Le Pen photographié par Helmut Newton: une mise en scène journalistique
Rédigé par VIOLAINE DE MONTCLOS le
lundi 7 Septembre 1998
Toute ressemblance entre ce cliché du chef du FN et le portrait d'un sinistre dictateur ne relèverait pas que de la pure coïncidence.
Le 3 avril 1997, le photographe Helmut Newton s'est rendu sur les terres de Jean-Marie Le Pen, avec l'accord enchanté de l'intéressé, pour réaliser un portrait du leader du FN. Le cliché fut publié à l'époque par le magazine américain The New Yorker. C'est lors du festival Visa du photojournalisme à Perpignan, dont Newton est l'invité vedette, que le public français a découvert cette image troublante: Le Pen, hautain, arrogant, presque brutal, posant avec ses deux dobermans.
Paris Match, dans son édition du 27 août, a reproduit ce cliché sans autre commentaire. Le Monde (31 août), en revanche, a choisi de le publier aux côtés d'un autre portrait: celui de Hitler, signé en 1925 par Henrich Hoffman. Ces photos présentent en effet des similitudes frappantes. Les deux hommes fixent l'objectif avec une même détermination, une même volonté effrayante. Menton en avant, ils affichent une moue dominatrice et impitoyable. Au pied du futur Führer: un berger allemand que Hitler tient par le collier. Cinquante ans plus tard, le chef du Front national reproduit le même geste, signe d'une semblable agressivité contenue.
La ressemblance est trop évidente pour être fortuite. Le génie de Newton, qui n'a pas souhaité confirmer la parenté de ces images, est d'avoir plagié la photo historique en la détournant de sa fonction initiale. Le Führer, pris par Hoffman, se situe au centre de l'image: il s'agit bien d'un portrait officiel. Le Pen, dans la même posture, est en revanche cadré de façon à déborder de l'image. Il occupe tout l'espace, paraît à l'étroit, comme prêt à bondir du cadre. Ses dobermans, à l'inverse du chien de Hitler, semblent indisciplinés. La gueule de l'un d'eux arrive à quelques centimètres de celle de son maître. L'effet produit est effrayant: Le Pen, comme par magie, semble sur le point d'aboyer. Et c'est ce cadrage-là qui fait la différence. Helmut Newton a réussi, en un seul cliché, à immortaliser toute la violence du personnage. Une mise en scène journalistique à laquelle Jean-Marie Le Pen s'est prêté sans barguigner.
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