Le site du parti de l'In-nocence

Marc Roche et Sir Goodwin

Envoyé par Renaud Camus 
14 mars 2011, 01:19   Marc Roche et Sir Goodwin
Il est tout de même invraisemblable, stupéfiant (je veux dire que j'ai vraiment peine à y croire) que l'envoyé permanent du Monde à Londres, Marc Roche, continue de ne pas savoir, bien qu'il soit en poste depuis plusieurs années, que Sir, en anglais et en Angleterre, ne peut être suivi que d'un prénom, ce qui semble un des points les plus élémentaires de toute connaissance de la société d'outre-Manche. On lit Le Monde, on tombe sur un article intitulé : "Sir Goodwin : ne l'appelez plus jamais banquier". On se dit que pareil titre ne peut pas être du correspondant à Londres, que c'est impossible, que ce doit être un méfait de la rédaction, et l'on déplore l'état de la rédaction du Monde, coupable d'une erreur aussi grossière, aussi énorme, aussi incroyable chez un détenteur du baccalauréat que celle qui consisterait à dire à Mr McGregor, d'Inverness :

« Je suis enchanté de vous rencontrer, j'ai toujours adoré les Anglais ».

Mais non — on lit l'article lui-même et on tombe bel et bien sur : « Si Sir Goodwin est à l'évidence fragile comme une porcelaine… »

C'est à peu près comme si le correspondant aux États-Unis croyait que New York est la capitale du pays (et comme si plusieurs années sur place ne le détrompaient pas).
Utilisateur anonyme
14 mars 2011, 01:44   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
C'est en effet stupéfiant. Mais cette faute (qui est en réalité une ignorance) est hélas courante, y compris chez les candidats à l'agrégation d'anglais.
Utilisateur anonyme
14 mars 2011, 01:56   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Quant au détenteur du baccalauréat, il n'a bien souvent aucune idée de la différence qui existe entre l'Angleterre et l'Ecosse... et il ne saurait, sauf exception, déceler l'origine spécifiquement écossaise du nom McGregor.
Utilisateur anonyme
14 mars 2011, 08:56   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Naguère je fus entendu par un juge d’instruction en qualité de témoin. Je fus questionné sur l’origine d’une personne mêlée à l’affaire. « Elle est d’origine écossaise » dis-je. A la lecture du procès verbal je fis observer au magistrat que je n’avais pas dit « anglaise », comme écrit sur l’acte, mais « écossaise ». « Mais c’est pareil » a été la réponse du juge. Je n’ai pas voulu prendre la direction de l’outrage à magistrat, j’ai donc conclu par « Oui Madame le juge ». Elle aurait préféré « Madame la juge » sans doute.
Alors, mon Dieu, la ligne de front étant enfoncée depuis longtemps, je salue la témérité de Renaud Camus qui combat sur des positions aussi avancées que la question du « Sir ». Mais il a raison. Rien ne doit être abandonné, mais certains jours la fatigue gagne.
Je pense que c'est délibéré. Le Monde est ainsi: il aime "se mettre à la portée du lecteur". C'est son essence. Au coeur de toute manipulation, de tout mépris, il y a cette ambition perverse de "se mettre à la portée" de celui que l'on manipule, que l'on méprise.
Oui, mais alors il faudrait, et il faut, et c'est sans doute le cas, que le lectorat du Monde ait bien changé. Car jadis, et même naguère, lecteur du Monde signifiait à peu près : qui sait qu'on ne dit pas Sir Churchill.
Je pense, moi, que c'est par ignorance pure et simple ; je crois que beaucoup de journalistes se trouvent toujours-déjà à la portée de ce qu'ils imaginent être le lecteur moyen (petit-bourgeois), et que cette omission du prénom devant Sir n'est même pas consciente. Cela trahirait une distance du journaliste vis-à-vis de sa propre faute, ce qui me paraît hautement improbable, étant donné qu'au Monde on est coutumier de ce genre de fautes, et surtout compte tenu du fait qu'en dictature petite-bourgeoise, la notion de distanciation, d'extériorité, et de hiérarchie des niveaux de discours n'existe pas, et qu'il s'y trouverait sans doute des personnes pour penser que cette règle n'a jamais existé.
Cela me rappelle que Han Suyin, l'écrivain sino-belge d'expression française autant qu'anglaise, pilier d'ambassades à l'époque de Zhou Enlai, chef officieux des relations publiques internationales de la République Populaire de Chine, s'appliquait à commettre cette faute quand elle s'exprimait en français.
Sous-titre d'une info qui barre la page d'accueil du monde.fr

L'état du réacteur n° 2 de la centrale fait toujours craindre une nouvelle explosion, comme ce fût le cas pour les réacteurs 1 et 3.

