Il avait le génie, si français, du recyclage et de la bricole ! Courtial Des Peirères aurait pu aller se rhabiller ! Pas une décharge, pas une liquidation avant fermeture, qu'il n'écumât pour y récupérer tout ce qui était, à ses yeux, récupérables, à savoir toutes sortes de "dnis": débris non identifiés, que dans son gigantesque garage mi caverne d'Ali-baba, mi antre de Vulcain, il métamorphosait en un tournemain. Avec le moteur bidouillé de ceci, la pompe de cela, la cuve d'autre chose , il vous remontait un lave linge ou un lave vaisselle capable de fonctionner encore vingt ans, et trois vieux tacots rouillés au rebut depuis des lustres se muaient comme par miracle en véhicule flambant neuf. Vous manquait-il une vis, un boulon, une cheville, une scie à métaux, une pince spéciale, un tournevis d'un genre particulier ou tel outil improbable, vous étiez assuré de les trouver chez lui qui vous en faisait cadeau ou vous le prêtait avec ses services en prime, car c'était souvent lui qui se proposait pour réparer chez ses nombreux voisins,la voiture, l'appareil ménager en panne ou l'évier qui fuyait. Ancien employé charcutier, il avait accumulé dans son garage une armada de bassines récupérées de quelques collectivités en faillite, de fours antédiluviens, d'appareils de cuisson de tous âges et même sans âges du tout, qu'il avait tous remis en état de marche et avaient chacun leur utilisation passablement mystérieuse. Sans compter les hachoirs, ,les machines à pétrir la pâte et j'en passe ! Et il vous fabriquait de ces pâtés maison, de ces jambons de sanglier,et, pour Noël, de ces galantines - je ne vous dis que ça ! - qu'il partageait, là aussi, avec tous les voisins. Nous lui devons la recette, entre autres, des pieds de cochon grillés au four.
Impossible de décrire sa dégaine ! La casquette vissée sur la tête, il allait toujours vêtu d'un accoutrement qui tenait tout à la fois du rapeur et du base-balleur américain et qui allait à sa silhouette de besogneux à cou de taureau, râblé et bedonnant, à peu près aussi bien qu'un une tenue de marquise à madame Michu.
Infatigable, il lui était impossible de rester sans rien faire, et ce qu'il faisait était toujours une merveille d'ingéniosité. Serviable comme pas deux, mais aussi râleur, bourru, cabochard, il avait, comme on dit, ses têtes. Et quand quelqu'un ne lui revenait pas, il pouvait se métamorphoser en insupportable mauvais coucheur... Certain voisin en sait encore quelque chose. Pas plus qu'il n'avait aimé les "boches" il ne portait dans son cœur les Arabes. Un sale xénophobe, en somme, auraient dit de lui, les Amis du Désastre. Sauf qu' ils ne les "mettaient pas tous dans le même sac", les Arabes : il y en a des bien, précisait-il, et à ceux-ci, il ne ménageait ni son amitié ni ses services. Les politiques ? Tous pourris ou nuls, selon lui. Un lepèniste aurait renchéri les Amis du Désastre, sauf qu'il ne pouvait pas le blairer, le Pen, "ce gros m'as-tu-vu plein de soupe !". C'est qu'on ne lui la faisait pas et qu'il avait oublié de mettre le bon sens dans sa poche ! Et d'une honnêteté sans faille, avec ça, à laquelle il mettait un point d'honneur, quelle que fût la circonstance, à ne jamais déroger.
Bref un franchouillard, comme ils disent !
Il s'appelait Pierre Nova. Il est mort hier à l'âge de quatre vingt ans. On me pardonnera d'avoir voulu rendre hommage ici, à travers lui, à ce peuple de l'ancienne France qui disparaît un peu plus chaque fois qu'un Pierre Nova meurt. .