La
massification est un terme détestable, que l'on ne s'étonne pas de trouver dans cette pétition contre les notes à l'école. Qui emploie le terme
massification,
masse ? Jamais, assurément, les masses, qui ne se reconnaissent pas dans cette notion qui n'en n'est pas une, qui n'est que l'expression d'un point de vue, d'une position, d'un surplomb particulier qui confère à celui qui regarde le privilège de ne rien voir et de cela, n'avoir cure. Celui qui n'a cure des individus s'autorise à parler de masses, de massification. Assigné par ce regard, l'individu, l'enfant scolarisé, qui se trouve ainsi pris dans le gel, le glacis d'une masse,
n'est pas autorisé à exister, à avoir des aspirations personnelles et donc à surprendre ce regard qui ne peut ni ne veut le voir. Il n'est ainsi autorisé à exister dans aucun regard. La distinction qu'il se forgera plus tard sous le regard d'autres personnes que ses "maîtres" et "éducateurs" qui n'en sont plus, il devra l'emprunter à ce que lui offrira de choix la consommation: il se fera reconnaître et identifier par telle ou telle marque commerciale dont il arborera le logo; là s'arrêtera sa distinction.
Il y aurait tout un volume à écrire sur le regard de celui qui prononce qu'il faut en finir avec l'élitisme avant de prononcer le mot
masse. Celui-là dit qu'il ne veut aucune élite concurrente non plus qu'héritière de la sienne qui ne viendrait pas de lui, de son corps (physique et social). Il dit qu'il ne veut être surpris par aucune élite dont il ne serait l'origine, dont il ne partagerait la substance; il ne veut voir apparaître dans le champ de sa conscience et dans son horizon social et historique aucune élite qui ne lui soit consubstantielle, qui aurait l'impunité de surgir sur la scène de l'histoire par les voies éthérées du savoir ou de l'éducation, et non par celle de la chair ou de la proximité. Celui qui prononce le mot
masse ne veut pas des masses pour lui succéder; à vrai dire, il désire que la masse lui soit tenue à distance.
Je ne crois pas qu'aucune aristocratie en Europe se soit montrée aussi méprisante envers ses "sujets" que ces gens qui parlent des jeunes générations en âge scolaire en termes de "masse". L'approche "massique" de la jeunesse signe la fin de l'école d'une part, mais aussi la fin des temps d'Occident où la priorité de l'éducation des jeunes êtres, et l'attente que d'eux viennent la surprise, le génie nouveau qui éclaireraient l'avenir, était une préoccupation majeure des "élites".
L'élitisme à l'école sera donc réservé, comme en RDA dans les années 1970, aux écoles de jeunes sportifs se destinant à la compétition. En éducation, désormais, la seule élite reconnue sera celle du sport. Le reste, la masse hors championnat d'athlétisme ou de football, n'aura plus lieu d'être notée, ne méritera pas qu'on se penche sur elle, et les jeunes individus qui la composent n'auront plus droit à aucune chance éducative personnelle: cette masse innommable se composera de bouches à nourrir, de clapoirs à subventions, toutes égales, et à minima sociaux, égaux pour tous, sans distinction. Garderie anonyme, formatage à l'identique, uniformité des aspirations, des non-aspirations, prêt-à-penser dispensé au kilo, voilà pour les individus à l'école; feront pendant à cet anonymat et à cette indistinction étale les communautés bariolées qui, hors les murs des institutions scolaires mais aussi à l'intérieur de leur enceinte, exaltent leur prétendue, leur puissamment revendiquée
diversité dans un rap à l'esthétique uniforme et convenue, comme elles le font déjà; le foisonnement de leur diversité paradoxale sera celle des marques et insignes de leur habillement et de leur dégaine, de leur choix de consommateurs -- leur langage et les formes de leur expression langagière se limitant à un lot tournant de deux cent cinquante-mots, au maximum.
Les dénonciateurs de "l'élitisme" encartés au PS verront tout ça d'un oeil satisfait, surplombant: la pérennité de leur domination intellectuelle et idéologique sera sans faille, elle appartiendra aux éléments de leur sérail et à leur progéniture et sera assurée pour mille ans,
comme un Reich.