Les journalistes de l'illustre quotidien ont désormais le niveau en français écrit d'un lycéen français moyen, qui met d'instinct un accent circonflexe sur fut au passé simple, par souvenir confus de l'imparfait du subjonctif. Le genre de faute qu'on fait quand on est simplement familiarisé avec la langue écrite, qu'on la connaît "de vue", pour ainsi dire, sans l'avoir jamais apprise. (Plus aucun lycéen n'apprend aucune conjugaison ni ne sait ce qu'est le mode d'un verbe.)
Comme vous avez raison pour ce qui concerne la conjugaison ! Je connais un élève de dernière année de collège qui a d'énormes difficultés à conjuguer les verbes, à distinguer les temps, à les employer à bon escient, etc. Eh bien, à quoi son professeur consacre-t-il ses cours ? A des débats. Ils débattent de la peine de mort, du racisme, de la condition des femmes, mais ne savent pas distinguer l'indicatif du subjonctif. Quel temps perdu ! Revient à mon esprit cette formule si juste de Finkielkraut : "On leur donne la parole avant de leur donner la langue."
14 mars 2011, 17:19   Néo français (suite)
Hier soir, sur France Culture, émission Cultures d'islam, animée comme d'habitude par Abdelwahab Meddeb.

Il faut reconnaître que celui-ci ne parle pas un trop mauvais français, en général. C'est en revanche un coupeur de parole émérite : en cela très proche (frères jumeaux, vraiment, à cet égard) de Victor Malka, responsable de Maison d'étude, sur la culture juive (ils seraient presque interchangeables).

Thème de l'émission d'hier extrêmement intéressant. Il s'agissait des rapports de Louis Aragon avec l'Islam, à partir de son oeuvre Le Fou d'Elsa (rien à voir avec Les Yeux d'Elsa et autres poèmes d'amour gentillets immortalisés par la chanson). Le Fou d'Elsa est un long poème récit, passablement méconnu, sans doute un véritable chef-d'oeuvre, sur la fin de la culture islamique à Grenade, en Espagne.

Eh bien, d'un bout à l'autre de l'émission Abdelwahab Meddeb a parlé de Louiss' Aragon, oui, quelque chose comme Luis Aragon ; est-ce l'Espagne qui a déteint ? Toujours est-il que cette tendance barbare, maintes fois soulignée par Renaud Camus, à prononcer toutes les lettres, atteignait ici un degré de ridicule inimaginable.
Le Fou d'Elsa s'ouvre sur une énorme faute de langue.
ah bon, laquelle ?
14 mars 2011, 17:31   Re : Néo français (suite)
Ah oui, vraiment ?
M. Marche aime faire languir ses interlocuteurs.
La veille où Grenade fut prise, à sa belle un guerrier disait...
Ah oui, La veille [du jour] où Grenade fut prise, etc.
Utilisateur anonyme
14 mars 2011, 17:51   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Il y aurait un livre entier à écrire sur l'effondrement si rapide du niveau général de la presse française. Il y a encore quinze ans, de telles fautes étaient inimaginables. Le parangon m'en semble être Le Nouvel Observateur, qui, très lisible il y a une dizaine d'années, est devenu ragoteur, "people", mal écrit et incroyablement idéologique. Les pages littéraires s'y réduisent chaque semaine au profit de la mode vestimentaire ou alimentaire. Même la presse littéraire est touchée, je pense à Lire ou au Magazine littéraire. On peut également noter qu'il s'agit d'un phénomène presque exclusivement français : les journaux italiens, espagnols, anglais, américains "de qualité" n'ont pas subi cet affaissement subit.
Mais Aragon, qui écrit un des français les plus purs qui soient, le fait exprès bien sûr. Il en donne l'explication dans la préface. En voici un résumé :

En 1960, feuilletant de « grands volumes encombrants » de la collection du Ménestrel, journal de musique imprimé en Hollande, les yeux d’Aragon tombent sur l’une des chansons dont les paroles sont d’un certain Victor le Comte, et le titre le retient: « La veille de la prise de Grenade »

Alors, le voyage commence à partir de ce nom : La Grenade[v] ; le poète part au pays des rêves, « des rêves re rêvés » et se trouve devant ...

