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Delanoé a dit oui aux gratte-ciel

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
16 janvier 2011, 14:28   Delanoé a dit oui aux gratte-ciel
Paris aura ses IGH (immeubles de grande hauteur). Ainsi en a décidé le Conseil de Paris en novembre dernier :

Depuis le vote le 16 novembre de la modification du plan local d’urbanisme (PLU), il est enfin devenu possible de construire des tours de grande hauteur, chose que depuis 1977, on ne pouvait pas faire, la limite imposée étant restée de 37m. Il était ce jour-là question du secteur "Masséna-Bruneseau" dans le XIIIe, où ce "déplafonnement" permettra à la Ville dès 2014 d’ériger des tours d’habitations qui n’excéderont toutefois pas 50m et des tours de bureaux qui s’élèveront elles jusqu’à 180m de haut.

Il s’agira pour la mairie de Paris, dans ce futur quartier du XIIIe à la limite d’Ivry (Val-de-Marne), d’apporter ainsi quelque 178 000m2 sur cette opération, dont 50% de logements sociaux de divers types (destinés aux classes moyennes, étudiants, travailleurs, etc.), la Ville prévoyant également d’y créer des équipements publics (crèches, écoles, gymnases) mais aussi économiques. "Sur 4 terrains (il y aura la possibilité) d’avoir des immeubles qui pourront monter jusqu’à 180m".

Cinq autres secteurs de Paris, tous situés aux portes de la capitale, devraient bientôt voir s’élever d’autres tours, dont la future Tour Triangle (180m) de la porte de Versailles (XVe) et le futur TGI aux Batignolles (160m), dans le XVIIe. À terme, les secteurs de la porte de Montreuil, Bercy-Charenton et la porte de la Chapelle seront également concernés par ce projet porté depuis 2006 par Bertrand Delanoë.


En outre, nous aurons bientôt vingt éoliennes au sommet d'une tour de La Défense, en dépit des recours déposés.

Aux Batignolles : nous aurons les tours du futur Palais de Justice puisque "Le choix d’immeuble à grande hauteur (IGH) incarnera la Justice du XXIème siècle, limitera l’emprise au sol et améliorera la qualité d’accueil des justiciables tout en optimisant l’organisation".

A Balard : Une dizaine de petits bâtiments en mauvais état seront démolis (10 000 m²), et une dizaine d’autres bâtiments seront reconstruits ou rénovés (120 000 m2), en plus des deux immeubles de grande hauteur (IGH), les tours F et A (ensemble 50 000 m²) dont la rénovation est déjà engagée et doit aboutir respectivement mi 2011 et mi 2012.

Dossier de presse "Balard" à télécharger ici

Le verrou a sauté, la liste des tours qui vont défigurer Paris s'allonge désormais au fil des mois. Un aperçu de l'avenir radieux de Paris : [annedemians.fr]
Le choix d’immeuble à grande hauteur (IGH) incarnera la Justice du XXIème siècle, limitera l’emprise au sol et améliorera la qualité d’accueil des justiciables tout en optimisant l’organisation.

C'est vraiment merveilleux : cette phrase contient tout — La démesure architecturale comme hybris judiciaire, la faible emprise au sol comme détachement du socle de la réalité, la qualité d'accueil des justiciables comme bigmotherhood, l'optimisation de l'organisation comme sauce universelle. Il n'est pas jusqu'à la faute de syntaxe qui ne soit puissamment signifiante : bienvenue dans IGH.
Un véritable chef-d'œuvre de candeur.
C'est en effet confondant. Mais quel peuple a pu contribuer à faire élire ce maire ? Voilà la question qu'on se pose.
Je ne monterai pas dans l'Arche Delanoé.
Je suis entièrement d'accord avec la construction d'immeubles de grande hauteur dans les quartiers périphériques de Paris, pour des raisons liées à la rareté des terrains. Densifier les zones déjà urbanisées est le seul moyen d'éviter les constructions en "tâche d'huile".

Je rappelle que ce type de bâti se situe dans la droite ligne des projets de Delouvrier, Holley et antérieurement de Lopez, projets qui eurent en leur temps le ferme soutien du Général puis de Georges Pompidou. Italie 13 et le Front-de-Seine ne sont pas nés avec le désastre.

Malraux n'était pas un homme stupide et dépourvu de goût.

Toutes ces personnes pensaient qu'il fallait trouver une juste mesure entre des zones à, si je puis dire, "sanctuariser" et des zones où le développement de Paris devait se poursuivre.
Pourquoi des touffes de persil qui dépassent ? On pense à la tête de veau vinaigrette.
Florentin, quelle est votre idée, au fond ?

Doit-on considérer toute ville comme un musée intangible, ou bien dispose-t-on d'une marge de liberté dans son aménagement ?
Je plaisantais sur le dernier lien proposé par Agrippa. Ces hauteurs vertigineuses sont-elles utiles vraiment ? Et ces concentrations d'humains à l'heure de l'abolition des distances ?
Jean-Marc, je ne voudrais pas faire le pédant, mais en l'occurrence je doute qu'il s'agisse de liberté : licence conviendrait mieux.
Vous trouvez du plaisir à flâner dans Italie 13, ou sur le Front de Seine, vous ? Les flâneurs se demandent ce qui restera de l'horizon à Paris, quand des tours très hautes ceigneront la capitale. Pardonnez leur étroitesse de vue.
Florentin, ces hauteurs ne sont pas si énormes que cela, faites quelques recherches à propos d'Italie 13 et du Front-de-Seine, et vous aurez une idée.

Comment expliquez-vous ce rejet quasi-général, alors qu'il y a cinquante ans cette idée séduisait les esprits les plus fins ? sommes-nous plus intelligents que de Gaulle, Malraux et Delouvrier ?

Je vois ailleurs qu'on nous parle d'élèves d'Eiffel. Savez-vous qu'Eiffel n'a jamais défendu ses créations en utilisant un argument architectural, mais toujours en vantant leur utilité pratique ?
Les tours sont très bien à la Défense, même si le parvis y est excessivement venteux, sans doute à cause de l'option "urbanisme sur dalle", aujourd'hui à peu près abandonnée : New York ou Chicago (par exemple), où les tours sont insérées dans le tissu urbain préexistant, sont bien mieux. Le Front de Seine est une catastrophe et les parvis y sont devenus des no man's land à racaille et le XIIIe arrondissement ne paraît pas mieux. Pourquoi vouloir en rajouter ? pour le plaisir de, comment dites-vous déjà ? ne pas gaspiller le "foncier" ?
Non, ce n'est pas par plaisir, c'est parce que les loyers sont à un niveau exorbitant à Paris, et qu'il faut trouver un moyen de loger les personnes qui ont des revenus ordinaires, c'est à dire les employés et les cadres moyens.

