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Requête en transfrontaliarité

Envoyé par Francis Marche 
10 décembre 2010, 21:54   Requête en transfrontaliarité
Je soumets à tous les liseurs de ce forum ce casse-tête lexical que je ne parviens pas à résoudre seul. En matière de conservation de la nature, et d'aménagement de sanctuaires, conservatoires et autres parcs naturels, un nouveau concept politique tend à s'imposer sur la scène internationale, promu par un certain nombres d'organisations, dont l'UICN, le WWF, l'OIBT, etc., celui de conservation transfrontière, que souvent, ils n'hésitent pas à écrire avec l'"s" du pluriel (conservation transfrontières) sur le modèle de "comité inter-institutions", commun en parlance onusienne. Une aire de conservation transfrontière se présente sous forme de parc naturel ou d'espace protégé situé de part et d'autre d'une frontière parfois disputée (Equateur-Pérou; Malaisie-Indonésie à Bornéo, etc.) et dont la gestion est confiée aux deux pays qui oeuvrent ainsi ensemble au bien commun.

Je n'aime pas du tout ce "transfrontière" qui évacue sans en donner les raisons l'ordinaire "transfrontalier". Mais je me dis que peut-être, transfrontière se justifie-t-il par le caractère statique de l'objet (un parc, un espace naturel) cependant que "transfrontalier" vaudrait pour les trafics, les passages, les activités.

Pourtant, je ne me résous pas à écrire "conservation transfrontière de la biodiversité"; j'écris "aire de conservation transfrontalière" plutôt que, comme il est courant dans le système onusien et ses satellites, "aire de conservation transfrontière". Je sollicite le savant aréopage (ennemi des langues d'aéroport) de me venir en aide par son érudition et son bon sens, et d'avance lui en sais gré.

P.S. : J'ajoute que "leur" transfrontière leur sert à traduire l'anglais transboundary. (A transboundary conservation area devient ainsi dans les traductions officielles "une aire de conservation transfrontière".
Radical (mais trop équivoque) :

"Conservation sans frontières de la biodiversité."

(C'est bien difficile !)
Merci Orimont. A vrai dire "sans frontières" signifie mondial ou "dé-frontaliarisé"; tandis que dans le cas qui nous occupe, il s'agit à vrai dire de parcs binationaux. Mais je ne peux pas non plus retenir ce terme "binational" car dans certains cas (Laos-Thaïlande-Birmanie et leur "Triangle d'émeraude") ou encore Cameroun-Gabon-Congo, les pays concernés sont trois! Parc multinational ne transcrirait pas non plus le caractère localisé, territorial et orographique de l'objet. Par exemple, une terre d'Antarctique peut être dite "multinationale" si elle est administrée par plusieurs pays, ou tel site du Pacifique (ce fut le cas des Nouvelles-Hébrides, aujourd'hui Vanuatu, par la France et l'Angleterre), sans que les pays impliqués y aient des frontières communes.
10 décembre 2010, 22:36   Transfinien, transfinité
Transfrontalier me semble parfaitement légitime en cette occurrence, et je ne vois pas qu'il faille doter l'aire sémantique de cet adjectif de la limitation de sens que vous lui prêtez (par complaisance envers l'adversaire, je crois)
Conservation pluriterritoriale ? J'aimerais pouvoir vous être utile, cher Francis.
10 décembre 2010, 23:05   L'imposture lexicale
Merci Monsieur Camus. C'est à dire vrai ce coup de fouet (et de balai) que j'espérais.

Au passage, je tiens à montrer ici un bel exemple du travail de destruction de la langue française opéré par les milliers de "traducteurs" qu'emploie la Commission européenne, à coup de centaines de millions d'euros pour les contribuables de l'UE. En France, existe le terme courant de filière (bois, bovine, textile, etc.) qui est très explicite pour désigner une industrie reposant sur un produit de base (a commodity) et sa valorisation par des transformations industrielles successives. L'anglais est un rien gêné pour le transcrire, mais généralement s'en sort plus ou moins en retenant le terme de chain. Ainsi the value chain permet d'exprimer une filière de valorisation.

Mais nos traducteurs institutionnels de l'UE, ne vont pas s'embarrasser de ces considérations n'est-ce pas. Pour eux, le français doit s'aligner sur l'anglais, doit cesser d'exister en propre, et cela donne ceci (cette page vient de me surgir sous les yeux au détour d'une recherche webmatique):

"Filière de produits" a disparu, remplacé par "chaînes de produits", désagréablement technocratique et opaque, bref, typique du massacre des langues et de l'intelligence commune que nous devons à ces imposteurs de Bruxelles - Ce babel/babil de l'UE témoigne d'une fin future aussi navrante que la tour du même nom. L'UE n'a aucun avenir, cela se voit, se sent, dans ce langage qui n'en est pas un par le seul fait qu'il est étranger à tous
Je trouve également "transfrontalier" parfaitement convenable, et la sorte de substantif adjectivé bâtard que constitue "transfrontière" en l'occurrence n'ajoute à mon avis rien au caractère statique des aires en question, mais risque sûrement de les enlaidir.
On peut aussi éviter purement et simplement les frontières en écrivant "aires de conservation transnationales", mais je suppose que la précision de la traduction en pâtira...
Oui merci beaucoup cher Eric. C'est une excellente idée. Malheureusement la notion française de "territoire" s'applique (comme dans "collectivités territoriales") à des espaces et des entités administratives infra-nationaux, comme du reste le terme "région", (alors que le plus souvent, en anglais, region désigne une "région du monde", un ensemble géographique de pays, de même que sub-region. Africa is a region and the Congo basin is a sub-region).

Ainsi, en français, la conservation pluriterritoriale vaudrait pour un programme qui unirait l'Auvergne et le Languedoc-Roussillon.

Mais je crois que Renaud Camus a bien enfoncé le clou de cette question. Je vais adopter transfrontalier une bonne fois pour toutes et mettre un terme à mes tergiversations. Je dirai: transfrontière n'existe pas, n'a jamais existé, droit dans mes bottes. Tant pis pour ma carrière, et si je dois un jour me recycler comme garçon de courses, ou factotum au supermarché de mon quartier, ou ouvrier paysagiste au SMIC. Je l'aurai bien cherché.
Même comme garçon de course vous seriez capitaine au long cours. Bonsoir à vous, cher ami.
Francis, je viens de faire quelques recherches à partir d'une troisième langue, l'espagnol (puisque le cas du Pérou et de l'Équateur était évoqué).

Le mot que nos amis hispaniques utilisent est assez généralement "transnacional" plus que "transfronterizo" ("transfrontero" n'existe pas en espagnol), qui permet des variations du style "binacional". Le mot "transnational" présente aussi l'avantage de traiter le cas de quelque chose qui franchit plusieurs frontières successivement (par exemple de France en Suisse puis en Autriche) et peut se décliner suivant le type de "boundary" auquel on se réfère (transcontinental, par exemple).
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