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Allocution de Renaud Camus, États généraux de l'indépendance, jeudi 6 janvier 2011

Que peut être une pensée libre aujourd'hui ?




Mesdames, Messieurs,

que peut-être une pensée libre aujourd'hui ? C'est la question que m'a soumise notre hôte, Paul-Marie Coûteaux, ou à laquelle il m'a soumis. Et, d'emblée, une ambiguïté. Faut-il comprendre : une pensée libre, une pensée qui déjà serait libre, que pourrait-il advenir d'elle, quel destin lui serait offert ? À la question ainsi entendue j'aurais tendance à répondre : l'absence. Son mode d'être serait de n'être pas là — par quoi je ne veux pas dire, hélas, d'être ailleurs, car le propre de ce que je me suis permis d'appeler en d'autres lieux la dictature de la petite bourgeoisie, mais qu'on peut très bien nommer si l'on préfère le règne de la classe culturelle unique, la grosse classe centrale et monopolistique de convergence culturelle, c'est précisément qu'elle n'a pas d'ailleurs. Mille fois plus habile que ses devancières au pouvoir, elle n'exclut pas, elle intègre. Elle intègre de force, elle ne supporte pas qu'on ne soit pas elle, en elle, semblable à elle : elle ne peut même pas l'imaginer. Si, elle se conçoit bien un ailleurs, mais c'est un ailleurs absolu, un non-lieu, les limbes, un enfer, l'enfer des bibliothèques et des voix dans le désert. C'est pourquoi cette classe unique au pouvoir culturel n'a pas d'opposants, d'adversaires, de contradicteurs avec lesquels il serait possible de discuter : elle n'a que des ennemis mortels, les parias, les maudits, les morts-vivants. Quiconque n'est pas avec elle est un monstre, la bête immonde. Aucun espace n'est prévu, par définition, pour cette tératologie de la pensée. Une pensée libre en ce sens est une pensée sans lieu, une pensée des catacombes, des blancs de la carte, du profond des forêts. L'ennui est que le sol est retourné de toute part, qu'il n'y a même plus de souterrains, que les forêts sont traversées par des autoroutes et sillonnées de chemins de grande randonnée, viabilisées à mort, réduites à l'état de bosquets décoratifs, de ronds-points paysagers, de un pour cent culturel. La carte n'a plus de blancs, la campagne se réduit comme peau de chagrin, même l'exil intérieur devient impossible, le mitage précipite pour le territoire sa vocation de devenir-banlieue. La classe culturelle unique impose l'absence à ceux qui ne veulent pas lui appartenir mais en même temps, cette absence, elle la pourchasse de toute part, elle en réduit toujours plus efficacement l'espace, qu'elle segmente et segmente encore, en se gardant bien de ménager des passages entre les zones ainsi définies : de sorte que les espèces condamnées dépérissent et disparaissent, la biodiversité intellectuelle se réduisant plus vite encore que l'autre.

Condamnée à l'absence, et à une absence chichement mesurée, compartimentée, lotie, banlocalisée, une pensée libre ne pourrait être qu'anatopique, sans lieu, sans relation avec le lieu de l'action, sans appartenance à l'espace public. Mais ce n'est là répondre qu'à la question de son mode d'être, pas de son être. Que pourrait être une pensée libre aujourd'hui ? C'est terrible, je m'aperçois que j'ai naturellement tendance, c'est-à-dire automatiquement, à entendre cette question au conditionnel. Une pensée libre, en effet, ne peut pas être aujourd'hui. Anatopique on l'a vu, mais anatopique par nécessité, une pensée libre est nécessairement aussi anachronique, mais anachronique par essence. Elle n'appartient pas au temps présent. Elle n'appartient pas au présent parce qu'elle appartient au temps. Elle est de la même nature que le temps. Elle n'est pas d'aujourd'hui. Or, anachronique, elle l'est particulièrement aujourd'hui parce qu'aujourd'hui n'a jamais été à ce point l'horizon indépassable de l'homme civilisé. Nous sommes la première civilisation qui construit des maisons pour qu'elles durent dix ans. Nous sommes la première civilisation qui s'émerveille qu'un pont, un pont magnifique, un pont qui fait la fierté du régime, promette, à quelques lieues du pont du Gard, d'être encore parfaitement utilisable dans quarante ans. Nous sommes la première civilisation qui explique le désastre d'un lycée, la violence qui y règne, l'impossibilité de le faire servir à la moindre transmission, par sa vétusté, car il été construit, pensez, il y a trente ou quarante ans : qu'est-ce que vous voulez faire de sérieux dans des bâtiments pareils ? Balthus disait que le XXe siècle était le siècle de la laideur. Je pense qu'il a été bien plus encore, et le XXIe n'a rien à lui envier sur ce point, le siècle de la camelote. Il y a un effet de camelote qui s'étend à tout, et certainement à la pensée, telle en tout cas qu'elle se manifeste dans l'espace public. Celle-là ne supportera pas l'épreuve du temps. Idolâtre du présent elle n'a pas d'avenir mais surtout, plus grave encore peut-être, elle n'a pas de passé. Elle en a une vision purement téléologique : il n'est à ses yeux qu'un lent progrès vers ce qu'elle est, vers cet accomplissement suprême de l'humanité pensante : elle-même. Aux grandes figures du passé, aux grands peuples, aux grandes civilisations, il n'est jamais fait de plus grand compliment que la contemporanéité. Shakespeare notre contemporain. Eschyle notre contemporain. Tocqueville notre contemporain. Mais Tocqueville, Shakespeare, Corneille, Eschyle, la Grèce de Périclès ni celle de Thucydide, si chère à Jacqueline de Romilly qui vient de mourir et que voici libérée du fardeau de la contemporanéité, ne sont pas du tout nos contemporains. Ils sont ailleurs. Ils sont loin. La pensée libre est loin. Elle n'est ni quotidienne, ni journalière, ni journalistique, ni familière ni contemporaine : elle est absente, elle n'est pas là, elle est d'un autre temps, elle pense avec les morts. Et il est assez singulier de constater que les neuf dixièmes de ce qui a été pensé naturellement et surtout culturellement pendant vingt ou trente siècles (mais vingt siècles séparément, pas tous ensemble…) serait aujourd'hui considéré, et l'est effectivement, comme inadmissible, révoltant ou, pour employer un terme dont les autorisés de parole font grand usage, criminel.

Pourquoi croyez-vous que les metteurs en scène ont pris tant de place parmi nous, jusqu'à se substituer aux auteurs, souvent, surtout aux auteurs les plus anciens ? Que ce soit du XVIe siècle ou d'Angleterre, de l'Antiquité ou du Japon, la pensée nous arrive traduite, et doublement traduite, si ce n'est davantage. On le voit bien même avec les auteurs contemporains étrangers qui parlent à la radio dans une langue qu'on se trouve comprendre soi-même. Ils sont en fait traduits deux fois : traduit d'une langue à l'autre, bien sûr, mais en même temps traduits, à l'intérieur de la langue d'arrivée, dans la lingua franca du jour, la langue officielle, la seule admise, la langue de la classe culturelle unique, la grande classe centrale en laquelle se fondent culturellement toutes les autres, sans restes. Cette classe centrale monopolistique est d'ailleurs parfaitement sincère. Elle ne se rend pas compte qu'elle traduit et retraduit, qu'elle traduit tout en elle-même, en sa propre langue. Elle est comme la Françoise de Proust qui parle de jambon de New York et qui est absolument persuadée que sa maîtresse lui a bien recommandée de n'acheter surtout que du jambon de New York ; et qui est de même convaincue, quand elle transmet à ses employeurs les salutations de Mme de Guermantes, que la duchesse lui a dit : « Vous leur donnerez bien le bonjour ». La classe culturelle unique est persuadée qu'Eschyle lui a fait dire, par le truchement du metteur en scène, « Vous leur donnerez bien le bonjour. »

