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Sur l'intervention de Renaud Camus à Europe 1 - culture et médiateté

Envoyé par Werner 
Je voudrais dire quelques mots sur la courte intervention de Renaud Camus sur Europe 1, celle d'aujourd'hui, le 25 novembre 2010. Pierre-Louis Basse a dû reconnaître sa "rigueur", et s'est étonné qu'il puisse être à la fois "homme de gauche" et d'accord avec cette intervention. "J'ai eu ce que je voulais", a-t-il dit, presque en coupant la parole de Renaud Camus.

"Ce que je voulais"...
"Ah, écoutez-le, qu'il est original ! Quelle rigueur ! Ce n'est pas tout le monde qui pense ainsi, n'est-ce pas ? Nous voilà divertis. Passons maintenant une musique de variété."

Et l'émission a pris un autre chemin. Après quelques généralités (La vilaine culture parisienne contre les merveilleux musées provinciaux (gérés par des gens qui se défoncent - les conservateurs provinciaux prennent tous de l'héroïne, nous sommes avertis), l'effondrement de la télévision comme service public, mais sans nostalgie, car internet est ou outil formidable pour nos enfants), on critique la critique de Renaud Camus, sur ces personnes que l'on voit ne pas voir. "Les gens s'endorment devant les tableaux ? Mais on ne sait pas ce qui se passe dans leur cerveau." Que veux-t-on dire par là ? Que des images s'impriment définitivement dans ces cervelles, pour infuser continuellement leur culture ? "Non, c'est encore plus simple que cela. Bernanos et Camus ont une hypothèse basse, qui voudrait que la modernité se construit contre la vie intérieure. Mais une personne sur mille - on ne sait jamais - sera irradiée par la lumière des tableaux, et sortira du musée à jamais changée." Ne doutons plus ! Et n'écoutons plus Renaud Camus ! Car l'hypothèse haute, c'est cette culture immédiate, imaginaire, grossière et sympathique.

"On explique pas passez aux gens ce qui se passe dans l'exposition." Comme si toute la médiation était dans le fait de lire les cinq lignes du cartel, comme si ce n'était que cela ! Au fond, il pensent que quiconque met un pied dans un musée devrait avoir accès immédiatement à toutes les oeuvres, fût-il le dernier des ignares. Sinon ce n'est plus démocratique. "Et savez-vous quelle odeur vient à nos narines, lorsque nous nous écartons de la démocratie ? L'odeur nauséabonde du fascisme !"
"La démocratie n'a qu'un seul défaut c'est que, livrée à elle-même, sa logique entraîne à la longue l'extinction de l'humanité." R. Brague.
Sans transcendance le monde s'abime dans le nihilisme
Où dit-il cela ?

Mais j'oubliais Google, j'ai été redirigé ici.
Sans transcendance le monde s'abime dans le nihilisme. N'ayant pas lu Remi Brague -- ne connaissant de lui que ses entretiens -- la formule fait son effet.

Mais il y a plus: la transcendance est rongée par tout ce qui se proclame le droit de l'atteindre en tongs et en bermuda, avec ou sans nihilisme. L'Eglise catholique, évoquée plusieurs fois dans cette discussion, opérait ce miracle d'associer à la messe (à la masse) le rite subtil, la révérence sacrée et individuelle (la communion était un acte individuel accompli en commun) à la transcendance. Masse, peuple, agora et transcendance se conjuguaient ainsi et communiaient en un lieu incomparable. Le musée, louable entreprise, n'y parvient pas. Le rite manque à la visite au Louvre (où l'on se vautre sur les canapés, ou l'on se met le doigt dans le nez, dans les orteils) parce que l'unité transcendante est absente des lieux. Il faut de la médiation, de la mé-di-a-tion qu'on vous crie! Et bien hélas, de médiation liturgique, point vous n'aurez, tant que l'unité spirituelle ne sera pas faite dans cette transcendance dispersée des musées. Le médiateur idéal des musées, ce serait le prêtre, qui ne sera point, la culture, à tout jamais, ne le mérite pas plus qu'elle n'en a besoin. Les musées, donc, immanquablement, se mueront en gare saint-Lazare, en galerie Publicis, sans que puisse en être incriminé ce malheureux nihilisme. La transcendance est pour n'importe qui, pour absolument tous, elle est même, si vous voulez, démocratique, comme l'étaient l'Eglise et ses offices, mais hélas, pas n'importe comment.
Citation
Francis Marche

Le rite manque à la visite au Louvre (où l'on se vautre sur les canapés, ou l'on se met le doigt dans le nez, dans les orteils) parce que l'unité transcendante est absente des lieux. Il faut de la médiation, de la mé-di-a-tion qu'on vous crie! Et bien hélas, de médiation liturgique, point vous n'aurez, tant que l'unité spirituelle ne sera pas faite dans cette transcendance dispersée des musées. Le médiateur idéal des musées, ce serait le prêtre [...]. La transcendance est pour n'importe qui, pour absolument tous, elle est même, si vous voulez, démocratique, comme l'étaient l'Eglise et ses offices, mais hélas, pas n'importe comment.

C'est juste et bien dit. La transcendance a besoin de formes, de rites, voire d'une liturgie pour paraître. Et nous savons qui est du côté de l'être...

Le mot "liturgie" vient de λειτουργία, me dit le CNRTL; "service public dont l'exécution est rendue aux plus riches citoyens". La transcendance est donc oligarchique !
Décidément, je trouve ce Pierre-Louis Basse fine mouche et bienveillant à l'égard de Renaud Camus.
Oui, il est très bien, ce monsieur Basse.
Pour ceux qui n'auraient pas écouté Europe 1 hier soir :
Intervention de Renaud Camus sur Europe 1.
Ce droit aux musées pour tous et au mélange culturel illimité conduit à un tel nivellement vers le bas, à une telle égalitarisation des êtres dans leurs options (toujours en état d'ébullition et de mutation) juvéniles, que le type d'homme auquel il conduit n'est plus que le "zombi" 'qui se vautre sur les canapés et se met le doigt dans le nez", et le type de société qu'il sécrète, la culture de masse dont nous tous, en Occident, sommes les témoins - Zombis manipulés en "lutte" permanente contre les groupes rivaux des sociétés fanatiques (islamistes, salafistes, etc.) qui se fichent pas mal de la culture et des musées et qui luttent, eux, désespérément, avec les armes qu'on leur connait, afin de garder en vie leurs identités archaïques, avant de nous les imposer. - Voilà en gros, très en gros, le résumé de la situation.
26 novembre 2010, 11:26   "Journal 2010", extrait.
« Jeudi 25 novembre, minuit et quart. J'ai fait une brève intervention ce soir, pas particulièrement percutante, dans une émission d'Europe 1, où m'avait de nouveau invité Pierre-Louis Basse, décidément bien disposé à mon égard. Il s'agissait de la massification culturelle, les invités principaux, sur place, étaient Pascal Ory, Marin de Viry et Fabrice Busteau. On m'a appelé au téléphone, j'ai placé deux ou trois phrases assez décousues, tout cela n'avait pas grand sens. Sans doute faudrait-il imiter la technique de Finkielkraut, qui décide préalablement de ce qu'il veut dire et le dit, de façon relativement indépendante du contexte et des questions. Je me fais trop confiance et je fais trop confiance à l'interlocuteur. Je crois que je vais être capable, chaque fois, de répondre quelque chose qui ait quelque substance à partir d'approches imprévues et en général très étrangères à mes façons de voir et de penser. Mais en fait, capable, je ne le suis pas, bien entendu — d'où l'impression de frustration que je retire de ces échanges, presque toujours, et qu'en retirent aussi les auditeurs, certainement.

