La différence entre la Terreur Blanche et la Terreur tout court, cher Marcel Meyer, est que la première n'a jamais été "à l'ordre du jour" du gouvernement du Roi. Elle fut un abus et un débordement "populaires" comparables aux épurations communistes de 1944. Les morts sont morts, bien sûr, mais jamais Louis XVIII ni Monsieur n'ont voulu cela, tandis que Robespierre et son comité ont voulu la Terreur et fait voter des lois dans ce sens. Ney, je vous l'accorde, n'avait pas plus trahi ni retourné sa veste que tous les autres.
Je vous soumettrais ceci, à propos des penseurs "réactionnaires" (que Philippe Muray oppose aux penseurs "actionnaires", ceux qui, selon le mot de Marcel Aymé, "font carrière" dans certaines idées) : comme leur nom l'indique, ils réagissent au monde comme il va, lui disent non, et dépensent leurs forces, dit Nietzsche dans un extrait que je citais, à refuser, à attaquer le monde et à s'en défendre. Mais en descendant dans l'arène du monde (du
Monde ?) pour l'accuser, ils acceptent les règles du jeu de l'arène. Ils consentent ainsi, dans leur lutte contre les actionnaires, que leur adversaire leur fasse la loi dans le combat. S'ils sont touchés par le reproche de ne rien proposer, c'est qu'ils ont intériorisé la morale de leur adversaire, qui exige de construire, d'être positif, de prendre part à l'histoire dans son mouvement inévitable (dont ils sont les accompagnateurs et les thuriféraires).
Muray ne m'a pas semblé affecté par un tel reproche d'inactualité, non plus que par celui de nihilisme (qu'il a retourné contre ses adversaires actionnaires), bien qu'il fût un combattant du non plutôt qu'un penseur indépendant de la barbarie de son époque. Nietzsche, dans ce texte d'
Ecce homo, est justement très "avisé" en ce qu'il mesure au plus juste la dépense d'énergie à consacrer au
non réactif à l'époque, et qu'il pose l'existence souhaitable et nécessaire d'une vie de la pensée
à côté du monde, et non contre lui. Vie "les mains ouvertes", séparée de ses horreurs barbares les plus criantes, dans ces monastères ou phalanstères laïcs intellectuels dont il rêvait avec Wagner, ou du moins, chez Wagner. Des modèles littéraires ont repris ce rêve, par exemple le roman
Sur les falaises de marbre, magnifiquement commenté par Eric Werner, dont je m'inspire pour écrire tout cela. Peut-être la meilleure stratégie contre les amis et actionnaires du désastre, est-elle de ne pas leur répondre, de les ignorer, de mener sa route indépendamment de tout ce qui peut se dire ou se faire. Elle aurait cet avantage, entre autres, de les laisser à leurs monologues de plus en plus éloignés de la réalité, à leurs déplorations, à leurs combines, dans l'indifférence générale au bavardage médiatique.