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Toujours aux aguets ?

Envoyé par Thomas Rhotomago 
05 décembre 2010, 19:43   Toujours aux aguets ?
Au 9 novembre 1988, Renaud Camus écrit dans son Journal :

"Je déteste le secret, qui me semble au monde ce qu'il y a de plus vain, de plus contraire en tout cas à la confiante étroitesse du commerce entre les êtres."

Est-ce détestation tenable en politique et qu'en pense le Président du Parti de l'In-nocence, à l'heure de l'hémorragie de dépêches diplomatiques ouverte par un site Internet ?
05 décembre 2010, 19:48   Re : Toujours aux aguets ?
Orimont, ne pourrait-on pas utilement distinguer le secret des personnes entre elles (je vous cache quelque chose et vous me cachez quelque chose) du secret par rapport aux tiers (votre facteur ouvre nos lettres ou, pour prendre un exemple plus moderne, notre opérateur lit nos courriels) ?
05 décembre 2010, 22:25   Re : Toujours aux aguets ?
La seule bonne chose dans la transparence, c'est qu'elle vous libère du chantage et de ce fait apporte la liberté de l'esprit.
06 décembre 2010, 09:04   Re : Toujours aux aguets ?
Nous sommes tous partagés devant cette affaire. Il est bien sûr tentant de vouloir limiter ce que les gens expriment à ce qu'ils sont capables de dire devant ceux dont ils parlent, et de pouloir proclamer à la face du monde que l'on n'a rien à cacher.

Cependant, je ne crois pas que la vie en société puisse se passer du secret, et cela d'autant moins que l'on est attaché aux formes, aux bonnes manières, à la maîtrise de soi. Ainsi, l'étalage complaisant, dans le sillage de la vulgarisation de la psychanalyse, du "petit tas de misérables secrets" que chacun porte en soi paraît difficilement séparable du soi-mêmisme et de la désinhibition généralisée que nous vivons, désinhibition infantilisante, ensauvageante, décivilisante.

Dans les familles, il vaut mieux, en général, que les cadavres restent dans les placards. Et, de même qu'on ne fait pas l'amour ou sa toilette intime devant ses enfants ou ses parents, il y a des choses dont on ne leur parle pas sauf, éventuellement, sous la forme sublimée de la littérature.

J'ai raconté ici, il y a peu, l'horreur qu'avait suscitée en moi la vision de ces salles de classes de l'Allemagne communiste à la porte toujours soigneusement et ostensiblement ouverte.

Et que dire de la diplomatie ? Sans l'assurance de la confidentialité, il n'est pas de sincérité et l'on se limite alors à un jeu de rôles dans lequel les répliques sont écrites d'avance.
06 décembre 2010, 09:38   Re : Toujours aux aguets ?
Citation
Marcel Meyer
(...)

Cependant, je ne crois pas que la vie en société puisse se passer du secret, et cela d'autant moins que l'on est attaché aux formes, aux bonnes manières, à la maîtrise de soi. Ainsi, l'étalage complaisant, dans le sillage de la vulgarisation de la psychanalyse, du "petit tas de misérables secrets" que chacun porte en soi paraît difficilement séparable du soi-mêmisme et de la désinhibition généralisée que nous vivons, désinhibition infantilisante, ensauvageante, décivilisante.

(...)

J'ai raconté ici, il y a peu, l'horreur qu'avait suscitée en moi la vision de ces salles de classes de l'Allemagne communiste à la porte toujours soigneusement et ostensiblement ouverte.

Et que dire de la diplomatie ? Sans l'assurance de la confidentialité, il n'est pas de sincérité et l'on se limite alors à un jeu de rôles dans lequel les répliques sont écrites d'avance.



Si l'on n'arrive pas à se maîtriser soi-même, dans ce cas et si et seulement si cela n'affecte personne d'autre que soit alors pourquoi pas le secret et la confidentialité.

Pourtant cela me dérange beaucoup quand cela affecte des tiers, ce qui est le cas en politique. C'est bien entre autre grâce au secret de la confession que l'église romaine a pu étendre son pouvoir, par ce qu'elle savait et par ce que les autres pensaient qu'elle savait.

