Le site du parti de l'In-nocence

Entretien avec Jean-Claude Michéa

Envoyé par Gérard Rogemi 
Un grand, grand merci, cher Rogemi, cet entretien est fait pour moi. J'adore cette façon de brouiller les cartes. Ce discours me parait intelligent tout simplement parce qu'il me trouble autant que déplait le physique du bonhomme ; j'ai envie de le ré-entendre tout de suite. J'imagine que ceux qui ont réponse à tout et tout bien ordonné dans leur tête le trouveront très sot.
Ah non, cher Éric, Michéa est tout ce qu'on veut mais pas sot. Je n'adhère pas à tout ce qu'il dit ou écrit, loin de là, mais si la gauche pensait comme lui la France se porterait beaucoup mieux.
Ce qui me déplaît, ce n'est pas le "physique du bonhomme", mais le décor derrière lui (et le montage tapageur) : rendez-nous les murs austères de Plieux !
Le meilleur de cet entretien est dans l'analyse, assez juste, qui est faite de la conversion de la "gauche" (ou prétendue telle) aux "valeurs" (ces valeurs sont en fait des principes) de l'économie marchande : libre circulation des biens et des personnes, abolition des frontières, limites et bornes (quelles qu'elles soient : juridiques, morales, politiques, etc.), préférence étrangère (les "étrangers" passent avant et devant tout le monde), nivellement culturel et symbolique, mépris pour les prolétaires, etc.
Ce qu'il y a d'assez juste aussi, c'est l'analyse des effets qu'ont eus sur les esprits et la conscience collective les horreurs sans nom des guerres civiles et religieuses (en France de 1562 à 1685) et la volonté d'y parer par la constitution d'Etats qui soient régis par le droit et ne réfèrent plus à quelque transcendance que ce soit : c'est la solution "politique" élaborée ou défendue dans les années 1560-90 par les légistes ou juristes, tels Michel de l'Hospital ou Montaigne, et assumée par Henri IV.

En revanche, ce qui me paraît inexact et même faux, c'est la conception que JC Michéa se fait de la pensée libérale, qu'il nomme à tort "libéralisme", confondue avec le règne de la marchandise, conception caricaturale et qui tient pour beaucoup à l'héritage marxiste dont Michéa ne s'est pas libéré.
D'abord le libéralisme - à savoir la doctrine, la vision du monde a priori, le système d'explication du réel, tout ce que suppose le suffixe - isme du terme - n'existe pas à proprement parler en tant que système. Ce qui existe, c'est la pensée libérale. Le libéralisme est une invention a posteriori des ennemis ou adversaires de la pensée libérale qui ont façonné un véritable épouvantail, ne serait-ce que pour garder leur pouvoir. Le marxisme, le léninisme, le capitalisme, le culturalisme, le racisme, etc. sont des systèmes, mais il n'y a pas de système qui puisse être dit "libéral" : système et libéral sont incompatibles. Au fondement de la pensée libérale, il y a la liberté ou cette profession de foi : nous ne sommes pas des esclaves ou les hommes ne sont pas des esclaves. Ils ne sont esclaves de rien - en théorie; ou, nous, libéraux, nous refusons un monde où les hommes seraient esclaves et alièneraient leur liberté, volontairement ou non. Il y a donc, contrairement à ce que pense Michéa, de l'axiologie et une axiologie très forte dans la pensée libérale : c'est dans le marxisme qu'il n'y a aucune axiologie ou s'il y en a une, elle se résume à "la fin justifie tous les moyens" (même la fin du monde).
Lorsque Michéa se réfère aux travaux de Marcel Mauss et à sa "théorie" du don - gratuit ou intéressé peu importe - don qui suppose et entraîne un contre-don, pour rejeter toute organisation sociale fondée sur le seul intérêt marchand et sur la marchandisation (ou la titrisation) de toute valeur morale, et pour poser la grandeur humaine de la générosité (donner et recevoir pour rendre, la générosité appelant en retour une autre générosité, la gratuité entraînant la gratuité), en réalité, il ne fait que rappeler les fondements de la pensée libérale : nous ne sommes pas des esclaves, donc nous pouvons agir sans contrainte et en toute générosité. Etre libéral, c'est être généreux, comme le dit d'ailleurs la langue française, où "libéral" a signifié ou signifie encore parfois "généreux". Qu'est-ce qu'une libéralité, sinon l'acte généreux par excellence que suscite une condition humaine qui n'est pas serve ?
L'erreur de Michéa, c'est d'examiner la pensée libérale (et la morale libérale : être libre fonde toute une axiologie, et une axiologie forte) à l'aune du marxisme ou du léninisme ou du socialisme, comme si elle était leur contraire. En fait, ils ne relèvent pas du même ordre. La pensée libérale, celle qui s'exprime au XVIIIe siècle chez Adam Smith ou Montesquieu, n'est pas l'antonyme du marxisme, léninisme, socialisme, racisme, culturalisme, etc. Elle n'est pas de leur ordre. Etre libéral, c'est se libérer de tout système, quel qu'il soit, même d'un système de pensée. C'est être pragmatique : ça marche ou ça ne marche pas. Si ça ne marche pas, on fait autre chose, on ne persévère pas dans l'erreur ou on arrête le désastre. Que les idéologues les plus viscéralement hostiles à la pensée libérale soient aussi les chantres du désastre (en matière d'école, d'immigration, de culture, d'islam, d'économie, de mondialisation, etc.) et qu'il veuillent que le désastre se fasse encore plus désastreux qu'il ne l'est atteste, s'il en était besoin, cela.
Très intéressant. Et comment s'articulent, dans votre analyse, la pensée libérale et l'existence de l'État-nation ?
Là, bon courage, JGL...
Une analyse de JGL de derrière les fagots, à déguster avec modération. J'ai bien remarqué quelques artifices spécieux du Monsieur Michéa ; par exemple, sa façon faussement naïve de questionner la «croissance», chacun sait bien qu'il s'agit de la croissance économique et voit ce qu'elle comporte (ou voudrait comporter) de réduction du chômage, de croissance des investissements, du pouvoir d'achat, de la consommation etc.
Justement, je ne suis pas sûr qu'existe un "Etat-nation" ou, pour dire les choses avec plus de précision, je pense que l'Etat-nation est une invention a posteriori qui apparaît dans les années 1960 chez les adversaires les plus résolus - en particulier chez Morin, non pas l'ancien ministre, mais Edgar, sans "d" évidemment, ou chez Touraine - de l'histoire de France, de la centralisation, du rôle joué par l'Etat dans la construction de la France... Les deux mots existent depuis très longtemps, mais le nom composé qu'ils forment avec un tiret est tout récent. La genèse est encore à étudier. Pour ma part, je ne crois à la réalité de ce monstre ou épouvantail qu'est l'Etat-nation, destiné à effrayer les âmes sensibles ou à laisser accroire que la France est un pays totalitaire ou un Etat totalitaire où l'on enferme, encaserne, emprisonne, réduit au silence, censure, etc. - cf. la logorrhée prétendument libertaire, alimentée, entre autres idéologues, par Foucault.

