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Latinisme

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
14 février 2011, 11:33   Latinisme
Je suis à la recherche d'une traduction précise de la devise de Rubens (et aussi de Newton ?) : Diu noctuque incubando. "Je pense pense nuit et et jour" ne me paraît traduire la dimension d'incubation... Si d'aventure un latiniste a une idée, je suis preneur...
14 février 2011, 12:09   Re : Latinisme
Le verbe « penser », pris absolument, me paraît également un peu faible. On doit pouvoir expliciter la chose. Je vous propose  : « Jour et nuit, je songe à mon art », et je laisse de plus habiles que moi vous faire d’autres propositions de traduction.
14 février 2011, 12:20   Re : Latinisme
Plusieurs propositions :

- je me prélasse nuit et jour ;

- je couve le jour et la nuit ;

Sur la base d'un jeu de mot, et pour rendre hommage à Francmoineau, je prends mon temps avant de peindre (ou de ponde), je laisse mûrir mon idée avant de la jeter sur la toile.
Utilisateur anonyme
14 février 2011, 12:27   Re : Latinisme
Ce que j'entends dans le latin c'est que l'activité de penser n'est pas continuellement consciente, elle ne connaît pas d'interruption, elle est consubstantielle à l'être, elle est une cogitation, une infusion, une rumination. Parler de "son art" est une bonne idée dans le cas de Rubens, mais un peu réductrice dans le cas de Newton, et si l'on veut appliquer cette maxime à quelqu'un qui n'est ni un artiste ni un savant, on est un peu embarrassé.
14 février 2011, 12:39   Re : Latinisme
Incubo n'a pas ce sens-là en latin, il a vraiment le sens de couver, comme dans "couver une maladie" (Gaffiot donne un intéressant exemple à ce propos). Son sens originel est "je suis couché".
Utilisateur anonyme
14 février 2011, 12:42   Re : Latinisme
Oui, voila : mais comment rendre que la pensée incube ? ou que l'on incube quelque chose qui n'est pas une maladie ? "Je couve jour et nuit ?"
Utilisateur anonyme
14 février 2011, 12:44   Re : Latinisme
(Message supprimé à la demande de son auteur)
14 février 2011, 12:48   Re : Latinisme
En somme, il s’agit d’une sorte de veille intellectuelle permanente. Que pensez-vous de : « Mon esprit ni jour ni nuit ne relâche [ou ne suspend] sa veille » ?
Utilisateur anonyme
14 février 2011, 12:50   Re : Latinisme
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
14 février 2011, 12:55   Re : Latinisme
Oui, dans le sens ou un ordinateur "oeuvre", ne suspend sa veille à aucun moment, il continue à calculer, à tourner... Il ne s'endort jamais... "Mon esprit œuvre le jour comme la nuit" me semble pas mal voire "Mon esprit tourne jour et nuit" ... Merci de ces précieux concours !
14 février 2011, 12:56   Re : Latinisme
J’y ai pensé, cher Didier : Jour et nuit, mon esprit est en travail. Mais je me suis demandé si cette métaphore n’allait pas un peu au-delà du sens initial.
Utilisateur anonyme
14 février 2011, 12:56   Re : Latinisme
"Mon esprit travaille jour et nuit"... Oui c'est bien aussi.
14 février 2011, 13:06   Re : Latinisme
que les pensees diurnes se couchent la nuit, et les nuits eclairent les journees

la nuit, le jour, que la pensee oeuvre

(et pourquoi pas : "Longtemps je me suis couche tot")

(pardon pour les accents deja couches: clavier d'emprunt)
14 février 2011, 13:36   Re : Latinisme
Que le jour autant que la nuit vous soient doux, toujours et partout sourd l'Esprit.
14 février 2011, 14:54   Re : Latinisme
Je vous propose : "Je couve, donc je produis".

Plus sérieusement, on ne traduit pas un jeu de mots.
14 février 2011, 21:08   Re : Latinisme
Pour garder «jour et nuit» sans perdre l'idée que l'esprit travaille aussi la nuit, mais différemment ,sans le concours de la volonté, pourquoi pas «Éveillé ou dormant (veillant ou dormant), mon esprit œuvre (travaille)» ou « ... mon œuvre mûrit» ?

«Que je veille ou que je dorme, mon œuvre mûrit» ou, pour faire moderne, « ... l'œuvre me travaille».