« ... Grenade, la Grenade aux derniers jours, la Grenade assiégée par les Rois Catholiques ... »

Le premier vers de la romance contient une étrangeté qui attire Aragon :

« La veille où Grenade fut prise »

« Tout a commencé par une faute de français (...) tout le mystère en résidait dans une faute de syntaxe : on dit, bien entendu, la veille du jour où ... et non la veille où ... »

Et ce divorce de mots, cette contraction du langage, cette beauté appolinairienne qui résidait dans l’incorrection même, devient pour le poète la clef des songes pour retrouver la Grenade et l’Andalousie. Ce premier vers ouvre l’univers des songes sur Aragon qui se prépare pour exprimer, pour chanter ce qu’il voulait dire et qu’il avait dit depuis longtemps, même avant la période du début du surréalisme, à l’époque de Dda, Anicet ou Panorama, ou même ici et là dans les poèmes du Feu de joie : l’amour et le merveilleux.


Source.
Merci pour toutes ces précisions, Marcel Meyer. Il est vrai qu'on ne saurait confondre ceux qui enfreignent les règles qu'ils connaissent et ceux qui le font par ignorance (catégorie à laquelle appartient le journaliste qui sert de prétexte à ce fil). Et puis, c'est vrai, la faute en l'occurrence n'est pas inélégante.
14 mars 2011, 18:21   Strange fruit (ch. XXII)
Bien sûr Marcel: je savais moi aussi qu'Aragon savait. Il n'empêche que la faute fut fièrement reprise, sans aucun "jeu" dans le corps du texte. Dites-moi, vous qui avez des lettres (sous les yeux), est-ce dans cette préface qu'il est dit que Grenade, comme ce poème, est comme le fruit du même nom, qui présente cette particularité qu'il serait seul à posséder de finir comme il commence ? Soit de finir, ce qui est un comble pour un fruit, par la queue, à la différence, par exemple, des pommes et des poires qui vivent sur l'arbre la tête en bas comme les chauve-souris, si l'on peut dire !
Ô jour qui meurs à songer d'elle
Un songe sans raison...
Citation
Marien de Falvard
Il y aurait un livre entier à écrire sur l'effondrement si rapide du niveau général de la presse française. Il y a encore quinze ans, de telles fautes étaient inimaginables.
Allez dire cela à Marcel Schwob ! Voyez les perles qu’il cite dans Mœurs des diurnales !

Nos lecteurs y verront défiler, comme en une galerie, ces belles « Dames du Temps jadis », que Ronsard regrettait en sa ballade fameuse.
(Le Gaulois, 13 mars 1903.)

Le pays de Tadichmalka est infecté de lions.
(Écho de Paris, 10 nov. 1902.)

On les a traités en pestiférés, on leur a tendu les huit sièges avec des pincettes !
(Le Temps, 31 oct. 1902.)

Le monde est étonnant. J’ai entendu il y a peu à la radio un homme d’une grande culture employer le mot conséquent dans le sens d’important. Je crois pourtant qu’il a lu Renaud Camus.
Mais je ne savais pas. Je connais assez bien Aragon, notamment ses romans, mais je n'ai jamais lu Le Fou d'Elsa et ne le possède pas.
Utilisateur anonyme
14 mars 2011, 18:41   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
(Message supprimé à la demande de son auteur)
J'aime à relever les fautes de langage qui pullulent ici et là et qui donnent mille fois raison aux observations de Renaud Camus, dans les Délicatesses ou passim dans le Journal. Mais je serais tout à fait désolé si ces remarques conduisaient à critiquer si peu que ce soit un poète de l'importance d'Aragon (dont Paul Claudel, oui, Paul Claudel, disait que c'était un des rares écrivains dont on sentait que le français était la langue natale), auquel on peut accorder, c'est bien le moins, toute licence poétique - ou à reprocher une infime impropriété lors d'un entretien oral et improvisé à un responsable du PI, par ailleurs des plus convaincant. Ce ne sont pas les "fautes" en tant que telles qu'il faudrait traquer, comme un pion myope et borné, mais seulement celles, moins nombreuses mais plus graves, qui pèchent contre l'esprit de la langue et la salissent.
boudiou! Buena Vista!
Je suis bien loin de vous blâmer pour votre faute Didier Bourjon. Le phénomène que vous décrivez, le fait de se voir en train de commettre une faute, cela m’arrive souvent. En se reprenant, on risque de perdre le train de ses idées. Nul n’est infaillible, c’est cela que je voulais dire. Si un homme aussi cultivé, aussi attentif que vous à bien s’exprimer commet parfois de telles fautes, cela signifie justement, à mon sens, qu’il faut se montrer plus indulgent, ou du moins plus circonspect dans son jugement, à l’égard des fautes que commet tout un chacun. Dans ses premières pièces, à 18 ans, Marivaux confondait le passé simple et l’imparfait du subjonctif, allant jusqu’à écrire ce distique : « Quoique j’eus résolu de ne plus vous revoir / Et que je dus partir de ces lieux dès ce soir…. » Ce n’est pas moins un grand écrivain.