La pensée libérale est une pensée. Elle peut porter sur l'Etat et la nation, ce qui ne signifie pas qu'elle soit a priori opposée à l'Etat : au contraire même, elle est opposée au tout Etat ou à "l'Etat, c'est moi", c'est-à-dire à la confiscation de l'Etat par un homme, un groupe, un clan, une classe. Elle est hostile à la concentration des pouvoirs dans les mêmes mains. Ce sont les libéraux qui ont conçu la séparation des pouvoirs, fondement de l'Etat moderne; et ont même imposé que les citoyens qui exercent ces pouvoirs les tiennent à la suite d'une élection du seul peuple qui détient la souveraineté. Les libéraux ne sont pas hostiles à la nation. Dans le titre d'un des ouvrages fondateurs de la pensée libérale figure le nom "nations" (Causes de la richesse des nations). Pierre Manent, qui est libéral, a écrit sur la question un excellent livre qui a pour titre (je cite de mémoire et la mémoire défaille parfois) "la cause des nations". La nation n'a pas pour antonyme la liberté, mais l'empire et les empires ou le Reich (entre autres, le troisième du nom, mais aussi le premier, le Saint Empire), qui, eux, sont de grandes organisations d'asservissement.
J'étais d'accord avec vous, cher JGL, à la réserve près que vous définissiez exclusivement la pensée libérale par le soucis de la liberté, alors que celle-ci n'a de valeur aux yeux d'un libéral qu'en tant qu'elle s'articule avec les idées de responsabilité et de propriété. Pour un authentique libéral, c'est à dire un libéral éthique, la liberté n'est pas à proprement absolue, puisqu'elle est déjà pour ainsi dire mise en dialectique avec la responsabilité de la personne. Sans compter le fait que notre liberté, notre responsabilité et notre propriété (les trois vertus cardinales de l'éthique libérale) ne se définissent pas dans une solitude ontologique, mais toujours en regard avec la liberté, la responsabilité et la propriété d'autrui.

Mais ce qui me trouble, c'est votre assimilation de la pensée libérale au pragmatisme.

Citation
JGL
Etre libéral, c'est se libérer de tout système, quel qu'il soit, même d'un système de pensée. C'est être pragmatique : ça marche ou ça ne marche pas. Si ça ne marche pas, on fait autre chose, on ne persévère pas dans l'erreur ou on arrête le désastre.

Il s'agit là d'une erreur fréquente que de confondre pensée libérale et pensée utilitaire, et je me dois d'insister avec force : un libéral n'est pas un pragmatique. Il ne souscrit pas à des idées ou à des actes parce qu'ils sont pleinement efficaces ou plus efficaces que d'autres, mais parce qu'ils respectent sa liberté, sa responsabilité et sa propriété. Si d'aventure on mettait sur pied une organisation de la société humaine qui marche mieux pour assurer par exemple le confort matériel de chacun à la condition que l'une de ces trois vertus seulement soit foulée au pied, un véritable libéral la refuserait et la combattrait. Qu'importe qu'il ait moins de pain et de vin, le libéral veut être libre, responsable et propriétaire avant tout.
Pour le livre de Pierre Manent cité par JGL, son titre exact est La Raison des nations. Recommandé chaudement par Finkielkraut dont il constitue une des références principales sur le problème de l'Etat-nation.
Nulle part la question du lien qui unit la pensée libérale dans son ensemble à l'Etat-nation n'apparaît mieux que dans le livre de Habermas Après L'Etat-nation. L'auteur y défend, en droite ligne de l'humanisme juridique kantien (avec quelques élaborations postérieures), le "patriotisme constitutionnel" et le dépassement du cadre national en Europe au profit d’une fédération d’États démocratiques. Sa description de la structure de l'Etat-nation est étroitement tributaire de ses prémisses criticistes et cosmopolitiques. La naissance de la « société mondiale » appelle, selon Habermas, un déplacement du centre de légitimité et de souveraineté démocratiques. Le philosophe libéral se penche dans ce livre sur l’avenir de l’Union européenne, qu’il estime être le support institutionnel viable d’une Europe postnationale délivrée du « nationalisme barbare » des pères.

