Hier après-midi, ligne D du RER. J'étais assis au bout d'un wagon, aux côtés d'un vieil homme, visage et silhouette entre Raimu et Paul Frankeur, qui m'avait demandé de l'aide sous la gare de Lyon, où provincial et plus très jeune, j'étais à peine moins perdu que lui.
Une mendiante larmoyant, psalmodiant en roumain, flanquée d'un garçonnet, nous fourre le temps qu'il faut la main sous le menton. Le temps qu'il faut nous ne bougeons pas. Elle a encore une voyageuse à entreprendre, tâche dont elle s'acquitte professionnellement, le geste et la voix tenus, scrupuleux, comme avec nous. Et son premier wagon terminé, elle se place près de la porte. Elle fait plus, elle s'accorde une pause vraie, se redresse, sourit, plaisante son fils qui a sorti une barre de chocolat. Je suis à deux pas d'elle, nos regards se croisent. Je me surprends à dévisager la mendiante avec autant de tranquillité qu'elle, sans morgue ni animosité, comme si elle n'était pas la mendiante de l'instant d'avant, ni moi l'un des ingrats ou des finauds qui l'ignoraient. Mais non, nous n'avons rien oublié, nous savons très bien ce qui s'est passé et nous prolongeons le sourire de connivence que nous échangeons. Chacun s'est débarrassé de son rôle et commente avec un amusement teinté d'effronterie, la prestation de l'autre : je témoigne que vous avez tenu correctement votre rôle ; tout est en ordre, vous n'avez rien à vous reprocher.
Voici déjà l'arrêt de Maisons-Alfort, la mère courbe les épaules, pousse l'enfant qui avale sa dernière bouchée. Ils courent au wagon suivant.
Il aura fallu que mon amour-propre soit assez comblé d'avoir été choisi par un voyageur égaré, et d'avoir pu l'aider.