Depuis décembre, je suis officiellement à la recherche d’un emploi, dûment inscrit et bénéficiant d’une allocation de trente euros journaliers, pour une période de deux ans, et d’une « référente », fraîchement débarquée de Poitou-Charente. C’est à elle qu’il appartient de suivre mes efforts en vue de retrouver du travail. Je lui ai demandé si la mutation sur la Côte d’Azur était recherchée. Elle l’est. Il y a quelques années, lors de ma dernière inscription à la défunte ANPE (qui, avant de disparaître, n’en a pas moins fourni sa subsistance à un ou plusieurs cabinets de faux-travailleurs qui lui ont facturé la conception d’un nouveau logo), on m’avait accordé une « référente » pur cru, fausse blonde en lutte avec la ménopause au moyen du maintien de ses chairs dans une paire de jean’s moulants, sa généreuse poitrine arborant un tee-shirt noir très près du corps où pouvaient se lire les mots suivants : « Jolie tigresse », elle avait dû porter des bottes à franges. J’ai pris la chose avec le sourire, sans illusion aucune sur les bienfaits de ma collaboration avec « Jolie tigresse ». La suite m’a donné raison et c’est par moi-même que j’ai trouvé un travail, et même un CDI, lequel j’ai exercé pendant deux ans et demi, avant de décider d’arrêter, pour cause d’épuisement physique (c’était un travail de nuit.)
Or donc, j’ai demandé un entretien avec le directeur de la structure sociale qui m’employait, pour lui expliquer que je ne pouvais plus continuer et alors qu’est-ce qu’on fait ? Lui de me proposer deux solutions.
La première m’a paru envisageable et porte le nom de « rupture conventionnelle », disposition que je ne connaissais pas et qui organise une sorte de divorce à l’amiable entre le salarié et son employeur. Ce dernier opine à la démission et l’autre peut bénéficier d’une allocation chômage, comme s’il avait été licencié. Deux mois d’échanges de papiers succèdent à la décision de procéder à cette « rupture conventionnelle », qui finit par prendre effet et me voici devant ma Poitevine.
La deuxième
solution que le directeur a avancé pour moi m’a en revanche paru bien significative de l’époque. Cet homme, en effet, sans que j’excipe du moindre document médical ne ni m’annonce comme souffrant d’une quelconque maladie, m’a suggéré de m’y mettre, en maladie, et même en longue, trente-six mois pour être précis. Etonnement de ma part : « Mais, je ne suis pas malade, je n’arrive plus à travailler la nuit, c’est tout. Je dois faire autre chose. Qu’est-ce que je vais dire, comme maladie ? » La question était posée pour la forme. Il allait de soi et on me le fit comprendre à demi-mots que ces trente-six mois à creuser le trou-de-la-Sécu s’obtiendraient sans trop de difficultés en invoquant la fatigue mentale, la dépression, comme s’il suffisait de se déclarer dépressif et avoir mauvaise mine pour être
reconnu et bénéficier d’un secours.
Que peut signifier de faire une telle proposition à un homme de 51 ans, sinon de l’évacuer définitivement de la population active ? Oh ! La belle « employabilité » que l’on présente à 54 ans, au sortir de trois ans de longue maladie pour dépression ! Au fond, ce directeur me mettait à la retraite.
A franchement parler, je n’aurais rien contre, n’était la méthode des plus déplaisantes par laquelle il faudrait en passer. Alors ainsi, si je déclarais m’engager sur l’honneur à consacrer trente-six mois à tenter de perfectionner ma présence sur terre, tendre à une attitude in-nocente dans tous les actes de ma vie, m’instruire, éventuellement m’exprimer, continuer l’éducation de mes enfants et rendre subtils mes rapports humains, ce serait
trop facile, rétorqueraient, ahuris, la « référente », le directeur, l’esprit de la société, je n’obtiendrais pas un kopek, tandis qu’au contraire l’endossement hypocrite de l’habit de dingo ferait illico desserrer les cordons de la bourse, modeste rente octroyée entre tics et TOC ! Ce genre de circonstances m’empêche d’applaudir sincèrement aux prouesses techniques et je leur en veux de capter toutes les ressources du génie humain en vue de leur accomplissement. Que m’importe de marcher sur la Lune, si c’est pour y remplir une feuille de prétendue longue maladie et être environnés d’autres
encombrants que l’on n’ose pas supprimer pour de bon ?