Je rejoins d’ailleurs l’avis de Buena Vista : les fautes les plus graves sont celles qui pèchent contre l’esprit, et surtout certaines qui deviennent des manies, des tics de langage, des scies. Si mon message a été interprété autrement, je vous prie de m’en excuser. J’ai dit en son lieu le bien que je pensais de votre entretien à la radio, en particulier de votre voix. Je ne suis pas un spécialiste en la matière mais je n’ai pas remarqué les défauts que vous signalez.
Utilisateur anonyme
15 mars 2011, 10:53   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
"il faut se montrer plus indulgent, ou du moins plus circonspect dans son jugement, à l’égard des fautes que commettent tout un chacun."

Je suis pleinement d'accord. D'autant plus que les emballements les plus vifs concernent souvent les fautes les plus vénielles ou même les plus discutables. Que n'a-t-on entendu sur les "par contre" , les "autant pour moi" etc...

En ce qui concerne le "Sir Goodwin", c'est indiscutablement une faute en anglais. Mais la règle "Sir + prénom" doit-elle fatalement s'appliquer en français ? Le journaliste qui s'affranchit de cette règle dans un texte français est-il forcément un ignoramus ?

A ce propos, aucun d'entre vous n'est choqué par l'over-réactivité du patron de Radio Courtoisie dès que ce qu'il estime être un anglicisme est proféré à l'antenne ? Je croyais, au départ, à une plaisanterie. Mais non ! Le ton est cassant et le fautif obligatoirement repentant... Sa traque effrénée du mot "score" est, entre autres, particulièrement ridicule... C'est à vous dégoûter de faire une chasse — justifiée — au sabir américanoïde...
Cette coutume de Radio Courtoisie est idiote, à mon avis. On commence toutes ses phrases par C'est vrai que, et on joue les vierges effarouchées chaque fois que le mot t-shirt est prononcé.
Il en va de la langue comme de la population : jamais un français en bonne santé ne se laisserait envahir à ce point par le sabir anglo-aéroportuaire imposé notamment par les médiatres.
15 mars 2011, 11:42   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Citation
Aragon
La veille où Grenade fut prise, à sa belle un guerrier disait...

Le temps hors du temps.; la veille c'est toujours si l'on ne connaît pas le jour. Le récit devient légende, mythe, par cette distorsion voulue.
15 mars 2011, 11:58   Finnegans Wake
Ce qui n'exclut pas en outre la possibilité d'entendre la veille comme une veillée d'armes ou une garde de nuit, ce que la présence d'un guerrier dans ce vers rend vraisemblable.
à Francis Marche :

Je vous présente mes excuses si mon intervention un peu plus haut dans ce fil de discussions (14 mars à 19h33) a pu vous choquer ou vous paraître dirigée contre vous. Au contraire, j'apprécie le côté enlevé, élégant, pertinent, de la plupart de vos messages. J'en avais plutôt après certaines dérives de l'hyper-correction ou de l'excès de purisme, en matière de langage, telles que celles qui viennent d'être pointées et dénoncées chez certains patrons d'émission de Radio Courtoisie.

De même que l'élégance vestimentaire se doit de comporter toujours un peu de désinvolture, l'élégance langagière peut s'accommoder de pas mal de petites bévues vénielles, volontaires ou non, qui ne pèchent pas contre l'esprit.

Quant au franglais, tarte à la crème des puristes depuis Etiemble (1964), j'observerai que les meilleurs écrivains français ne sont peut-être pas si catégoriques à son égard. J'adore rencontrer dans le Journal de Renaud Camus des expressions en anglais (plus rarement en italien) toujours en italiques. A la réflexion, je constate qu'aucun équivalent français n'aurait été si vif, si adapté, si pertinent. Alors, pourquoi pas ? A petites doses, bien sûr.