La constitution d’une citoyenneté postnationale dont Habermas perçoit les prémisses à l’intérieur des États européens eux-mêmes apparaît comme la traduction juridique d’un processus inéluctable — que le droit, pour ainsi dire, se contenterait d’entériner — et contre lequel toute tentative de résistance est assimilée à une résurgence de l’esprit des ‘‘années noires’’ qui donna naissance au nationalisme guerrier du début du XXe siècle.

Habermas ne propose rien moins que d’accompagner en la précipitant la destruction de la « symbiose que l’État constitutionnel a formée avec la ‘‘nation’’ en tant que communauté d’origine », par la renonciation à ce qu’il nomme, usant d’un vocabulaire médico-psychiatrique, les « pathologies sociales » qu’entraînerait le refus d’alignement d’un pays au diktat des marchés mondialisés. Il suggère de substituer au nominalisme constitutif de la formation d’identités nationales factices un nouveau nominalisme posthistorique — donnant naissance à une identité postnationale — réclamé par l’instauration d’une communauté morale mondiale se confondant avec le corps de l’humanité en général.

Au fond, tirer jusqu’au bout la ‘‘leçon’’ du XXe siècle nous conduirait nécessairement selon lui sur la voie d’une politique essentiellement inclusive à l’égard des citoyens de toute origine.

Ce livre est une conversation souterraine avec Carl Schmitt qui pourtant n'y est, à ma connaissance, guère nommé.
La politique des droits de l’homme au plan mondial, qu’Habermas estime devoir constituer « le cadre normatif de la communauté cosmopolitique », entre en contradiction avec l’essence du politique mise en valeur par Carl Schmitt dans La notion de politique : « […] cette solennelle mise hors la loi de la guerre n’abolit […] pas davantage la discrimination de l’ami et de l’ennemi, elle lui donne un contenu nouveau et une vie nouvelle en raison de ces possibilités nouvelles de désignation officielle de l’hostis au plan international. »
Mettre la guerre hors-la-loi, bien sûr ! Et quand quelqu'un ne respecte pas l'interdit, eh bien, on lui fait la guerre.
Encore que je ne sois pas sûr que ce soit là le fond de la réflexion de Habermas qui est tout de même plus subtil que le premier militant pacifiste venu.
21 novembre 2010, 14:53   Tous malades
J'aime beaucoup ses mains.
En effet, le décor et l'écharpe laissent à désirer. Mais au bilan c'est d'une très grande perspicacité.
» Que les idéologues les plus viscéralement hostiles à la pensée libérale soient aussi les chantres du désastre (en matière d'école, d'immigration, de culture, d'islam, d'économie, de mondialisation, etc.) et qu'il veuillent que le désastre se fasse encore plus désastreux qu'il ne l'est atteste, s'il en était besoin, cela.

Pourtant le "laissez faire, laissez passer"...
Je ne suis pas sûr de bien comprendre JGL. Une chose est de dire, et cela me semble juste, que le libéralisme est bêtement diabolisé par une partie de la gauche (qu'elle soit radicale ou pas) ; c'est tout autre chose de dire que le libéralisme n'existe pas et serait une pure invention de cette dernière. Je ne sais pas quand et par qui la catégorie, le concept, de "libéralisme" a été créée pour décrire ce courant de pensée, certes très hétérogène, mais je ne pense pas que ce soit une invention de la gauche. Si l'on suit JGL, on pourrait dire aussi que le "marxisme" n'est qu'une invention réactionnaire destinée à discréditer un courant de pensée n'entretenant que peu de réalités avec ce qu'il est fondamentalement. C'est d'ailleurs ce que pensait Maximilien Rubel : Marx n'était pas marxiste et ses héritiers l'ont trahi. Cela arrange tout le monde, la gauche comme la droite de subsumer une pensée sous une catégorie philosophico-politique réductrice. Il n'empêche pourtant que le libéralisme, comme le marxisme, existe bel et bien sous la forme d'un courant de pensée qui va de Locke à Furet, en passant par Tocqueville Smith et Hayek. Qu'une certaine pensée de gauche ait une vision très primaire dudit courant est indéniable (de même qu'une certaine droite, pas Aron ou Papaioannou en tout cas, a une vision des plus simplistes du marxisme) n'interdit pas de penser que le libéralisme, en tant que courant intellectuel, existe sous la forme d'une conception du politique commune partagée par de nombreux auteurs au cours des siècles. Le travail de la pensée est à la fois de dégager l'essence de cette pensée (distinction entre l'Etat et la société civile alors que pour les totalitarismes fasciste ou stalinien "Etat" et "société" se confondent) tout en mettant en évidence ce qui peut séparer Locke de Kant, Hayek d'Aron, Friedman de Keynes. La gauche, elle, simplifie, amalgame à outrance. Chez elle, le libéralisme n'est plus un concept de la science politique mais une injure diabolisatrice. L'intérêt de Michéa, et c'est pour cela que peu gens l'aiment à gauche, est de montrer qu'en fait son hystérie n'est rien d'autre qu'une tentative de masquer ce qu'elle est aujourd'hui : un libéralisme devenu fou. Voilà : la gauche, hier c'était le marxisme devenu fou (stalinisme/maoïsme) ; aujourd'hui c'est le libéralisme ayant perdu la raison (relativisme dément).
Citation
L'intérêt de Michéa, et c'est pour cela que peu gens l'aiment à gauche, est de montrer qu'en fait son hystérie n'est rien d'autre qu'une tentative de masquer ce qu'elle est aujourd'hui : un libéralisme devenu fou. Voilà : la gauche, hier c'était le marxisme devenu fou (stalinisme/maoïsme) ; aujourd'hui c'est le libéralisme ayant perdu la raison (relativisme dément).