« Pascal Ory, qui est au moins général de brigade dans l'armée mexicaine des Amis du Désastre, est parvenu à insinuer une discrète crasse à mon égard, in fine. Comme quelqu'un disait, sur un ton neutre, que mes vues sur les effets culturels heureux de grandes expositions comme celle qui est actuellement consacrée à Monet c'était l'hypothèse basse, il a susurré qu'en effet, oui, c'était l'hypothèse basse, insinuant un tout autre sens à la tournure. Fabrice Bousteau, lui, a dit trois fois de trois objets différents que c'était de la merde, au point que même l'animateur a fini par s'émouvoir d'opinions critiques aussi peu diversifiées dans leur expression. Quant au plus conservateur ou réactionnaire des intervenants, il a un peu compromis ses chances et la portée de ses prises de position en précisant que pour un tableau, à son avis, une cartouche ne suffirait jamais à accomplir la médiation nécessaire à la plupart des visiteurs.

« Ce qu'il aurait fallu dire, vu de l'escalier : que les bénéficiaires de la prétendue démocratisation culturelle se sont fait avoir, sans aucun doute possible. Oui, on a décidé que ce qui était le privilège de quelques-uns, la culture, il fallait l'étendre à tous : mais ce que tous ont reçu n'a rien à voir, bien que les noms aient été conservés, et c'est là la tromperie, avec ce dont jouissaient les anciens privilégiés. Oui, le baccalauréat était obtenu par quatre pour cent d'une classe d'âge et maintenant c'est quatre vingt pour cent ; mais le baccalauréat des quatre vingt pour cent n'a rien à voir, en culture générale, en maturité impliquée, en profondeur des connaissances, en maîtrise de la langue, surtout, avec celui des quatre pour cent. Oui, une part infime des Français allaient au concert et avait accès à la musique, et cette part à immensément augmenté ; mais la signification actuelle des mots musique et concert, qui ne désigne plus que les variétés et la musique de divertissement de jadis, n'a rien à voir avec sa signification du temps de la part infime. Oui, des centaines de milliers de gens vont voir des tableaux qui étaient vus jadis par quelques amateurs (plus nombreux toutefois qu'on ne le dit) : mais la relation à l'œuvre d'art telle qu'elle est impliquée par une exposition comme celle du Grand Palais n'a rien à voir avec ce qu'elle était du temps où il y avait cinquante personnes à la fois au Jeu de Paume et cinq ou dix dans les galeries privées — ne parlons même pas de la relation impliquée par la propriété, qui est pourtant, après tout, celle que présuppose au premier chef l'art de la peinture de chevalet. Tout le monde peut manger du saumon, qui était jadis un plat de luxe et de fête ; mais le saumon en tranche qu'on achète dans les supermarchés n'a rien à voir avec le saumon qu'on achetait une deux fois par an, et toutes les semaines si on était vraiment très riche, chez de bons poissonniers. Encore une fois, les noms sont les mêmes. Mais faire passer pour de la culture ce qui relève de l'industrie culturelle et du tourisme de masse, c'est une escroquerie politique dont les victimes, par définition, n'ont pas les moyens de se rendre compte qu'elles sont flouées : d'où leurs applaudissements aux extases enthousiastes des Amis du Désastre et leur haine à l'égard de tous ceux qui essaient de les prévenir qu'on les a bernées — c'est elles-mêmes qui se voient remises en cause, en effet, par ces chroniqueurs du malheur. »
Mais c'était fort bien, où avez-vous vu que c'était décousu ?

La technique Finkielkraut est classique, c'est aussi la fameuse réponse de Marchais à Duhamel sur les questions et les réponses. Cela ne marche pas à tous les coups.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
J'ai pris des cours sur le Forum des membres du parti. Ils ont des cellules de soutien pour tout. Tu t'inscris, ta vie est entièrement prise en main. Adieu Meetic. Et puis niveau culturel, je te dis pas. À Nantes, ils ont même déjà des crèches pour les gamins. On leur lit Du sens pendant la sieste. Cratyle est d'ailleurs le prénom le plus fréquent.
Cher Jean-Marc, la “fameuse” réplique de Marchais à Duhamel est en fait un simple trait d'humour de Thierry Le Luron (imitant Marchais) dans un sketch diffusé à la télévision (et avec Desproges dans le rôle de l'interviewer, si ma mémoire ne me trahit pas).
Cher Président, j'ai trouvé le tout début un peu laborieux, mais cela n'a pas duré et vous avez été très bien ensuite. Il est vrai cependant que vous auriez pu évoquer la notion de tromperie sur la marchandise, même de façon plus sommaire que ce que vous avez fait dans le bel extrait ci-dessus. Et d'ailleurs "tromperie sur la marchandise", qui n'est absolument pas votre style, aurait sans doute à l'oral un certain impact... Tenez, Bernard Tapie, lui, c'est ce qu'il aurait dit : T'as raison Coco, c'est la culture pour tous. Seulement, tu vois, y'a eu tromperie sur la marchandise, c'qu'on leur a refilé, aux masses, c'est d'la camelotte.

C'était un message de Radio-Inspection des travaux finis.
Passionnante réflexion, merci de nous l'avoir livrée "en exclusivité", Cher Maître.