Une première solution concrète est celle de l'édification de ce type d'immeubles, permettant ainsi la création de logements sociaux en nombre suffisant, une autre étant la taxation des propriétés sous-occupées, la dernière étant la réquisition.

Faute d'opter pour l'une de ces trois solutions, cela veut dire que Paris sera d'ici dix ans vidé de ses classes moyennes.

Si vous avez mieux à proposer, de façon pratique, pour que les professeurs, les employés, les infirmières puissent se loger dans Paris, indiquez-le moi, je suis preneur d'idées nouvelles.

C'est très bien de se lamenter et de dire non à tout, c'est encore mieux de dire comment on va résoudre un problème.
Utilisateur anonyme
17 janvier 2011, 11:06   Re : Delanoé a dit oui aux gratte-ciel
Je ne monterai pas dans l'Arche Delanoé.

Excellent !
Marcel, l'urbanisme de dalle est en effet en partie dépassé, mais pas forcément dans le cadre de la Défense, quartier qui fonctionne conformément à la vocation qui est la sienne (l'urbanisme de la fin du XIXème siècle est lui aussi dépassé, on oublie souvent que l'urbanisme consiste à rechercher une coïncidence entre la façon de bâtir, de se déplacer et de vivre en un lieu, et que l'urbanisme est donc une adaptation constante), et ce que j'ai lu à propos des projets de M. Delanoé et du projet de Balard ne comporte pas ce type de construction.
Pour ce qui du "foncier", Marcel, il s'agit à la fois du terrain pris comme espace géographique, et de ce terrain pris au sens réglementaire (considérons un terrain d'un hectare ; avec un certain règlement, on peut construire, en étage, 20000 m2 "de planchers" ; avec un autre règlement, on ne peut construire que 10000 m2. Nous avons donc un même terrain, mais des possibilités d'usage différentes. C'est cela que le terme "foncier" rend. S'il y a une autre expression, je suis prêt à l'utiliser).
En français, cela s'appelle le sol et sa densité d'occupation, d'où la notion légale de coefficient d'occupation du sol, le fameux COS. Je ne vois pas ce qu'il y a à redire à ces termes. En aucun cas le mot "le foncier" ne peut résumer cela, sauf en langage techno-bobo.

L'urbanisme sur dalle est à peu près abandonné parce qu'il est apparu que c'était une fausse bonne idée qui présentait plus d'inconvénients que d'avantages. Quant à l'urbanisme du XIXe siècle, haussmannien mettons, je ne vois absolument pas en quoi il est dépassé. C'est du reste en gros la même chose que l'urbanisme romain. La hauteur des immeubles n'y change rien, comme le prouve l'exemple nord-américain. L'antiquité tardive et le Moyen Âge avaient vu apparaître (ou plutôt réapparaître) une organisation urbaine différente, essentiellement défensive, avec des rues grosso modo concentriques, étroites, épousant les lignes du relief, et des maisons très serrées à l'intérieur des remparts. Malgré les beautés auxquelles il a donné naissance, ce type d'organisation urbaine est dépassé — en attendant de nouveaux temps de barbarie peut-être.

Concernant les cages à lapins de grande hauteur, je vous les laisse, avec, tout ensemble, les quartiers qu'elles formeront et les populations qu'elles abriteront : j'irai voir ailleurs si l'herbe y est plus verte.
Utilisateur anonyme
17 janvier 2011, 16:58   Re : Delanoé a dit oui aux gratte-ciel
Delanoé a dit oui aux gratte-ciel

Et bien voyez vous je n'ai rien contre. Surtout dans ce quartier là. A condition toutefois de ne pas recommencer les mêmes erreurs que dans les années 70. (dalles et facades tristes, béton.).
Je crois qu'en matière de gigantisme on peu aussi faire beau, harmonieux et, surtout, (du moins je l'espère) vivable.
Marcel, il (l'urbanisme haussmannien) est dépassé par sa méthode, qui n'est plus applicable aujourd'hui (et qui fut d'ailleurs celle de de Gaulle) : il n'est plus question de travailler "en grande masse", de mettre à terre des quartiers entiers (rappelez-vous l'affaire de la radiale Vercingétorix, je me suis permis de recopier cet extrait d'un site :


S'inspirant des travaux d'urbanistes des années 1930 (Utudjian et Baudet, Le Monde souterrain, 1937), repris par André Thirion, surréaliste devenu conseiller municipal RPF (Rapport sur les opérations générales et locales de voirie, 1951), le plan de Bernard Lafay de 1954 (Solution aux problèmes de Paris, la circulation, Conseil municipal, 18/12/54) prévoyait dans Paris une rocade intérieure, boulevards autoroutiers reliant entre eux de gigantesques parkings enfouis. Beaucoup de voies parisiennes ont été alors réaménagées au profit de la circulation automobile en scindant les trottoirs latéraux (Flandre, Barbès, Magenta, Ternes, Italie, etc.). La chaussée des boulevards des maréchaux fut portée à 22 mètres, le marquage au sol des voies de circulation devint la règle. Et les voitures de s'engager dans ces axes dégagés, bien vite embouteillés.

Dix ans plus tard, le Schéma Directeur, conçu par un grand commis de l'État, Paul Delouvrier et présenté au général De Gaulle en juillet 1964, envisageait un District de Paris de 14 millions d'habitants en 1990 (en 2007, l'Île-de-France compte 11 millions d'habitants dont 8,5 millions en agglomération). À côté de projets nécessaires et réalisés comme les Villes Nouvelles et les RER, le Schéma Directeur prévoyait un réseau d'autoroutes intra-muros à 2x2, 2x3, 2x4 voies en surface ou souterraines. Dans nos quartiers, une radiale nord-ouest à ciel ouvert devait prolonger l'autoroute de Cergy-Pontoise, de la porte Pouchet à la Seine, par Saint Lazare, longeant, en viaduc certainement, les voies SNCF jusqu'à la place de l'Europe (échangeur vers la gare de l'Est) continuant vers Montparnasse, par une énorme entaille, passant à 100 m de la Madeleine. Une rocade Saint-Lazare/Gare de l'Est, entièrement souterraine, devait assurer la liaison avec une radiale nord-sud qui, de la porte d'Aubervilliers à Riquet (échangeur) et Stalingrad (échangeur) empruntait le canal Saint Martin asséché (atmosphère…) jusqu'à la porte d'Italie avec, en route, force échangeurs. Ce projet (Paris-Match, 01/07/1967) prévoyait la destruction de 3 000 à 10 000 logements. On imagine les conditions de vie des habitants en deuxième ligne, sauvés de la destruction. Ce qui les sauva et sauva Paris, ce fut la mobilisation des citoyens et aussi la disparition prématurée de Georges Pompidou en 1973. Des projets lancés, seule demeure la voie expresse Rive Droite. La voie expresse Rive Gauche fut in extremis abandonnée, comme la radiale Vercingétorix dans le 14e arrondissement.)))
Ah, vous parlez de méthodes, de plans, de procédures. Là, en effet, mieux vaut ne toucher à l'existant qu'avec la plus grande prudence. Mais c'est en partie un autre débat.