«Dans la veille et le sommeil, travaillant.».
14 février 2011, 21:28   L'ouvrage, toujours recommencé
«...cela jour et nuit s'ouvre en moi. »
14 février 2011, 21:28   Re : Latinisme
Je suis très surpris que dans un tel forum nul ne comprenne le jeu de mot qui est derrière cette devise...
14 février 2011, 21:43   Re : Latinisme
«Jour et nuit, en le couvant ou en étant couché, je suis à mon ouvrage.»
14 février 2011, 21:51   Re : Latinisme
Muss man durchaus erst auf ihr fest sitzen? auf ihr wie auf einem Ei gebrütet haben? Diu noctuque incubando, wie Newton von sich selbst sagte?

Nous disait Nietzsche.

Faites simple, et dites : "Couvant jour et nuit".
Utilisateur anonyme
14 février 2011, 21:56   Re : Latinisme
"A quel moment pensait-il ? Diu noctuque incubando (Je pense nuit et jour)— telle était sa devise latine, c’est-à-dire qu’il réfléchissait avant de peindre ; on le voit d’après ses esquisses, projets, croquis. Au vrai, l’improvisation de la main succédait aux improvisation de l’esprit : même certitude et même facilité de l’esprit dans un cas que dans l’autre. C’était une âme sans orage, sans langueur, ni tourment, ni chimères. Si jamais les mélancolies du travail ont laissé leur trace quelque part, ce n’est ni sur les traits de Rubens ni dans ses tableaux. Par sa naissance en plein seizième siècle, il appartenait à cette forte race de penseurs et d’hommes d’action chez qui l’action et la pensée ne faisaient qu’un. Il était peintre comme il eût été homme d’épée". (Fromentin, Les maîtres d'autrefois)
14 février 2011, 22:27   Faut pas s'priver
J'ai un dîner cette nuit, oh je vais la ressortir celle-là, z'allez voir la tête ébahie de mes béotiens commensaux...
15 février 2011, 07:54   Re : Latinisme
N'y a-t-il pas dans "incubando" une notion de maturation, comme on murit un projet ?
15 février 2011, 09:01   Re : Latinisme
Distique :

Me hantant se mûrit
Mon oeuvre jour et nuit.
Utilisateur anonyme
15 février 2011, 09:26   Re : Latinisme
Henri Poincaré, je crois, racontait qu'il lui était arrivé de buter sur une démonstration, de l'abandonner, en apparence au moins, et de se réveiller un beau matin avec la solution, alors qu'il n'y "pensait" plus depuis plusieurs jours, (ou semaines, ou mois ? je ne sais pas exactement). C'est ce phénomène psychique que j'entends dans l' "incubation", (mais l'interprétation rubentine de Fromentin, peu claire, semble en contredire l'esprit, avec la notion d'improvisation ).

Cette devise dit que la pensée d'un artiste est continue et non pas interrompue par la rupture nocturne, qu'elle gagne en efficacité puisqu'elle dort avec ses objets (et peut-être qu'elle change de régime la nuit sans les quitter des yeux ?) Néanmoins il n'y est pas question d'œuvre, même si cela est implicite dans le cas de Rubens. C'est un ressort connu des romans policiers que l'enquêteur voie soudain ce qu'il ne voyait pas, ait une illumination à la suite d'une élaboration mentale souterraine. La traduction en une formule simple doit obligatoirement faire l'économie d'une connotation de l'original, et c'est dommage.
Cette devise dit que la pensée d'un artiste est continue et non pas interrompue par la rupture nocturne, qu'elle gagne en efficacité puisqu'elle dort avec ses objets

Et l'esprit du non-artiste, comment croyez vous qu'il opère ? L'artiste n'est qu'un homme ordinaire légèrement plus exalté que d'autres par son ouvrage, et encore.