J'aime beaucoup : "Ce qu'il aurait fallu dire, vu de l'escalier".
C'était aussi bien que possible, quand on n' a pas le style bateleur ou grande gueule, étant donné le peu de temps imparti.
"Renaud Camus, que j'accueille pendant quelques minutes, parce que j'avais envie que vous relanciez ce débat : m'est avis qu'ça va être chaud..."
Il faut être à la fois d'accord avec Renaud Camus sur son intervention radiophonique, qui a été "en dessous de tout comme d'hab." et en même temps radicalement pas d'accord. Renaud Camus est une voix inflexible, qui commence à faire cette chose impensable à la radio, savoir de lui imposer des silences !. Renaud Camus est la seule voix dans le poste qui, avant de l'ouvrir prend le temps, quelques dixièmes de seconde qui acquièrent dans tout ce temps la dimension d'une éternité, de lire ses phrases complètes sur la face interne de son os du front avant de consentir à les articuler, à les moduler. Cette chose est unique, en 2010. Personne n'ose le faire sauf lui, certes, mais la nouveauté est que la radio n'autorise personne à le faire sauf à lui. Il est très important que Renaud Camus continue d'être un idiot inflexible, car déjà, dès hier soir son idiotès commence à faire plier la radio : les voix qui ouvrent leur gueule pour garder les ondes au cas où l'on aurait quelque chose à y dire tolèrent désormais, lorsque Renaud Camus est invité à s'exprimer, de suspendre leur brouhaha. Renaud Camus, ainsi, qui ne sait pas parler mais qui sait écrire, impose son rythme, affreusement décalé parce que pensé, au débit des bruiteurs, des occupeurs de parlotte. C'est très bien. On commence à entrevoir chez ce Renaud Camus, sorte de moine zen de la culture, au glabre occiput, une sorte de Dalaï Lama de la parole, qui doit être excusé de son idiotie verbale, silencieuse, que l'on doit prier de parler, que l'on doit faire parler à coup de longs silences. Nous assistons au début de notre victoire et nous ne le voyons pas!
Oui, nous entendons les phrases frayer leur chemin, et nous sommes inquiets, ne sachant si elles seront menées à terme ou si l'animateur les décapitera. Si mes souvenirs sont exacts, JL Basse était plus patient lors du premier entretien; mais le silence, cette fois-là, n'avait pas à s'imposer contre les "occupeurs de parlotte".

Et pour revenir à la culture: La Culture a perdu presque tout espace à la télévision, dans les journaux et maintenant à la radio. Elle rejoint les solitudes qui sont peut-être son lot ordinaire. Gottfried Benn disait que l'art, à une époque donnée, intéresse à peu près une centaine de personnes, dont les deux tiers ne sont pas normales. Jean Puyaubert, lui, disait que jusqu'aux dernières années de sa vie il avait toujours connu les musées vides et les expositions désertes, et que l'idée qu'on puisse avoir à faire la queue et à jouer des coudes pour voir Gauguin ou Max Ernst était inconcevable pour les gens de sa génération. Il n'était pas loin d'insinuer que la frénésie des foules pour assister aux grandes rétrospectives de maîtres défunts, ou même vivants, était une aberration sociologique et intellectuelle, qui ne durerait pas.
La visite à la dernière expo est l'équivalent du stoicisme pour les élites romaines décadentes. Car comment se distinguer du bas peuple (la France d'en bas) que l'on méprise d'autant plus qu'on lui ressemble. Le divertissement de masse pour tous: les jeux du cirque pour la plèbe romaine, mais la patriciens y sont présents.
14 juillet 2009 concert de Johnny pour nos élites politico médiatico économiques rassemblées, communiant avec la foule devant l'Idole
Et puis un petit supplément d'âme: Monet après doc Gynéco ; Jeff Koons après après le PSG
On passe un peu vite sur les années 1840-1880. Le Salon, où les artistes exposaient les œuvres qu'ils avaient créées durant l'année ou les deux années écoulées, recevait jusqu'à six cent mille visiteurs (en deux ou quatre mois, je ne sais plus). Ce n'était certainement pas désert.
Raymond Abellio rapporte pages 63 et 64 de "La structure absolue" l'évènement par lequel il sut que jamais jusque-là il n'avait réellement vu un tableau: "ce jour-là, brusquement, je sus que je créais moi-même ce paysage, qu'il n'était rien sans moi. Ma conscience était là, clairement présente à elle-même: "C'est moi qui te vois, et qui me vois te voir, et qui, en me voyant, te fais. [...] par cette perception de ma perception, je tenais la clé de ce monde de la transfiguration qui n'est pas un arrière-monde mystérieux mais le vrai monde, celui dont la "nature" nous tient exilés. Rien de commun avec l'attention. La transfiguration est pleine, l'attention ne l'est pas. [...] Au contraire, elle est a-vide."

Il n'y a pas de lien entre la culture et la démocratie. Par contre, il y a un lien entre l'épuisement de la culture et le règne exclusif de la démocratie. L'éradication par la démocratie de la vie (celle qui ploie et se déploie dans le soi d'une personne, le roi notamment, puisque nous discourons sur l'espace publique, et nulle part ailleurs) dans l'espace publique se propage immanquablement en chaque citoyen qui s'en trouve pareillement vidée et ne risque plus de pousser après Abellio "le cri intérieur du démiurge lors de "sa" création du monde." La démocratie sortirait grandie à tenir son rôle dans l'espace publique et à s'y tenir: la consultation devrait être démocratique (elle ne l'est pas aujourd'hui), et la souverainté nationale (qui n'est pas le règne paternel) également.
28 novembre 2010, 17:52   Peint Pon
"On passe un peu vite sur les années 1840-1880."

C'est vrai. Bouguereau, Cabanel, Gérôme et tant d'autres attiraient les foules, toutes classes sociales confondues. L'art pompier représente un moment d'adhésion générale à l'art (sauf que d'aucuns diraient que ce n'était pas précisément de l'art...)
Merci à Pierre Henri de ce fragment de texte majestueux de Raymond Abellio. Il est probable qu'il ait raison quand il écrit qu'il n'y a pas de lien superficiel entre la culture et la démocratie. Mais il y a un lien profond qui est celui de l'emprunt commun que nous faisons au langage pour ne serait-ce que commencer à peindre, à composer, à penser. Cet emprunt commun nous est autorisé, comme il était autorisé à Descartes et à Hegel, par la commonalité basse et accessible des outils langagiers de la parole et par leur enseignement à tous ceux qui, de les acquérir, ont manifesté le désir, même timide.
Je reviens sur le lien démocratie et culture. Sauf si je me trompe à vous avoir trop vite lus, plusieurs intervenants jugent qu’elles ne font pas bon ménage car ils assimilent démocratie et règne du nombre.

Lors de ma précédente intervention, je notais une autre antinomie: la démocratie en éradiquant la vie de l’espace publique vide également, par propagation, les citoyens de cette vie qui nourrit les arts. Cette intervention était inspirée par de modestes lectures du philosophe Michel Henry et par le souci d’inciter les subtils moralistes du forum du parti de l’In-nocence à concevoir les institutions les plus propices à changer l’air du temps, à faire que les hommes s’évertuent de la façon que décrit Francis Marche et qu'il nomme démocratie profonde.

