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Mort de Jean Dutourd

Envoyé par Florentin 
18 janvier 2011, 13:20   Mort de Jean Dutourd
"Je sens bien que je devrais prendre l'air catastrophé."
Mémoires de Mary Watson (1980)
Source : Citations de Jean Dutourd - Ses 82 citations - Dicocitations

Le Figaro
18 janvier 2011, 18:15   Re : Mort de Jean Dutourd
Très bel article de Nicolas d'Estienne d'Orves.

Jean Dutourd était un francais à l'ancienne cad très fin, élégant. Un homme d'une grande tendresse et en fait très pudique. Je l'aimais beaucoup. C'était une belle âme.
18 janvier 2011, 21:19   Re : Mort de Jean Dutourd
L'érosion, pas la chirurgie

"La réforme de l’orthographe est une de ces absurdités dont on parle périodiquement et qu’heureusement on ne réalise jamais. En tant qu’écrivain, j’y suis irréductiblement hostile. Les choses ayant trait à notre être sont intouchables.
Je ne veux pas dire que l’orthographe ne doive changer avec le temps, mais ces changements doivent se faire comme ceux de la nature : doucement, insensiblement. Un mot est un caillou. Il faut trois cents ans pour qu’il perde une lettre. Cela est du même ordre que l’érosion des rochers.

Je dis caillou. Non. Un mot est un être vivant dans lequel il ne faut pas tailler à tort et à travers. Les seuls chirurgiens qui peuvent le transformer sont les gosiers populaires, lesquels agissent justement comme la nature sur les pierres. Teste devient tête parce que pendant des siècles le peuple n’a pas prononcé le s. L’orthographe a finalement (mais avec quelle prudence, avec quel retard !) entériné l’usage.

Lorsque les savants, les professeurs, les pédants s’occupent du langage, le résultat est invariablement monstrueux. Nous en avons eu un exemple à la Renaissance, lorsque les humanistes et les rhétoriqueurs ont encombré notre langue de leur grec. Nous en avons un autre exemple aujourd’hui, avec le charabia scientificophilosophique, l’« hexagonal », le « franglais ». Qui parle mal ? Non le peuple bien sûr, mais les prétendues élites pensantes. Et pourquoi ? Parce qu’elles n’ont que l’intellect, et point d’oreilles. Le peuple vit avec le langage comme le paysan avec sa terre. Même familiarité, même connivence, même amour, même respect. Le paysan n’est ni géologue, ni météorologiste, mais il prévoit le soleil et la pluie. Le peuple n’est ni sémanticien, ni étymologiste, mais il reste fidèle au génie de la langue au milieu de ses pires barbarismes. Le vice des professeurs est le rationalisme. S’ils sont chargés d’entreprendre une réforme de l’orthographe, ils la feront rationnellement, ce qui sera funeste, car l’orthographe, comme la langue, comme la vie, n’est pas une chose rationnelle.

Les mots pour un écrivain ne sont pas seulement des sons. Ils ont aussi une figure qui joue son rôle dans l’écriture puis dans la lecture. Une page est faite pour l’oeil autant que pour l’oreille. Si j’écris philosophie, ce n’est pas la même chose que « filosofie », quoi qu’en dise Voltaire. Philosophie avec ses deux ph a un aspect austère, majestueux, qui s’accorde secrètement avec les grands hommes qui ont pratiqué cette science.

Je sentais cela déjà dans mon enfance. J’avais l’instinct de l’orthographe française, et aussi loin que je me souvienne j’ai écrit sans fautes. Cette sorte d’instinct n’est pas si singulière qu’il y paraît. L’orthographe est quelque chose d’aussi intrinsèque à la France que son langage, que son histoire : elle a évolué dans le même mystère. Je ne sais quel atavisme, lorsque j’avais huit ans, m’empêchait de me tromper sur des mots difficiles comme abbaye ou chanfrein. Entre l’écrivain et les mots, il y a une familiarité ancestrale. L’ébéniste sait que l’acajou et le citronnier n’ont pas le même grain et qu’on les travaille différemment. De même, l’écrivain, nourri des maîtres, connaît le poids de chaque mot. Si l’on change brusquement l’orthographe du mot, le poids change aussi, de façon subtile. La phrase n’est plus la même, ni la musique. Toute une littérature risque d’être abîmée.

