Dans la
Philosophie de l’histoire de France d’Edgar Quinet, cette page admirable :
« Une race d’hommes s’évanouit, elle perd la conscience de son existence ; nous l’en félicitons, parce que son sol se couvre de routes militaires, de grands édifices, et même de chaires de rhétorique. Un monde entier disparaît, celui de nos ancêtres, qui pourtant nous manquera à chaque moment de notre histoire ; nous applaudissons à cette chute parce qu’elle nous précipite aussitôt, et dès les langes, dans les liens d’une Antiquité déjà dégénérée. Voilà le fil de notre méthode ; retenez-le dès l’origine ; il nous conduira jusqu’au bout sans dévier un moment. Ce que nous nommons civilisation, nous l’achetons par la perte de la liberté ; nous entrons dans l’humanité en rejetant nos aïeux. Celui qui nous conquiert nous affranchit ; notre libérateur, c’est notre maître : premier fondement de notre philosophie !
» De là cette maxime générale que nous appliquons à l’histoire universelle, à savoir que dans les conquêtes, les invasions, une seule chose est à considérer, l’avantage du mélange des races. Laissant de côté toute observation puisée dans le vif de la nature humaine et matérialisant l’histoire, nous ne voyons plus dans la domination d’un peuple par un autre qu’un procédé pour transfuser le sang et rajeunir les races, comme s’il s’agissait des incursions d’un bétail. À ce point de vue, toute invasion est un progrès pour celui qui la subit ; l’esprit d’un peuple disparaît, c’est pur profit pour ce peuple. L’humanité se perd dans l’histoire naturelle, l’histoire dans l’ethnographie. Quel malheur pour nous que Xerxès n’ait pas été vainqueur à Salamine ! Nous avons perdu l’occasion de prouver combien il importait aux Athéniens de devenir la proie des Mèdes. »