Ce n'est pas par hasard que nous en sommes arrivés tout naturellement ici à la question de la langue. Une pensée libre est une pensée qui connaît sa langue. Le langage n'est pas seulement un instrument de communication. Il est d'abord un instrument de perception. L'œil ne voit pas ce que l'esprit ne sait pas nommer. Le vocabulaire est un des moyens du regard. Il est aussi, et la syntaxe avec lui, un des moyens de la pensée. Moins nous avons de mots, moins nous sommes aptes à concevoir. Moins nous avons à notre disposition de modes et de temps, moins nous sommes aptes à réfléchir. Or nous avons vu mourir l'impératif, remplacé de plus en plus souvent par l'indicatif : « Corinne, tu arrêtes la télé et tu vas de coucher, maintenant ». Nous avons vu s'étioler le subjonctif, dont la plupart des temps n'ont plus d'existence que théorique. Même à l'indicatif, le passé simple est mort et le futur ne va pas beaucoup mieux : « On s'appelle demain », « Je vous retrouve la semaine prochaine » — autre exemple au demeurant de ce présentéisme ambiant et si puissant que nous avons déjà rencontré. Mais la décennie qui s'achève a vu plus grave, non plus seulement l'étrécissement constant du clavier, qui tous les ans perd de nouvelles touches, mais l'effondrement de la structure syntaxique elle-même : « Qu'est-ce qu'il a besoin, l'gamin ? », demandent en chœur MM. les pédagogistes. Et quand j'entends ça, moi, c'que j'ai bien envie c'est de…

Kazimierz Brandys faisait remarquer que ne pas connaître l'histoire ce n'était plus seulement ne pas savoir ce qui s'était passé en tel ou tel siècle mais ignorer qu'il y avait eu des siècles. « Il ne savait pas qu'il y avait eu un XVIIe siècle », dit-il d'un voisin d'hôpital. Ne pas connaître la langue ce n'est pas seulement faire des fautes de syntaxe c'est ignorer qu'il y a une syntaxe, ne pas vouloir le savoir. Or le phénomène ne touche plus seulement ceux qui traditionnellement parlaient mal, il affecte aussi ceux qui traditionnellement parlaient bien : les professeurs justement, les intellectuels, les journalistes, les hommes politiques. J'ai désigné naguère le bizarre syntagme sur comment comme le lieu tellurique où l'effondrement s'est produit dans la première décennie du XXIe siècle. Et de fait il ne se passe littéralement pas un matin sans que nous entendions un professeur d'université ou de grande école, un historien, un critique d'art, un grand intellectuel nous inviter à nous interroger sur comment faire meilleur accueil à l'autre, sur comment améliorer l'école, sur comment protéger la liberté et la démocratie. Sur comment se prête à toutes les variations possibles et n'y manque pas. Rien que cette semaine j'ai entendu :

« Si on veut en tirer une conclusion sur comment va le monde… »

« Quand je regarde un film sur comment les fleurs naissent… »

« Bien sûr on peut s'interroger sur fallait-il dix ans d'instruction pour en arriver là ? »

« Vous posez la question de comment rend-on un foyer plus douillet ? »

« Ce qui veut dire que se pose la question de quel peut-être son rôle politique maintenant. »

En effet. Ces phrases que nous entendons tous les jours, et dans les bouches les plus autorisées, ne sont pas analysables syntaxiquement. Elles ne sont pas fautives, elles sont impossibles à appréhender par la raison grammaticale. Certes elles sont parfaitement compréhensibles, mais la logique est impuissante à décortiquer leur structure. Elles passent sans crier gare du mode affirmatif au mode interrogatif, bien avant leur fin elles ont oublié leur début. Où est le mal, puisqu'on les comprend ? Elles sont un progrès de la liberté, chante le chœur enthousiaste des Amis du désastre.

Nous rencontrons là une structure très répandue dans l'aujourd'hui, l'aujourd'hui de notre titre, et particulièrement inquiétante, affolante, même, je veux dire bien apte à rendre fou : c'est que, en situation de classe culturelle unique, monopolistique, personne ne pouvant ni ne voulant assumer la contrariété, la contradiction, l'antilogie, le contraire est obligé de se loger à l'intérieur même des mots, des mêmes mots, contraints, eux, de signifier tout et son contraire, et spécialement leur propre contraire. Qu'on songe à l'autre, au fameux autre, à l'Autre avec une majuscule, à l'Autre objet de toutes les vénérations — qui oserait dire du mal de l'Autre ? — et qui est devenu l'instrument même du Même, son nom secret, à peine secret. L'Autre est tellement aimé qu'on ne peut plus supporter entre lui et nous la moindre différence, la plus légère discrimination, du nom de cette qualité majeure de l'esprit qui est devenue parmi nous le plus grand des péchés contre l'esprit. Qu'on songe à la diversité, qu'on voit au bord d'être inscrite, aux côtés de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, sur le fronton de nos mairies et d'acquérir valeur constitutionnelle, c'est-à-dire de devenir une obligation, alors que de toute part « le divers décroît », pour citer encore une fois Segalen. Qu'on songe au métissage, autre idole, et qui porte en elle-même sa propre contradiction logique évidente, puisque du mélange systématique du divers ne peut résulter que du même, de l'indifférencié, du village universel, du pareil au Même. Qu'on songe surtout à la liberté, à la liberté d'expression, et à la liberté de pensée, laquelle ne peut exister bien sûr sans la liberté d'expression parce que je ne suis pas libre de penser tout ce que je pourrais penser si je n'ai pas accès à la pensée des autres, qui ne pourrait pas s'exprimer.

Quelqu'un, une femme que je n'ai jamais rencontrée mais avec laquelle j'ai de nombreux échanges et que j'admire beaucoup, faisait remarquer récemment, et très justement à mon sens, le caractère inédit, sans précédent, de la situation actuelle, où les pires ennemis de la liberté d'expression, et donc, on vient de le voir, de la liberté de penser, sont ceux-là mêmes pour lesquels elles ont été inventées et codifiées, le journalisme, la presse, ce que nous appelons les médias — et que nous appelons ainsi bien à tort, d'ailleurs, car voilà un exemple de plus de mot qui dit le contraire de ce qu'il veut dire, ou de ce qu'il ne veut pas dire, puisque les médias, et les médias audiovisuels plus encore que les médias écrits, sont le moyen même, si j'ose dire, l'instrument, le truchement de l'immédiat, de ce qui refuse la médiateté, le détour, la contrainte, la syntaxe, la non-coïncidence avec soi-même, l'épreuve du temps. Dans le combat de géants qui, en France, en tout cas, a duré environ un siècle et demi entre la littérature et le journalisme, entres les lettres et "l'universel reportage" honni par Mallarmé, c'est bien sûr la littérature qui représentait le médiat, la contrainte, le détour, et le journalisme l'immédiat : c'est-à-dire bien sûr la liberté, l'absence de philtre, de recul et d'apprêt, le présent du présent, cette actualité encore trop longue qu'il a fallu réduire en actu — Paul-Marie Coûteaux vous avez je crois, en ce début d'année, une très importante actu.