Voilà une analyse très solide cher Petit-Détour mais Michéa vous devez le reconnaitre reste sur certains sujets très ambigu et il continue en dépit de tout à se placer à gauche. Pas un mot, par exemple, dans ses écrits sur le grand remplacement.
Faux Rogemi. Faux. Dans son dernier livre, L'Empire du moindre mal, il attaque sans ménagement le "Réseau éducation sans frontière" et l'idéologie no border. Et puis tout le monde connaît maintenant le passage d'un de ses livres où il dénonce la caillera (les golden boys des bas fonds).
Le mot libéralisme semble attesté pour la première fois en 1818, avec le sens de « doctrine favorable au développement des libertés » dans le Journal de Maine de Biran. JGL ne nie pas l'existence d'un courant de pensée libéral (voir sa notice ici) mais peut-être est-il allé un peu loin ici en décrivant le mot libéralisme" comme une invention de ses adversaires.

Sa notice d'hier sur l'Empire du moindre mal de Michéa est également très intéressante.
Citation
Faux Rogemi. Faux.

Entschuldigung.

Vous avez raison et en plus je n'ai pas lu son essai "L'Empire du moindre mal" mais critique-t-il vraiment en termes vifs l'invasion en cours ?

J'avoue avoir de sérieux doutes.
Utilisateur anonyme
22 novembre 2010, 13:43   Re : Entretien avec Jean-Claude Michéa
Et puis tout le monde connaît maintenant le passage d'un de ses livres où il dénonce la caillera (les golden boys des bas fonds).

Pourriez-vous mettre en ligne ce passage Cher PtDt ?
Cher Rogemi, n'ayant pas le livre sous les yeux, je ne puis reproduire le passage sur RESF.
Monsieur K, voici : [www.communautarisme.net]
Utilisateur anonyme
22 novembre 2010, 14:01   Re : Entretien avec Jean-Claude Michéa
Merci.


"Le délinquant moderne [...] revendique avec cohérence la froide logique de l’économie pour « dépouiller » et achever de détruire les communautés et les quartiers dont il est issu. Définir sa pratique comme « rebelle », ou encore comme une « révolte morale » (Harlem Désir) voire, pour les plus imaginatifs, comme « un réveil, un appel, une réinvention de l’histoire » (Félix Guattari), revient, par conséquent, à parer du prestige de Robin des Bois les exactions commises par les hommes du Sheriff de Nottingham. Cette activité peu honorable définit, en somme, assez bien le champ d’opérations de la sociologie politiquement correcte."


Sacré Guattari ! Plus c'est intelligent plus c'est drôle.
"...mais critique-t-il vraiment en termes vifs l'invasion en cours ?"

Vous savez certainement que faire accepter par un éditeur (dans la majorité des cas) des positions non-conformistes sur la question relève de la gageure (Renaud Camus entre autres est bien placé pour le savoir...) ; quant à traiter ce thème en termes vifs, et faire avaler le terme d'invasion, c'est sans doute encore plus difficile...

Dans son livre, Michéa ne s'étend pas, pour autant que je m'en souvienne, sur l'immigrationisme intransigeant et maladif des élites libérales, mais il est très loin de louer le "mélangisme" en tant que tel. Monsieur Petit-Détour a raison.
" L'Europe en 2020 sera submergée par les immigrés. Le courant migratoire Sud-Nord, atteindra une ampleur insoupçonnée." Alfred Sauvy

«Il est permis de conclure, que, jusqu'ici, seule une petite fraction de migrants potentiels s'est mise en mouvement . Il semblerait donc que les grandes invasions soient encore à venir.» Hans Magnus Enzensberger La Grande Migration
Bellini,

Pourriez-vous m'indiquer d'où est extraite la citation de Sauvy ?
L'Europe submergée : Sud-Nord dans 30 ans – Paris : Dunod, 279 p. 1987
Utilisateur anonyme
22 novembre 2010, 18:17   Re : Entretien avec Jean-Claude Michéa
Michéa, sur l'idéologie antiraciste :

« Il y a, malheureusement, tout lieu de craindre que ce que le Spectacle officiel nous invite, en permanence, à applaudir aujourd'hui sous le terme séduisant de « métissage » ne soit que l'autre nom de cette simple unification juridique et marchande de l'humanité. Un monde intégralement uniformisé, où l'Autre est beaucoup moins compris comme le partenaire possible d'une rencontre toujours singulière, que comme un pur objet de consommation touristique et d'instrumentalisations diverses. [...]