Le sommeil est bien un effrayant mystère. En voulez-vous une illustration triviale et très récente (48 heures) ? Je m'étais endormi dans la chaleur accablante et le calme du jardin, sur la couche qui occupe un coin de la pièce où je travaille, il devait être 14 heures. Je suis réveillé une heure plus tard par un rêve très intense, assez tourmenté: j'expose, dans une sorte de colloque que je parais animer, ce que fut la Commune de Paris -- qu'elle fut une déchirante guerre civile dont les protagoniste n'ont pas même à être jugés par l'histoire; que la guerre civile et ses atrocités ne font toujours que des vaincus, que personne "ne gagne" jamais pareille guerre, et d'exposer les barricades, le canon Fraternité, la répression, les cadavres de jeunes filles repêchés de la Seine, etc... Je déployais cette thèse, avec passion, au bord des larmes, des vibratos incontrôlés dans la voix, de forts mouvements de manche... Excédé par ce rêve oppressant et idiot je parvenais à m'en secouer et à me réveiller. Je mesurai alors, presque à haute voix, la révoltante absurdité de pareil événement onirique, n'offrant pas le moindre rapport avec ma vie, mon environnement, mes pensées du jour, mes lectures, mes rencontres, mes échanges, mes songeries... Qu'est-ce donc que la Commune de Paris peut bien venir fiche là ? Je n'ai pas pensé à la Commune de Paris depuis des mois, en fait probablement des années.

Je me remets au travail, et comme souvent, pour "me mettre en jambe", m'en vais un peu me distraire sur un site de professionnels de la traduction, qui s'échangent des glossaires et qui surtout s'entraident en se proposant des solutions de traduction lorsque l'un achoppe sur telle tournure ou tel terme. Le plus souvent, chez les francophones, on se sollicite pour des termes techniques (informatique, électronique, médecine), tandis que chez les anglophones qui traduisent du français, c'est plus divers (oenologie, architecture, tourisme, histoire, etc.), c'est donc souvent à ces derniers que je vais offrir mes lumières, comme il m'arrive de solliciter les leurs.

Aujourd'hui quelqu'un prie qu'on l'aide à traduire en anglais « Il a beau s’être fait la main dans l’apostolat par les pélerinages… ». Ses collègues l’invitent à fournir davantage de contexte. La traductrice qui nous sollicite nous fournit la phrase complète : « Il a beau s'être fait la main dans l'apostolat par les pèlerinages-- l'une des sections-clé de l'Association Notre-Dame-de-Salut, fondée par lui en 1871-- le Père Picard s'est engagé ici, avec réserve. » Je ne sais pas qui était le père Picard; je google son nom, notant au passage la date indiquée : 1871.

Et voici, en première ligne de Google ce sur quoi je tombe : ICI

Cette petite aventure mentale a failli me convaincre que l'activité onirique se déployant hors de l'échelle ordinaire de la temporalité, je continuerai de rêver après ma mort, et qu'il est probable aussi, by the same token, que les morts rêvent.

Voici le lien vers la page en cause de ce site proz.com des professionnels de la traduction où je suis intervenu ce jour-là, ma proposition de traduction ayant été retenue par la traductrice:I C I
Où vous voyez un effrayant mystère se déployant hors de la temporalité ordinaire, je ne vois pour ma part, cher Francis, que coïncidence (et la coïncidence est la mère de toutes les superstitions).
Avez-vous déjà eu des expériences de ce type Francmoineau ? Si c'est le cas, vous devez savoir qu'il n'est pas facile de les mettre au compte de "la coïncidence".
Utilisateur anonyme
15 février 2011, 12:21   Re : Latinisme
Les coïncidences sont certes statistiquement très répandues, mais l'important est que nous nous rendions compte d'elles. "Je me rends compte de… " : La forme pronominale dissocie le moi : quelqu'un (moi) me rend compte de la coïncidence. Une coïncidence a un sens justement parce que nous la repérons au milieu de milliers d'autres que nous ne voyons pas. Et justement c'est cette activité souterraine du cerveau ("inconsciente"?) qui nous indique qu'elle est pertinente. En ce sens je trouve le récit de Francis efficace; ben sûr, tout le monde pense nuit et jour, mais peut-être les artistes, ou ceux qui ont une activité psychique intellectuelle développée parviennent-ils à "gérer" ou organiser, à défaut de maîtriser cette activité souterraine/nocturne ?
15 février 2011, 12:46   Re : Latinisme
La nuit porte conseil. C'est bien connu. J'irai dans le sens de Francis car j'ai vérifié à plusieurs reprises ce genre d'expérience. Ce qui nous apparaît comme loufoque dans les rêves et qui affleure à la conscience représente certainement la trace d'un travail de déblayage, de simplification que notre cerveau recherchait à l'état de veille mais qu'il avait compromis en posant mal les problèmes. Quand Valéry dit que le premier vers nous est donné, il parle d'une fulgurance dont la conscience prend acte mais que l'inconscient a quand même peaufiné. Bien sûr, ça ne vient pas n'importe comment chez n'importe qui, il faut un travail préalable.
Oui, Francis, bien sûr, j'ai éprouvé comme vous, comme tout un chacun, ce petit choc dû à la rencontre de deux événements qui soudain semblent s'ajuster par miracle ; comme le note M. A., il est statistiquement impossible d'y échapper. Cependant, ce n'est pas parce qu'il est difficile de porter cette collision au compte de la coïncidence que l'on doit s'abstenir de le faire — au contraire même ! Essayez, vous verrez : avec un peu de pratique, on n'y arrive pas si mal.
15 février 2011, 14:23   Re : Latinisme
Citation
Bruno A.
Henri Poincaré, je crois, racontait qu'il lui était arrivé de buter sur une démonstration, de l'abandonner, en apparence au moins, et de se réveiller un beau matin avec la solution, alors qu'il n'y "pensait" plus depuis plusieurs jours, (ou semaines, ou mois ? je ne sais pas exactement). C'est ce phénomène psychique que j'entends dans l' "incubation", (mais l'interprétation rubentine de Fromentin, peu claire, semble en contredire l'esprit, avec la notion d'improvisation ).