Il est en effet nouveau, nouveau à l'échelle de l'histoire, car cela dure maintenant depuis une génération au moins, que ce soient les dits médias, si peu médiateurs, médiatifs, médiatisants, les anciens bénéficiaires de cette série de lois sur la liberté de la presse qui a scandé l'histoire de la liberté de pensée, croyait-on, qu'on voit à présent, quatrième pouvoir supposé, réunir entre leurs mains tous les pouvoirs des trois autres et se charger, avec un enthousiasme inquiétant, du maintien de l'ordre idéologique, de l'établissement de la loi intellectuelle et du jugement des suspects. Ajoutons que le pouvoir médiatique s'est arrogé aussi, et presque par excellence, les pouvoirs de police, et cela à tous les stades, ceux des enquêteurs, ceux des réprimeurs ou des appréhendeurs, mais avant cela ceux des indicateurs, des dénonciateurs, des accusateurs publics. À l'exception possible des associations subventionnées et autres ligues de vertu idéologique dont l'ensemble représente un des plus gros employeurs de France, le franc-tireur n'a pas de pire ennemi que le journalisme, qui lui-même ne poursuit personne avec autant de hargne et de vindicte que celui qui se permet de le critiquer lui-même. Le pouvoir du quatrième pouvoir fut d'abord de dire leur fait aux trois premiers : mais pour lui l'histoire s'arrête là, il se voit éternellement en justicier alors qu'il y a longtemps qu'il est juge, en Robin des Bois alors qu'il est shérif de Nottingham depuis des lustres, en agité des barricades de mai alors qu'ils est notaire à Romorantin-Lanthenay, en héros de la résistance alors qu'en bien des cas ce qui survient n'a pas de plus actif, ou passif, collaborateur que lui. Un homme qui critique un journal, une émission de radio ou de télévision, une station, une chaîne, est un homme mort pour cette radio, cette télévision, cette émission, ce quotidien ou cet hebdomadaire : mort parce qu'il n'y sera jamais question de lui, dans le meilleur des cas ; mort parce qu'il y sera assassiné et rassassiné, si le silence ne l'a pas tué. S'il a encore assez de voix pour dénoncer cet état de fait, il sera traité de paranoïaque. Qui s'oppose est fou, en pareil cas, et il faut bien l'être en effet pour s'exposer à pareil traitement. On connaît le succès de la psychiatrie dans l'arsenal répressif de la défunte (paraît-il) Union soviétique. Mais à mieux y réfléchir la version française, démocratique et républicaine, du psychiatrisme soviétique c'est plutôt le pédagogisme. Quant une opinion décidément déplaît, que ce soit au quatrième pouvoir ou au premier, disons au complexe politico-médiatique, ce qu'il faut faire agir sur elle, bien doucement, c'est la pédagogie. Si le peuple vote mal, il n'y a que la pédagogie et toujours plus de pédagogie qui viendra à bout de ses erreurs et de sa mauvaise volonté. Inutile de vous rappeler l'étymologie du mot, et son sens. En Union soviétique l'opposant était un fou, en France il est un enfant mal élevé, insuffisamment instruit et qu'on ne saurait assez rééduquer. Peut-être n'est ce pas un hasard si le pédagogisme, qui avec les fameux I.U.F.M. est à peu près venu à bout de notre système d'éducation, s'occupe en même temps de tordre le cou à la liberté de pensée : c'est exactement le même combat.


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Ce texte est ajouté à la liste des éditoriaux de l'In-nocence.
La vidéo de cette allocution de Renaud Camus sera de même très bientôt proposée par Canal PI et nos canaux de diffusion habituels.
Renaud Camus : une pensée libre et présente.
Que peut être une pensée libre aujourd'hui ? Quand dire, ou se demander, c'est faire. Illustration de la liberté de pensée, cette conférence est un véritable énoncé performatif.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu de texte aussi fort.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Je serais ridicule de tenter d'ajouter un mot de commentaire à ce texte magnifique. Toujours cette impression étrange après lecture des derniers textes de Renaud Camus que tout est dit. Il est bien possible que cet homme ait eu besoin de cette posture et de cette tribune de candidat à la magistrature suprême pour exprimer vraiment ce qu'il portait au fond de lui. De plus il me semble que son expression va crescendo quant à l'aisance et à la force. Jusqu'où ira-t-il ? Et c'est nous qu'on l'a pour président. Quelle chance, mes amis !
Fort texte en effet, mais qui semble s'arrêter au premier mouvement de l'oeuvre symphonique en construction.

Deux mots: l'allocution commence avec une critique du présentisme (aujourd'hui n'a jamais été à ce point l'horizon indépassable de l'homme civilisé... ... Idolâtre du présent elle n'a pas d'avenir mais surtout, plus grave encore peut-être, elle n'a pas de passé. ) et se clôt avec celle du pédagogisme.

Tout être humain a connu une phase de son existence sans passé ni avenir. Cette période de la vie hors du temps se nomme l'enfance: d'un côté trop jeune pour avoir un passé et de l'autre devant bientôt mourir à l'enfance pour devenir un homme ou une femme, l'enfant est comme l'époque: sans passé véritable d'une part et sans avenir comme enfant -- en toute rigueur, l'enfant est un être sans avenir, seul l'adolescent commencera à en avoir un --, l'enfant est ainsi coincé hors du temps, dans le présent permanent, la limbe, l'attente prolongée, sans temps ni durée, de la venue, jamais sûre ni acquise d'avance, en lui de l'homme ou de la femme qui le supprimera comme enfant et mettra fin à ce présent artificiel.

Telle est l'époque de la classe unique: infantile, sans histoire passée ni avenir discernable; dans tout le temps de cette époque de sous-développement et de stase, les maîtres de l'époque apportent aux interrogations et aux maux de l'ignorance et des errements, la pédagogie, comme il faut le faire à l'enfant.

L'époque que nous connaissons est celle d'une néoténie prolongée, d'un développement arrêté, régressif, d'un état sans aucune fin qui puisse être anticipée autre que sa destruction par l'éclosion d'un état successeur autre, apparaissant en rupture radicale de son mode statique et privé d'évolution: l'état adulte.

La langue: le monde de la néoténie arrêté est innommable, ou plus exactement, il est non-nominalisable. L'enfant paraphrase ce qu'il voit ou conjecture, il ne se risque à aucune projection, aucune prise de hauteur sur les processus décrits pour les saisir dans la pâte d'un nom:

« Si on veut en tirer une conclusion sur comment va le monde… » pour "si on veut en tirer une conclusion sur la marche du monde"

« Quand je regarde un film sur comment les fleurs naissent… » pour "quand je regarde un film sur la naissance des fleurs"

« Bien sûr on peut s'interroger sur fallait-il dix ans d'instruction pour en arriver là ? » pour "...s'interroger sur la nécessité de dix années d'instruction pour en arriver là"

« Vous posez la question de comment rend-on un foyer plus douillet ? » pour "vous poser la question de la manière de rendre un foyer plus douillet"

« Ce qui veut dire que se pose la question de quel peut-être son rôle politique maintenant. » pour "...que se pose désormais la question de la nature possible de son rôle politique"

Depuis un bon demi-siècle, les linguistes savent que la force stylistique adulte et créative du français tient pour ainsi dire toute entière dans la capacité qu'offre cette langue de nominaliser les processus, par conséquent de les ramasser et d'ouvrir ainsi le champ du raisonnement à une articulation seconde, qui sera celle d'une pensée autonome, inédite et risquée qui, saisissant ces noms et concepts, s'autorisera à aller au-delà du stade de la description et de la paraphrase des processus en référence pour s'exprimer sur eux. Autrement dit, ce saut décisif de la nominalisation constitue dans cette langue la condition sine que non de l'élaboration de la pensée libre ou autonome du sapere aude de Kant.

La perte de la langue française serait un malheur relativisable, y compris pour ceux qui n'ont qu'elle pour s'exprimer, s'il n'y avait pas ce drame de la perte de toute pensée autonome qu'entraîne ce parler d'enfant, de sous-développé chronique arrêté dans le présent indéfini, paralysé dans le bain tautologique des processus subis.
C'est avec joie que je trouve concentré et mis en relief tout ce que les journaux notaient au jour le jour, esquissant ici et là des analyses et des explications. Cette allocution est d'une concision admirable. En effet, tout est dit.
Ce qu'il ouvre comme tâche, c'est une solide illustration que nous pouvons accomplir, à force de choses vues, entendues, lues.
Le débat, ce soir, sur les jurys dans les tribunaux correctionnels (Du grain à moudre), fit entendre une admirable illustration de ces mots qui ne disent plus ce qu'ils paraissent dire. L'homme qui n'était pas du syndicat de la magistrature (lequel trouva le moyen de dire qu'il n'y avait pas de peuple français - ce qui est embêtant quand on rend la justice en son nom) expliqua ainsi que, en droit "perpétuité" n'était pas perpétuité, "incompressible" était en fait compressible, la "peine plancher" pouvait n'être pas appliquée, etc.
Le citoyen qui lit la presse croit donc naïvement que tel assassin condamné à perpétuité ne sortira plus jamais, d'autant qu'une peine de 25 ans incompressibles a été prononcée contre lui. Il ignore qu'il sortira, bien avant l'accomplissement de la totalité de sa peine. Cela conformément à la loi. Dans cette affaire, les journalistes, ignorants et s'auto-aveuglant, contribuent à travestir la réalité de la peine et donc de la justice.
11 janvier 2011, 20:49   La Néoténie
Il faudrait inventer un système qui permette de ne pas perdre et de bien mettre de côté des contributions décisives comme celle de Francis Marche ci-dessus — la revue, peut-être ?
11 janvier 2011, 21:06   «sur la marche»
Explicitation passionnante de la part de Francis, en effet. Merci, Monsieur Marche.
Mais pourquoi voulez-vous les perdre ?