Quant aux fondements psychologiques réels de l'antiracisme perpétuellement affiché par les stars du showbiz ou les professionnels des médias, Rousseau, dans l'Émile, avait déjà tout dit : « Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu'ils dédaignent de remplir autour d'eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d'aimer ses voisins. » Quiconque a fréquenté de près ces gens-là ne peut avoir aucun doute là-dessus. »
Utilisateur anonyme
22 novembre 2010, 18:28   Re : Entretien avec Jean-Claude Michéa
(Message supprimé à la demande de son auteur)
L'Empire du moindre mal, p.112

On peut découvrir, sur le site internet de Bertrant Lemennicier (l'un des quatres membres de la secte libérale du Mont-Pélerin que Luc Ferry a personnellement imposés, en 2003, au jury de l'agrégation des sciences économiques), cette analyse exemplaire de Gérard Bramouillé (lui-même membre de la secte et du jury) : "L'immigré clandestin abaisse les coûts monétaires et non monétaires de la main-d'oeuvre. Il renforce la compétitivité de l'appareil de production et freine le processus de délocalisation des entreprises qui trouvent sur place ce qu'elles sont incitées à chercher à l'extérieur. Ils facilitent les adaptations de l'emploi aux variations conjoncturelles et augmente la souplesse du processus productif."
Il est donc politiquement indispensable de veiller, insiste l'universitaire patronal, à ce qu'on ne vienne pas, par xénophobie, à faire de l'immigré clandestin "le bouc émissaire facile d'un problème difficile." On trouvera, dans cette analyse, le fondement idéologique ultime (conscient ou inconscient) de tous les combats de l'extrême-gauche libérale (comme ceux, par exemple, du très médiatique "Réseau éducation sans frontières") pour légitimer l'abolition de tous les obstacles à l'unification juridique-marchande de l'humanité.

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p. 186 : En France, c'est le film Dupont-Lajoie (Yves Boisset 1974) qui illustre de manière à la fois emblématique et caricaturale l'acte de naissance d'une nouvelle gauche, dont le mépris des classes populaires, jusque-là assez bien maîtrisé, pourra désormais s'afficher sans le moindre complexe. [...] C'est alors et alors seulement que l'antiracisme (déjà présent dans le film de Boisset comme une solution idéale de remplacement) pourra être substitué méthodiquement à la vieille lutte de classes, que le populisme pourra être tenu pour un crime de pensée et que le monde du show-biz et des médias pourra devenir la base d'appui privilégiée de tous les nouveaux combats politiques, aux lieux et place de l'ancienne classe ouvrière.
On a toujours besoin des autres, on ne peut pas passer sa vie à se détester soi-même. Chuck dit que si les loubards n'attaquaient plus les personnes âgées, si les Juifs n'étaient plus là, si les communistes s'évaporaient et si les travailleurs immigrés étaient renvoyés chez eux, ce serait pour monsieur Tapu le désert affectif.

Romain Gary ( Emile Ajar )
L'angoisse du roi Salomon
Citation
On trouvera, dans cette analyse, le fondement idéologique ultime (conscient ou inconscient) de tous les combats de l'extrême-gauche libérale (comme ceux, par exemple, du très médiatique "Réseau éducation sans frontières") pour légitimer l'abolition de tous les obstacles à l'unification juridique-marchande de l'humanité.

Cher Petit-Détour merci pour cet extrait des plus incisifs. Michéa n'y va pas avec le dos de la cuillère.

Cela fait au moins deux décennies que je suis choqué par le nombre énorme de fermetures d'usines qui ne soulévent strictement aucune réaction de la part de feu les partis ouvriers.
"Cela fait au moins deux décennies que je suis choqué par le nombre énorme de fermetures d'usines qui ne soulévent strictement aucune réaction de la part de feu les partis ouvriers."
Les syndicalistes (comme les politiques) ont une moyenne d'age de 60 ans. Une fermeture d'usine est parfois une aubaine pour accélérer le départ en retraite, seul sujet qui peut mobiliser des syndicalistes de 60 ans.
Les jeunes adultes sont devenus la variable d'ajustement dans nos sociétés gérontocratiques puant l'égoïsme. Les retraités sont les seuls favorables au libre échange car ils ont des retraites garanties et ainsi ils peuvent se vautrer dans la consommations de cochonneries chinoises pas cheres. Alors les fermetures d'usines françaises...
Utilisateur anonyme
23 novembre 2010, 13:36   Re : Entretien avec Jean-Claude Michéa
C'est surtout que les syndicats (CGT, CFDT, etc.), tous européistes, sont complices de la politique mondialiste des gouvernements et trahissent les quelques ouvriers qui leur font encore confiance pour les défendre.
A Petit-Détour

Cher ami,

La "thèse" que j'ai exprimée, à savoir que ce qui est nommé "libéralisme" et que je nomme "pensée libérale" n'est pas une idéologie ni un "système" idéocratique, ni une dogmatique, etc. et qu'elle n'est pas le contraire ni l'antonyme de socialisme, communisme, marxisme, etc. - comme on voudrait nous le laisser accroire -, n'est pas de moi et elle est assez largement répandue parmi les "intellectuels" libéraux. Je l'ai lue chez Revel, qui l'expose avec des arguments convaincants dans La Connaissance inutile et dans la Grande Parade.
Je défends cette thèse, non seulement parce qu'elle me semble juste, mais surtout parce qu'elle est politiquement pertinente dans la situation actuelle - voilà que je parle Sartre -, situation pleine de menaces pour nos libertés fondamentales et d'abord la première d'entre elles : liberté de penser, de s'exprimer, de communiquer ses pensées et ses opinions (Déclaration de 1789), menaces que font peser des organes, organismes, organisations d'asservissement, étatiques ou para-étatiques, vivant de subventions publiques et ayant seuls libre accès - à profusion - aux médias publics ou privés, et à qui des gouvernants "de rencontre" ont accordé le privilège de se porter partie civile, même et surtout quand leurs intérêts ne sont pas en jeu ou dans des affaires qui ne les concernent pas.
Une petite note de lecture à propos de Jean-Claude Michéa moraliste