Plus tard, mais bientôt, quand dans les grandes villes de France, dans les rues, dans les transports, on n'entendra plus que toutes sortes de variétés d'arabe dialectal (c'est en bonne voie), on dira sans doute du franglais ou même du sabir américanoïde d'aéroport, que c'était le bon temps...
15 mars 2011, 12:04   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Citation
Francis Marche
Ce qui n'exclut pas en outre la possibilité d'entendre la veille comme une veillée d'armes ou une garde de nuit, ce que la présence d'un guerrier dans ce vers rend vraisemblable.

Autre effet, en effet. La poésie=polysémisme pertinent.
Citation
Buena vista
Quant au franglais, tarte à la crème des puristes depuis Etiemble (1964), j'observerai que les meilleurs écrivains français ne sont peut-être pas si catégoriques à son égard.

À propos du purisme, voici ce que disait justement un des meilleurs écrivains français.

Qu'une expression soit ou ne soit pas ce qu'on. appelle française ou du bel usage, ce n'est pas de cela qu'il sagit : on ne parle et l'on n'écrit que pour se faire entendre ; pourvu qu'on soit intelligible, on va à son but ; quand ou est clair, on y va encore mieux : parlez donc clairement pour quiconque entend le français. Voilà la règle, et soyez sûr que, fissiez-vous au surplus cinq cents barbarismes, vous n'en aurez pas moins bien écrit. Je vais plus loin, et je soutiens qu'il faut quelquefois faire des fautes de grammaire pour être plus lumineux. C'est en cela, et non dans toutes les pédanteries du purisme, que consiste le véritable art d'écrire.
(Rousseau, lettre du 12 avril 1765 à M. Du Peyrou)

Il faut prendre garde, cependant, que Rousseau ne donne pas au mot clarté le sens que, de nos jours, nous lui donnons couramment. Il ne s’agit pas uniquement de se comprendre (« Je me comprends !… ») ou de se faire comprendre plus ou moins grossièrement. Il faut que ce qu’on a voulu dire soit tout à fait clair, que l’énoncé « présent[e] à l’esprit une idée bien une et bien nette », quitte à ce que la chose dite clarifie une pensée elle-même imprécise, confuse, à construire. Ces conseils valent surtout, je crois, pour la prose d’idées ou de communication. La poésie, la littérature, aime aussi bien la lumière que l’ombre ; la révélation que le mystère.
15 mars 2011, 12:40   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
J'en profite pour vous dire, chère Buena Vista, que les gens qui articulent le français ne sont pas forcément des barbares, de même que ceux qui en bouffent la moitié ne sont pas des bêtes.
Cher Buena Vista,

Vous ne me voyez nullement choqué, c'est cette instance à vouloir défendre Aragon à contre-emploi qui m'avait fait m'exclamer. Aragon, à l'évidence, savait ce qu'il faisait en composant ce vers. Les bévues, petites, moyennes ou grosses, nous en commettons tous en français, qui doit être la langue où elles se révèlent le mieux. La bévue, l'écart, ne m'ont jamais gêné chez personne tant qu'elles présentent une forme d'originalité, d'unicité, et que l'on pourrait presque dire d'elles qu'elles participent à un style personnel, ou qu'elles sont accidentelles, révélatrices, comme est accidentel le grain de beauté, la coquetterie dans l'oeil, etc. Le malheur apparaît quand elles deviennent communes, répandues et systématiques et qu'elles font scie: t'es où ? on fait quoi ? C'est basique ne sont plus de la langue, n'ont plus rien d'amusant depuis longtemps, et pour le malheur de ceux qui en usent, n'ont acquis aucun sérieux non plus, sont du bruit, sont gênantes parce qu'elles ne disent plus rien.
Sur France Inter, le journaliste s'évertue depuis la nuit des temps à prononcer « Desssplan » le nom de l'envoyé spécial au Japon. De même, l'envoyée spéciale de la radio aux Etats-Unis s'appelle, je crois, Desmazes ; un jour, le speaker a prononcé correctement le nom, à la stupeur générale, mais il s'est aussitôt repris et a prononcé « Desssmazes »... (« Ouf, a-t-il dû se dire, la boulette n'était pas loin »).
15 mars 2011, 14:10   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Il y a quelques jours, j'ai entendu distinctement et plusieurs fois à la radio : "Jacques Chirac et ses co-z-accusés"
On a ici dépassé le stade d'abus fautif des liaisons, on en invente même à l'intérieur d'un mot (coaccusé) !
Utilisateur anonyme
15 mars 2011, 14:21   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Cela étant j' ai un ami appelé Desplan qui tient à ce que son nom soit prononcé " Dessplan " ; il s'agit d'un patronyme languedocien à l'origine , dont la prononciation n'est peut-être pas soumise aux bons usages parisiens .
A mon avis, cette tendance contemporaine à vouloir prononcer toute lettre présente dans un mot est lointainement liée à une perception utilitariste des choses qui voudrait que les lettres n'aient d'autre rôle à jouer dans les mots que leur prononciation. Si ces lettres sont là, ce n'est pas pour rien, ce n'est pas pour ne pas être prononcées. Sinon, autant ne pas les faire figurer dans les mots, ce à quoi s'emploient d'ailleurs (dans une démarche de même nature), tous les langages simplifiés de type SMS.
Vous aller demander que l'on dise Tolosa, Montepestelario, etc. ?