Je pense que Didier a déjà dû mettre en place un système de sauvegarde !

Francis, les parages du Tonle Sap vous inspirent, vous êtes le Lamartine de la khméritude !
J'avais de toute façon copié ce texte de Francis Marche dans un fichier que je réserve à cet effet.
Ah ah, excellent. Un tel fichier peut nous être très précieux.
Maître, je suis heureux de vous retrouver sur ce forum. Votre discours, et c'est une banalité de le dire, est archi-brillant.
J'en laisse passer, oh là... mais il est frappant, à la lecture des pages précédentes du forum, quand on remonte dans le temps, de voir que demeurent, ignorées de tous, des contributions parfois profondes et éclairantes restées dans l'ombre et qui ne figurent pas dans l'Abécédaire. Il n'y aurait qu'à fouiller là-dedans, on remonterait des trésors pour cent revues.

(Tiens, je viens d'entendre le mot "déculturation" sur Radio Courtoisie... l'idée fait son chemin)
Oui mais, cher Stéphane, l'Abécédaire n'est que le premier fascicule d'une longue série...
L'un de mes enfants à qui je présentait l'œuvre de Tolstoï me rétorqua : «Guerre et Paix, Guerre et Paix... mais c'est un gros livre quand même...»
Un gros livre, ça oui, et pi c'est trop bien écrit...
Merci , cher Président pour cette allocution superbe.


"et se charger, avec un enthousiasme inquiétant, du maintien de l'ordre idéologique, de l'établissement de la loi intellectuelle et du jugement des suspects. Ajoutons que le pouvoir médiatique s'est arrogé aussi, et presque par excellence, les pouvoirs de police, et cela à tous les stades, ceux des enquêteurs, ceux des réprimeurs ou des appréhendeurs, mais avant cela ceux des indicateurs, des dénonciateurs, des accusateurs publics"

Autrement dit la devise de cette presse-là pourrait être " Je suis partout ! " Et en effet, il y a toujours un journaliste pour désigner à la vindicte des "associations" et d'une justice à leurs ordres le moindre propos déviant de leur ligne idéologique.

Merci aussi aussi pour ce rappel au nécessaire au respect de notre langue. Une nation qui ne cultive plus avec amour sa langue perd son âme et son esprit.
Si je puis me permettre : «Guerre et Paix» n'est pas si bien écrit que cela, tout au moins en russe...
Peut-être, mais je faisais allusion (les familiers du Journal l'auront compris) à ce que Renaud Camus avait entendu dire d'un de ses livres dans une librairie...
Au temps pour moi ; je n'avais pas saisi votre allusion.

Je suis pourtant familier du journal que tient Renaud Camus, et ce depuis l'année 1985 et le Journal romain.

Une petite anecdote à ce sujet. A la FNAC où je commandais hier l'opus 2008, indisponible dans le magasin, le vendeur m'a interpellé en ces termes : "Vous êtes sûr ?" (avec une moue dubitative).

Du coup, j'ai acheté le livre via Amazon.
Zêtes sûr ? Y a un Angot très bien, que même je l'ai lu jusqu'à la fin.
Vit-on jamais candidat aux élections présidentielles partir en campagne en commençant par s'aliéner l'ensemble des médias ? Bravo pour cette audace et pour la leçon d'innocence. Quel très exact Correspondant de l'Absentéisme Syntaxique que Renaud Camus !

(D'un autre côté, cette cinglante allocution me rappelle quelque chose de la tournure d'esprit de ceux qui voient dans toute dépense le plus sûr moyen de faire des économies.)
Texte de "haute tenue" - caractérisation que plus personne n'ose exprimer depuis x années, peut-être parce que des pensées de cette "tenue" ont disparu.
On n'insistera jamais assez sur cette propension de la petite-bourgeoisie de l'époque à vouloir, de force, intégrer tout le monde.

Ainsi, l'Université, qui dans la majorité des cas ne pratique aucune sélection, a maintenant pour projet de phagocyter les classes préparatoires, qui sont le dernier bastion sélectif du système scolaire (une survivance, en fait).
L'Université accueille essentiellement les enfants de la petite-bourgeoisie déculturée (les fameux 85% de bacheliers) ; elle exige à présent la dilution des classes préparatoires dans sa médiocrité, sous prétexte que ces dernières sont précisément discriminantes, donc criminelles.
Jack,


Ce n'est pas tout à fait exact : l'université comporte un très important bastion, pour le moment incontesté, qui pratique une sélection très forte. C'est la faculté de médecine.
C'est exact : voilà pourquoi j'ai pris le soin d'écrire dans la majorité des cas.

Pour rester dans le sujet, le phénomène « de double traduction » dont parle Renaud Camus est également vrai pour la littérature enfantine. Le fameux "club des cinq", dans la collection verte, a été ainsi réécrit dans une langue simplifiée, calquée sur le langage courant, ce qui ne permet plus aucun progrès à ses jeunes lecteurs. Le passé simple, semble-t-il, a été passé par pertes et profits... et ce au bénéfice du seul présent de l'indicatif.
"Ce n'est pas tout à fait exact : l'université comporte un très important bastion, pour le moment incontesté, qui pratique une sélection très forte. C'est la faculté de médecine."


Dame ! Il est plus risqué de démolir la médecine que la langue. Mais c'est bien sûr un leurre : à la fin, l'équipe médicale ou chirurgicale qui n'a plus de langue finit par s'emmêler les ordonnances et les bistouris.
Citation

La perte de la langue française serait un malheur relativisable, y compris pour ceux qui n'ont qu'elle pour s'exprimer, s'il n'y avait pas ce drame de la perte de toute pensée autonome qu'entraîne ce parler d'enfant, de sous-développé chronique arrêté dans le présent indéfini, paralysé dans le bain tautologique des processus subis.

Citation

Merci aussi aussi pour ce rappel au nécessaire au respect de notre langue. Une nation qui ne cultive plus avec amour sa langue perd son âme et son esprit.

Sans croire à une quelconque théorie du complot généralisé, n'est-il pas vrai que le développement des sociétés modernes de consommation n'ont que faire de cette culture critique, de cette pensée libre et de la langue qui permet de les exprimer, que l'on acquiert sans doute le mieux par la lecture de bons livres ?. Or, lire ne coûte presque rien pour peu que l'on fréquente les bibliothèques. Il faut donc détourner le consommateur d'activités peu rentables pour l'économie. On lui vendra donc des films, des jeux, des parcs d'attractions, des activités faciles et coûteuses pour le distraire.comme un enfant dans un éternel présent.

Dans cette logique, il serait naturellement contre-productif de proposer un enseignement destiné à transmettre autre chose que le kit de formation du parfait consommateur avide et béat. Foin donc d'humanités, d'apprentissage approfondi de la langue, d'incitation à l'étude des bons auteurs (d'ailleurs comment pourrait-on les lire si la langue que l'on nous enseigne ne permet pas de les comprendre ?). Toutes conditions indispensables au développement d'une pensée libre.


Oui, même s'il n'y a pas de plan concerté, il faut bien admettre que la grande déculturation est une arme puissante pour la perpétuation et le développement de la production frénétique et généralisée de camelote, dénoncée par Renaud Camus, que seuls des imbéciles heureux peuvent se convaincre d'acquérir, puis s'en trouver satisfaits.

C'est dire combien le thème de la culture est lié à celui de l'écologie et combien le programme du PI est ambitieux, puisqu'il s'agit de penser un monde où l'expression d'une pensée libre aura aussi pour effet de remettre en cause la mondialisation d'une production de pacotille destinée à des multitudes s'accroissant sans cesse, pour parvenir à instaurer un système de production de bien de qualité et durables, certes nécessaires à l'existence, .mais dont l'acquisition ne saurait en aucun cas être considérée comme pouvant constituer une fin en soi, mais le simple moyen pour s'adonner à des plaisirs plus raffinés, comme les plaisirs de l'esprit.
L'immense majorité de nos concitoyens, à la fois produits et victimes de la grande déculturation, ne sont hélas pas en mesure de saisir la portée un tel discours. Trop intelligent. Trop fin. Trop bien pensé. Trop bien écrit. Ils n'écouteront pas, mais diront : « il s'écoute parler, celui-là ».