Avec « L’empire du moindre mal » JC Michéa nous livre avec clarté l’ensemble de sa « vision du monde ». Après une critique en règle du pseudo-objectivisme libéral il nous propose dans la lignée de l’anarchiste-tory Orwell sa propre solution à la condition des classes laborieuses et plus généralement l’homme contemporain. Un régal.

Pour sa démonstration J-C Michéa adopte un fil directeur largement accepté aujourd’hui, concernant l’origine de la modernité. Michéa voit en elle la conjonction de deux facteurs, eux-mêmes étroitement liés. Face au grand schisme de la Renaissance laissant les peuples d’Europe déchirés sur le plan éthico-religieux dans un conflit de valeurs irréductibles, l’Etat moderne va se mettre en place. L’Etat-Nation et plus généralement par la suite le libéralisme, largement préparé au préalable par tout le devenir européen se construit sur la démarche suivante :puisqu’il est impossible de trouver une base d’accord sur le plan des valeurs, alors le « lien social » s’établira en deçà ou au-delà du plan axiologique qui sera alors réservé à la sphère privée.
Un fonctionnement neutre se mettra alors en place sur deux niveaux : le plan politique comme lieu de l’action mécanique du Droit, le plan économique avec l’action mécanique (aveugle) du Marché. Si la question des valeurs peut encore avoir un sens alors elle sera reportée au niveau de l’individu. C’est la marche continue vers la privatisation : la question axiologique comme dimension du sacré est renvoyée comme la question religieuse au niveau privé.

Ce refoulement de la loi symbolique au profit du fonctionnement objectif du droit et du Marché est combattu radicalement par Michéa. D’une part parce que cette objectivité du libéralisme est seulement prétendue-en effet le libéralisme fonctionne sur des présupposés non moins métaphysiques que les autres idéologies- d’autre part, parce qu’il est incapable d’assumer à lui seul le vivre ensemble (il fonctionne comme le rappelaient Weber et Castoriadis grâce à la survivance de mentalités pré-capitalistes) et troisième point (chassez l’éthique par la porte…) parce qu’il donne lieu à une éthique « matriarcale » encore plus féroce car occultée (cette dénonciation de la féminisation nous rappelle P Murray…et BHL…).

Le libéralisme est liberticide. En effet dans son refus de toute éthique le libéralisme va entamer une chasse aux sorcières contre toutes les catégories de la Common decency (habitudes stratifiées sur le long terme et « conservées » dans les classes inférieures de la société). Derrière un fonctionnalisme aux prétentions de neutralité c’est au contraire une éthique répressive de Chien(ne)s de garde qui tend à s’imposer. Comme tout ordre, l’ordre libéral s’entoure des conditions de sa propre reproduction. L’ordre matriarcal (Big Mother) exigeant un assentiment intérieur (à la conscience) grâce aux mécanismes de la culpabilisation.
Plus perfide et plus efficace –au niveau répressif- que l’ordre patriarcal de la loi symbolique qui, lui, se pose comme extérieur, assume sa brutalité et se contente d’une mise en conformité formelle de l’individu. Cette extériorité de l’ordre autorisant d’ailleurs la révolte.

Donc, le marché et le droit, en apparence axiologiquement neutres et prétendant à une pure rationalité (calcul de l’optimisation du profit, analyse de l’égoïsme comme donnée naturelle, spontanée et première) s’appuie en réalité sur l’inconscient et l’imaginaire. Les « figures surmoïques féroces» mises en place par des agents (de la communication) se substituant à la figure du Père clairement localisable et contre qui la révolte est possible.

Michéa reproche au libéralisme une élucidation incomplète des sociétés disciplinaires au profit d’une seule élite pouvant atteindre l’autonomie dans le cadre contemporain. Pour les masses, « soumises à l’autorité croissante des experts et baignant dans un étrange climat d’autocensure, de repentance et de culpabilité généralisées. Celui qui correspond, en définitive, à la guerre de tous contre tous, quand s’y ajoute désormais, la nouvelle guerre de chacun contre lui-même. », ce sera au contraire une société de contrôle renforcé.

Dans sa belle démonstration, comme à l’accoutumée, Michéa se range sous la bannière d’Orwell et de Christopher Lasch. Dénonçant la civilisation du narcissisme (la montée de l’insignifiance chez Castoriadis) au nom d’un imaginaire proudhonien. Ce socialisme primitif français auquel Michéa se réfère, via Proudhon, n’est pas un socialisme prolétarien mais de classes laborieuses (petits artisans etc) qui refusent au nom de la morale (c'est-à-dire la conservation de leurs habitudes de vivre et de juger, de leur loi symbolique, bref leur common decency) le libéralisme et leur prolétarisation. Il va de soi que ce socialisme n’est pas de gauche. Pour Michéa la Gauche, comme la Droite, mettent en place, dans une division du travail et des créneaux différents la politique du Capital. La gauche ayant l’avantage d’être plus radicale idéologiquement, poussant plus loin le raisonnement débouchant sur la liquidation de la common decency au profit d’une société toujours plus atomisée où règne sans partage l’imaginaire du Marché face à des individus démunis des protections communautaires traditionnelles.