Concernant les tours, je préfère la Tour Montparnasse, bien intégrée au tissu urbain, à celles de la ZAC Flandre, nettement plus basses et qui forment un univers absolument étranger à la ville. Mais là aussi, on mêle deux choses différentes, la question de la hauteur des immeubles et leur insertion dans le tissu urbain d'une part, celle du logement social d'autre part.
Oui, Marcel, vous avez raison.

Le problème spécifique de Paris est que la notion de "logement social" doit être, de mon point de vue, la même que dans la France de 1965.

En 1965, il était facile de trouver un travail, mais difficile de se loger. On lança donc d'ambitieux programmes pour loger correctement la classe moyenne, puis ce système fut dévoyé, et la classe moyenne disparut de ce logement social.

A Paris, la classe moyenne ne peut plus se loger, on est revenu à la situation "Province 1965", sachant que l'équilibre parisien de 1965 était basé sur le logement "social de fait", la loi de 1948.

Il faut, à mon sens, des logements sociaux pour ménages gagnant moins de 2000 € pour une personne seule, 3000 € pour un couple, 4000 € pour une famille. Sinon, de telles personnes ne pourront plus habiter Paris.
Un autre point (mais c'est l'autre débat que vous évoquez).

La pensée dominante, parmi la technostructure, était il y a cinquante ans de "sanctuariser" des zones, et en revanche de "travailler à la hache" ailleurs. Actuellement, on n'arrive ni à protéger l'existant, ni à aménager ailleurs, et on fait, à tour de bras, du lotissement en banlieue.

Il me semble dommage que l'urbanisme parisien, qui, de tout temps, a été marqué par une très forte volonté politique et le fait que la ville fut redéfinie à plusieurs reprises, soit transformé en une sorte de système frileux où une main tremblante ose à peine toucher une corniche.

Un exemple de travail "à la hache" : celui du quartier des halles. On est parti d'une idée simple: il n'était plus possible de maintenir les halles dans Paris, et c'était vrai. On n'a pas hésité, on peut critiquer tel ou tel point, mais, globalement, tout ce vaste quartier de la rive droite depuis la Bastille jusqu'à la Bourse a été agréablement modifié. On a sauvegardé ce qui était unique (la place des Vosges, par exemple), on n'a pas hésité à effondrer les vieilleries (exactement comme avait fait Haussmann).
A tous les amoureux de "tours bien intégrées au tissu urbain" (qui pestent comme des chiffonniers contre les éoliennes en lesquelles leur imagination malade n'hésitent pas à voir, en ces grandes tragédiennes les bras dressés au-dessus de la campagne à vaches qu'elle changent et enchantent en décor de pièce d'Eschyle, de prosaïques sèche-cheveux, mais passons) je recommande la Tour Pleyel de Saint-Denis, qui est l'objet urbain le plus cauchemardesque qu'il me fût jamais donné d'avoir sous les yeux: dans les premières années de la décennie 80, cette chose était une énorme, obscène bite rouillée, noire comme un caca, démesurée, menaçante, incompréhensible, non regardable, dressée sur la Plaine qui en rougissait de honte, ne savait plus ou se mettre.

Ah la Tour Pleyel ! admirez un peu cette intégration au paysage, de quoi régaler l'oeil du connaisseur, de quoi se le rincer après l'injure de l'éolienne et l'orgelet qu'elle vous a donné, allez, faites-vous du bien:

Tour Pleyel
Francis,

Les auteurs de l'article ne connaissent pas le sujet, ils nous parlent "d'acier cortex"...

C'est une honte...
Jussieu, à Paris, n'est pas mal, non plus, dans l'alignement de la rue des Ecoles...
Je trouve le travail d'Albert, à Jussieu, remarquable. Cela étant, une telle architecture demande des moyens de fonctionnement. Or, l'université a complètement banlocalisé cet espace.

A croire qu'université et propreté d'un lieu ne sauraient rimer.
Re-mar-qua-ble.
Stéphane, que ce style d'architecture ne vous plaise pas, je le comprends, c'est une réaction fréquente.

Cela étant, on peut ne pas aimer quelque chose tout en ridiculisant pas l'oeuvre accomplie...

Que pensez-vous du travail d'Auguste Perret au Havre ?
Le Havre est une des villes les plus sinistres que je connaisse. Pardon, de tout coeur, aux Havrais qui liraient ceci. Du béton gris emprisonnant le silex local, des trottoirs rose bonbon, des halls d'immeubles déserts, des cours vides et symétriques (c'est incroyable, maintenant que j'y pense, comme l'odeur vague de pisse est liée, dans ma mémoire, à la ville du Havre). Qui a arpenté par un jour d'automne (ou même l'été, "à l'heure où le soleil éteint tout") les longs boulevards sans âme du Havre, comme je l'ai souvent fait enfant (tout petit, comme dirait Renaud Camus), peut se faire une idée de l'ennui, du long, du profond ennui de vivre qu'il n'éprouverait dans aucun autre lieu. Perret a atteint de tels sommets dans le morne et le retrait, dans le rien, que de toute cette tristesse sourd une indéfinissable et involontaire poésie.
Je me doutais que Le Havre provoquerait ce genre de réaction (je n'imaginais pas l'odeur).

Il se trouve que j'ai au contraire gardé un souvenir émerveillé du Havre des années soixante, car c'est là qu'on venait attendre le paquebot d'Amérique. Cette ville était, à l'époque, splendide de modernité et bénéficiait d'une excellente réputation.
Ah oui, mais moi, dans les années soixante, mon âme attendait encore son incarnation. Je ne doute pas que vous ayez raison sur la beauté de la ville pendant ces années-là, Jean-Marc. Je suis un être de peu d'expérience.
Moi c'est plutôt le contraire : quand j'ai découvert Le Havre, en 1966 ou 67, j'ai été fasciné par le port et épouvanté par la ville construite par Perret. J'y suis retourné récemment et j'ai trouvé quelques qualités esthétiques à certains de ses bâtiments : la cathédrale, l'hôtel de ville avec son parc, certaines façades qui ont étonnamment bien vieilli, certains effets de béton granuleux. Peut-être la douceur de la lumière de ce jour y était-elle pour quelque chose. Cependant, l'ensemble m'a encore paru aussi terriblement monotone et grandiloquent à la fois que jadis, stalinien pour tout dire.
Dans le genre, Marcel et Stéphane, vous avez aussi Royan.