Quant à la minorité capable de le faire, elle n'y verra qu'insolence et mépris ; s'indignera que son auteur puisse avoir l'outrecuidance de ne pas aimer le monde tel qu'il va ; et affirmera que les réponses à tous nos problèmes viendront de solutions nouvelles, dans un monde enfin réconcilié où tous les hommes se tiendront par la main, en opposition totale au repli sur soi vermoulu.

J'ai 30 ans et ce monde me désespère.
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Cher Jack, je peux comprendre ce mouvement d'humeur, il guette chacun de temps en temps quand il est emporté par le tourbillon mais c'est un mouvement d'humeur. Vous avez trente ans et j'aimerais vous dire que plus j'avance en âge, plus se rapproche le terme de mon existence et plus j'espère. Je crois que je perçois mieux le réel que je ne le faisais à trente ans. La perception du réel et sa contemplation ne sont jamais désespérante. La réponse de Didier est pleine d'enseignement mais j'aurais aimé que vous puissiez entendre une autre voix qui, très malheureusement, semble avoir déserté ce forum, celle de Bernard Lombart. Qu'il soit remercié de nous avoir secoués de temps à autre sur ce thème.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Pour écouter l'émission d'aujourd'hui des Nouveaux chemins de la connaissance : [www.franceculture.com]
Chers Didier Bourjon et Eric Veron, merci pour vos messages. Vous avez entièrement raison. Le simple fait que des écrivains (ou journalistes) comme Renaud Camus, Alain Finkielkraut, Eric Zemmour, Yvan Rioufol, Ph. Muray et autres aient été entendus et continuent de l'être est, en soi, une immense consolation.

Je contribue moi aussi, modestement, à "réveiller" mon entourage. A la faveur d'une discussions, d'un commentaire sur un blog ou un forum, je me rends bien compte que le message de l'in-nocence est assez souvent compris et même très approuvé. Les gens finissent par dire que c'est qu'ils sentaient, mais qu'ils n'osaient pas le penser, encore moins l'affirmer. Dans bien des cas, hélas, leur immense déculturation leur interdit purement et simplement l'accès aux termes du débat, même dans sa forme la plus simple. Mais enfin, un certain chemin a été parcouru depuis les débuts de SOS racisme et autres ; il faut donc espérer que le chantage perpétuel au racisme continuera de perdre en crédibilité.

Le camp d'en face ne lâchera rien, à nous d'être forts.
Citation
Jack
Pour rester dans le sujet, le phénomène « de double traduction » dont parle Renaud Camus est également vrai pour la littérature enfantine. Le fameux "club des cinq", dans la collection verte, a été ainsi réécrit dans une langue simplifiée, calquée sur le langage courant, ce qui ne permet plus aucun progrès à ses jeunes lecteurs. Le passé simple, semble-t-il, a été passé par pertes et profits... et ce au bénéfice du seul présent de l'indicatif.


On apprend que dans une prochaine édition américaine des «Aventures de Tom Sawyer» et des «Aventures d'Huckleberry Finn» (NewSouthBooks ed.), les mots nigger et injun sont remplacés par slave et Indian.
Pierre Assouline ( Blog La République des Lettres, du quotidien le Monde) s'en émeut et interroge Bernard Hoepffner, qui a retraduit récemment les «Aventures de Tom Sawyer» :

RDL : Avez-vous été surpris par cette initiative ?
B. H. Je m’attendais un peu à ce genre de choses, depuis que j’ai appris il y a quelques années que les éditeurs de livres pour enfants en Angleterre demandaient à leurs auteurs d’éviter le mot “pig” pour ne pas offenser les musulmans. Je pense que les lecteurs (ou peut-être davantage, les éditeurs) ont du mal à se transporter ailleurs ou dans une autre époque [ ...]
RDL : Mais Mark Twain a de plus en plus souvent maille à partir avec le politiquement correct, non ?
B.H. : Malgré toute l’évidence du contraire, nombre de personnes l’accusent de racisme envers les Noirs (on l’a récemment critiqué parce qu’il fumait le cigare et que ce n’était pas bien pour sa famille). De même j’ai récemment eu un problème à propos d’un article qu’il avait écrit “Concernant les Juifs”. Comme si tout devait être jugé à l’aune des critères d’aujourd’hui ou d’un pays spécifique (on demande aux traducteurs de livres d’enfants scandinaves de faire passer le dîner de 18 heures à 20 heures, les enfants français ne comprendraient pas). [ ... ] J’ai bien peur que nous vivions à une époque où tout doit être “sanitized”, Sartre sans la cigarette, Staline sans Trotsky, «La Ferme des animaux» sans cochons - on devrait aussi enlever les références bibliques de la littérature anglaise. Mais bientôt, grâce à l’informatique généralisée, on pourra, d’un seul coup, enlever les mot “nigger”, “tantouse”, “Polack”, “Youpins”, etc. de tous les textes existants, et de même avec tout ce qui gêne. Quand tous les livres ne diront plus que “La marquise est sortie à cinq heures” (et encore, “marquise” est fort connoté aujourd’hui), nous vivrons enfin dans un paradis stérile et sans intérêt.
13 janvier 2011, 16:02   Paradis stérile
Kazimierz Brandys faisait remarquer que ne pas connaître l'histoire ce n'était plus seulement ne pas savoir ce qui s'était passé en tel ou tel siècle mais ignorer qu'il y avait eu des siècles.

Dans l'entretien d'Assouline cité par M. Marcus : "on l’a récemment critiqué [Mark Twain] parce qu’il fumait le cigare et que ce n’était pas bien pour sa famille".Je ne sais pas de quelle critique il s'agit, mais voilà le genre d'articles dont feu Philippe Muray eût sans doute fait ses choux gras...
"Moins nous avons à notre disposition de modes et de temps, moins nous sommes aptes à réfléchir."

Et plus on enseigne ça (extrait de cours de français de seconde, sur les temps) :

"On appelle valeur des temps la signification d'un temps utilisé dans une phrase. Il y a trois valeurs : la valeur temporelle, la valeur modale et la valeur aspectuelle.

Signification temporelle : placer l'action sur la flèche du temps.
Valeur modale : mode de l'action (réel, virtuel, hypothétique)
Valeur aspectuelle : aspect de l'action, accomplie ou non accomplie. Duratif. Itératif (qui se répète)"

Dans ces conditions, bien sûr, distinguer le présent du passé composé, le futur du subjonctif, le passé simple du plus-que-parfait, ça vous a un air un peu cheap...
...sans oublier le schéma actantiel, la focalisation interne et tout le bastringue, pour les commentaires de texte.
Il faut dire qu'il n'y a pas d'héritiers du schéma actantiel, du champ lexical, du narrateur autodiégètique, des procès inchoatifs et de la fonction perlocutoire du language. Pourtant, affirment les inspecteurs qui ont interdit les cours de grammaire à l'école, ces notions sont d'une importance absolument fondamentale pour un élève de troisième ou de seconde ne maîtrisant pas l'accord du participe passé, incapable d'analyser une phrase simple, et qui ne sait pas ce qu'est une préposition. Et tant d'autres choses élémentaires.
Un peu hors sujet, comme d'habitude, mais ne serait-il pas le temps de planter un drapeau français derrière Renaud Camus lors de ses discours et de ses allocutions en public?

Un aspirant à la présidence du calibre de Renaud Camus ne devrait-il pas toujours être flanqué d'un drapeau lorsqu'il s'adresse à ses concitoyens?

C'est une question de stature.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Excellente nouvelle!

Je pense qu'il serait également souhaitable de voir un drapeau en arrière-scène des prochains Entretiens de Plieux.
Citation
Louis Chambon
Au temps pour moi ; je n'avais pas saisi votre allusion.

Je suis pourtant familier du journal que tient Renaud Camus, et ce depuis l'année 1985 et le Journal romain.

Une petite anecdote à ce sujet. A la FNAC où je commandais hier l'opus 2008, indisponible dans le magasin, le vendeur m'a interpellé en ces termes : "Vous êtes sûr ?" (avec une moue dubitative).

