Hier soir la chaîne télévisuelle culturelle japonaise donnait une pièce de théâtre. Quatre femmes splendides, sculpturales, des poupées hautes et droites comme des drag queens, en crinolines transparentes, surmontées de coiffures carnavelesques, vénitiennes, inspirées des toilettes du XVIIIe, sont en colloque sur trois actes dans un décor "Marie-Antoinette". Bien sûr je n'entends à peu pres rien au texte, mais j'entends qu'il est question d'Alphonse et de Renée et d'Anne, de prison, de Marseille, qu'il est beaucoup question d'Alphonse qui serait emprisonné à Marseille. Impossible d'identifier un auteur francais. On s'échange de fortes tirades, que l'on déclame à plat, à la manière classique, vingt-cinq lignes ainsi sont éjaculées par des voix de femmes aux inflexions graves et puissantes, dans une élocution claquante, une articulation sonore et parfaite, voix de rogommes aussi parfois, qui sortent des gorges de ces hautes poupees, fières, aux longs bras fins mais aux poitrines généreuses, sans reprise de souffle. Chaque tirade va crescendo, le ton monte régulièrement, l'intonation se précipite, le rythme appelle le retour de l'accent tonique sur la sixième syllabe qui vient toujours plus vite, toujours plus haut, jusqu'au dernier souffle, émis dans un râle poitrinal. Il est question de morale, de révolution, de morale institutionnelle nouvelle mais impossible, de retour impossible à l'ordre ancien, de moeurs libérées qui enchaînent, de morale politique, d'ordre nouveau mort-né etc.
Je demande à ma compagne japonaise de qui, de quoi il s'agit, Musset ? Montherlant, Audiberti ?. Elle me dit : "c'est du Shakespeare, mais japonais, du Shakespeare natif d'ici, ce ne peut pas être une traduction du français ". Et la solution nous vient ensemble : c'est " Madame de Sade " de Mishima Yukio, une oeuvre majeure écrite par Mishima cinq ans avant sa mort.
Me vient alors à l'esprit qu'il n'est probablement pas d'auteur du XXe siècle qui ressemble autant à l'auteur littéraire que nous sommes tous à admirer sur ce forum que Mishima Yuko. Comme lui, l'homme fut d'abord un moderne, qui l'un des premiers fit reconnaître publiquement son homosexualité au Japon, puis, avec la souveraine rigueur de la langue et du style, s'est constitué autour de lui un minuscule parti pris culturaliste national, une école plus qu'un parti, se proposant de donner pour écho à cette rigueur et cette perfection stylistiques, et à ce souci de valoriser la tradition du Maître, l'exigence de faire corps à la langue et au pays, à la langue-pays, en appelant à sa renaissance (cette manière de 'faire corps ' à la culture, qui est le cratylisme, manière d'être et parti pris d'être le corps de la langue et de la culture, ne doit pas se confondre avec "l'amour de la langue ", ou même l'attachement à la culture ") ; ce cénacle devenant sur la fin un embryon d'organisation ressemblant à un parti politique, lequel se donna des airs de « milice » jusqu'à cette matinée fatale de novembre 1970.
L'auteur de "Du Sens" et des Vaisseaux Brûlés est bien le Mishima français. Renaud Camus l'écrivain EST Mishima Yukio; outre leur personnalité, leur port physique même, qui sont semblables, comme Mishima, l'auteur de la Déculturation a ses admirateurs qui sont ses partisans, à qui l'on reproche de se donner des airs élitaires, et il a contre lui à peu près toute une génération, la jeune génération des faux modernes, qui le vilipende, le méprise, le moque, le conspue, le rejette. L'introduction de cette petite crotte radiophonique de Frédéric Martel à l'émission Répliques ou avait été invité Renaud Camus est bien parallèle àce que dut subir Mishima sur la fin. En tout cas, durant les dernières heures de sa vie, lors de sa dernière allocution.
Souhaitons El'auteur des Vaisseaux Brûlés d'avoir une fin moins tragique (mais non moins forte de sens) que celle de son précurseur japonais.
Ce communiqué du Parti de l'In-nocence sur le baccalauréat aurait pu être de la main de Mishima en 1965. Dans le ton, dans le contenu, dans le vocabulaire employé dans l'intraitable lucidité, le courageux pessimisme, la sourde ironie sous-jacente, dans la solennelle absence de larmes aussi, il est essentiellement, parfaitement mishimesque.