Il y a encore un lien positif entre démocratie et culture, si l’on identifie démocratie et autonomie. J’ai le lointain souvenir d’une lecture, celle de « L’homme seul », qui voyait dans la progressive émancipation de l’homme la matière de l’art, une histoire qui commence avec Homère et finit avec le carré blanc sur fond blanc, celui de l’homme seul avec lui-même, seul avec rien. Notons que si la transcendance n’habite plus l’extériorité, elle se reconstitue dans l’abysse du sujet (Jean Luc Marion, Kandinsky, Michel Henry, Abellio…). On parla de la fin de l'ésotérisme, on parle du tournant théologique de la phénoménologie.
Mais enfin M. Henri vous êtes imprimeur ?
Le béotien saisit mal ce ton ironique. Il avait cru comprendre qu'assorti de références un propos gagne en clarté; c'est là son seul objectif. Quant à savoir s'il fait profession de pâtissier, d'imprimeur ou de cornemuseur, cela ne fait guère avancer l'affaire du forum: culture et médiateté.
Il y a un truc qui ne colle pas, c'est cet espace publique qui revient cogner avec insistance et ébranler tout l'édifice, qui avait pourtant bon air.
Précisément. Il n'y a que dans les milieux typographiques que le mot espace est parfois féminin (il faut une espace avant le point-virgule). J'avais cru d'abord à une distraction de la part de M. Henri, mais son évidente haute culture rendant improbable la faute, et ce bizarre espace publique revenant avec insistance et jurant singulièrement avec le fond du propos, j'essayais de trouver une explication....
Oui, de même que l'emploi du mot majuscule y est proscrit (on lui préfère capitale).
Je demande pardon aux lecteurs du forum et, tout particulièrement, à Renaud Camus auquel j’ai répondu un peu vertement, ne comprenant pas ou devinant mal le motif de sa pointe. Merci de m’avoir éclairé.
Il s’agit ni plus ni moins d’une faute d’orthographe commise par quelqu’un qui, en toute conscience mais en toute ignorance, a qualifié d’un adjectif dont il savait la forme de la terminaison féminine un espace qu’il savait être masculin. L’ignare pressentit une faute d’orthographe, essaya une terminaison masculine qui lui évoqua un terme anglais (public relation) et se ravisa finalement pensant avoir à faire à une terminaison fixe, indifférente au genre.
Je ne me suis pas étendu sur la genèse de cette faute par complaisance mais, sachant l’intérêt du forum aux questions d’éducation, pour illustrer d’un exemple, les limites de l’éducation chez certains sujets peu doués.
Etant partisan d’une instruction publique sélective, si, en dépit de mes efforts redoublés, je venais à récidiver gravement, il faudrait m’exclure de ce forum que je ne souhaite pas déshonorer.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Ils ont essayé de me vider plusieurs fois pour des motifs de cet ordre, mais je résiste.
Un des philosophes préférés de M. K, Sloterdijk, je crois, dans un entretien avec Finkielkraut déclare que le capitalisme, in fine, c'est la démocratisation du luxe. Non, cher Renaud Camus, la petite bourgeoisie ne s'est pas fait avoir. Elle préfère l'erstaz (voir la réédition de LAge de l'ersatz de William Morris par les éditions de l'Encyclopédie des nuisances) au néant, le saumon fumé élevé en piscine au néant, la Peugeot au néant, les sports d'hiver au néant... Et l'on pourrait multiplier les exemples à l'infini. La force et la survie du capitalisme tiennent dans cette démocratisation/marchandisation de tout (de la voiture à Picasso en passant pas la xarane/picasso qui fusionnent les deux). Et les gens, le peuple, nous tous, préférons le presque rien au néant pur et simple de la privation. L'ère de la consommation de masse fait vivre l'illusion d'un accès de tous au mode de vie de l'ancienne bourgeoisie.
Citation
L'ère de la consommation de masse fait vivre l'illusion d'un accès de tous au mode de vie de l'ancienne bourgeoisie.

Jawohl !
Je ne vois pas très bien la contradiction...
Je voulais dire, cher ami, que contrairement à ce que vous dites les gens ne se sont pas fait avoir : mieux vaut avoir un erstaz de saumon dans son assiette que pas de saumon du tout. C'est ce qui fait la puissance d'un système qui repose sur la compétition mimétique : les gens ont quelque chose, quoi qu'on puisse penser de ce quelque chose. Heidegger dirait : ils veulent quelque chose plutôt que rien.
Il reste que ce qu'ils ont n'a rien à voir avec ce qu'on leur a promis. Qu'en plus ils soient contents et ne se rendent pas compte de l'entourloupe n'est qu'un vicieux raffinement du système.
"...la Peugeot au néant" :

Vous venez de lire Krakmo, M. Petit-Détour ?
Cher Bily, je suis en train de le lire mais je ne comprends ce que vous voulez dire. Faites-vous allusion aux problèmes de voiture ; au quel cas, j'aurais dû écrire l'Audi au néant ?
Cher Camus, leur a-t-on promis quelque chose sinon une abondance de biens, réelle et non illusoire (j'ai eu tort de parler d'illusion). La démocratisation du luxe n'est pas une illusion mais une réalité ; une réalité comme ce téléphone portable qui vibre dans ma poche ; cette neige des Alpes suisses que je foule ; cette petite maison (décrépite ou pas) que j'habite ; cette voiture que je conduis ; cet ordinateur que je manipule ; cette plage des Seychelles que j'arpente ; cette université de la Sorbonne que je hante... Non le capital a tenu ses promesses : la petite bourgeoisie est heureuse et vit longtemps.
Ou, c'était une bête allusion au désir que manifestait cette année-là l'auteur de remplacer son "Audette" par une voiture Peugeot...
Je ne suis pas bien sûr de comprendre la teneur du débat autour de la petite bourgeoisie. Passons aux travaux pratiques : pour moi, je préfère pas de saumon du tout à du saumon d'élevage. Auriez-vous la bonté de bien vouloir m'indiquer où dois-je me ranger ?
L'exception, hélas, cher Véron. Quoique la voiture que conduit votre dame le matin à l'heure où l'aube blanchit la campagne
n'entretient que peu de rapports avec ces FIAT sublimes que Turin produisait, via Dante, en petites quantités à l'orée du XXe siècle. C'était avant le taylorisme...
Autrefois les pauvres se contentaient du peu qu'ils avaient. Mais le capitalisme leur a fait une promesse: si tu désire et si tu travaille tu pourra vivre en bourgeois. "Pour que la société fonctionne, pour que la compétition continue, il faut que le désir croisse, s’étende et dévore la vie des hommes." Houellbecq
Alors les pauvres ont abandonné leur culture populaire, le maison de pays, leur cuisine traditionnelle... ils sont devenus modernes. Ils ont cessé d'etre pauvres ils sont devenus misérables. Ils ont acheté (à crédit) le superflu (écran plat, portable...) mais ont sacrifié le necessaire (la cuisine familiale, les relations sociales...et mème la santé aux Etats Unis))
"Le consumérisme peut créer des « rapports sociaux » non modifiables par la destruction de la culture de la classe dominante et celle de la classe dominée."
Car il y a une morale à cette histoire, c'est que si les pauvres ont perdu leur culture, il en a été de mème pour les riches:
« Le capitaliste avec son haut-de-forme, son gros cigare... avait lui aussi disparu et cédé la place au manager, misérable dans sa richesse, puisqu'en plus de devoir travailler deux fois plus que ses subordonnés ils devaient renoncer à l'alcool et au tabac, observer les régimes jusqu'à frôler l'anorexie et s'adonner au fitness jusqu'à l'épuisement. » H M Enzenberger
"Vous aurez toujours des pauvres parmi vous (*)." Depuis le gouffre de cette Parole, aucun homme n'a jamais pu dire ce que c'est que la Pauvreté.

