui nous ravissait durant dix minutes (faut rouler lentement eu égard aux chevreuils). Et voilà que l'English a tout cassé. C'est d'autant détestable que pour l'avoir déjà entendu ailleurs où il avait sa place, moi je l'aimais plutôt bien votre English. Mais là, à essayer de prendre sa place alors que je n'ai pas encore pris mon petit noir, il me gâche mes chevreuils, l'English.
Avec un "s", si vous êtes dans un bar...
Utilisateur anonyme
25 septembre 2010, 13:48   Re : Stations de croix : My Taylor is poor
Citation

Nous goûtons, pour deux euros, deux petits noirs avant que le gros de la journée nous sépare.

Vous me faites penser au film (qui doit dater de la fin des années cinquante) tiré de la pièce J'y suis, j'y reste. Au bar d'un café, un ouvrier demande un noir, alors que son collègue noir demande un blanc. Ce genre de plaisanterie innocente serait-elle encore possible de nos jours ?
Cher Eric, merci pour ce témoignage qui illustre la nuisance sacrilège de ce Taylor.
Cher Francis : Faulkner en marin des marais : c'est beau !
Utilisateur anonyme
26 septembre 2010, 13:46   Re : Stations de croix : My Taylor is poor
Sommes-nous encore si différents ?


"Je ne critique pas du tout les jugements, disons politiques, sur l’Amérique. Mais quand on vient me parler d’exception culturelle française, je sors de mes gonds. Je supporte mal cette espèce de caricature de culture qui se prend pour la culture. Comme nous nous sommes mis sur le même plan que les Américains, par compensation on renforce une altérité artificielle. Que l’on n’accepte pas la mondialisation, je suis le premier à être d’accord. Mais que l’on confonde la mondialisation avec l’Amérique, c’est une stupidité. L’Amérique est autant victime de la mondialisation que n’importe quel autre pays, personne n’est bénéficiaire de cette opération vertigineuse. La seule manière de résister au mondial, c’est la singularité. Agiter le thème de l’exception culturelle française, c’est chercher à se réhabiliter comme on sauverait les meubles. Et, à la limite, si l’on me donnait à choisir, je choisirais la prodigieuse inculture américaine plutôt que notre post-culturel moribond. Quand je suis à l’étranger, pas seulement aux Etats-Unis, je vous assure que j’ai un peu honte de la suffisance française, de notre vanité et de notre manière de jouer les Tartarin."

Jean Baudrillard, inLe Monde de l'éducation, août 2001 (extrait)..
Utilisateur anonyme
26 septembre 2010, 14:02   Re : Stations de croix : My Taylor is poor
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Et quand Alex Taylor est en vacances, c'est presque pire. Ce matin, c'était un vrai cauchemar, sur France Musique. La fort peu écoutable Emilie Munera s'y entretenait avec de remarquables challengers, Nora Gubisch et Alain Altinoglu, en un festival de la parole massacrée. Si quelques amateurs impavides désiraient s'y risquer, voici le lien :

[sites.radiofrance.fr]
Pour ce qui me concerne, c'est France Inter à donf dès le petit-déjeuner. Le matin je m'amuse à un petit jeu : alors, qui va bien pouvoir être l'invité ? Un membre du parti socialiste ? Un Vert ? Un Front de gauche ? Un centriste ? Un centriste à gauche du centre ? ou plus à droite ? mais un peu moins à droite de la gauche de la droite ? Un cadre de l'UMP sympa (mettons Jean-François Coppé) ? Et il y a la chronique de Bernard Guetta qu'enthousiasme depuis un mois la Grande Révolution Arabe (écoutez demain, sûr que vous n'y couperez pas), qu'est pas mal.
Oui, mais il n'est rien de plus difficile que de restituer la texture d'une écume, alors que la massive épaisseur monobloc du mystère de vivre, on connaît tous... D'interminables et fouillées considérations sur la consistance et la saveur de la saucisse que l'on consomme au breakfast ne sont peut-être pas si futiles, après tout, parce que la futilité n'est pas si futile, parce qu'il n'est de sujet, si trivial soit-il, qui ne puisse requérir une âme bien disposée, et que l'obligée immersion dans une mer de gravité pourrait ne conduire qu'à un panneau en trompe-l'œil, s'il était établi que les choses n'ont en fait aucune profondeur.
Que voulez-vous, Bernard Guetta et Bernard vit.
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