N'oublions pas que les villes des années cinquante étaient souvent noires, crasseuses, avec des petites rues sales (le tout-à-l'égoût ne fut complètement installé à Toulouse qu'après la guerre, la célébrissime "pompe à merde" sévissant rue de Rémusat circa 1950) et pauvres.

Cette architecture si décriée apporta la lumière, l'hygiène, comme celle d'Haussmann l'avait fait à Paris.

[www.societes-savantes-toulouse.asso.fr]



[www.societes-savantes-toulouse.asso.fr]
Je partage tout à fait votre avis, M. Bily. Je suis venu pour la première fois au Havre l'année dernière, et j'en ai aussitôt conclu que ce serait l'une des dernières villes de France où j'aimerais m'installer. Et pourtant de sa laideur, de sa grisaille (il faisait froid et pleuvait), de son stalinisme monumental une réelle poésie se dégageait, absente paradoxalement de villes cent fois plus belles, et dont quelques pages de certains livres de Benoît Duteurtre témoignent très bien, il me semble.
Les photos que vous nous proposez seraient-elles destinées à provoquer notre réaction horrifiée, cher Jean-Marc ?
Moi, ce que j'y vois, c'est surtout une absence de voitures... J'y entends même un silence qui me fait rêver.
Kiran et Stéphane et Marcel,

Notez un point qui me semble important : vous voyez quelque chose d'à la fois stalinienne et poétique.

Stalinien n'est pas, à mon avis, le terme exact : ce type d'architecture est, en réalité, plus général. Il y a, effectivement, un aspect "totalitaire" (on trouve ce genre à Berlin, voir le ministère de l'air, à Rome, à Tirana, à Moscou). Il y a aussi un aspect très "XXème siècle", voir toujours à Berlin les photographies de l'ancienne Alexander Platz et, à Paris, les immeubles du style de celui du ministère des PTT (je joins l'image d'un timbre, que j'intitulerai "Le ministère des PTT se représentant", [a34.idata.over-blog.com]). Or, l'avenue de Ségur est au centre même du "beau Paris".

N'oublions pas aussi que Le Havre fut largement une ville ouvrière.
Utilisateur anonyme
18 janvier 2011, 11:59   Re : Delanoé a dit oui aux gratte-ciel
Paris ne doit plus être une vile couchée.
Non, elles sont destinées à montrer quelle était la situation, et quelles étaient les aspirations générales de la population. Si on n'avait pas aménagé différents quartiers, vous auriez un habitat insalubre et des voitures.

D'autre part, les villes de France ont toujours connu d'importants bouleversements urbanistiques. Allez dans n'importe quelle ville moyenne, et vous verrez que l'architecture "IIIème République", souvent représentée par une place majestueuse, est venue s'installer à la place de quartiers anciens rasés pour l'occasion (de part et d'autre de cette place, vous verrez le lacis des rues anciennes).

Les changements d'urbanisme ont toujours eu deux causes : la volonté politique et surtout la recherche du profit pour les constructeurs.

Je constate ceci : il est devenu impossible de toucher à quoi que ce soit, où que ce soit, à l'intérieur des immeubles, à la place des immeubles, à proximité des immeubles, sans que des cris ne s'élèvent et sans que les pétitions ne fleurissent.

J'en tire donc une conclusion : la France de 1974 (année d'élection du Grand Funeste et du coup d'arrêt à l'urbanisme gaulliste) représente, du point de vue de l'urbanisme, un état de perfection absolue, puisqu'on ne peut plus rien changer à rien.
Utilisateur anonyme
18 janvier 2011, 13:36   Re : Delanoé a dit oui aux gratte-ciel
Pompidou fut un grand massacreur devant l'Eternel.
Il ne doit pas être très difficile de faire mieux.
18 janvier 2011, 16:46   Jardin potager
"Ces villes tertiaires où Le Corbusier, Francastel, Fourastié, etc., voudraient faire vivre les gens, c'ets exactement les "suburbs", les quartiers résidentiels américains : ça me donne le frisson. Espace, lumière, air, ordre, soit, mais qu'appellent-ils "harmonie" ? Est-ce que "l'homme" (quel homme ?) n'a pas besoin d'agressivité autour de lui autant que de calme, besoin de résistance, d'imprévu et de sentir dans ses entours que le monde n'est pas un grand jardin potager ? Faut-il vraiment choisir entre des taudis ou des lotissements distingués ?"

Simone de Beauvoir - La force des choses
C'est peut-être une exception mais la Cité Radieuse est très recherchée. Rien ne vaut, bien sûr, le village d'Orimont entre mer et montagnes.
Orimont,

Vous avez la chance de vivre dans un village, je vous parle des villes.

Florentin a raison, la Cité Radieuse est très recherchée, et les quartiers nouveaux (dont les HLM) furent très recherchés par les Français des années soixante.
Utilisateur anonyme
18 janvier 2011, 18:15   Re : Delanoé a dit oui aux gratte-ciel
"N'oublions pas que les villes des années cinquante étaient souvent noires, crasseuses, avec des petites rues sales "

C'est l'argument massue des raseurs et des aménageurs : ils travaillent pour le bien de l'humanité, pour l'hygiène, la lumière. Cette propagande architecturale s'accompagne en général d'images d'immeubles lépreux tout suintants d'humidité fétide.
Il faut se rappeler que les plus beaux immeubles du Marais étaient insalubres — et donc voués à la démolition — avant d'être sauvés in extrémis, rénovés et portés au pinacle.
Il suffit de laisser un immeuble se dégrader pour que la nécessité de sa démolition soient patente aux yeux illuminés de ceux qui y ont intérêt.
Il suffit d'ouvrir les yeux : du temps d'Hausmann, on savait au moins remplacer ce qu'on détruisait — souvent à tort—par des immeubles élégants, agréables à regarder.
Aujourd'hui on sait à l'avance que l'immeuble ancien qu'on abat sera remplacé par une horreur aussi prétentieuse que laide, une verrue, un pastiche grossier. On s'attache à l'ancien, moins pour sa valeur intrinsèque que par appréhension de ce qui va suivre.