Les Saints qui l'ont épousée d'amour et qui lui on fait beaucoup d'enfants assurent qu'elle est infiniment aimable. Ceux qui ne veulent pas de cette compagne meurent quelquefois d'épouvante ou de désespoir sous son baiser, et la multitude passe "de l'utérus au sépulcre" (**) sans savoir ce qu'il faut penser de ce monstre.

Quand on interroge Dieu, il répond que c'est Lui qui est le Pauvre: Ego sum pauper ***. Quand on ne l'interroge pas, il étale sa magnificence.

La Création paraît être une fleur de la pauvreté infinie; et le chef-d'oeuvre suprême de Celui qu'on nomme le Tout-Puissant a été de se faire crucifier comme un voleur dans l'Ignominie absolue.

Les Anges se taisent et les Démons tremblants s'arrachent la langue pour ne pas parler. Les seuls idiots de ce dernier siècle ont entrepris d'élucider le mystère. En attendant que l'abîme les engloutisse, la Pauvreté se promène tranquillement avec son masque et son crible.

Comme elles lui conviennent, le paroles de l'Evangile selon saint Jean! "Elle était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde. Elle était dans le monde et le monde a été fait par elle, et le monde ne l'a point connue. Elle est venue dans son domaine, et les siens ne l'ont pas reçue".

Les siens! Oui, sans doute. L'humanité ne lui appartient-elle pas ? Il n'y a pas de bête plus nue que l'homme et ce devrait être un lieu commun d'affirmer que les riches sont de mauvais pauvres.

(à suivre)
Mais le rêve des super riches d'aujourd'hui est d'avoir la vie des super pauvres d'hier : la chaumière avec poutres noircies au plafond , la cheminée culottée où l'on fait cuire la soupe au choux, cueilli du matin dans son potager, son oeuf à la coque quotidien du cul de la poule à la casserole, sa ration de lait journalière du pis de la vache au bol , son lapin hebdomadaire du clapier à la cocotte et la cochonaille ainsi que le fromage tranchés au couteau de poche et mangés sur le pouce avec un petit vin du pays en compagnie des chasseurs et des bouseux du coin Sans compter le pain que l'on fait soi-même et que l'on cuit, je ne vous dis que ça, dans le vieux four jouxtant le mur de la maison. Bientôt ils iront de nouveau à cheval faire leurs courses en ville. et à la place des disques-jockey, les violonneux mèneront à nouveau le bal pour leurs enfants.
Et les confitures maison ! Cassandre, vous avez oublié les confitures maison du potager cuites à la lessiveuse en laiton dénichée dans le grenier du père machin, la confiture du potager qui va direct du cul du pied de tomate à la cuillère à pot que vous m'en direz des nouvelles. Pendant ce temps les pauvres nouveaux, obèses, le cheveu gras, poussent leur chariot chromé monté d'un rétroviseur (pour se garer des racailles égorgeuses et incendiaires d'autos) sur le parking cabossé et herbeux du supermaché discount, quand ce n'est pas le restau du coeur, que l'on aura approvisionné de saletés chimiques et bariolées, industriellement suremballées et passées de date. Le pauvre moderne est un riche raté, qui a pris la place du riche, comme vous avez raison, en s'urbanisant, et pendant que le riche a bel et bien pris sa place en gagnant la campagne, de manière assez bien conforme à la vision catholique et bloyenne que je vous dévoilerai bientôt (les premiers seront les derniers etc.), voilà que cet échange est un mécompte de plus au préjudice du pauvre: le roue de la fortune a bien tourné en effet, mais curieusement, les acteurs de la richesse et de la pauvreté, ne s'y sont pas accrochés, n'ont pas voyagé, il n'y a pas eu transit d'une condition à l'autre entre les deux catégories d'humains; la roue de la fortune, ils l'on laissé tourner à vide sur elle même. L'échange ville-campagne entre riches et pauvres a berné le pauvre -- sa misère l'a suivi à la ville, dans le grand-ensemble et il n'a rien gagné au change, travesti en faux riche, il ressort de cet échange comme un cocu de la fortune: le monde s'est bien refait tout à l'envers mais le riche est retombé sur ses pieds. Le Christ, et Saint Jean se seraient donc gourés. Ils n'avaient pas prévu le capitalisme.
Etre riche aujourd'hui c'est posséder beaucoup d'objets pauvres. Raoul Vaneigem
Bloy écrivait que les riches sont de mauvais pauvres peu de temps avant le tournant du siècle dernier. Que ne savait-il que cent dix ans plus tard, cette maxime devrait être renversée par ce piteux constat qui ne fait rien d'autre que de la compléter: les pauvres sont de mauvais riches!
Oublier les confitures ! impardonnable.
Citation
Cassandre
Mais le rêve des super riches d'aujourd'hui est d'avoir la vie des super pauvres d'hier : la chaumière avec poutres noircies au plafond , la cheminée culottée où l'on fait cuire la soupe au choux, cueilli du matin dans son potager, son oeuf à la coque quotidien du cul de la poule à la casserole, sa ration de lait journalière du pis de la vache au bol , son lapin hebdomadaire du clapier à la cocotte et la cochonaille ainsi que le fromage tranchés au couteau de poche et mangés sur le pouce avec un petit vin du pays en compagnie des chasseurs et des bouseux du coin Sans compter le pain que l'on fait soi-même et que l'on cuit, je ne vous dis que ça, dans le vieux four jouxtant le mur de la maison. Bientôt ils iront de nouveau à cheval faire leurs courses en ville. et à la place des disques-jockey, les violonneux mèneront à nouveau le bal pour leurs enfants.