Les règles de prononciation du français ne sont pas "le bon usage parisien" mais le bon usage français, et cela concerne le Languedoc au même titre que la Bretagne, l'Alsace, ou l'Ile de France. Si je m'essaie à parler l'alsacien, je prononce quelque chose comme "chtrosseburgue", mais pas quand je parle français.
« Cela étant j' ai un ami appelé Desplan qui tient à ce que son nom soit prononcé " Dessplan " ; il s'agit d'un patronyme languedocien à l'origine , dont la prononciation n'est peut-être pas soumise aux bons usages parisiens . »

J'allais protester, mais l'archange Meyer a tiré le glaive avant moi. Le drame actuel est que les gens ne savent même plus comment se prononce leur propre nom. Les Ghislaine sont convaincues qu'elles s'appellent Jisssslaine et Caroline Fourrest croit sincèrement se nommer Fourresttt'. Il n'y a que l'héroïque famille Mesrine pour mener encore le bon combat.
Rousseau et ses cinq cents barbarismes, c'est comme Montaigne et son doux et mol oreiller : on peut louer le manque quand on est bien au-dessus...
J'ai bien l'impression que son patronyme s'écrit plutôt Fourest, comme le poète Georges Fourest, qui est d'ailleurs beaucoup plus spirituel que la journaliste "éponyme" (ce qui n'est pas difficile).
Citation
Beckford
A ce propos, aucun d'entre vous n'est choqué par l'over-réactivité du patron de Radio Courtoisie dès que ce qu'il estime être un anglicisme est proféré à l'antenne ?

Très drôle !
15 mars 2011, 15:32   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Question à nos amis voyageurs : les autres pays font-ils autant d'efforts que la France pour prononcer à la manière locale les noms étrangers ? J'ai l'impression que la prononciation étrangère exacte est une véritable obsession chez les journalistes, et s'ils ont le malheur de prononcer un nom à la française, ils se font massacrer par une armée de trolls en colère.
Bien sûr, ce dénigrement du français s'inscrit dans une logique de respect absolu de l'autre et de son identité blablabla...
Par exemple, j'ai toujours entendu les italiens dire "choumaquère" pour Schumacher sans que personne s'en offusque, alors qu'ici les journalistes essaient de mille manières de le prononcer à l'allemande, et au final, mal dans les deux langues.
Marcel,

C'est un débat éternel, mais je rappelle une nouvelle fois que Paulhan et Mauriac, personnes cultivées, tenaient, l'un, à ce que son nom fût prononcé non pas Pôlan mais Poyan, l'autre à ce que le nom "Desqueyroux" fût rocailleux et sifflant.

Dans le même ordre d'idée, Jules Vallez fut obligé d'écrire son nom Vallès pour qu'on le prononçât correctement. Il n'est pas inconnu.

Enfin, je n'ai jamais entendu parler de Georges Bernano.

Je me souviens aussi d'avoir vu un passage de l'INA dans lequel Frédéric Pottecher était repris par Marie Besnard, la Bonne Dame de Loudun, pour avoir prononcé son nom "Bénar", ce qui à cette époque évoquait irrésistiblement un pantalon.

Dès lors, ne peut-on distinguer le prénom, pour lequel il y a une prononciation courante, et le patronyme, pour lequel la personne est tout de même la mieux placée pour savoir comment on doit dire ?
"J'allais protester, mais l'archange Meyer a tiré le glaive avant moi."

Je me disais, aussi...


