Il est possible, en effet, que les décideurs de la Shoah n'aient plus rien eu à tuer en eux-mêmes quand la "solution finale" fut engagée, quitte à ce que la phrase de Goebbels proche de la fin -- "nous entrerons dans l'histoire comme les plus grands criminels de tous les temps" -- prennent, confrontée à cette thèse, un tour bien énigmatique...
Mais je voulais insister sur ce fait que les mains ensanglantées des exécutants avaient eu
un énorme travail à fournir, que pour tuer et massacrer, et conduire à la mort femmes, vieillards et enfants, elles avaient d'abord, ou dans un même mouvement "d'inflation" du meurtre, dû tuer la civilisation, des Lumières et du Christianisme et de l'humaniste pensée -- civilisation jusque là interprétée quasi uniformément par les pères et grand-pères et instituteurs, sachant que sur les bancs de la communale, par exemple, le petit Wittgenstein avait usé ses fonds de culotte à côté du petit Adolph Hitler... L'Allemagne et l'Autriche sont au coeur du continent humaniste et de la pensée scrupuleuse et exigeante. Les procédés oratoires du petit moustachu agité étaient-ils donc si puissants qu'ils pussent seuls balayer la civilisation enracinée -- qui avait produit Brahms et Rilke -- dans ce continent ? Permettez-moi d'en douter. Le massacre sans limite, l'amok systématique dans la masse innocente furent les armes requises pour tuer en soi la civilisation, pour
tuer deux fois.
Le retour à la barbarie était assurément impossible en Occident par la seule action des Occidentaux, ou par l'action des Occidentaux seuls, comme l'a prouvé l'échec nazi: il y avait trop à tuer. Mais cet échec a laissé dans son sillage une grande faiblesse dans l'ensemble du continent à l'âme meurtrie, et qui ne trouve plus à rassembler ses forces pour faire face à la
barbarie simple, qui, elle,
ne procède pas par l'outre-meurtre, qui n'a rien de précieux à tuer en elle avant que d'instaurer son règne, et à qui la seule nocence peut suffire pour s'affirmer et s'imposer. C'est ainsi que France et l'Allemagne "se laissent faire", comme des malheureuses abattues par trop de violence et de viols. Le "barbare simple", opportuniste qui vient à passer, accomplit et recueille ainsi les fruits de la "revanche posthume" d'Adolphe Hitler, fait son miel, se renforce de la conscience malheureuse de ces pays, avec l'aide de toutes leurs officines "anti-racistes" conçues pour lui faciliter encore cette tâche, déjà facile; il trouve , le chanceux! ces officines toutes prêtes à l'aider à mieux cueillir le fruit mûr, coulant de sucs, de cette revanche posthume.