C'était déjà le rêve de Marie-Antoinette : le hameau de la Reine, au Petit Trianon.
Essayez d'apporter une confiture qui ne soit pas faite-maison - par une grand-mère du Périgord, si possible - dans une fête bobo ! Essayez de vous pointer à la soirée crêpes-lecture avec votre pot "Bonne Maman", déniché au Franprix du coin !
L'Arrêt de mort. Le pot de confiture industrielle acheté chez Franprix vous signe l'arrêt de mort sociale, comme dans Blanchot.
01 décembre 2010, 18:48   Hum, commercial preserves...
Scène très drôle à ce sujet dans Gosford Park de Robert Altman. Les confitures non fabriquées sur place y sont l'emblème même du déclin irrémédiable de l'aristocratie terrienne anglaise.
Reve de riche: la confiture maison avec les fruits du jardin
Réalité de riche: le salle de marché 12 heures par jours; un peu de confiture maison à la pause ; et le club de fitness parce qu'un riche n'a plus le droit d'etre gros.
Quand à la culture des riches où est-elle? La musique? Rien que Boulez à se mettre sous la dent; la peinture? Mr Pinault est-il si coupable pour étre condamner à collectionner du Jeff Koons ? L'architecture? Nouvel Porzamparc Forster sont des noms de marque, où est leur architecture? La littérature résiste un peu, en marge (P. Bergounioux ou...R. Camus) ou sur un malentendu (Houellbecq) mais peut-on parler de littérature à propos des Angot, Sollers, Pennac et autres marc Lévy ?
R. Barthes disait:" La littérature n’est plus soutenue par les classes riches." on peut étendre la thèse à toute la culture.
Reste la confiture maison!
Francis, il me semble que seules les poignées sont en laiton, la bassine elle-même étant en cuivre.
J'ai hésité Jean-Marc, j'ai hésité...
Citation
M. Petit-Détour
Etre riche aujourd'hui c'est posséder beaucoup d'objets pauvres. Raoul Vaneigem

Magnifique, celle-là...
Citation
Renaud Camus
Il reste que ce qu'ils ont n'a rien à voir avec ce qu'on leur a promis. Qu'en plus ils soient contents et ne se rendent pas compte de l'entourloupe n'est qu'un vicieux raffinement du système.

Il reste également, cher Renaud Camus, que ce contentement-là est absolument incommensurable, puisqu'il s'agit d'un sentiment, et que pour une part non négligeable l'appréciation que vous portez sur la valeur du deal de culture proposé porte précisément sur cela, sur la nature d'un sentiment : si le baccalauréat, le saumon ou les confitures ne sont effectivement plus les mêmes, les tableaux exposés et les livres (à prix unique du cher Lang) le sont, eux, et vous êtes insensiblement passé, dans l'escalier, d'un jugement sur la nature des choses à un jugement sur la relation qu'on entretient avec elles, ce qui n'est plus du tout la même chose. Mais cette relation n'est-elle pas en dernière analyse ce qu'en retire et ressent celui qui entretient cette relation, dans un for intérieur qui est finalement son affaire ?
Ainsi s'il est déjà infiniment délicat de se prononcer sur la valeur du "sentiment esthétique" suscité par des ersatz (qui ont pour eux l'avantage relatif d'être, dans l'alternative indiquée par M. Petit-Détour de ce peu ou rien), cela devient périlleux quand l'industrie culturelle met en présence les nouveaux amateurs d'art et de vraies œuvres ; et allez-donc dire à quelqu'un que ce qu'il éprouve n'est pas le bon sentiment...
Peut-être est-ce pure conjecture de ma part, incorrigible lecteur de Bond et d'Amélie Nothomb, qui ai gardé un goût fâcheux pour le succédané de caviar orange et les merguez graisseuses, mais si la proportion est d'une conversion et d'un dessillement du regard pour quelques milliers de visiteurs demeurant imperturbés, l'affaire proposée peut n'être pas entièrement mauvaise ?
Il se trouve que, dimanche dernier, j'ai préparé pour des amis un "trinxat de Cerdagne", plat du pauvre.

C'est une sorte de galette de pommes de terre, de lard et de choux, le tout haché et revenu dans de l'huile d'olive avec de l'ail, et servie recouverte de tranches de bacon (de ventrèche) croustillantes (pratiquement un hommage à Delteil).

Ce plat politiquement incorrect car furieusement non-halal est économique, traditionnel et savoureux.
Alors là, je salive !
Je note cependant, car je fais le marché moi-même, que des denrées simples deviennent chères et que le plat du pauvre devient parfois du luxe. Le passage à l'euro n'a pas arrangé les choses.
« …si la proportion est d'une conversion et d'un dessillement du regard pour quelques milliers de visiteurs demeurant imperturbés, l'affaire proposée peut n'être pas entièrement mauvaise ? »

Elle ne l'est pas pour ces quelques individus chanceux, mais pour une société, qui se retrouve sans classe cultivée, elle l'est. D'autre part j'aurais tendance à contester la prétendue impossibilité où l'on serait de juger de l'effet des œuvres d'art sur tel ou tel individu. Tel qui se dit bouleversé par Rembrandt ou Ryman mais n'a chez lui, volontairement, que d'affreux chromos peinturlurés (plutôt que rien du tout, par exemple), on est en droit de s'interroger sur la profondeur de sa relation avec les maîtres qu'il dit admirer tant. Et celui-ci qui déclare ne mettre rien plus haut que la Recherche, s'il dit : « Et pis ce que vous avez dans Proust qu'est quand même génial, moi je trouve, c'est toute la réflexion sur comment le langage eh ben il vous en dit plus sur les gens, quelque part, que ce que les gens eux-mêmes ils croient qu'ils vous racontent, je veux dire », on peut tout de même se demander s'il a bien lu. La pensée émet des signes. La réception de l'art aussi. Devant quelqu'un de cultivé, personne ne peut mentir sur son état culturel. Et cela l'inculture ne le sait pas, parce que son langage ne comprend pas (dans les deux sens du terme) celui de la culture (contrairement à l'inverse).
Vous oubliez le rapport au temps. Les riches avaient et ont à leur service des domestiques qui se chargent de toutes les petites tâches quotidiennes, mesquines et usantes. Les "petites gens" sont victimes de cette nouvelle richesse matérielle, qui n'est que l'amoncellement d'objets de toutes sortes qu'il faut bien dépoussiérer et entretenir. Ceci n'est qu'un des aspects qui fait que le "pauvre" n'a plus de temps disponible pour prendre du recul, et réfléchir : penser est devenu un luxe.

Cela me fait penser à un processus d'abrutissement général ... HG Wells quel visionnaire.... Et je verrais bien Monsieur Renaud Camus dans le rôle de George.






Chère Nemesia, j'ignorais tout de ce film autant que du roman dont il est issu. Wiki me fournit les premières informations (le film serait politiquement édulcoré) et me donne envie d'aller un peu plus loin. Merci à vous.
» Elle ne l'est pas pour ces quelques individus chanceux, mais pour une société, qui se retrouve sans classe cultivée, elle l'est.