Par analogie, un peu extrême, quelle est l'attitude à adopter si vous connaissez quelqu'un atteint d'une maladie contagieuse et mortelle, qui par "distraction" contamine toutes les personnes qu'il croise ? Confidentialité et secret ou non quand la vie de tant de gens est en jeu ?
06 décembre 2010, 09:44   Re : Toujours aux aguets ?
La transparence totale, et donc l'honnêteté, de Monsieur Renaud Camus, qui plus est homme public, force l'admiration et le rend vénérable.
06 décembre 2010, 10:06   Re : Toujours aux aguets ?
"J'ai raconté ici, il y a peu, l'horreur qu'avait suscitée en moi la vision de ces salles de classes de l'Allemagne communiste à la porte toujours soigneusement et ostensiblement ouverte."

J'ai visité récemment une université de type "learning center" à Breda, aux Pays-Bas. Ces établissements ultra-modernes, révolutionnaires à leur façon - parce qu'ils font table rase des formes anciennes de transmission du savoir pour une pédagogie "cool" - appliquent ce principe de transparence. J'ai été très étonné d'y voir les murs habituels des salles de classes remplacés par de vastes parois vitrées, permettant à quiconque passe dans les couloirs d'observer ce qui se déroule à l'intérieur.
06 décembre 2010, 10:14   Re : Toujours aux aguets ?
Voyez le grand succès remporté en France par les bureaux paysagers (paysagés ?) : les gens s'y sentent si mal qu'ils élèvent tous les remparts possibles et imaginables...


Je pense qu'il ne faut pas confondre franchise (répondre franchement à une question posée) et impudeur (étaler sa vie privée).

Il arrive que des gens me demandent des renseignements personnels, ou des détails sur des tiers. Je leur dis alors : "Si on vous pose la question, vous direz que vous ne savez pas".
06 décembre 2010, 10:44   Re : Toujours aux aguets ?
Comme souvent il convient d'établir un principe et d'y tolérer de façon restreinte des entorses au cas par cas.
06 décembre 2010, 10:52   Re : Toujours aux aguets ?
"J'ai raconté ici, il y a peu, l'horreur qu'avait suscitée en moi la vision de ces salles de classes de l'Allemagne communiste à la porte toujours soigneusement et ostensiblement ouverte."

On arrive à la même situation, aux Etats-Unis et dans les pays développés (voir l'exemple cité par Olivier), par le truchement de la crainte d'abus sexuels ou la menace terroriste : portes ouvertes, phobie du face-à-face sans témoin, caméras de surveillance, scanners corporels etc.

Vivre à l'enseigne du "Je n'ai rien à cacher" est en effet une posture qui peut forcer l'admiration, comme l'écrit Némesia, mais, à mon avis, c'est une posture intenable dans les faits, un mythe, à ne considérer qu'une raison : pour n'avoir rien à cacher, il faudrait d'abord être certain de se connaître parfaitement, de ne pas héberger en soi et à son insu quelque gros "secret".

Ce n'est pas que le secret m'apparaisse "nécessaire" ou "indispensable" à la vie en société, à la conduite des affaires, je crois simplement qu'on ne peut le faire disparaître. Militer pour la "transparence" générale, c'est militer pour quelque chose qui n'existe pas, c'est-à-dire militer en faveur d'une utopie, avec tout ce que ce terme peut contenir de volontarisme, d'asservissement et d'endoctrinement et tout cela en pure perte, le secret persistant à être là, mais cette fois dans les plus sournoises de ses manifestations et au seul usage d'une poignée de membres d'une nouvelle "nomenklatura".
06 décembre 2010, 12:33   Re : Toujours aux aguets ?
Citation
Orimont Bolacre
Ce n'est pas que le secret m'apparaisse "nécessaire" ou "indispensable" à la vie en société, à la conduite des affaires, je crois simplement qu'on ne peut le faire disparaître. Militer pour la "transparence" générale, c'est militer pour quelque chose qui n'existe pas, c'est-à-dire militer en faveur d'une utopie, avec tout ce que ce terme peut contenir de volontarisme, d'asservissement et d'endoctrinement et tout cela en pure perte, le secret persistant à être là, mais cette fois dans les plus sournoises de ses manifestations et au seul usage d'une poignée de membres d'une nouvelle "nomenklatura".