À qui profiterait une réforme simplificatrice de l’orthographe, tendant vers la reproduction phonétique ? Évidemment aux ignorants. Mais qu’importe que les ignorants fassent des fautes ? Ils en ont toujours fait, et cela ne les a jamais empêchés de dormir."

Jean Dutourd, La grenade et le suppositoire, 2008 (Recueil de chroniques écrites pour France-Soir entre 1975 et 1978.)
Utilisateur anonyme
18 janvier 2011, 22:08   Re : Mort de Jean Dutourd
Merci pour cette belle citation.
19 janvier 2011, 10:08   Re : Mort de Jean Dutourd
Sur Radio Classique à 18h, rediffusion d'un entretien avec Jean Dutourd
19 janvier 2011, 11:02   Re : Mort de Jean Dutourd
Les seuls chirurgiens qui peuvent le transformer sont les gosiers populaires, lesquels agissent justement comme la nature sur les pierres. Teste devient tête parce que pendant des siècles le peuple n’a pas prononcé le s. L’orthographe a finalement (mais avec quelle prudence, avec quel retard !) entériné l’usage

Oui et non. C'est dangereux lorsqu'on change de peuple. Qui est le peuple aujourd'hui ?
19 janvier 2011, 13:21   Re : Mort de Jean Dutourd
Citation
Oui et non. C'est dangereux lorsqu'on change de peuple. Qui est le peuple aujourd'hui ?

Ce texte a été écrit entre 1975 et 1978. Le grand remplacement n'avait pas encore vraiment commencé à faire les ravages qu'il a actuellement sur le pays. Alors votre remarque Buena vista tombe un peu à plat.
Que la remarque de M. de Buena vista tombe à plat, je n'en suis pas aussi certain que vous, cher Rogemi — ne serait-ce que parce qu'elle est aisément transposable au danger qui guette la vie démocratie par le biais des élections du même métal.
19 janvier 2011, 14:02   Re : Mort de Jean Dutourd
La remarque de Buena Vista, hélas, ne tombe pas à plat. Les lois douces et naturelles de l'érosion ont été bousculées dans et par l'Invasion et la prise de possession de la langue par les envahisseurs, les brutaux, le tsunami qui empoche l'existant et le liquéfie. Dès lors l'érosion doit laisser la primauté à la conservation, à la réaction; le roc de la langue doit se faire plus dur pour résister, non plus à l'érosion mais à la liquidation; ce rocher doit tenir face au flot acide de l'éructation sans connaissance, sans aucun souci du dépôt non plus que du rabot du temps, sans aucun regard pour l'action lustrante du temps qui a précédé ce flot.
19 janvier 2011, 14:07   Re : Mort de Jean Dutourd
Chers Francis et Francmoineau,

Qu'est ce que vous nous racontez ?

Je me référe au texte de Jean Dutourd et la critique de Buena vista se rapportait justement au contenu de l'extrait. Je regrette de devoir vous le dire au moment où celui écrivit ce texte il était pleinement valable.
19 janvier 2011, 16:24   Re : Mort de Jean Dutourd
Le problème, cher Rogemi, c'est que feu Jean Dutourd, s'il écrit effectivement en 1978 le texte que vous nous mettez sous les yeux, tire des conclusions permanentes sur le mode d'évolution de la langue : c'est l'usage populaire qui prévaut.

Je ne vois pas que Jean Dutourd précise quelque part : En 1978 "le peuple vit avec le langage comme le paysan avec sa terre".

On l'excusera bien volontiers de n'avoir su prévoir qu'en une seule génération, à partir de 1978 justement, notre peuple serait à ce point anéanti et si vite remplacé. C'est tellement inouï que même l'ami des paradoxes que fut Jean Dutourd
n'aurait pu y songer.