.


Une très belle page de Giraudoux sur le phénomène, somme toute banal, de l'incubation ; ici, pendant les minutes qui précèdent le sommeil du lycéen :
« J'attendais. Je savais que la journée, avant de s'évanouir, me laisserait la solution du problème, qu'elle ne mourrait pas sans dévoiler le sens de la phrase latine la plus mystérieuse à cet enfant silencieux et nu, sans langage, sans tunique, qui pouvait être aussi bien un enfant romain, un enfant toscan. Je savais que les fautes d'orthographe oubliées devaient apparaître sur le mur, en caractères géants, que les barbarismes bossus, les solécismes émaciés, envoûtés dans le grec pur et ferme de mon thème, allaient s'en dégager et, grimaçants, se laisser prendre, les gallicismes revenir vers moi, déconfits, en tenue française, de leur équipée aux mondes antiques. Il ne me restait bientôt plus que des cahiers apaisés, des devoirs lisses, une mémoire soumise; ... »
Simon le Pathétique, Oeuvres romanesques complètes I, Pléiade, page 285.
Francmoineau, la coincidence ne peut plus etre interpretee comme telle lorsque les signes qui l'annoncent parlent avant elle avec certitude: des 1871 je sus ce que j'allais trouver, le choc, des l'annonce de cette date, se produisit. Ce que je trouvai tout de suite apres n'apporta que la lassante confirmation de cette certitude. Des l'annonce de cette date, je sus que ce reve avait ete sinon premonitoire du moins le prolongement a rebours d'un etat de veille anticipe. La page internet sur la Commune de Paris, qui constitue, dans votre systeme, la coincidence, etait deja redondante; j'etais,avant que de l'ouvrir, deja sur de la trouver.

[les accents du francais, longtemps se sont couches tot par ici, si longtemps que l'habitude prise...]


Corrigé: le 1971 en 1871, sans quoi tout ceci n'a évidemment aucun sens.
16 février 2011, 00:11   Coïncidences
» je sus que ce reve avait ete sinon premonitoire du moins le prolongement a rebours d'un etat de veille anticipe

Ah mais si on dessinait cela on obtiendrait le signe de l'infini, non ?
16 février 2011, 01:03   Re : Coïncidences
Alain, vous vous raillez ?
16 février 2011, 02:45   Re : Coïncidences
Si vous permettez, cher Francis, en voici le maladroit schéma tel que figuré dans mon enchifrenée tête, car j'ai une grippe carabinée...
(PàR valant pour "prolongement à rebours", VA pour "veille anticipée", à l'entrecroisement central R pour "rêve" formant le Ch, "chiasme du regard intérieur incubant", et de chaque côté du Signe est représenté un V pour "veille"...)


