Un sociologue spécialiste de l’éducation, professeur à l’université de Bordeaux et directeur à l’EHESS prend la parole...
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interview
«Bégaudeau a su sortir de l’imprécation»
"Libération" : mardi 27 mai 2008
Le sociologue spécialiste de l’éducation, François Dubet, professeur à l’université de Bordeaux et directeur à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), évoque l’attribution de la palme d’or à un film sur l’école alors que celle-ci est en pleine crise et que le moral des enseignants est au plus bas.
Que pensez-vous de cette récompense dans un tel contexte ?
Je n’ai pas vu le film, mais s’il décrit ce qui se passe dans une classe, je suis heureux de cette palme. Habituellement lorsqu’on parle de l’école en France, c’est tout de suite idéologie contre idéologie, imaginaire contre imaginaire. On a l’art des affrontements entre partisans et défenseurs de la sélection, de la tradition et de la pédagogie… Ce qui est agaçant, dans les débats sur l’éducation, c’est que les choses deviennent très vite idéologiques, quasi religieuses. On a une extrême difficulté à regarder les problèmes en face. A priori, ce film montre un enseignant face à sa classe, comment il tient les élèves, comment il peut y avoir dérapage, etc. C’est une bonne nouvelle.
Avez-vous lu le livre de François Bégaudeau dont le film s’inspire ?
Oui et je l’ai aimé. Trop souvent les livres d’enseignants sur l’école montrent des gens cultivés face à des barbares ou, comme ceux de Brighelli, expliquent que tout fout le camp. Dans ce livre, on voit des élèves qui ne parlent pas la même langue que leur professeur, qui n’ont pas les mêmes centres d’intérêt. Mais Bégaudeau y croit. Il n’est ni dans la nostalgie ni dans la plainte. Ce n’est pas un livre d’imprécations. Ce qu’il décrit est juste.
Ce film pourrait-il contribuer à améliorer l’image des enseignants ?
C’est une situation étrange. En réalité, l’opinion porte un regard très positif sur les enseignants. Ceux sont les enseignants qui sont persuadés que l’on a une vision très négative d’eux. Ils pensent que l’opinion les méprise, ils entendent les gens se plaindre qu’il y a de plus en plus de problèmes à l’école. En fait, dès que l’on critique l’école, les professeurs se croient visés. Or dans l’opinion, c’est plutôt la critique de l’école qui est forte.
Pourquoi cette autodévaluation ?
Les enseignants français se sont tellement identifiés à l’institution qu’ils prennent pour eux toute critique dirigée contre elle. Je fais des conférences où je critique l’école. Souvent à la fin, des professeurs viennent me demander : «Mais pourquoi nous critiquez-vous tellement ?» Quand on dit que l’école n’arrive pas à réduire les inégalités, par exemple, ils se sentent visés. Alors que les médecins ne le prennent pas pour eux lorsqu’on critique l’hôpital. En fait, la crise de l’école est planétaire. Partout on a beaucoup investi et les résultats n’ont pas suivi. En Finlande, qui est aujourd’hui un exemple, il y a vingt ans, on s’est aperçu que cela ne marchait pas. Et on a revu tout le système. En France tout de suite cela prend des allures très polémiques. Car c’est un pays qui, plus que les autres, s’est fait par l’école. Quand elle va mal, on croit que c’est la société qui agonise.
Depuis le succès de Etre et avoir, assisterait-on à une vogue des films sur l’école ?
Il y a des séries télés mais en réalité elles traitent de l’adolescence : l’apprentissage est anecdotique. Les télévisions - c’est le media qui veut cela - ne peuvent filmer un cours de maths où les élèves s’ennuient, il leur faut un professeur extraordinaire, ou qu’il se passe quelque chose. C’est très difficile d’avoir le ton juste sur ces sujets. Le documentaire Etre et avoir est un film quasi ethnologique. Il a été un gros succès car il y a en France une formidable attente et une anxiété au sujet de l’école. Entre les murs pourrait avoir un succès comparable. Il y a d’abord l’effet palme d’or. Il y a aussi les 12 millions d’élèves, 24 millions de parents, 1,5 million d’enseignants. Ce ne sera pas les Ch’tis, mais il y aura du monde.