C'est exact, et ça rejoint cette constatation, qui s'applique à de nombreuses autres situations d'ailleurs, que rien ne disparaît jamais, mais qu'il n'y a que des transferts — transferts d'énergie, d'information, de connaissances, de faits humains. De sorte que la "quantité" de secret reste toujours la même au sein d'une entité sociale donnée ; simplement, elle se répartit autrement. Si l'on chasse le secret des rives de la vie publique (je ne parle même pas de la vie privée), il y a gros à parier qu'on le retrouvera, sous une forme condensée (et donc potentiellement dangereuse), en quelqu'une de ses catacombes, prêt à nuire, quand sous sa forme diluée il s'avérait au contraire parfaitement utile.
06 décembre 2010, 13:25   Re : Toujours aux aguets ?
Je comprend vos points de vue, néanmoins je demeure contre le secret mais pour la discrétion, contre l'exhibitionnisme mais pour la transparence.
06 décembre 2010, 13:30   Re : Toujours aux aguets ?
Nemesia,

Penseriez-vous normal que votre déclaration d'impôts soit consultable par tout le monde, comme c'est le cas dans certains pays ?
06 décembre 2010, 14:08   Re : Toujours aux aguets ?
Honnêtement.... Cela ne me dérangerait pas si en échange je pouvais aussi consulter celle du voisin. C'est une question de réciprocité.

Je trouve aussi normal que mon voisin gagne plus que moi s'il travaille plus durement et est plus utile à la société que moi. Il n'y a pas de honte à avoir de ce que l'on fait mais il faut être prêt à en assumer les conséquences. C'est parfois très dur, souvent désagréable mais en fin de compte on dort plus légèrement et on s'améliore petit à petit.

Rien n'est plus éprouvant à la longue que la méfiance, les non-dits, les demi-vérités, la suspicion, elles vous empoisonnent la vie.

Le pendant est qu'il faut développer l'empathie, et essayer de s'abstenir de juger constamment.

Mais tout ceci n'est qu'un misérable blabla. Dans le domaine de l'offrande presque sacrificielle à la transparence et à l'honnêteté, Monsieur Renaud Camus est peut-être le seul d'entre nous à l'avoir adoptée comme mode de vie, et donc à pouvoir en parler de manière constructive et instructive.
06 décembre 2010, 14:50   Re : Toujours aux aguets ?
Bien, continuons...

Seriez-vous d'accord pour que tout un chacun puisse compulser votre dossier médical, sous réserve de réciprocité ?
06 décembre 2010, 15:01   Si tous les gars du monde...
"Le pendant est qu'il faut développer l'empathie, et essayer de s'abstenir de juger constamment."

Ce "pendant" confirme à mes yeuxet très précisément le caractère utopique de la "transparence". Certainement, si régnaient l'empathie et l'absence de jugement malveillant, il n'y aurait aucun problème d'aucune sorte.
06 décembre 2010, 15:13   Re : Toujours aux aguets ?
Citation
Jean-Marc
Bien, continuons...

Seriez-vous d'accord pour que tout un chacun puisse compulser votre dossier médical, sous réserve de réciprocité ?

Faisons court Monsieur Jean Marc, je n'ai plus rien à cacher, le secret ayant fait partie de ma tendre enfance avec ses effets destructeurs. J'ai mis des années à m'en remettre, et de ce fait aucune vérité ne me semble aussi odieuse que ce que la soumission au secret, peut entraîner comme honte et douleurs réelles ou potentielles.
06 décembre 2010, 15:25   Re : Toujours aux aguets ?
Hé bien, d'un monde où chacun pourrait à sa guise tout savoir du voisin, je n'en veux pas, et je ne suis pas le seul. Mon compte en banque, ma déclaration d'impôts, mon dossier médical ne regardent que moi.

Une fois que ma porte est fermée, je suis maître en mon logis et, tant que je n'enfreins pas la loi, il est hors de question que quiconque vienne se mêler de mes affaires.
06 décembre 2010, 15:28   Re : Toujours aux aguets ?
Comptez-vous, finalement, rayer des dictionnaires cette phrase très française : "cela ne vous regarde pas !", car cette cryptophobie, cette hyalinophilie ont comme conséquence que tout regarde tout le monde et que tout le monde regarde tout ?
06 décembre 2010, 16:00   Re : Toujours aux aguets ?
Monsieur Jean Marc, au "cela ne vous regarde pas" je vous oppose "cela ne m'intéresse pas", mais ce qui m'intéresse c'est la signification de "hyalinophilie" que je n'arrive pas à trouver. Pourriez-vous me l'expliquer s'il vous plaît ?