Du coup, j'ai acheté le livre via Amazon.

Comme c'est amusant. J'ai eu la même mésaventure. J'ai pensé que la marche bénéfiaire ne leur suffisait pas, en fait il semble bien que la FNAC (très imbibée de la mentalité du Régime) boycotte Renaud Camus. Idem, passé par Amazon !!!
Je confirme un boycott (dont je ne pourrais mesurer la spontanéité locale) de la FNAC : la moue, puis «non, nous on fait pas ça ou sur commande alors» et devant mon insistance réprobatrice  «vous savez, moi je lis pas ça».
Il y a plusieurs années que je suis passé de la FNAC à Amazon. Les petits libraires à la fois ignorants, suffisants et bien-pensants qu'on y trouve me dégoûtent. Encore un pas qui éloigne de la foule des contemporains.
Pour nuancer un peu le tableau : à la FNAC de la rue de Rennes, alors que, le mois dernier, je recherchais l'Abécédaire qui avait mis du temps à sortir, je m'étais adressé à un libraire qui m'avait dit avec un grand sourire : "Renaud Camus ? Je crois qu'il veut se présenter à la présidentielle, non ? Revenez dans quelques jours, il sera sur le présentoir derrière vous "... Cet homme très serviable était peut-être une exception.
Comment cela, Stéphane, Renaud Camus sur un présentoir ? je pense que ce monsieur a voulu dire sur un piédestal...
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Citation
Francis Marche
Depuis un bon demi-siècle, les linguistes savent que la force stylistique adulte et créative du français tient pour ainsi dire toute entière dans la capacité qu'offre cette langue de nominaliser les processus, par conséquent de les ramasser et d'ouvrir ainsi le champ du raisonnement à une articulation seconde, qui sera celle d'une pensée autonome, inédite et risquée qui, saisissant ces noms et concepts, s'autorisera à aller au-delà du stade de la description et de la paraphrase des processus en référence pour s'exprimer sur eux. Autrement dit, ce saut décisif de la nominalisation constitue dans cette langue la condition sine que non de l'élaboration de la pensée libre ou autonome du sapere aude de Kant.

Pourriez-vous, s'il vous plaît, indiquer une ou deux références ? Je n'ai que très peu de lumières en ce domaine, et aimerais approfondir cette idée fort intéressante.


Citation
Renaud Camus
On connaît le succès de la psychiatrie dans l'arsenal répressif de la défunte (paraît-il) Union soviétique. Mais à mieux y réfléchir la version française, démocratique et républicaine, du psychiatrisme soviétique c'est plutôt le pédagogisme. Quant une opinion décidément déplaît, que ce soit au quatrième pouvoir ou au premier, disons au complexe politico-médiatique, ce qu'il faut faire agir sur elle, bien doucement, c'est la pédagogie. Si le peuple vote mal, il n'y a que la pédagogie et toujours plus de pédagogie qui viendra à bout de ses erreurs et de sa mauvaise volonté. Inutile de vous rappeler l'étymologie du mot, et son sens. En Union soviétique l'opposant était un fou, en France il est un enfant mal élevé, insuffisamment instruit et qu'on ne saurait assez rééduquer. Peut-être n'est ce pas un hasard si le pédagogisme, qui avec les fameux I.U.F.M. est à peu près venu à bout de notre système d'éducation, s'occupe en même temps de tordre le cou à la liberté de pensée : c'est exactement le même combat.

Merci pour ce texte magnifique. Je soumets une petite objection à propos des dernières lignes :

La pédagogie des IUFM consiste essentiellement à interdire qu'on conduise ou dirige l'enfant — c'est un exemple de ces mots "contraints, eux, de signifier tout et son contraire, et spécialement leur propre contraire". Cependant, quand le régime fait la pédagogie de ses réformes, il nous considère effectivement comme des enfants qu'il faut amener, de gré ou de force, jusqu'au Bien, et le mot est à prendre en son sens propre.
Cette opposition est toutefois à nuancer, car ce qui reste comme unique ressource quand la "pédagogie scolaire" refuse d'instruire les enfants, c'est bien le dressage, que la "pédagogie politique" effectue. Dans un cas, il s'agit d'empêcher les conditions de possibilité de formation de l'in-nocence chez les enfants ; dans l'autre, de détruire ce qui peut en rester chez d'archaïques adultes (qui voudraient encore l'être au sens propre).
Je pensais aux travaux de Dubois et Dubois-Charlier à la suite de ceux de Chomsky à la fin des années 60 du siècle dernier, dont on trouvera un écho actuel, par exemple, I C I et aux résultats connexes d'une certaine grammaire générative qui finit, sans l'avoir cherché, par découvrir le pot-aux-roses. Je pense aussi à une certaine préface au Dictionnaire français-allemand des techniques et sciences appliquées (et oui!) de Richard Ernst dans laquelle l'auteur de ladite préface, très inspiré, et qui se trouvait être un linguiste polonais, exposait ce que je vous dit sur la langue française, et que je crois vrai. Je n'ai pas cet ouvrage sous la main et je n'ai pas retenu le nom de ce linguiste de génie. Désolé. Mais c'est une idée qui traîne encore, ça et là, chez certains auteurs de référence, dont par exemple, ceux, canadiens, qui produisirent la Stylistique comparée du français et de l'anglais il y a bien un demi-siècle à présent. On la trouve chez Etiemble aussi, me semble-t-il.

Me livrant à une petite recherche en ligne je découvre que le Fonds Gustave Guillaume a été mis en ligne. Guillaume était un grand linguiste français, précurseur de tout ce que je vous ai mentionné au paragraphe ci-dessus.

Voici un extrait de l'une de ses conférences (donnée en Sorbonne le 20 mai 1943) qui vous intéressera (les italiques sont de moi) -- où l'on relève en substance que la complexité, c'est la fabrique du nom :

Dans l'étude des conjonctifs, pronoms ou conjonctions proprement dites, le pronom conjonctif est l'agent d'une nominalisation de la phrase résultant de la saisie intérieure d'un des rapports qu'elle exprime et la conjonction, l'agent d'une nominalisation de la phrase résultant d'une saisie extérieure qui l'embrasse in extenso du dehors, dans son entier, sans faire état des rapports qui s'y trouvent intérieurement exprimés.

Une grammaire descriptive du français, au chapitre des conjonctifs, aurait à exposer successivement et séparément, tout en faisant ressortir l'unité essentielle du procédé :

a) la nominalisation de la phrase par saisie intérieure. Par exemple : J'ai acheté un livre, qui est une phrase, et le livre que j'ai acheté, qui constitue, avec la matière d'une phrase, un nom ;

b) la nominalisation par saisie extérieure : que j'ai acheté un livre. Cette nominalisation par saisie extérieure a pour effet de faire de la phrase, prise du dehors, un nom complexe apte à entrer à la manière d'un nom dans une phrase plus étendue : Vous savez que j'ai acheté un livre. Au résumé, dans les deux cas, la visée systématique est la même : ramener la phrase au-dessous de son niveau propre, au niveau du nom, de manière qu'elle puisse, ainsi nominalisée, entrer comme un composant nominal dans une phrase plus étendue où elle apparaît l'équivalent fonctionnel d'un mot, dont l'espèce serait le nom.

Les explications que je viens de présenter éclairent vivement tout le problème de la subordination et plus généralement de la formation de la phrase complexe. La phrase est simple aussi longtemps qu'elle ne contient pas une autre phrase réduite en elle à l'état fonctionnel de nom. La phrase est complexe qui contient une autre phrase réduite en elle à l'état fonctionnel de nom, c'est-à-dire transférée par un conjonctif de son plan de phrase propre dans le plan du nom.

Hyperlien vers la base de données Gustave Guillaume
Merci beaucoup, cher Francis Marche, pour ces indications.
Après un premier coup d'œil bien trop rapide, je vais sans doute dire une grosse bêtise, mais tant pis : le "sur comment" n'est-il pas (de façon bien sûr particulièrement fruste) une façon de nominaliser ? Car j'ai cru comprendre que la nominalisation pouvait fort bien se passer des noms. La spécificité de la langue du désastre consisterait alors à privilégier toujours les verbes par rapport aux noms (l'événement par rapport à la substance, le devenir par rapport à l'être, etc...).
» l'enfant est ainsi coincé hors du temps, dans le présent permanent, la limbe, l'attente prolongée, sans temps ni durée, de la venue, jamais sûre ni acquise d'avance, en lui de l'homme ou de la femme qui le supprimera comme enfant et mettra fin à ce présent artificiel.