Cette critique du Droit et du Marché est limpide mais un grand absent –au moins dans cet ouvrage- est la question de la colonisation afro-asiate de l’Europe.
Certes, J-C Michéa dénonce sans concessions l’idéologie de l’anti-racisme. Idéologie résiduaire du socialisme marxiste et de l’anti-fascisme stalinien. L’anti-racisme comme instrument du Capital laissé aux mains –plus expertes de la Gauche- est aussi clairement exposé que chez Taguieff. Mais, mis à part quelques passages dans autre opuscule, réservé au football- opuscule dédié à la dénonciation de l’anti-populisme des élites- concernant la racaille, Michéa ne procède pas à une analyse sur la racaille ou le métissage aussi méthodique que celle à laquelle il nous a désormais habitués. Et ses dénonciations de la racaille semblent présenter des contradictions avec son dispositif argumentatif traditionnel (le socialisme orwellien).
Expliquons nous.
Michéa, on le sait, se revendique du courant qui va de Proudhon à Orwell et Lasch c'est-à-dire un courant du « mouvement ouvrier » (en réalité courant de résistance à la prolétarisation) se livrant à une récusation du libéralisme non pas sur des raisons économiques mais éthiques au sens classique de morale et au sens étymologique (ethos) d’ensemble d’habitudes ancrées dans un peuple car stratifiées le long des temps (common decency). Primat donc de l’éthique dans la critique et la dénonciation face au marxisme et au libéralisme qui prétendent à l’objectivité de la science quant à la justification de leur hégémonie. C’est là, la thèse centrale de Michéa dans le présent ouvrage. Alors quand Michéa dénonce la racaille comme un phénomène capitaliste –la racaille est constituée par les différentes strates de dealers qui défendent leurs territoires de vente et leurs sanctuaires (de reproduction de la force de travail maffieuse ?) il se cantonne à une analyse en termes essentiellement économiques, donc neutres, objectivistes etc Opérant par là une réduction de phénomènes qui nous semblent culturels, politiques, éthiques, civilisationnels donc, avant tout.
Sans doute la volonté de se garder à gauche (en s’inscrivant dans une tradition proudhonienne qui malgré la trajectoire de Sorel reste connotée « de gauche ») , d’éviter d’être taxé de racisme (en soulignant la dimension communautariste, spécifique à une culture extra-européenne même décomposée mais en tous cas se retrouvant face aux « gaulois » ou « camemberts »), ou encore d’être renvoyé dans le camp des « partisans » du choc des civilisations (en analysant la racaille comme une dimension de la colonisation afro-asiate et d’un esprit revanchard d’anciens colonisés donc dans une analyse de type « superstructurel » :confrontation de systèmes de valeurs appartenant à des civilisations riveraines et en conflit le long des âges.
Si la contradiction avec le référentiel habituellement utilisé par JC Michéa était avéré alors peut être devrions nous voir le poids encore présent du terrorisme intellectuel de la gauche. Terrorisme qui a permis aux idéologies progressistes anti-libérales de maintenir une hégémonie dans la « classe » intellectuelle et dans l’air du temps (mopdes et conventions servant de fond impensé et indiscutable sous peine de se voir appliqué une « reductio ad hitlerum » (Léo Strauss) ; terrorisme en perte de vitesse cependant. Nous éspèrons donc que JC Michea marque encore davantage sa distance d’avec la political correctness qui continue de sévir, notamment dans l’Education nationale où j’ai l’honneur de le cotoyer
J B Santamaria.
Citation
JGL
A Petit-Détour

Cher ami,

La "thèse" que j'ai exprimée, à savoir que ce qui est nommé "libéralisme" et que je nomme "pensée libérale" n'est pas une idéologie ni un "système" idéocratique, ni une dogmatique, etc. et qu'elle n'est pas le contraire ni l'antonyme de socialisme, communisme, marxisme, etc. - comme on voudrait nous le laisser accroire -, n'est pas de moi et elle est assez largement répandue parmi les "intellectuels" libéraux. Je l'ai lue chez Revel, qui l'expose avec des arguments convaincants dans La Connaissance inutile et dans la Grande Parade.
Je défends cette thèse, non seulement parce qu'elle me semble juste, mais surtout parce qu'elle est politiquement pertinente dans la situation actuelle - voilà que je parle Sartre -, situation pleine de menaces pour nos libertés fondamentales et d'abord la première d'entre elles : liberté de penser, de s'exprimer, de communiquer ses pensées et ses opinions (Déclaration de 1789), menaces que font peser des organes, organismes, organisations d'asservissement, étatiques ou para-étatiques, vivant de subventions publiques et ayant seuls libre accès - à profusion - aux médias publics ou privés, et à qui des gouvernants "de rencontre" ont accordé le privilège de se porter partie civile, même et surtout quand leurs intérêts ne sont pas en jeu ou dans des affaires qui ne les concernent pas.

En cela je suis d'accord avec vous : au fond, la pensée libérale n'est pas une idéologie, c'est à dire un système d'explication du monde, mais plutôt une éthique de vie.