16 février 2011, 04:59   Re : Coïncidences
Merci Alain. La même image m'était apparue en un éclair avant que de se dissiper aussitôt dans mon esprit doutant, sous les appels de la déraisonnable raison qui croyait bon de vouloir me persuader, la garce, que l'ami Alain Eytan en avait profité pour se gausser de la pugnace naïveté de son petit camarade à vouloir tantôt percer, tantôt saisir de ses doigts fiévreux, le sens de son être-au-monde. Je ne suis pas déçu. La non-déception est une forme du bonheur.
Utilisateur anonyme
16 février 2011, 07:32   Re : Latinisme
Vous savez que Léon Bloy avait une vision de l'histoire très singulière : il doutait de la dimension chronologique des choses. Il y avait pour lui une dimension où tous les événements étaient unis entre eux par un rapport différent de la temporalité, une sorte de "simultanéité" mystique. Je ne me souviens plus du détail de cela qui est très étonnant et donne à la lecture des ouvrages historiques de Bloy un aspect très piquant.
Oui absolument. Simultanéité chez Bloy, synchronicité chez C.G. Jung... et dans la pensée chinoise 緣份 (yuan fen), comme chez Parménide ("C’est pourquoi le destin ne lâche point ses liens de manière à permettre à l’être de naître ou de périr, mais le maintient immobile." ).

緣: destin, mais qui se prononce comme 原 (l'origine, la source) et au champ sémantique duquel il est apparenté.

份: ce qui sépare mais aussi qui "a partie à" et donc par lequel ce qui est séparé révèle sa consubstantialité (on ne peut être séparé que de ce avec quoi/qui l'on a une substance en partage); cette division (fen signifie aussi "diviser"), ce partage, pose donc un lien.

Le devenir n'est possible, n'est interprétable que dans un statut d'antériorité de sa source; ce qui m'adviendra et qui dans l'heure va m'advenir était déjà là, vient de plus loin que moi, dans l'antécédence indépassable et absolue, -- entre l'événement qui approche et moi, témoin ou acteur, ou acteur-témoin, il existe une sorte de contrat très antérieur, qui précéda ma naissance, ma venue, ma carrière au monde et le monde qui m'autorise à la tracer. Toute chose qui se présente devant moi m'a précédé, ne se donne comme événement inédit que parce que sa source est située loin derrière moi et toujours dans mon chemin -- sa venue trace mon chemin. La source m'a précédé mais elle avait besoin de mon existence pour se faire connaître et advenir à moi et à tous mes témoins. Ainsi, toute source de destin est bonne à prendre et je ne puis être indifférent à aucune; au final, à l'arrivée, je me serai, de l'une à l'autre, changeant de sources, frayé un chemin d'existence. Et chaque nouvelle source où mon existence s'abreuve, me justifie, m'encourage à continuer, et justifie la source d'avoir, sans moi qui n'était pas encore pour la justifier de jaillir, tout commencé.

C'est aussi une idée, en Orient, très romantique et même sentimentale (nourrissant presque toutes les élégies): vous que je n'ai pas encore rencontré(e), quand nous nous verrons, nous nous re-connaîtrons, etc.
Certains chrétiens pensent également quelque chose comme ça, qui leur permet de concilier le jour lointain du Jugement Dernier avec l'affirmation que "Ce soir je serai à tes côtés Seigneur".
Oui, et n'est-ce pas cela qui contribue le plus à rendre cette religion, aux yeux de certains, si sentimentale ?
Utilisateur anonyme
16 février 2011, 08:58   Re : "Un jour tu verras, on se rencontrera..."
(Message supprimé à la demande de son auteur)
En illustration de la figure de l'infini tracée en amont par Alain Eytan, je ne résiste pas de mettre ici cet extrait de "De la Nature" de Parménide qui traite du lien qui soude l'être ("uni et cohérent") et par lequel il a part aux choses, aux sources de toutes choses et à la matière de tous êtres:

C’est pourquoi le destin ne lâche point ses liens de manière à permettre à l’être de naître ou de périr, mais le maintient immobile. La décision à ce sujet est tout entière dans ces mots: l’être ou le non-être. Il a donc été conclu, comme cela devait être, qu’il faut laisser là ce procédé inintelligible, inexprimable; car il n’est pas le chemin de la vérité, et que l’autre est réel et vrai. Comment, ensuite, l’être viendrait-il à exister? Et comment naîtrait-il? S’il vient à naître, c’est qu’il n’est pas, et de même s’il doit exister un jour. Ainsi se détruisent et deviennent inadmissibles sa naissance et sa mort.

Il n’est pas divisible, puisqu’il est en tout semblable à lui-même, et qu’il n’y a point en lui de côté plus fort ni plus faible, qui l’empêche de se tenir uni et cohérent; mais il est tout plein de l’être, et de la sorte il forme un tout continu, puisque l’être touche à l’être.