L'on pourrait dire que l'artifice est plutôt du côté de la construction projetée du temps en un parcours linéaire abstraitement, c'est à dire fictivement, élaboré, au regard de quoi chacun des instants le composant est précisément pétrifié comme un point sur un segment. Le "présent permanent" est la durée, ou le devenir, puisqu'il ne cesse, du seul point de vue qui est le sien, de se mouvoir, faisant corps avec le mouvement des choses.
Ainsi la langue, la distanciation, la médiateté et la civilisation, qui permettent la construction d'un récit, sont sur la berge, en un point fixe d'où est embrassé d'un seul tenant réifiant, parce que figurable, le cours du fleuve ; mais ce qui s'écoule véritablement, originellement, est dans l'eau.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Un peu, en effet, cher Didier...

Et puis, l''origine", ce sont bien d'infimes êtres follets battus par des courants marins, fluviaux, où rien ne peut coller... Le peuplement d'une terre ferme, c'est après...
«Or nous avons vu mourir l'impératif, remplacé de plus en plus souvent par l'indicatif : « Corinne, tu arrêtes la télé et tu vas de coucher, maintenant ».»

Pas moyen de remettre la main sur l'enregistrement sur Radio Courtoisie où ceci était un peu plus développé.

Pour ma part, j'ajouterai le stade suivant:

«Je veux un chèque cadeau. Je m'inscris.» (site internet)
«Je nettoie et vérifie régulièrement les balais d'essuie-glaces.» (code de la route)

qui consiste littéralement à s'inviter dans la tête, et dans la bouche, de la victime dont on prend le contrôle.

«Corinne, j'arrête la télé et je vais me coucher, maintenant.»
Emmanuel,

Je suis très surpris que le Code de la route comporte une phrase de ce genre.
Ce que je nomme code de la route, c'est le livret d'apprentissage de l'ENPC, entièrement rédigé comme ceci
Le point ultime de la nominalisation, ce point d'aboutissement ou de cristallisation où la proposition se replie en un être forgé et disponible à l'intégration à un discours articulé supérieur, est celui de la substantivation, bien sûr.

Ce documentaire sur la naissance des fleurs m'a fourni une interprétation possible des modes d'éclosion de la civilisation.

Voilà un langage qui, grâce à la nominalisation française, a quitté la néoténie, offre à la pensée et à la disputatio une articulation seconde, un objet, qui requiert l'attention des couches neuronales supérieures, ne serait-ce que pour constater que sa substance est sans valeur aucune. Si cette proposition est sans valeur, on le voit tout de suite par son mérite d'être claire et immédiatement préhensible au moyen de la pensée.

Le documentaire que j'ai vu sur comment les fleurs naissent m'a fait m'interroger sur comment il est possible que la civilisation éclose est inarticulable mais surtout impensable en ce sens que cette proposition, le temps de son déroulement dans la phrase, perd son statut d'objectivation et en devient non intégrable à un quelconque échange de pensée dans la langue que nous habitons. On ne peut y répondre autrement qu'en fermant le discours par un "ce que vous dites est nul" ou "ce que vous dites est très intéressant" car les outils d'une modalisation de la disputatio en sont absents. Rien, en elle, ne peut être repris par l'interlocuteur dans son propre discours; il ne saurait y saisir aucun objet, aucun substantif-objet à renvoyer à son auteur avec un quelconque effet de sens. Tout ce que cette proposition sous-développée appelle est un "c'est pas con ce que vous dites là" où "ce que vous dites" signale l'innommable, le non-nominalisé, le sous-articulé.

Il y a quelques mois, nous avions eu un bref échange ici avec Renaud Camus relatif à "sur comment". Je lui disais, preuves à l'appui, que l'anglais de meilleure tenue pratiquait sans encombre le "on how", que les babilleurs internationaux ont dû importer en français dans une capsule translittérale pour le faire se continuer chez nous en "sur comment". C'est que le génie de la langue anglaise est tout autre. Je n'ai pas le temps de m'étendre sur le sujet, mais retenez que c'est ainsi. Une des raisons qui justifient le maintien de la langue française est qu'elle continue dans ses formes intègres, sinon nobles, de sous-tendre et d'aider à l'ascension de la pensée.
Bien sûr : une part très importante du naufrage de la langue française est due à l'importation littérale, par de paresseux et ignorants traducteurs, d'expressions et de formes syntaxiques anglo-américaines qui sont ensuite reprises à la chaîne par de tout aussi paresseux et ignorants journalistes.
Francis,

Avons-nous des données sur l'évolution des constructions anglaises ?

Il me semble, pour lire assez souvent la presse américaine, que cette langue évolue très vite, et a, en fait, toujours évolué très vite. Il y a une sorte de génie pour créer des expressions nouvelles (et souvent percutantes) quand une nouvelle réalité apparaît.

Est-ce une simple opinion de ma part ou est-ce attesté ?
Cher ami Jean-Marc, cette question est si vaste et si complexe que si je tentais d'y répondre en quelques lignes je serais sûr et certain de ne dire que des bêtises. Ce sur quoi les experts semblent s'accorder aujourd'hui: il n'y a plus d'unité de la langue anglaise dans ses pratiques et ses usages. On parle l'anglais de son milieu, de sa classe, de son monde (monde indien, monde nord-américain, etc..) il y a donc des langues anglaises -- je me souviens par exemple d'un Anglais de Londres, vraisemblablement formé dans une des meilleures universités du Royaume, qui nous confiait, il y a déjà presque trente ans, que lorsqu'il se rendait à Manchester, dans certains quartiers, il lui faudrait presque un interprète ! tant l'accent, les tournures, l'argot, le parler, le patois lui étaient étrangers. Et en parallèle à ce phénomène, s'ajoute une folle évolution, un maëlstrom où meurent d'archaïsme des centaines de termes par an -- ce que l'on appelait dans les années 20 du siècle dernier l'anglo-indien a fondu, est illisible aux jeunes générations et Kipling doit être lu avec un glossaire, comme Shakespeare, même chose pour Conrad, aujourd'hui édité avec un appareil de notes lexicographiques qui a de quoi choquer un amoureux de la langue conradienne, laquelle pourtant passait dans le public, bien le grand public, d'il y a un siècle. Et puis comme si tout ça n'était pas assez compliqué, cette perte compensée par une création permanente (voir par exemple le Urban Dictionary qui est un dictionnaire de la langue dite "urbaine" ouvert aux contributions en ligne) n'entame à peu près pas un tronc commun éduqué, instruit qui, dans tout le monde anglophone, sur tous les continents lit Jane Austen (contemporaine de Chateaubriand) à 17 ans comme nous lisons, par exemple Colette, sans effort, naturellement.

Et il y a encore cette problématique surajoutée à ce que je viens de dire, et que l'on ne trouve pas dans les autres langues: l'anglais des anglophones (soit les personnes dont la mère chantait des comptines anglaises au-dessus de leur berceau parce qu'elle n'en connaissait dans aucune autre langue) qui, d'après les chiffres officiels, constituent CINQ POUR CENT seulement de la population mondiale, cet anglais donc, est celui qui produit la littérature anglaise, tandis que 75 pour cent de l'humanité, qui ne produit pas cette littérature, qui ne produit dans cette langue aucun texte noble, se permet néanmoins de la baragouiner, de la charrier, de la chahuter et donc de contribuer à son invention/évolution en intrus, en glorieux ignorants d'aéroport qui vous expliqueront doctement et en se massant les jambes que les voyages aériens, ça fait les jet legs. Excusez-moi. Je dois m'interrompre ici. Le sujet risque de m'emporter quand il ne le faut pas.
"le règne de la classe culturelle unique" = 1% culturel

Quelle misère ! Comment retrouver la splendeur ?

Très bien le sous-titrage : le sens des mots x 2 et soulignés x 4.

