Une petite note de lecture à propos de Jean-Claude Michéa moraliste
Avec « L’empire du moindre mal » JC Michéa nous livre avec clarté l’ensemble de sa « vision du monde ». Après une critique en règle du pseudo-objectivisme libéral il nous propose dans la lignée de l’anarchiste-tory Orwell sa propre solution à la condition des classes laborieuses et plus généralement l’homme contemporain. Un régal.
Pour sa démonstration J-C Michéa adopte un fil directeur largement accepté aujourd’hui, concernant l’origine de la modernité. Michéa voit en elle la conjonction de deux facteurs, eux-mêmes étroitement liés. Face au grand schisme de la Renaissance laissant les peuples d’Europe déchirés sur le plan éthico-religieux dans un conflit de valeurs irréductibles, l’Etat moderne va se mettre en place. L’Etat-Nation et plus généralement par la suite le libéralisme, largement préparé au préalable par tout le devenir européen se construit sur la démarche suivante :puisqu’il est impossible de trouver une base d’accord sur le plan des valeurs, alors le « lien social » s’établira en deçà ou au-delà du plan axiologique qui sera alors réservé à la sphère privée.
Un fonctionnement neutre se mettra alors en place sur deux niveaux : le plan politique comme lieu de l’action mécanique du Droit, le plan économique avec l’action mécanique (aveugle) du Marché. Si la question des valeurs peut encore avoir un sens alors elle sera reportée au niveau de l’individu. C’est la marche continue vers la privatisation : la question axiologique comme dimension du sacré est renvoyée comme la question religieuse au niveau privé.
Ce refoulement de la loi symbolique au profit du fonctionnement objectif du droit et du Marché est combattu radicalement par Michéa. D’une part parce que cette objectivité du libéralisme est seulement prétendue-en effet le libéralisme fonctionne sur des présupposés non moins métaphysiques que les autres idéologies- d’autre part, parce qu’il est incapable d’assumer à lui seul le vivre ensemble (il fonctionne comme le rappelaient Weber et Castoriadis grâce à la survivance de mentalités pré-capitalistes) et troisième point (chassez l’éthique par la porte…) parce qu’il donne lieu à une éthique « matriarcale » encore plus féroce car occultée (cette dénonciation de la féminisation nous rappelle P Murray…et BHL…).
Le libéralisme est liberticide. En effet dans son refus de toute éthique le libéralisme va entamer une chasse aux sorcières contre toutes les catégories de la Common decency (habitudes stratifiées sur le long terme et « conservées » dans les classes inférieures de la société). Derrière un fonctionnalisme aux prétentions de neutralité c’est au contraire une éthique répressive de Chien(ne)s de garde qui tend à s’imposer. Comme tout ordre, l’ordre libéral s’entoure des conditions de sa propre reproduction. L’ordre matriarcal (Big Mother) exigeant un assentiment intérieur (à la conscience) grâce aux mécanismes de la culpabilisation.
Plus perfide et plus efficace –au niveau répressif- que l’ordre patriarcal de la loi symbolique qui, lui, se pose comme extérieur, assume sa brutalité et se contente d’une mise en conformité formelle de l’individu. Cette extériorité de l’ordre autorisant d’ailleurs la révolte.
Donc, le marché et le droit, en apparence axiologiquement neutres et prétendant à une pure rationalité (calcul de l’optimisation du profit, analyse de l’égoïsme comme donnée naturelle, spontanée et première) s’appuie en réalité sur l’inconscient et l’imaginaire. Les « figures surmoïques féroces» mises en place par des agents (de la communication) se substituant à la figure du Père clairement localisable et contre qui la révolte est possible.
Michéa reproche au libéralisme une élucidation incomplète des sociétés disciplinaires au profit d’une seule élite pouvant atteindre l’autonomie dans le cadre contemporain. Pour les masses, « soumises à l’autorité croissante des experts et baignant dans un étrange climat d’autocensure, de repentance et de culpabilité généralisées. Celui qui correspond, en définitive, à la guerre de tous contre tous, quand s’y ajoute désormais, la nouvelle guerre de chacun contre lui-même. », ce sera au contraire une société de contrôle renforcé.