Mais l’être est immuable dans les limites de ses grands liens; il n’a ni commencement ni fin, puisque la naissance et la mort se sont retirés fort loin de lui, et que la conviction vraie les a repoussées. Il reste donc le même en lui-même et demeure en soi: ainsi il reste stable; car une forte unité le retient sous la puissance des liens et le presse tout autour.

C’est, pourquoi il n’est pas admissible qu’il ne soit pas infini; car il est l’être qui ne manque de rien, et s’il ne l’était pas, il manquerait de tout.
Mon cher Francis, je suis toujours un peu ébaubi devant votre fébrilité intellectuelle. Moi qui suis beaucoup moins véloce et prolixe que vous, je m'obstine bovinement à ne voir, dans ce que vous vous plaisez à prendre pour des prémonitions, des confirmations, des allers et des retours dans les boucles du ruban de Moebius dont le camarade Eytan a bien voulu nous donner une illustration quasi wittgensteinienne, que des supputations, des constructions, des tourments délicieux que votre âme torturée aime à s'infliger. Votre attitude face aux capricieuses combinaisons des menus faits que la donne stochastique organise m'évoque à la fois la joie de l'enfant admirant les figures qui se dessinent dans son kaléidoscope et l'inquiétude de qui éprouve soudain le déroutant sentiment de déjà vu. Tout cet attirail me semble bien profus et bien inutile — mais après tout, peut-être manqué-je tout simplement d'un peu de poésie. Je ne suis en somme d'accord avec vous que pour pouvoir dire, avec Ionesco (ou est-ce Valéry, je ne sais plus ?) : "Jours qui viendrez, vous êtes révolus" ; mais je doute que ce soit au sens où vous l'entendez.
"Les images qu'on croit oubliées demeurent au plus profond des magasins de l'esprit, comme des clichés photographiques tenus en réserve pour le Jour où il faudra que tout aparaisse. Et je pense que cette réserve mystérieuse est transmise, avec tout le reste, par voie d'hérédité."

Léon Bloy - Le mendiant ingrat
16 février 2011, 11:00   Re : Latinisme
J'ai vu sa tombe, dernièrement, à Bourg-la-Reine, non loin de l'endroit où je donnais un cours. Le vieil homme, sous sa pierre, devait contempler les images et les figures dont vous parlez. Personne, dans ce cimetière, ne vient fleurir la tombe. En tombant dessus, j'avais cru à un homonyme ; vérification faite, c'est bien lui.

Allez, cher Francis, en écho à la citation d'Orimont, je vous offre ce petit fragment, duquel je ne doute pas que vous saurez reconnaître la provenance :

What else than a natural and mighty palimpsest is the human brain? Such a palimpsest is my brain; such a palimpsest, oh reader! is yours. Everlasting layers of ideas, images, feelings, have fallen upon your brain softly as light. Each succession has seemed to bury all that went before. And yet, in reality, not one has been extinguished. And if, in the vellum palimpsest, lying amongst the other diplomata of human archives or libraries, there is anything fantastic or which moves to laughter, as oftentimes there is in the grotesque collisions of those successive themes, having no natural connection, which by pure accident have consecutively occupied the roll, yet, in our own heaven-created palimpsest, the deep memorial palimpsest of the brain, there are not and cannot be such incoherencies. The fleeting accidents of a man’s life, and its external shows, may indeed be irrelate and incongruous; but the organizing principles which fuse into harmony, and gather about fixed predetermined centres, whatever heterogeneous elements life may have accumulated from without, will not permit the grandeur of human unity greatly to be violated, or its ultimate repose to be troubled, in the retrospect from dying moments, or from other great convulsions.
16 février 2011, 12:10   Opium
Qu'est-ce que le cerveau humain, sinon un palimpseste immense et naturel ? Mon cerveau est un palimpseste et le vôtre aussi, lecteur. Des couches innombrables d'idées, d'images, de sentiments sont tombées successivement sur votre cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune en réalité n'a péri...
16 février 2011, 17:44   Re : Opium
C'est cela même, cher Francis. J'avoue que j'ai cependant un faible pour la traduction de Pierre Leyris, qui montre un De Quincey tutoyant son lecteur :