Le sens, la réponse à tous les maux.
L'enfance, la stase de l'enfance, accepterait moins la rivière pour image que le bief, barré par l'écluse de l'adolescence.

L'enfance est un fleuve qui ne s'écoule pas, une eau stagnante que la cataracte de l'adolescence réveillera et fera périr dans une chute, un rapide, une précipitation sans but apparent; ce n'est qu'au-delà de cette écluse, ou de ce rapide que la vie et ses processus véritablement assujettis au temps biologique du dépérissement, à la saine mort quotidienne, petite et répétée, avec laquelle doit composer l'adulte, commencent leur jeu, distribuent les enjeux, instaurent l'obligation de raisonner, de penser sur ce qui advient et de gérer le capital des jours.
17 janvier 2011, 20:42   En ouvrant un agenda
Semaine du 21 au 27 mars 2011, agenda de la Pléiade ouvert au hasard :

"Parmi toutes les manières de lire les grands livres du passé, il en est une que je préfère, c'est celle qui cherche en eux non pas ce que nous sommes, mais justement cela qui nie ce que nous sommes."

Octavio Paz - Point de convergence
17 janvier 2011, 21:08   Sales mômes
Oh là, je ne voudrais vraiment pas donner dans l'extrême jeunisme, et pourtant, je crois qu'il y a dans la perception enfantine du temps quelque chose qui se rapproche davantage d'une origine, ou d'un commencement : l'enfance est l'écoulement lui-même, elle ne se distingue pas, ou à peine, du courant, ainsi les vitesses respectives des diverses portions du cours d'eau n'ont pas de sens à cet égard, puisqu'il n'y a pas d'autres systèmes de référence que celui où elle évolue, sans véritable retour sur soi et réflexion.
Les constructions des rives de l'être, si vous me permettez, se produisent bien plus tard ; ce sont précisément des constructions.
D'où l'on n'a de cesse, sitôt qu'on s'y est hissé, qu'on ait replongé éperdument dans l'eau.
Ce n'est pas du jeunisme, cher Alain, mais ce qu'il y a de plus précieux, de plus vital que la mémoire de cette horloge interne. Je plains les amnésiques de cette durée patiente qui nous permet d'éprouver nos jugements.
Longtemps, je me suis couché de bonne heure en pensant que l'enfant n'avait pas d'avenir. Plus je vieillis, plus je me persuade que j'aurais dû plus tôt me coucher plus tard. L'enfant a évidemment un avenir que les adultes ou les vieillards que nous sommes ou que nous serons (avec de la chance), s'empresseront d'oublier dès que pourra ou voudra. Le problème de l'adolescent (qui ne veut pas dire autre chose que « grandir », « monter » — je parle du mot comme de l'être) est qu'il est dans un passage ; qu'il entre dans un labyrinthe ; qu'il marche sur un pont de cordes. Mais il est toujours un enfant qui se prend et que l'on prend pour un adulte, hélas... En fait, nous ne sommes d'abord vraiment adultes que par notre corps, notre squelette, dont les derniers des os, se soudent enfin vers 25 ans. C'est de l'anatomie objective (l'inné). Après, il y a l'esprit et l'âme à faire mariner et à évaluer (l'acquis). Ça, c'est du subjectif grave, profond et éternel. C'est mon opinion et j'espère avoir été clair. Bref, nous ne serons jamais que la continuité de « notre enfant » CQFD. Voilà.
Bienvenue Martin-Lothar. Je prends la Recherche comme un encouragement à cultiver la moindre manifestation de la mémoire. Plus l'adulte se construit, plus il cultive cette mémoire primordiale. Il en va de même pour les peuples, on reconnaît leur maturité à la science de leurs origines.
A propos des adolescents, un des doctes liseurs pourrait-il m'expliquer pourquoi on a, si j'ose dire, tiré cette catégorie d'âge vers le bas ? je suppose que c'est la catégorie 13/18 ans, alors que les Romains, gens de bon sens, voyaient dans l'adolescent un jeune homme, celui qui grandissait, adulescens, qui nous donne le participe passé qui a grandi, adultus, la première catégorie allant jusqu'à trente ans, et la la seconde au-delà.

Je n'ai par ailleurs jamais compris le sens de la mesure démagogique prise par le Lamentable Immortel qui fixa la majorité à 18 ans. Les "intervious" faites à l'époque parmi les personnes concernées montraient une nette réprobation, encore le bon sens.
Mais, cher Jean-Marc, votre détesté Giscard pensait en tirer un bénéfice électoral, rien de plus.
19 janvier 2011, 00:08   Re : Sales mômes
Je vous rejoins en partie: l'enfant possède une maîtrise souveraine du temps, de son temps. Quoiqu'il fasse, quels que soient ses jeux, il est ajusté à son temps, c'est vrai. Et du reste, juste avant son effondrement biologique dans la puberté, vers les 11 ou 12 ans, il est un petit sage, il raisonne clair, il est curieux et patient, il apprend et accepte l'univers mieux que l'adulte. Il s'y trouve bien; il est capable d'être un petit savant collectionneur et attentif. Tout lui échappe ensuite. On dit qu'il régresse; en fait il ne régresse pas, il meurt, son agonie de chrysalide débute alors; le monde en lui commence à le déchirer, le monde lui vient au monde par le siège, de manière parfaitement indigne, le monde et son difficile réel commencent à le saccager. Les mains grandissent, la voix mue et l'humanité le trahit: elle commence à lui montrer, par une multiplication de signes, qu'elle n'a plus pitié de lui.
Francis Marche : je cite : "Et du reste, juste avant son effondrement biologique dans la puberté, vers les 11 ou 12 ans, il est un petit sage, il raisonne clair, il est curieux et patient, il apprend et accepte l'univers mieux que l'adulte. Il s'y trouve bien; il est capable d'être un petit savant collectionneur et attentif."
Non seulement j'abonde, mais je vous félicite pour le fond et le style.
J'ajoute que les statistiques (pas les sondages hein !) indiquent que ces êtres de 10 ou 12 ans (comme vous dites) c'est-à-dire, pile-poil avant justement d'avoir du poil pour rempiler (comme je dis), seraient quasi-immortels ! Oui, oui, je vous le dis. En effet, c'est à cet âge de la vie que l'on est le moins sujet à la maladie, à l'accident ou au suicide. Foi de tables d'assureurs et d'actuaires. Pourquoi ? Allez savoir... Mais je pense que c'est à ce moment qu'il leur faut les meilleurs maîtres du monde et même de tout l'univers, pour des cierges et des siècles, ah mais.
Florentin : Merci de votre bienvenue. Meilleurs vœux à vous et tous les vôtres — il en est encore temps, perdu ou pas.
Cela étant (et tant, et temps), "la recherche" n'a jamais été ni ma tasse de thé, ni ma madeleine à moi. (désolé) Même si, il y a des années et des années, j'ai acheté le premier tome en me promettant de lire toute cette saga en long, en large et même en travers (de port voire de porc) — pour vous dire. Hélas, je n'ai jamais dépassé la première page : j'aime trop dormir ! Cela étant, à ma retraite, percluse de tout et de rien, je me farcirai le Marcel, promis ! En fait, cette recherche, c'est la sienne et pas la nôtre. C'est sa quête à lui. Cette recherche est plus une lumière dans la nuit des temps qu'une fin. C'est plus une faim qu'une finitude, comme dirait l'autre dinde de mes deux. C'est la sienne encore et enfin. C'est un panneau de signalisation. Une loupiote de labyrinthe. Moi, j'en ai d'autres. Enfin, je crois... Je vous les conterai si ça vous intéresse. La "Recherche" est une belle chose à ne jamais foutre à la poubelle. C'est ce qu'il faut se dire quoi qu'il advienne et tant que nous sommes vivants... Bonne nuit.
J'ai longtemps boudé la Recherche et, comme vous dites, il faut passer l'âge de la maturité pour en faire son miel. Le Temps retrouvé est le meilleur hommage qui soit à notre civilisation, il clôt ce parcours initiatique qui nous invite à pousser plus loin. Donc, patience, ça viendra.
Florentin, je me suis doublement dit la même chose que vous (à propos de Proust et du cousin de l'Empereur de Centre-Afrique).
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