"... choumaquère pour Schumacher" : tenez, Mathieu, dans La Règle du jeu, de Renoir, on en entend un beau.
Et en effet, ce débat est récurrent. Et il est vrai que même Renaud Camus ne prononce pas, je crois, le nom de son et notre ami Finkielkraut faim-qu'il- krô (ou faim-qui-elle-krô ?), encore que le cas soit un peu différent. Mais que voulez-vous, quand la maison brûle, c'est là qu'on essaie d'éteindre l'incendie.
Vous parlez de l'essayiste Alain Finchelcreau ?
Marcel et Mathieu,


Je vais essayer, ce soir, de faire un petit exercice, en deux parties :

- examiner quelques archives INA pour voir comment, entre 1945 et 1975, on prononçait, à la radio ou à la télévision, les patronymes étrangers ;

- examiner à travers mes propres souvenirs et des archives ad hoc les usages en portugais et en espagnol (pour les Américains, cela me semble net : ils américanisent).
15 mars 2011, 18:52   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Citation
Stéphane Bily
"... choumaquère pour Schumacher" : tenez, Mathieu, dans La Règle du jeu, de Renoir, on en entend un beau.

Il me semble qu'à cette époque-là, la prononciation des langues étrangères (notamment l'anglais) était beaucoup plus fautive qu'aujourd'hui : la prononciation se faisait souvent complètement à la française, au mépris de la prononciation originale (voir par exemple le ferry boat prononcé "ferry bô-ate" dans l'adaptation cinématographique de la Trilogie marseillaise de Pagnol). Songez aussi que le mot redingote provient du mot anglais riding coat prononcé à la française...

Sinon, il est vrai que les fautes de prononciation semblent se multiplier aujourd'hui dans la langue française (tout comme celles de syntaxe, de vocabulaire, de grammaire et de conjugaison) ; c'est assez frappant lorsqu'on écoute les médias. Ce midi, j'ai par exemple entendu à la radio la dernière syllabe de "Tarn-et-Garonne" prononcée "Rhône"...
Utilisateur anonyme
15 mars 2011, 18:55   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
"J'ai bien l'impression que son patronyme s'écrit plutôt Fourest, comme le poète Georges Fourest, qui est d'ailleurs beaucoup plus spirituel que la journaliste "éponyme" (ce qui n'est pas difficile)."

Enfin un admirateur de Fourest ! Vive les petits lapons et les sardines à l'huile !
Oui, Fourest, pardon, j'ai toujours eu un problème avec les lettres doubles. C'est précisément parce que, toute ma vie, j'ai dit et entendu dire Fourré, pour le poète, que j'ai du mal à passer soudainement à Fouresttt' pour la même orthographe.
Utilisateur anonyme
15 mars 2011, 20:10   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Pour Mers les bains, dans la Somme, je ne connais qu’une seule personne, qui ne prononce pas « Merss », c’est mon GPS . Un peu plus au Nord la prononciation de Saint Valéry sur Somme se fait en Saint « Valry », ce qui a le mérite d’être conforme à l’histoire (Saint Walric), donc pouvoir se défendre solidement. Ce n’est pas une prononciation du sud, mais je pense que Renaud Camus , pour la première ville citée, appliquerait la règle strictement : « Mer » les bains. Pour Saint Valéry je ne sais pas. Croyez bien que je ne veux vous comparer à mon GPS (qui d’ailleurs semble être programmé pour prononcer presque correctement, sans consonne finale, je testerai « Gers »).
Oui, enfin, Caroline Fourré, je suis pas sûr que ça l'fasse. Surtout quand on connaît la dame…
Marcel et Mathieu,


Voici les usages du temps passé. La tendance à prononcer comme on imagine que la langue d'origine prononce est flagrante dans les archives INA.

Président Roosevelt : prononcé Rousevélt et non Rosevelt

[www.ina.fr]

Président Truman : prononcé Troumann et non Trüman

[www.ina.fr]

Chancelier Adenauer : prononciation à l'allemande.

[www.ina.fr]


Eva Peron : prononciation espagnole

[www.ina.fr]



La loi espagnole, quant à elle, pense résoudre le problème en autorisant l'étranger à adopter pour la transcription de son nom une orthographe phonétique espagnole, "La adecuación gráfica al español de la fonética de apellidos extranjeros".
15 mars 2011, 22:51   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Merci Jean-Marc pour vos exemples, mais il y a un monde entre prononcer un nom à la française de façon pure et dure, et tenter d'être plus anglophone qu'un anglais (ou ce que vous voulez).
Je pense qu'à peu près tout le monde dit Winston Tcheurtchill, mais qu'on vous comprend si vous vous contentez de dire Albert Spir et non Chpère, et qu'on ne vous comprendra plus si vous cherchez à dire Vincent van Ror plutôt que Gogue.
On peut essayer de bien prononcer un nom, mais la tendance est au changement exotique de la prononciation établie, pourtant gage de compréhension mutuelle.