« Qu'est-ce que le cerveau humain, sinon un palimpseste immense et naturel ? Mon cerveau est un palimpseste, le tien aussi, lecteur. Des couches innombrables d'idées, d'images, de sentiments sont tombées successivement sur ton cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais en réalité aucune n'a péri. Et si, dans le palimpseste de vélin qui gît parmi les autres diplomata des archives et des bibliothèques humaines, il y a souvent quelque chose de fantastique ou qui provoque le rire du fait de la collision grotesque de ces thèmes successifs sans lien naturel qui, par pur accident, ont successivement occupé le rouleau, dans notre propre palimpseste créé par le ciel, dans ce profond palimpseste commémoratif du cerveau, il n'y a et il ne saurait y avoir pareilles incohérences. Les accidents passagers d'une vie d'homme, et ses manifestations extérieures, peuvent être disparates et incongrus ; mais les principes organisateurs qui se fondent harmonieusement et se rassemblent autour de centres fixes et prédéterminés, en dépit des éléments hétérogènes que la vie a pu accumuler du dehors, ne souffriront pas que la grandeur de l'unité humaine soit gravement atteinte ou que soit troublé son ultime repos dans la rétrospection de l'agonie ou de toute autre grande convulsion. »
16 février 2011, 17:53   Re : Latinisme
"Mais aucune en réalité n'a péri" (Baudelaire).

"Mais en réalité aucune n'a péri" (Leyris).

C'était bien la peine d'inverser : Leyris rajoute une allitération (aucuneuh n'a péri). Mais c'est peut-être pour obtenir l'alexandrin...
16 février 2011, 17:59   Re : Opium
Toute l'Angleterre victorienne littéraire écrivait un anglais palimpseste du français. Comme si le fantôme de Napoléon, au fond, avait réussi à débarquer dans nul autre territoire que l'esprit de la langue anglaise. La prose de De Quincey est une transparente supplique à être livrée en français. Le grand Dickens lui-même s'était ému du phénomène. L'ère victorienne pleura le Maître militaire que l'Angleterre s'était refusée d'accueillir, mais refusant aussi de se consoler, dans tout le siècle qui suivit, elle se refusa à lui substituer une quelconque figure masculine et choisit de se rabattre ainsi, pour l'édification de sa grandeur, sur une Impératrice. Napoléon ou rien. Napoléon absolument, et à défaut de lui, à défaut de l'homme indépassable -- une impératrice !
16 février 2011, 19:20   Re : Latinisme
Vous avez raison de relever cette petite incongruité, cher Stéphane. A la vérité, le texte de Leyris recèle de-ci de-là quelques bizarreries, qui ne déparent nullement, cependant (à mon humble avis), la haute tenue de sa traduction. Je n'irais pas jusqu'à affirmer, comme le fait hardiment Francis (notre acrobate préféré), que "la prose de De Quincey est une transparente supplique à être livrée en français", mais je dois dire que la lecture des Confessions dans cette langue demeure un immense plaisir grâce à ce drogman de haut vol.
16 février 2011, 19:26   Re : Latinisme
J'apprends à l'instant la mort de François Nourissier. Peut-être faudrait-il ouvrir un nouveau fil.
16 février 2011, 19:34   Re : Latinisme
...Et celle de George Shearing également, mais je doute qu'il ait droit à son fil.



Utilisateur anonyme
16 février 2011, 19:43   Re : Latinisme
Hum... Dans le Journal romain, c'est peu dire que Renaud Camus n'était pas tendre avec François Nourrissier ; je venais juste de relire les passages qui parlent de lui. Il serait sans doute convenable d'attendre que l'émotion du deuil soit passée pour les citer.
16 février 2011, 19:56   Re : Latinisme
Je ne n'ai malheureusement pas lu le Journal romain, et serais curieux de savoir les reproches (sont-ce des reproches ?) faits par Renaud Camus à Nourissier.
16 février 2011, 20:52   Re : Latinisme
Quelle musicienne ! Merci Francmoineau.
16 février 2011, 21:26   Re : Latinisme
Je propose : "Diu noctuque incubando" = je vibre nuit et jour. (ce monde n'est que vibration ou ne sera pas, non ?)
16 février 2011, 21:49   Re : Latinisme
Ou alors : "j'infuse nuit et jour" (à partir d'un certain âge, nous sommes tous de vieilles herbes à purger, à mâcher, à brûler, à épicer ou à tisane) Dans le même sens : je me distille nuit et jour ; je décante nuit et jour ; je me sublime nuit et jour, je rêve, j'espère nuit et jour, je bande nuit et jour (bon, je m'en vais parce qu'il est tard et que c'est la nuit que j'aime dormir bien qu'en gros fainéant : je dors nuit et jour)
16 février 2011, 21:52   Re : Latinisme
En ce jour, c'est tendre la perche à l'humour noir, cette traduction...
16 février 2011, 22:02   Re : Latinisme
Il est dix heures, dormez braves gens !
16 février 2011, 22:02   Un réalisme obtus
» Nous ne sommes pas dans le temps...