C'est cette horreur de l'architecture moderne, combinée à une résignation réaliste, qui doit nous faire préférer une architecture en hauteur — dans des quartiers de toute façon dévastés— à une grouillance basse, un envahissement chancreux de tout l'espace.
Mais nous aurons sans doute les deux au bout du compte...
Mais enfin, Beckford, l'urbanisme d'Haussmann était déjà un urbanisme "en hauteur" et fort dense !

Son exemple fut suivi dans le monde entier (voir notamment l'Eixample de Barcelone, Eixample voulant dire Extension).


[www.cogavot.edres74.net]
Utilisateur anonyme
18 janvier 2011, 18:50   Re : Delanoé a dit oui aux gratte-ciel
"Mais enfin, Beckford, l'urbanisme d'Haussmann était déjà un urbanisme "en hauteur" et fort dense ! "

Mais enfin, il n'était pas moche !
Je préfère que l'urbanisme moche se dissipe en hauteur— comme une mauvaise odeur—plutôt que de le voir envahir nos campagnes !
Citation
Beckford
"N'oublions pas que les villes des années cinquante étaient souvent noires, crasseuses, avec des petites rues sales "

C'est l'argument massue des raseurs et des aménageurs : ils travaillent pour le bien de l'humanité, pour l'hygiène, la lumière.

Oui — Le Corbusier, le père du mouvement moderne en architecture, n'avait pas d'autre leitmotiv : « Nous reportons avec effarement nos yeux sur les vieilles pourritures qui sont notre coquille de colimaçon, notre logis, et qui nous étreignent de leur contact quotidien, putride et sans utilité, sans rendement. »
Je ne résiste pas au plaisir amer de livrer quelques autres citations tirées d'un de ses ouvrages majeurs, Vers une architecture :

« Il faut créer l'état d'esprit de la série, l'état d'esprit de construire des maisons en série, l'état d'esprit d'habiter des maisons en série, l'état d'esprit de concevoir des maisons en série. »

« Voici des silos et des usines américaines, magnifiques PRÉMICES du nouveau temps. LES INGÉNIEURS AMÉRICAINS ÉCRASENT DE LEURS CALCULS L'ARCHITECTURE AGONISANTE. »

« Un village bien loti et construit en série donnerait une impression de calme, d'ordre, de propreté, imposerait fatalement la discipline aux habitants. »

« Les lotissements urbains et suburbains seront vastes et orthogonaux et non plus désespérément biscornus. »

« La maison ne sera plus cette chose épaisse et qui prétend défier les siècles (...) ; elle sera un outil comme l'auto devient un outil. La maison ne sera plus une entité archaïque, lourdement enracinée dans le sol par de profondes fondations, bâtie de "dur". »

« Ce dont on peut être fier, c'est d'avoir une maison pratique comme sa machine à écrire. »

« Étape primordiale : le remplacement des matériaux naturels par les matériaux artificiels, les matériaux hétérogènes et douteux par les matériaux homogènes et éprouvés par des essais de laboratoire. »

« Les toits, les misérables toits, continuent à sévir, paradoxe inexcusable. Les sous-sols demeurent humides et encombrés. »

« N'est-il pas illogique qu'une entière superficie de ville soit inemployée et réservée au tête-à-tête des ardoises et des étoiles ? »

« L'architecture gothique n'est pas, dans son fondement, à base de sphères, cônes et cylindres. (...) C'est pour cela qu'une cathédrale n'est pas très belle et que nous y cherchons des compensations d'ordre subjectif, hors de la plastique. »

Etc. — On n'en finirait pas... J'en recommande la lecture (et notamment à BCJM).
Superbe et salutaire rafraîchissement de mémoire : merci cher Francmoineau.
Francmoineau et Marcel,

Il se trouve que, durant mes études, j'ai eu à étudier Le Corbusier. J'aime même eu à commettre un mémoire sur le thème des reconstructions comparées de Rouen et du Havre, mémoire heureusement perdu et dans lequel je me souviens avoir cité maints passage de Le Corbusier.

Je ne dis pas que ce soit merveilleux, je dis que c'est important. Au départ, je détestais l'architecture moderne. Quand j'ai dû, dans mon parcours, suivre une formation à l'urbanisme, j'ai écouté des gens brillants et intelligents, qui m'ont expliqué et qui m'ont appris, sinon à aimer, du moins à comprendre. Pour me faire comprendre, je déteste l'art moderne. A cela, deux raisons possibles. Je suis stupide, et la messe est dite. Je ne suis pas stupide, et alors cela veut dire qu'on ne m'a pas appris à le voir, à le lire.

Dois-je conclure de ce que vous me dites que vous seriez partisans de raser le Front-de-Seine et Italie 13, de détruire ce que Le Corbusier à construit, de faire revenir les avions américains à Brest et au Havre, et de ressusciter Espérandieu qui, ayant fait du néo-byzantin (au demeurant réussi) saura bien faire du néo-hausmannien ?
" ... le tête-à-tête des ardoises et des étoiles." Merci, Francmoineau, j'y penserai ce soir au moment de finir mon rituel petit tour de jardin, avant d'aller dormir - et d'en rêver peut-être.
Tout le monde peut se tromper, et même lourdement mais il faut être juste, Le Corbusier a fait de très belles choses, de même Fernand Pouillon -- son livre, Les Pierres sauvages, est un chef d'oeuvre. Et tout ce qu'ont fait Ricardo Bofill et Jean Nouvel n'est pas parfait.
Le Corbusier a été un bon architecte. L'équipe qu'il formait avec son frère et avec Charlotte Perrian a fait de très belles choses. Mais en tant que théoricien de l'urbanisme, il était l'équivalent de Robespierre, Saint-Just, Lénine, Trotski, Mao et Pol Pot réunis.
Florentin,

N'insistez pas ! il ne faudrait pas qu'à la lecture de ce forum quelque illuminé aille profaner la tombe de Le Corbusier (qui est peut-être apparenté à Frankenstein (et non à Dracula qui, étant noble, ne peut être parent que de la Pompeuse Nullité)).
19 janvier 2011, 22:23   Faites ce que je dis...
« Étape primordiale : le remplacement des matériaux naturels par les matériaux artificiels, les matériaux hétérogènes et douteux par les matériaux homogènes et éprouvés par des essais de laboratoire. »

Raison pour laquelle Le Corbusier a bâti son célèbre cabanon, tout en bois en bois, au milieu de la végétation méditérranéenne, au Cap-Martin, dans un coin bien discret, splendide : c'était pour comprendre la douleur des gens à vivre dans des matériaux naturels qu'il a passé tant d'étés dans ce paradis absolument hors-série, jusqu'à l'hydrocution finale.
Orimont, Le Corbusier nous parle d'une étape primordiale de la construction industrielle...