Peut-être ne me suis-je pas fait l'avocat du diable, mais est-ce un vieux côté talmudique, "Qui sauve une seule vie sauve le monde", etc.
D'autre part, que la démocratisation de la culture soit la cause de la disparition des classes cultivées, voilà qui est délicat à établir ; je ne voudrais pas chipoter, mais j'y verrais plutôt des phénomènes concomitants qui ont une même cause, de sorte que ce qui se gagne par l'adjonction de quelques nouveaux convertis ne se perd pas de ce fait dans ce qui reste de l'ancienne classe cultivée...
Je reconnais volontiers que le proustien que vous citez si savoureusement constitue un argument de poids contre la théorie de l'incommensurabilité des contenus de conscience, de ce point de vue... Mais du sien, de point de vue, son horizon est indépassable ; satisfait de son sort, de sa péroraison et de ce que lui apporte sa lecture, il ne peut être trompé si ce qui lui revient en partage est tout ce dont il est capable, en regard du rien. Bien plutôt, le sera-t-il si ces menues jouissances lui seront déniées et rabaissées à l'aune de ce qu'on sait qu'il ne pourra de toute façon atteindre, tout en le lui faisant miroiter comme la seule chose réellement digne de considération.
La classe riche devenu inculte, sauf en finances, est incapable de critique. Elle gobe sans broncher, Konns, Murakami, Rem Koolhas et autre people de la culture. C'est sa religion de l'économie qui l'occupe à plein temps et sa peur de faire baisser toute cote qui lui interdit toute critique. Alors il lui reste la confiture maison et une prétendue connaissance des vins pour se distinguer des miséreux. Cela prend moins de temps. Mème le concert est dévoreur d'un temps si précieux: Il faut les voir, à l'entracte, se précipiter sur leur blackberry , seul moment de bonheur de la soirée.
La misère culturelle des riches est le pendant de la misère consumériste des pauvres.
Des ouvrages comme "Le Guépard" nous montrent le haut niveau de culture qui existait dans la "classe riche" de Sicile vers 1860. Vous vous reporterez avec intérêt aux pages qui décrivent l'opinion des nobles de Sicile quant aux activités intellectuelles du prince (opinion qui ne peut se manifester ouvertement à cause de la grandeur de son nom, de ses succès auprès des femmes et de son habileté à la chasse) et le haut niveau des jeunes filles de la noblesse sicilienne (voir la scène du bal).
02 décembre 2010, 10:03   Promesses
"Il reste que ce qu'ils ont n'a rien à voir avec ce qu'on leur a promis."

Leur a-t-on vraiment promis le saumon pour tous ? Je n'en suis pas certain. J'ai l'impression que la promesse consumériste, comme tant d'autres promesses, a été formulée sans réelle préméditation ; c'est une promesse qui n'a cessé de prendre le train en marche, sous l'entière dépendance des trouvailles scientifiques et des innovations techniques. Personne n'a jamais promis, par exemple, quelque chose comme Internet, qui pourrait bien être à une vraie conversation ce que le saumon de piscine est au vrai saumon.

Il me semble que la seule promesse clairement formulée - et depuis fort longtemps - a concerné la lutte contre la maladie et la mort. La médecine - et elle seule, à mon avis - a fait une promesse et l'a tenue. Le monde ancien décrit avec nostalgie par Bellini, le monde, pour le dire vite, des "artisans", c'était aussi le monde d'une grande quantité de maladies incurables, d'une forte mortalité infantile et d'une durée de vie plus courte. En un sens, on pourrait montrer que ce sont d'abord les progrès de la médecine qui ont détruit ce monde.

Mais voici que cette promesse tenue se révèle la plus embarrassante de toutes : surpopulation, perspective, dans les pays développés, d'avoir à "gérer" des centaines de milliers de centenaires, obligation de rallonger le temps de travail, jeunes générations dindons de la farce, multiplication des "encombrants", des inutiles etc. Et certes, alors, on peut bien dire que cela n'a rien à voir avec ce qui avait été promis, tout le bien que l'on attendait de la lutte contre la maladie et la mort.
Orimont, il y a eu aussi la diminution de la souffrance, de la souffrance bestiale des agonies d'autrefois.
Oui, bien sûr, Jean-Marc, tout comme ont été diminués la souffrance et le danger mortel des naissances d'autrefois.
Hier soir Paul-Marie Coûteaux recevait Mathieu François du Bertrand dans son Libre Jounal pour s'entretenir avec lui de l'oeuvre de Renaud Camus, et tout particulièrement de l'Abécédaire de l'In-nocence (comme il m'a semblé). Je n'ai malheureusement écouté de l'émission que les dix dernières minutes. Quelqu'un ici sait-il s'il y aura une rediffusion, ou s'il est possible de télécharger cette émission quelque part ?
Ah zut, c'est dommage de ne pas savoir ces choses-là à l'avance.

Je crois que l'émission de Paul-Marie Coûteaux est rediffusée le vendredi à la même heure. Radio Courtoisie n'offre pas encore la possibilité de réécouter, il faut commander une cassette ou un CD. Serait-il possible de l'enregistrer ?
Vendredi soir, donc. Merci. Pour ce qui est de l'enregistrement, je ne dispose que de vieilles cassettes usagées...
Je m'occupe de l'enregistrement, il sera disponible sur Canal PI.
Des mauvais riches et des mauvais pauvres.
1- La roue de la fortune a-t-elle reconduit en campagne les riches bourgeois pour qu'ils singent ou réhabilitent le mode de vie des anciens pauvres en leurs chaumières ou pour rejouer le mode de vie des anciens notables ruraux?
2- Notons que les produits des anciens pauvres ont été promus au rang du luxe à mesure que les gains de productivité des industries (mais pas seulement) rendaient comparativement de plus en plus coûteux les productions artisanales.
3- Le capitalisme donne à tous un accès trompeur au mode de vie bourgeois. Il donne à tous une forme d'abondance ; mais le gras des ventres n'est pas le même. Il donne une version sienne du bovarysme bourgeois ; mais la jet set des mauvais riches n'est pas l'aristocratie d'héritage. Il donne à tous une sorte d'accès à la production bourgeoise ; mais la rente n'est pas l'assistanat (phénomène massif et familial dans le Tiers Monde urbain), mais être assis devant un écran et près d'un téléphone ne suffit pas pour se sentir un peu notaire.
4- Le règne du vide ne se limite pas aux produits de consommation: quelque chose plutôt que rien. Il concerne aussi la temporalité des mauvais riches: faire quelque chose plutôt que rien. Je pense au brouillage total de la vie productive. Le temps consacré à l'acquisition des biens de consommation dévore progressivement le temps consacré à la production et au repos. Le temps consacré au repos se programme sur le modèle de l'industrie événementielle. Quand à l'activité productrice, pour beaucoup de mauvais riches aux mains blanches un doute persiste: le développement cancéreux des tâches de gestion (qu'elles soient privées ou publiques) les préserve des productions qui leur étaient jusque-là impartis mais les affectent à une activité factice. La disparition de la culture populaire constituée par le travail et le commerce de la matière s'ensuit.
5- A ce titre, les secteurs primaires et secondaires ont assuré la croissance économique des trois derniers siècles en réalisant par l'effet des machines (du charbon et du pétrole) des gains de productivité prodigieux. L'informatique et les puces électroniques n'attendent plus qu'un éclair de lucidité des législateurs pour que les activités de gestion, artificiellement multipliées, connaissent les mêmes gains de productivité et suscitent leurs trente glorieuses.
Comme promis :
"Libre journal" de Paul-Marie Coûteaux sur Radio Courtoisie - Les jeunes Français et la littérature