Dans sa belle démonstration, comme à l’accoutumée, Michéa se range sous la bannière d’Orwell et de Christopher Lasch. Dénonçant la civilisation du narcissisme (la montée de l’insignifiance chez Castoriadis) au nom d’un imaginaire proudhonien. Ce socialisme primitif français auquel Michéa se réfère, via Proudhon, n’est pas un socialisme prolétarien mais de classes laborieuses (petits artisans etc) qui refusent au nom de la morale (c'est-à-dire la conservation de leurs habitudes de vivre et de juger, de leur loi symbolique, bref leur common decency) le libéralisme et leur prolétarisation. Il va de soi que ce socialisme n’est pas de gauche. Pour Michéa la Gauche, comme la Droite, mettent en place, dans une division du travail et des créneaux différents la politique du Capital. La gauche ayant l’avantage d’être plus radicale idéologiquement, poussant plus loin le raisonnement débouchant sur la liquidation de la common decency au profit d’une société toujours plus atomisée où règne sans partage l’imaginaire du Marché face à des individus démunis des protections communautaires traditionnelles.
Cette critique du Droit et du Marché est limpide mais un grand absent –au moins dans cet ouvrage- est la question de la colonisation afro-asiate de l’Europe.
Certes, J-C Michéa dénonce sans concessions l’idéologie de l’anti-racisme. Idéologie résiduaire du socialisme marxiste et de l’anti-fascisme stalinien. L’anti-racisme comme instrument du Capital laissé aux mains –plus expertes de la Gauche- est aussi clairement exposé que chez Taguieff. Mais, mis à part quelques passages dans autre opuscule, réservé au football- opuscule dédié à la dénonciation de l’anti-populisme des élites- concernant la racaille, Michéa ne procède pas à une analyse sur la racaille ou le métissage aussi méthodique que celle à laquelle il nous a désormais habitués. Et ses dénonciations de la racaille semblent présenter des contradictions avec son dispositif argumentatif traditionnel (le socialisme orwellien).
Expliquons nous.
Michéa, on le sait, se revendique du courant qui va de Proudhon à Orwell et Lasch c'est-à-dire un courant du « mouvement ouvrier » (en réalité courant de résistance à la prolétarisation) se livrant à une récusation du libéralisme non pas sur des raisons économiques mais éthiques au sens classique de morale et au sens étymologique (ethos) d’ensemble d’habitudes ancrées dans un peuple car stratifiées le long des temps (common decency). Primat donc de l’éthique dans la critique et la dénonciation face au marxisme et au libéralisme qui prétendent à l’objectivité de la science quant à la justification de leur hégémonie. C’est là, la thèse centrale de Michéa dans le présent ouvrage. Alors quand Michéa dénonce la racaille comme un phénomène capitaliste –la racaille est constituée par les différentes strates de dealers qui défendent leurs territoires de vente et leurs sanctuaires (de reproduction de la force de travail maffieuse ?) il se cantonne à une analyse en termes essentiellement économiques, donc neutres, objectivistes etc Opérant par là une réduction de phénomènes qui nous semblent culturels, politiques, éthiques, civilisationnels donc, avant tout.
Sans doute la volonté de se garder à gauche (en s’inscrivant dans une tradition proudhonienne qui malgré la trajectoire de Sorel reste connotée « de gauche ») , d’éviter d’être taxé de racisme (en soulignant la dimension communautariste, spécifique à une culture extra-européenne même décomposée mais en tous cas se retrouvant face aux « gaulois » ou « camemberts »), ou encore d’être renvoyé dans le camp des « partisans » du choc des civilisations (en analysant la racaille comme une dimension de la colonisation afro-asiate et d’un esprit revanchard d’anciens colonisés donc dans une analyse de type « superstructurel » :confrontation de systèmes de valeurs appartenant à des civilisations riveraines et en conflit le long des âges.
Si la contradiction avec le référentiel habituellement utilisé par JC Michéa était avéré alors peut être devrions nous voir le poids encore présent du terrorisme intellectuel de la gauche. Terrorisme qui a permis aux idéologies progressistes anti-libérales de maintenir une hégémonie dans la « classe » intellectuelle et dans l’air du temps (mopdes et conventions servant de fond impensé et indiscutable sous peine de se voir appliqué une « reductio ad hitlerum » (Léo Strauss) ; terrorisme en perte de vitesse cependant. Nous éspèrons donc que JC Michea marque encore davantage sa distance d’avec la political correctness qui continue de sévir, notamment dans l’Education nationale où j’ai l’honneur de le cotoyer
J B Santamaria.