Avec des ciseaux et un pot de colle on arrive à faire dire n'importe quoi à n'importe qui.
19 janvier 2011, 22:30   Re : Faites ce que je dis...
Le Corbusier a été un ardent pratiquant du "faites ce que je dis, pas ce que je fais", exactement comme les thuriféraires du vivrensemble qui mettent leurs enfants dans l'enseignement privé.
Je ne suis pas un fervent adepte de Le Corbusier, loin de là. Cela étant dit, je ne comprends pas cette passion contre l'architecture moderne au sens large.
D'accord avec Marcel. De toute façon, Le Corbusier m'est très antipathique, comme individu, à commencer par sa puérile jalousie à l'égard d'Eillen Gray dont il a défiguré gratuitement de ses sales barbouillages la villa E1027 qu'elle avait bâtie avant qu'il ne vienne y installer son cabanon.
Je n'ai rien contre l'architecture moderne au sens large. Mais je lui reproche de tenir, en général, entièrement dans son concept (voyez la Grande arche, un beau bâtiment, cinq minutes, vous avez tout vu, revenez cinquante fois vous ne verrez jamais rien de plus, alors qu'à la centième visite de Notre-Dame de Paris vous découvrirez encore des choses), d'être la même partout et de faire de vilaines ruines.
Ce que vous dites n'est pas faux. Simplement, les propos de ces deux architectures ne sont pas les mêmes.

Je suis en déplacement, hier j'étais à Brest. Cette architecture n'est pas nulle, elle est fonctionnelle et elle le proclame. C'est un choix, et je conçois qu'il puisse heurter les sensibilités, comprenez qu'il peut plaire.
Avec des ciseaux et un pot de colle on arrive à faire dire n'importe quoi à n'importe qui.

Non, Jean-Marc, non. Relisez, puisque certainement vous l'avez lu mais que non moins certainement vous l'avez oublié, le livre duquel j'ai tiré ces quelques épouvantables fragments, et vous verrez qu'il n'y a pas de ciseaux à utiliser : si un tel ouvrage était daté d'aujourd'hui et non de 1923, on penserait « quel fou ! quel danger public ! ». Mais ces lignes terribles furent écrites il y a presque un siècle et, à l'époque, elles pouvaient trouver leur justification, et même leur beauté (je ne suis pas aussi fermé que vous pouvez le croire).
Malheureusement, les prolégomènes des révolutions ne sont pas la même chose que leur continuation, et moins encore que leur aboutissement quand il y en a un. La tabula rasa n'a pas le même sens, la même valeur ni la même portée selon qu'elle se trouve au début ou à la fin de l'aventure. Nul doute qu'il y ait là-derrière un architecte superlatif, un visionnaire, un créateur, un théoricien d'exception. On en frémit d'autant plus, sachant l'énorme influence qu'il a exercée sur tout ce qui l'a suivi, et notamment la cohorte des médiocres et des avides qui se sont engouffrés dans son sillage sous prétexte de modernité et de renouveau. Cela a donné les dégâts qu'on sait.
Le Corbusier pâlit d'envie et d'admiration devant le monde des ingénieurs. Il a pour idéals le machinisme, la rentabilité, la série, l'économie et la technique gouvernant le monde, un vrai cauchemar moderne en somme. Encore une fois, il s'agit là de ma part d'un jugement anachronique. Les vraies sources de l'architecture doivent être, pour lui, les objets techniques dans toute leur pureté. A propos de pureté, d'ailleurs, est frappant le nombre des occurrences des mots "sain", "viril", "pur", "net", "mâle", "propre", "ordre", etc., c'est-à-dire rien d'autre que le champ lexical du fascisme. Ceci n'est guère étonnant dans la mesure où l'on se place ici dans des vues voisines de celles du futurisme d'un Marinetti, par exemple (L.C. et Ozenfant ne sont-ils pas un peu les pères du "purisme" en peinture ?), ou du constructivisme russe (qui mènera, lui, il est vrai, vers un autre totalitarisme frère ennemi). J'approuve absolument ce que dit Marcel ("en tant que théoricien de l'urbanisme, il était l'équivalent de Robespierre, Saint-Just, Lénine, Trotski, Mao et Pol Pot réunis").

Il est d'autre part notable que L.C., qui inlassablement fait référence à la série et au type, propose, comme modèles récurrents pour la maison, l'auto, le paquebot, le wagon, l'avion, c'est-à-dire des objets (et non des lieux), des éléments mobiles, et non fixes (préfigurant en cela le "devenir-flux" des sociétés contemporaines orientées vers le mouvement, la vitesse, la mobilité, la flexibilité, etc., la fuite en somme), des habitacles et non un habitat.

A côté de quelques phrases inoubliables et belles ("L'architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière", "La construction, c'est pour faire tenir ; l'architecture, c'est pour émouvoir"), on a malheureusement une ribambelle d'horreurs ("une maison est une machine à habiter", etc.) à se faire retourner Bachelard et Poe dans leur tombe.
Dit comme cela, ça me convient très bien. Je vais en conséquence m'occupationner de résoudre le problème des vigiles avec Orimont, vu qu'un quasi-accord a été trouvé ici.
C'était la "fureur de la série", pathologie apparue dans les premières années du siècle dernier qui eut, dans le paysage rural, pour pendant à la série urbaine, ... la monoculture, chantée par Cendrars retour d'Amérique. On l'a un peu oublié aujourd'hui mais la monoculture, la même vigne, le même blé cultivés à perte de vue sans un arbre était une nouveauté fascinante et glorieuse qui, vue au Canada ou dans le Midwest, devait de toute urgence être répandue sur la terre entière. L'on ne saurait s'étonner, de ce point de vue, que Le Corbusier fit florès au Brésil.

Concernant "l'habitacle plutôt que l'habitat", on retiendra par exemple qu'à cette époque, la Villa Noailles, qui devait faire école, fut conçue -- pour être fréquentée ensuite par d'authentiques poètes --, dans son principe architectural et dans sa décoration intérieure, comme un paquebot.

Faire "table rase" après la première guerre mondiale, en matière d'habitat, de paysage, urbain ou rural, constituait une aspiration qui pouvait paraître légitime, sachant ce que le vieux monde venait de faire de lui-même.

Je veux bien que l'on compare Le Corbusier à Pol Pot mais enfin, on retiendra tout de même que les patrons des killing fields en 1917 s'appelaient Nivelle, Mangin ou Duchêne, pas Le Corbusier.