L'intervention de Mathieu DUBERTRAND, romancier, à propos de l'œuvre de Renaud Camus est en écoute directe et vous trouverez un lien pour télécharger l'émission complète en bas de page.
Utilisateur anonyme
04 décembre 2010, 03:52   Re : Pauvreté et christianisme en Occident (Léon Bloy)
Citation
Francis Marche
Et les confitures maison ! Cassandre, vous avez oublié les confitures maison du potager cuites à la lessiveuse en laiton dénichée dans le grenier du père machin, la confiture du potager

Et bien j'ai une confession à faire : je fais moi même mes confitures! sans être riche, je les fais tous les ans, comme le faisait ma mère et ma grand-mère et paix à ses cendres mon arrière grand-mère… Question de durée. Et je vis dans une (modeste) chaumière du XVIIIe° siècle, sans chaume d'ailleurs, j'en suis désolé, le tout à la campagne avec les poules les canards et à côté de l'église du village (du XVe° siècle)… Il y a un petit avantage à faire ses confitures soi-même c'est qu'elles sont meilleures…(Me voilà donc banni du parti de l'in-nocense!).
D'accord avec M. Renaud Camus sur tout y comprit sur la peinture d'Eugène Leroy. Mais puisque je faisais allusion à la durée avec mes confitures, je me pose une question sur la pérennité des œuvres d'Eugène Leroy. En effet de telles couches de peinture au sortir du tube, sans ajout de résine quelconque, ne sécheront jamais et l'huile rancira et se désagrégera pour finir par tomber en morceaux. Comme d'ailleurs pas mal d'œuvres de Monet qui, d'un point de vue de la technique de la peinture, sont mal peintes et doivent subir les assauts de la restauration. Au fond la question que je me pose est : Peut-on peindre véritablement sans avoir le souci de la durée (au moins physique) de son œuvre? Van Gogh bizarrement avait une technique de peinture irréprochable… Les anciens aussi ; c'est au dix-huit ième siècle que les choses se gâtent.
04 décembre 2010, 08:22   Demande de précision
"L'informatique et les puces électroniques n'attendent plus qu'un éclair de lucidité des législateurs pour que les activités de gestion, artificiellement multipliées, connaissent les mêmes gains de productivité et suscitent leurs trente glorieuses."

Que voulez-vous dire ? Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre et cette idée m'intrigue.


(P.S. Pour les confitures maison, j'en suis, mais c'est par accès, cueillette opportune, don inattendu., rien de rituel. De même pour le vin d'orange, les aubergines confites ou les bocaux de poivrons à l'huile. Il nous est même arrivé de faire des enfants maison, entièrement faits main.)
Comment cela, des enfants maison "faits main" ?
« Van Gogh bizarrement avait une technique de peinture irréprochable… Les anciens aussi ; c'est au dix-huit ième siècle que les choses se gâtent. »

Au XVIIIe, pas au XIXe ? La technique d'Ingres (par exemple) n'est pas irréprochable ?
une espèce en voie de disparition…
Utilisateur anonyme
04 décembre 2010, 09:10   Re : Pauvreté et christianisme en Occident (Léon Bloy)
"Au XVIIIe, pas au XIXe ? La technique d'Ingres (par exemple) n'est pas irréprochable ?"

Il y des persistances au 19° et même au XXe° siècle. Ingres, est un vrai technicien mais il n'est pas tout à fait irréprochable (voyez cette immense craquelure sur "La baigneuse Valpinson", et comme beaucoup à son époque, il fût victime de l'emploi de bitume dans les couleurs sombres qui finirent par craqueler et former des "peaux de crapaud", si souvent visibles chez Delacroix et tant d'autres. Giorgio De Chirico était un technicien attentif (puisque mariée à une restauratrice de tableau). On dit que les œuvres de Balthus sont d'une grande fragilité… Picasso peignait n'importe comment, du point de vue de la technique bien sûr…(Esthétique aussi mais c'est une autre histoire! ok, je branche!). Certaines œuvres de Picasso sont pleines d'embus et de ce point de vue presque désagréable à regarder). Il me semble que Soulage à une technique relativement cohérente; Watteau peignait n'importe comment avec n'importe quoi. Quant aux contemporains comme Keifer par exemple, il m'est arrivé de voir des morceaux entier tombés par terre du tableau… Pour d'autres contemporains, je me réjouis que leurs œuvres soient destinées à s'auto détruire…
Et le dessin, Thomas, la sûreté dans le dessin, n'est-ce pas une preuve de maîtrise technique ? Ingres en est l'exemple souvent donné...
Citation
Jean-Marc
Et le dessin, Thomas, la sûreté dans le dessin, n'est-ce pas une preuve de maîtrise technique ? Ingres en est l'exemple souvent donné...

"La probité de l'art" disait Ingres ; Tout à fait d'accord avec vous Jean Marc, l'on pourrait faire une œuvre et passer sa vie avec crayons et bouts de papier… Ce serait un immense courage, un rêve… "Ce que l'on a pas dessiné , on ne l'a pas vu" ajoutait Goethe… On est loin des médiocres cours "d'arts plastiques" de nos collèges, "animés" par des "profs" qui n'ont jamais dessiné une vache de leur vie……
04 décembre 2010, 10:18   Artisanat
"Comment cela, des enfants maison "faits main" ? "

Oh, ce n'est qu'une espèce de plaisanterie sur le suivi médical a minima qui a accompagné la naissance de ces enfants, à l'heure où un nombre sans cesse croissant de conceptions nécessitent une assistance médicale de plus en plus envahissante au point que, dans de nombreux cas, la-dite conception n'aurait tout simplement pas lieu sans un "protocole" médical.
04 décembre 2010, 11:08   Re : Artisanat
Comment, cher Orimont ? Vous n'auriez pas acheté vos bambins au supermarché du coin ?

Attention tout de même, le "fait main" à la maison est réputé dangereux, surtout en matière de naissance...
Je me félicite vivement des interventions très éclairées et très instructives de M. Thomas Claude et suis très sensible à son évocation infiniment poétique de sa demeure, mais suis intrigué par cette phrase, que j'avoue ne pas comprendre :

« Il y a un petit avantage à faire ses confitures soi-même c'est qu'elles sont meilleures…(Me voilà donc banni du parti de l'in-nocense!). »
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