Oh que si ! Prenez une feuille de papier, cher Didier, regardez-la entière et blanche, puis griffonnez quelque chose dessus et déchirez-la ; tâchez donc alors de tendre la main vers la feuille intacte et immaculée que vous venez d'avoir sous les yeux et les mains... Que dalle ! vous ne pourrez pas, même en faisant un détour par l'avenir pour en rebondir vers l'arrière si ça vous chante.
Faire l'expérience de cette impossibilité-là, c'est être dans le temps jusqu'au cou, et se le tordre pour essayer de se figurer où diable est passé l'état de choses matériel précédent. Les prouesses d'agilité projective tout intellectuelles de l'esprit humain sont en effet remarquables, et même spectaculaires comme tout contorsionnisme digne de ce nom, mais ne relèvent, et Kant l'avait déjà démonté pièce par pièce, que de la possibilité conceptuelle.
Or c'est un comble, c'est à mon sens surtout celle-là qui est oublieuse d'être.

Comme vous voyez, j'ai donc emprunté le regard bovin de Francmoineau, j'espère qu'il ne m'en fera pas grief, à ceci près que j'ai justement replacé l'animal dans le train qu'il regarde passer.
16 février 2011, 22:05   Re : Latinisme
Puisque vous évoquez le paradoxe d'Einstein, cher Alain, connaissez-vous le livre d'Olivier Costa de Beauregard, Le second principe de la science du temps ?
16 février 2011, 22:18   Re : Latinisme
Hélas non, cher Florentin. Que dit en résumé ce Beauregard ?
16 février 2011, 22:21   Re : Latinisme
De mémoire car je le l'ai pas sous la main, et grosso modo, il avance que nous lisons le temps à l'envers !
16 février 2011, 22:29   Re : Latinisme
Citation
Florentin
De mémoire car je le l'ai pas sous la main, et grosso modo, il avance que nous lisons le temps à l'envers !

Florentin : ce beau regard nous dit-il comment lire "à l'envers" un truc qui n'a pas de fin ? Je ne sais par quel bout prendre tout ça, en vérité. (Déjà que pour les mangas et les bananes j'ai du mal...)
16 février 2011, 23:11   Re : Latinisme
Bonne question mais mon résumé était trop lapidaire, je l'avoue.
Je viens d'assister en direct au 200ème tir d'Ariane, c'était impressionnant.
Utilisateur anonyme
17 février 2011, 09:50   Re : Latinisme
(Message supprimé à la demande de son auteur)
17 février 2011, 09:55   Re : Latinisme
La phrase magnifique de Gustave Roud que je citais naguère ("Mais n'y a-t-il pas au plus profond de notre coeur comme une source têtue et timide hors des ruines mêmes de la mémoire, cette voix un souffle même qui nous annonce la fin du Temps et que toutes ces choses très aimées abolies un instant par la mort illusoire, nos yeux enfin rouverts les verront renaître une à une dans leur toute-présence, le Jour venu - quand il n'y aura plus de jours ?") me semble constituer un écho lointain et pourtant assez précis à celle de Bloy ci-dessus.
17 février 2011, 23:01   Re : Latinisme
Cher Kiran, il y a ceux qui ne peuvent que souffler sur les braises restantes :

« Bien que la grandeur, la beauté, la vie se soient éteintes de ce monde, notre inclination pour elles n'est par morte en nous. S'il nous est refusé de les atteindre, il ne nous est pas défendu, il n'est pas possible de nous défendre de les désirer. »

Leopardi, Zibaldone
18 février 2011, 05:38   Re : Latinisme
Il n'y a que le forum de l'In-nocence, même en ces temps de détresse, qui puisse réunir sur un même fil Léon Bloy, Léopardi et l'immense Gustave Roud.
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