La tentive de Le Corbusier, y compris en matière d'urbanisme, était guidée par un authentique humanisme réactionnaire -- réagissant à une forme d'horreur qui avait caractérisé l'époque. Il est facile de railler aujourd'hui son obsession pour la lumière, l'ouverture, le grand air, la modularité, etc. mais que l'on se replonge, par exemple, dans le décor d'enfance du Céline de Mort à Crédit, les ruelles sentant la pisse, les enfants tuberculeux, privés d'air et de lumière, etc... Le vieux monde sentait fort le renfermé, le graillon, le caillot, et le révolutionnaire, le réactionnaire moderne, voulaient l'hygiène, la pureté des formes, la lumière, la mécanique et sa lisse et exacte uniformité.

Pour revenir au Brésil, laboratoire du mono-espace: ce territoire d'abord assez plat offrait primitivement un mono-espace, la selve, qui ne pouvait être conquise que par la concurrence de mono-cultures et ce jeu, cet affrontement de masse à masse, inspira pour une part, directement et indirectement, ce mouvement de la pensée et de l'architecture dans lequel Le Corbusier devait exceller.
Francis, le climat du Cambodge vous réussit !
Personne ne reproche à Le Corbusier d'avoir massacré des gens, mais, si on lui en avait donné le pouvoir, il aurait fait à la ville (à ces ruelles sentant la pisse, (...) le renfermé, le graillon, le caillot) ce que Pol Pot a fait à la population. Il l'a écrit du reste, très précisément. Paris ressemblerait au Havre, peut-être en un peu mieux parce qu'il était plus fort que Perret. Et sans doute aurait-il, avec un haussement d'épaule méprisant, laissé debout Notre-Dame, cet exemple d'architecture "pas très belle" comme il dit, au titre de concession aux goûts nostalgiques des Parisiens indécrottablement attachés à leur passé, en attendant leur remplacement par des populations plus joyeusement tournées vers l'avenir radieux préparé par la série, l'avenir sériel en somme.
Les ruelles sentant la pisse, le renfermé, le graillon, le caillot, est-ce que ça ne serait pas un peu l'équivalent de la France moisie ?

Le plan Voisin projeté par Le Corbusier (reconnaissez-vous Paris ?) : [hanser.ceat.okstate.edu]
[projets-architecte-urbanisme.fr]
Francmoineau, vous oubliez un fait essentiel : les Français voulaient sortir de ces ruelles (Haussmann, que personne ne remet en cause, avait la même idée).
Francis nous dit une chose très juste, en faisant ce rapprochement avec la Grande guerre (qui peut être étendu à ce qui se passa, dans le domaine de l'urbanisme, après la seconde).

L'occident n'ayant pas spécialement fait preuve d'une très grande civilisation entre 1914 et 1918, d'une part ; entre 1939 et 1945, d'autre part, il n'est pas illogique que des gens intelligents aient cherché d'autres modèles de civilisation et de façon de vivre.
Le Paris hugolien, celui de Notre-Dame-Paris puisque vous en parlez, était un cloaque invivable, charmant en littérature, certes, mais inhabitable. La population, que l'on appelait encore le peuple quand Le Corbusier à commença à faire place nette de cette noiceur, trouva délectable la vie moderne, celle de l'eau chaude à tous les étages, de la douche à volonté, du tout-à-l'égout et de toute cette nouveauté lumineuse et enchanteresse, dont nous avons à peine connu l'avènement pour cause de naissance un peu tardive. A propos de cette lumière "années 60" : revoyez le film de Jacques Demy, les Demoiselles de Rochefort, qui coupe court à tout discours sur elle.

Marcel dit que le modernisme (c'est ainsi que s'appelait la modernité du temps du Corbusier) fait de très vilaines ruines. Il a raison: l'ancien monde faisait de belles ruines, fascinantes à contempler, mais dont les entrailles, encore habitées dans les années 50 et une partie des années 60, comme vous dites, ne sentaient pas bon. C'est un fait.

On peut critiquer Le Corbusier pour avoir conçu pour d'autres des solutions d'habitats qu'il ne jugeait pas bonnes pour lui (le cabanon de Roquebrune, sans cuisine, etc.); mais à l'inverse, et à tout le moins, ceux qui voudraient faire habiter des ruines au prétexte qu'elles sont esthétiques et qu'elles rendent bien sur les photos, ne valent pas mieux.
Merci Jean-Marc. Je commence à vous croire.
Jacques Deray ? Rocheford ?

Je vous rappelle que le peuple appelait la Cité radieuse (celle qui est si prisée aujourd'hui par une population de bobos) "la maison du fada".
Pardonnez-moi, Francis, vous avez corrigé plus vite que votre ombre. Néanmoins, il s'agit toujours de Jacques Demy.
20 janvier 2011, 09:45   Au nom de Vancouver
Bien sûr. On parle à bon escient de la fascination pour l'Amérique, son esthétique, son mode de vie, etc. qui a déferlé comme une vague sur l'Europe occidentale après la Deuxième Guerre mondiale. Mais sait-on bien que la Première Guerre eut sur les Européens un effet comparable ? L'Amérique, au Nord comme au Sud, n'avait aucunement été impliquée dans les causes de cette boucherie, aussi était-il naturel de vouloir s'inspirer d'elle de diverses façons, cela en prolongement de ce que je disais sur la monoculture et le Brésil au sujet de Le Corbusier.

Du reste, on pourrait aller plus loin et dire que l'esthétique du paquebot de la Villa Noailles répondait aussi et en partie, à cet appel de l'Amérique, que l'on n'atteignait alors que par voie maritime... et vers laquelle toute l'Europe rêvait de migrer dans les années 20 et 30.
Merci Francmoineau (je vais finir comme BHL moi)
Ce n'est pas fini, Francis ! La villa Noailles, c'est Mallet-Stevens, pas Corbu... (Mallet-Stevens, plus discret et beaucoup plus fin, d'ailleurs.)
L'appellation de "fada" à Marseille, n'a rien de particulièrement déplaisant, injurieux et ne vaut pas franche condamnation. J'ai habité Marseille, où à l'époque (fin des années 70) Le Corbusier était un nom prestigieux, respecté chez tous. Caractérisez-vous la Cité radieuse comme un échec ? Rien n'est moins sûr.
Je trouve que vous êtes d'une mauvaise foi absolument stupéfiante. Vous êtes exactement comme ces communistes qui justifiaient l'URSS stalinienne par les vilénies du capitalisme. Et bien sûr, quand on critiquait l'URSS, on était complice du grand capital, on voulait que les ouvriers continuent à être exploités d'une façon éhontée. Et bien sûr, Francmoineau et moi-même voulons que le bon peuple continue à vivre dans la pisse, sans air, sans soleil et sans eau chaude parce que nous n'aimons guère les machines à habiter que les communistes de l'architecture leur ont construites. Comme s'il était impossible de rénover, moderniser, aérer la ville sans la détruire. En tout cas, votre réaction est une très belle illustration du type d'aveuglement qui a conduit à tant de complicités.