Aujourd'hui, c'est au contraire un usage bourgeois et savant du français qu'il faut préconiser, conformément aux préférences personnelles de Renaud Camus et en accord avec les orientations du PI. Jean Dutourd n'aura pas été un
précurseur de l'in-nocence sur ce point, ce qui ne lui ôte aucun de ses nombreux autres mérites.
19 janvier 2011, 17:43   Re : Mort de Jean Dutourd
On pourrait ajouter que Jean Dutourd n'est pas mort en 1978, qu'il a pu assister aux changements survenus dans la population française et qu'il lui eût été loisible de revoir ses chroniques à la lumière des-dits changements. Peut-être l'a-t-il fait, je n'en sais rien. En revanche, ce n'est pas offenser sa mémoire que de rappeler qu'il a été très assidu à l'émission de Philippe Bouvard, sur RTL, principal titre de gloire qui lui est d'ailleurs attribué dans les nécrologies que j'ai pu entendre ou lire ici ou là. En même temps que l'habit vert, n'a-t-il pas revêtu l'habit de "réac" qu'il faut dans le décor, fût-ce celui des Grosses têtes, comme jadis Paul Guth enfila celui de "candide" officiel ? Il faut bien admettre que le magistère moral exercé par la "gauche" n'aura laissé filtrer que des auteurs de "droite" plus folkloriques que magistraux.
Comme éloge funèbre, on fait mieux... voici le pauvre Dutourd habillé pour l'hiver...
20 janvier 2011, 03:27   Re : Mort de Jean Dutourd
Si j'ose exprimer une remarque personnelle, autant l'homme Dutourd m'a toujours paru très sympathique avec son côté réactionnaire revendiqué, autant ses livres m'ont toujours laissé assez froid. Je crois qu'il restera fort peu de chose de son oeuvre.
20 janvier 2011, 08:29   Re : Mort de Jean Dutourd
Citation
Je crois qu'il restera fort peu de chose de son oeuvre.

Je ne vois pas l'intérêt de faire de tels pronostics, cher Mr. Wilson.

Le fait est que Jean Dutourd a été pendant 50 ans vilipendé par tous les progressistes de France et de Navarre et cela devrait suffir à lui rendre hommage dans un silence respectueux.
"Au bon beurre" était exactement dans l'esprit qu'on retrouve plus tard ici et chez Muray.
20 janvier 2011, 10:08   Re : Mort de Jean Dutourd
Il y a l'écriture, quand même, et c'est toute la différence entre un Dutourd (ou un Droit, un d'Ormesson, que j'ai toujours trouvés illisibles) et un Muray. Ou un Renaud Camus. J'ai le souvenir d'une lecture d' "Au bon beurre" très laborieuse. Mais comme je le disais, ce ne sont que des jugements personnels - et qui ne prétendent à rien d'autre.
20 janvier 2011, 10:17   Re : Mort de Jean Dutourd
François Taillandier n'est pas de cet avis.
20 janvier 2011, 10:35   Re : Mort de Jean Dutourd
Citation
Que seuls nos écrivains, nos peintres, ceux qui se sont brûlés juste pour donner au monde leur petite mélodie unique, sont les seuls à dire la vérité.

Ce texte de Francois Taillandier est magnifique. Merci Marcel !
20 janvier 2011, 10:40   Re : Mort de Jean Dutourd
Très beau texte, oui. Merci de l'avoir mis en ligne. N'empêche que la prose dutourdienne ne m'a jamais touché. Par ma grande faute sans doute.
Je pense que c'est une question de génération.

Mon enfance fut bercée par l'évocation des B.O.F., et par le souvenir épouvanté de mon grand-père qui fut une nuit mis à contribution par son cousin germain, qui possédait un assez important commerce de disques, instruments de musique et objets annexes, et qui avait besoin d'une personne de confiance au moment de la grande valse des étiquettes de l'après-guerre.

Dans ces conditions, vous comprendrez que "Le Bon beurre" me parle.
Utilisateur anonyme
20 janvier 2011, 17:55   Re : Mort de Jean Dutourd
Je recommande la lecture de son Feld-maréchal von Bonaparte : considérations sur les causes de la grandeur des Français et de leur décadence, savoureuse uchronie qui imagine ce qui aurait pu arriver si Drouet, myope, n'avait pas reconnu le roi au relais de Sainte-Menehould.

Il y a aussi ses livres regroupant ses critiques littéraires au Figaro, inépuisables et sûrs conseils de lecture.
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