La preuve : il y a dans les idéologies politiques que vous évoquez (socialisme, communisme) une volonté de prévoir l'avenir, d'annoncer ce qui arrivera inéluctablement puisque l'Histoire poursuit une marche logique. L'idéologie est aussi une eschatologie. Or la pensée libérale, attachée à l'idée d'ordre spontané, ne propose aucune prophétie. Tout au plus proposera-t-elle des scénarios plausibles pour l'avenir, mais rien de certain.
Merci, cher Santamaria pour cette pertinente analyse de Michéa.
» La preuve : il y a dans les idéologies politiques que vous évoquez (socialisme, communisme) une volonté de prévoir l'avenir, d'annoncer ce qui arrivera inéluctablement puisque l'Histoire poursuit une marche logique. L'idéologie est aussi une eschatologie. Or la pensée libérale, attachée à l'idée d'ordre spontané, ne propose aucune prophétie. Tout au plus proposera-t-elle des scénarios plausibles pour l'avenir, mais rien de certain.

La "liberté" que promet la pensée libérale n'est qu'un autre nom pour désigner un ordre qui ne relève pas de l'homme, mais de la "nature", dont les mécanismes sont autrement contraignants et inflexibles.
Les ordres humains, étant construits et interposés entre les choses et nous, donc médiats, peuvent de ce fait être infléchis, corrigés, amendés...
02 décembre 2010, 22:52   Re : Entretien avec Jean-Claude Michéa
Selon moi la plus puissante critique contemporaine du libéralisme nous vient des Etats-Unis et elle est communautarienne. Car après tout c'est là-bas que le libéralisme relativiste s'est trouvé un royaume et a produit ses effets les plus spectaculaires en bien comme en mal si j'ose dire, c'est donc également là-bas que devait naître la critique la plus aboutie. Tout d'abord les plus puissants esprits réfractaires à cette atomisation de l'individu et son extraction de lui-même par une rationalisation et une relativisation de tout acte et de toute pensée, ont cherché la pensée la plus récente et la plus puissante qui soutienne le progressisme libéral. C'est selon eux celle de John Rawls. Ils l'ont démontée et des gens comme McIntyre, Cavanaugh ou le mouvement Radical Orthodoxy lui ont opposée la nécessité vitale pour l'être humain de communier avec des semblables dans un mouvement collectif qui tende vers un but transcendant. Quel qu'il soit, à la limite - par exemple une simple tribu clanique de quelques milliers de personnes dont la transendance serait d'assure rune richesse matérielle toujours plus grande aux seuls membres de cette tribu, serait à peu près impossible à déraciner au sein du libéralisme (et c'est bien le cas avec les mafias, qui sont exactement cela).

Le mouvement en cours aux USA, adossé sur la religion chrétienne bien entendu, consiste en une subversion multiforme et communautariste du libéralisme, en son sein même. Les gens du tea Parties et c'est leur grande force, ont trouvé une organisation sociale et spirituelle qui les rende inconvertibles ni au libéralisme relativiste qu'ils ont apostasié, ni aux systèmes holistes et totalisants comme le communisme, l'islam ou même la religion chrétienne telle qu'elle existait précisément avant le XVIe siècle en Europe. Ce qui est absolument remarquable : ces gens ne sont pas réactionnaires ni même anti-modernes; ils sont au-delà, dans la refondation communautaire d'un nouveau monde qui s'est lancé le défi de supplanter l'Amérique actuelle et qui a pour seul ciment la foi en Jésus-Christ.

C'est à ce jour la seule parade politique existante et puissante à notre inexorable disparition de la face de la planète.
Le communautarisme libéral-tribal (celui que veut relancer le Tea Party en Amérique) est vieux comme le monde: on le retrouve en orient dans le monde chinois en particulier: l'Empire chinois mandarinal et administratif, jusqu'à sa mort (provisoire) au siècle dernier, eut pour tradition de ne pas entraver l'entreprenariat, pour le dire très vite; cette tradition d'un entreprenariat libéral et tribal a été perpétuée dans la diaspora chinoise et son capitalisme familial. Ce libéralisme-là, que l'on voit à l'oeuvre dans le monde chinois de la diaspora (savez-vous par exemple que la firme Orange nous vient de l'une de ces familles, qui possède des parts dans les opérations du canal de Panama, que la banque HSBC -- Hong Kong & Shanghai Bank-- en est une forme de surgeon, etc. ?) et qui opère un retour depuis une petite dizaine d'années en Chine même, et qui s'est même constitué des colonies modernes (Singapour), est bien fichtrement organisé et durement hiérarchisé, pas moins qu'une famille d'entrepreneurs siciliens de cinéma, si cela vous évoque quelque chose.

Expulsez les systèmes politiques "holistes et totalisants" par la porte, congédiez dans un même mouvement l'idéologie et son "eschatologie" et vous les verrez rentrer par la fenêtre de la famille et de sa "perpétuation". Le capitalisme familial (libéral-tribal) est doté d'une puissante eschatologie, qui est celle du maintien de la richesse dans la lignée de son créateur. La supériorité des systèmes politiques au sens le plus fort du terme sur celui-là est qu'ils autorisent la modularité de la pensée et de ses orientations et une forme "d'ouverture des conseils d'administration". En système libéral-tribal, les parts majoritaires se transmettent de père en fils, ou de père à fille avec un gendre aux ordres. Aucun progrès pour l'humanité à espérer de ce côté-là des choses, où le règne "de la nature", comme certains le croient un peu naïvement, n'est qu'une forme déguisée du règne du pater familias ou, pire encore, de la duègne.
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