Parmi les raisons d'être communiste, en architecture comme en politique, il y en avait quelques unes qui n'étaient point déshonorantes. Et alors ? Qu'est-ce que cela change au résultat ?
Ca je savais Francmoineau, je ne suis encore tout à fait gaga, même si un peu fada. La Villa Noailles était introduite dans mon propos comme illustration d'une période architecturale connexe aux visions de Le Corbusier. J'ai le droit, non ?
Oups ! désolé...
« Caractérisez-vous la Cité radieuse comme un échec ? Rien n'est moins sûr. »

Francis, personne ne nie les qualité de l'architecture de Le Corbusier (qui doit du reste beaucoup à ses deux collaborateurs). Nous parlons de la ville, du tissu urbain, des rues, ruelles, escaliers, avenues, places, étagements, etc. Beaubourg ne me gêne absolument pas.
Utilisateur anonyme
20 janvier 2011, 21:06   Re : Delanoé a dit oui aux gratte-ciel
Merci à Francmoineau pour ces extraits édifiants de Le Corbusier.

"Francis, personne ne nie les qualité de l'architecture de Le Corbusier"

Mais si ! Pouvez-vous donner un lien vers une oeuvre de Le Corbusier qui vous paraisse digne d'éloges ?
Ronchamps ? Le vieux port de Marseille ? La maison du fada ? Un fada qui aurait le coeur léger fait table rase de Paris.

"Comme s'il était impossible de rénover, moderniser, aérer la ville sans la détruire."

C'est exactement l'amalgame indissociable que les architectes et leurs suppôts ont réussi à fourrer dans les esprits. C'est le chantage de base. Vous voulez de la lumière ? Vous n'aimez pas la phtisie, le rachitisme ? Vous devez donc troquer toutes vos vieilleries croulantes contre des parallélépipèdes...

Il est pourtant facile de démonter cet argument. Force est de constater que le confort moderne peut, sans dommages, être installé dans des architectures traditionnelles. Et le béton pas entretenu et mal habité, il ne sent pas la pisse ?
Sans parler des qualités reconnues des matériaux traditionnels. Il ne s'agit pas de refuser toute innovation, bien entendu, sauf quand celle-ci prend la forme hideuse que revêt la plus grande partie de l'architecture moderne depuis, en gros, les années 30.
« Alors que j’avais à peine vingt et un ans, je me suis trouvé un jour à déjeuner […] en compagnie de l’architecte masochiste et protestant Le Corbusier qui est, comme on le sait, l’inventeur de l’architecture d’auto-punition. Le Corbusier me demanda si j’avais des idées sur l’avenir de son art. Oui, j’en avais. J’ai d’ailleurs des idées sur tout. Je lui répondis que l’architecture serait « molle et poilue » et j’affirmais catégoriquement que le dernier grand génie de l’architecture s’appelait Gaudi dont le nom, en catalan, signifie « jouir », de même que Dali veut dire « désir ». Je lui expliquais que la jouissance et le désir sont le propre du catholicisme et du gothique méditerranéens réinventés et portés à leur paroxysme par Gaudi. En m’écoutant, Le Corbusier avait l’air d’avaler du fiel. »

Salvador Dalí – Les cocus du vieil art moderne (extrait)

[fromageplus.wordpress.com]
Pouvez-vous donner un lien vers une oeuvre de Le Corbusier qui vous paraisse digne d'éloges ?

La maquette de son projet d'aménagement portuaire pour la ville d'Alger (vue lors d'une exposition Le Corbusier à Tokyo en 2008). La villa Savoye à Poissy. La chapelle de Ronchamp, que l'on voyait sur les timbres-postes quand j'étais enfant...

Vous êtes vaches tous -- "protestant masochiste", un peu comme Jean-Luc Godard quoi. Clichés, vacheries, et Gaudi par dessus le marché, ce sous-facteur Cheval...
Francis,

Je ne partage pas votre point de vue quant à Gaudi (Dali rappelle fort justement que cela veut dire jouissance, ce qui ets extraordinaire quand on connait Gaudi. En revanche, dali n'a jamais voulu dire "désir").

Gaudi avait notamment trouvé des solutions très originales et audacieuses en matière de calcul des structures, chose dont le facteur Cheval était incapable.

Sur le fond, je ne pense pas les théories de Gaudi très éloignées de celles de Le Corbusier (usage des matériaux modernes qui permettent de s'affranchir des contraintes traditionnelles ; par exemple, le bêton armé travaille en tension et compression, la pierre en tension uniquement).
Utilisateur anonyme
21 janvier 2011, 00:38   Re : Delanoé a dit oui aux gratte-ciel
"La villa Savoye à Poissy."

Flippant, non ? Vous habiteriez là-dedans ? Ah! ces courtiers d'assurances qui veulent être dans le vent !

"La chapelle de Ronchamp"

Comme vous, j'avais le timbre. Sinon, moche aussi.
Qui va voir ces monuments ?

Le Havre a-t-il connu un surcroît de visiteurs depuis son classement au patrimoine mondial ?
J'ai sans doute mauvais esprit : n'envisageant pas un seul instant que cet ensemble sinistre ait pu être classé pour sa valeur architecturale, j'ai pensé qu'il s'agissait peut-être d'une façon de s'excuser d'avoir détruit inutilement cette ville avec 3000 de ses habitants...
Utilisateur anonyme
21 janvier 2011, 07:47   Re : Delanoé a dit oui aux gratte-ciel
Dans les années soixante et soixante-dix, je suis allé des centaines de fois dans cette église-bunker de Claude Parent et Paul Virilio. J'aimais bien son côté absurde et mystérieux, ses immenses escaliers durs aux vieux, son sol incliné comme sur un bateau, son écho qui résonnait sous les voûtes de béton, ses courants d'air glacials, ses horribles vitraux, son mystérieux tabernacle dont la porte lumineuse orangée ressemblait à un jambonneau... Quelques années plus tard, les trois-quarts des fidèles avaient fui.
Cela dit, il vaudra mieux habiter une de ces futures horreurs, que le bel appartement en pierre de taille juste en face. Je trouve l'architecture depuis Le Corbusier déprimante, porteuse de désespoir et d'idées suicidaires, c'est ce qu'elle provoque en moi. Paris n'est pas Shangai.
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