Au fait, je fais un petit sondage : suis-je le seul croûton à passer pour un extra-terrestre en persistant à dire vingt-t-euros, deux-z-euros (etc) et ne pas céder au heuro généralisé ?
Désormais, la liaison n'est même plus considérée comme une manière de pédant mais comme une authentique erreur. Je dirais "vous faisez", cela leur écorcherait moins les oreilles.
Mathieu,

Au risque de dépasser mon quota de messages :

- pour les noms étrangers, je ferais une différence entre ceux qui sont connus de nous après l'apparition des médias audio-visuels et ceux qui furent connus avant. Pour les premiers, je pense la prononciation d'origine de leur nom est dominante (voir que que Francis avait dit de CIA et FBI) dès lors qu'on a connaissance d'eux par les médias de leur pays d'origine ;

- la liaison est un marqueur social très fort.
Ah oui mais attendez, là ils érigent cela en loi, je ne sais d'où sortie : pour euro, pas de liaison (afin que le mot reste le même dans toutes les langues, peut-être...
Citation
Mathieu

Au fait, je fais un petit sondage : suis-je le seul croûton à passer pour un extra-terrestre en persistant à dire vingt-t-euros, deux-z-euros (etc) et ne pas céder au heuro généralisé ?

Croûton Francmoineau au rapport !

Cher Mathieu, proposez-donc, comme je le fais, à tous ces gens qui n'ont que des heuros à la bouche, de prononcer dix Heuropéens, vingt Heuropéens, cent Heuropéens... en général ça fonctionne, et ils prennent soudain conscience de la douleur qu'ils nous infligent.
Pour ce qui est de la prononciation à l'étranger, je note qu'en Espagne "2 euros" se dit "dosséouros" avec un accent tonique, et se retrouve fort éloigné de "deu euros".
16 mars 2011, 15:38   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Citation
Jean-Marc
- pour les noms étrangers, je ferais une différence entre ceux qui sont connus de nous après l'apparition des médias audio-visuels et ceux qui furent connus avant. Pour les premiers, je pense la prononciation d'origine de leur nom est dominante (voir que que Francis avait dit de CIA et FBI) dès lors qu'on a connaissance d'eux par les médias de leur pays d'origine ;

Très juste, Jean-Marc. Je n'avais pas pensé à faire cette distinction qui pourtant peut se vérifier assez facilement.
Attention tout de même à la tendance actuelle qui consiste à tout prononcer "à la locale" pour faire bien.

Merci pour la suggestion, Francmoineau. Pour moi, la douleur n'est pas d'entendre tout le temps des heuros (je m'y habitue, à force), mais d'avoir parfois l'impression de faire une erreur, et surtout de faire croire à certains que j'en fais une.

A l'inverse, l'usage fautif du centtt et des centsss au lieu de nos bons vieux centimes a heureusement presque disparu. Mais peut-être est-ce tout bêtement parce qu'il n'y a plus rien à acheter sous un euro et donc qu'il n'y a plus lieu d'utiliser ces termes...
16 mars 2011, 17:38   Re : Marc Roche et Sir Goodwin
Concernant les noms propres de personnalités, songez aussi que pour certains personnages historiques, on trouve une francisation du nom lui même (au delà de celle de la prononciation) : on dit par exemple "Christophe Colomb" en français, "Christopher Columbus" en anglais, "Cristóbal Colón" en espagnol, etc.

Il en va de même pour les noms de villes, sans toutefois que la règle soit générale. Par exemple, le nom de la ville américaine de New Orleans se traduit en français par "la Nouvelle-Orléans", mais celui de la ville de New York reste "New York" en français (et pas "la Nouvelle-York").

Tout cela pour dire qu'il n'existe sans doute pas de règles générales concernant la francisation des noms propres provenant de langues étrangères et a fortiori concernant leur prononciation...
Pour moi, la douleur n'est pas d'entendre tout le temps des heuros (je m'y habitue, à force), mais d'avoir parfois l'impression de faire une erreur, et surtout de faire croire à certains que j'en fais une.

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