Nous sommes surement d'accord sur le fait que les petits détails sur la vie de Monsieur nos voisins ne nous regardent ni nous intéressent, ce serait des Bits gaspillés pour rien. Par contre les petits travers de nos politiques, qui pourraient être soumis à de petits chantages de la part de tiers aux intérêts contraires aux biens communs, eux sont fondamentalement intéressants. En fait toute influence sur l'action de nos politiques est information fondamentale, car on leur a délégué le pouvoir dont dépend notre vie et celle de nos enfants. Si ils tiennent au secret alors ils n'ont qu'à ne pas entrer en politique, personne ne les y oblige.
06 décembre 2010, 17:21   Re : Toujours aux aguets ?
En premier lieu, "hyalinophilie" est une création personnelle, basée sur hémophilie.

J'ai simplement remplacé le sang par le verre, et pris "hyaline", qui est le nom de la substance transparente qu'on trouve en bien des endroits du corps, et qui nous vient du grec ὕαλος, que je traduirai dans le cas d'espèce par "vitreux".

Étant donné qu'en français moderne les termes -phile et -phobe sont également péjoratifs, je traduirai hyalinophilie par "maladie du désir de la transparence".
06 décembre 2010, 17:24   Re : Toujours aux aguets ?
En second lieu, je vous ferai observer que ce que vous dites des politiciens pourrait sans aucune difficulté être étendu aux dépositaires de l'autorité publique, à savoir les magistrats, les hauts fonctionnaires, les gendarmes et les policiers, qui sont soumis aux influences autant que les élus.

Une fois cela fait, vous pourrez aussi étendre cet amour de la transparence aux professeurs, puisqu'ils disposent d'un moyen d'action sur votre progéniture, et aux médecins, car il serait bien intéressant de savoir si le fait de voir votre corps ne correspond pas à un sombre secret, justement.
06 décembre 2010, 17:27   Re : Toujours aux aguets ?
Dans un dernier temps, je vous parlerai des communes de moins de cent habitants. La loi électorale prévoit que leurs électeurs élisent neuf conseillers municipaux, qui sont donc autant de potentats en puissance, et qui sont donc soumis à votre appétit de savoir et à votre soif de transparence.

Je vous souhaite bien des efforts et bien du plaisir pour trouver, dans un village de cent habitants, une dizaine de personnes qui s'offriront à votre inquisition.

Savez-vous combien il y a d'élus municipaux en France ? presque 500 000 !
06 décembre 2010, 19:54   Re : Toujours aux aguets ?
Jean-Marc, vous m'ouvrez des horizons ! Phile, suffixe péjoratif ? Mais alors, inventons l' islamophilie !
Non, en vérité, phile me semble neutre, contrairement à phobe (songez aux cinéphiles, aux sinophiles, aux bibliophiles, songez aux colombophiles, aux copocléphiles, et à tous ces gentils dingues qui viennent contrebalancer les pédophiles...)
Je vous suggérerais plutôt pour cet emploi le relativement peu usité lâtre.
06 décembre 2010, 20:02   Re : Toujours aux aguets ?
Vous avez les drosophiles, et plus généralement les perversions sexuelles qui se terminent en -phile (si j'ose ).
06 décembre 2010, 20:18   Re : Toujours aux aguets ?
La drosophilie Jean-Marc ? cet art sublime qui consiste à enc... les mouches et qui nous a été si libéralement reproché dernièrement ?

Quand la drosophilie n'est qu'un des multiples éléments nutritifs de la pensée en même temps qu'indispensable à son décorum... Le pain, le vin, le saucisson et le fromage coulant ne suffisent pas à nourrir son homme, son réseau pensant, encore y faut-il les mouches que l'homme d'action, s'il se veut accompli, ne saurait laisser voleter vierges et en toute impunité autour de son manger.
06 décembre 2010, 20:35   Re : Toujours aux aguets ?
D'autant qu'il me semble que le non-dit est aussi nécessaire au dit que la "résistance du matériau" l'est à la forme.
06 décembre 2010, 20:42   Re : Toujours aux aguets ?
Oui, je préfère, en matière de photographie, les merveilleuses couleurs du crépuscule à la lumière éclatante de midi.
06 décembre 2010, 21:20   Re : Toujours aux aguets ?
Citation
Alain Eytan
D'autant qu'il me semble que le non-dit est aussi nécessaire au dit que la "résistance du matériau" l'est à la forme.

Ah oui, ça, j'achète.
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