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N'ayez pas peur

Envoyé par Quentin Dolet 
Cher Didier, tout ce que j'ai pu lire de Heidegger (c'est-à-dire en effet bien peu de choses) m'a semblé beaucoup plus abstrait et pompeusement nébuleux que tout ce que j'ai pu lire de Nietzsche (c'est-à-dire un peu plus). Même le passage que vous citez plus haut, quoiqu'il soit presque lisible, s'enlise dans des bizarreries conceptuelles que vous ne lirez jamais sous la plume de Nietzsche. Ce dernier savait que plus les idées sont abstraites, plus il faut les faire sentir au lecteur (une des dix "lois du style" qu'il a formulées avec Lou Salomé). Bien entendu, je ne dis pas que les concepts d'Eternel Retour, de Volonté de puissance ou de Surhomme (qu'il vaudrait mieux traduire par "surhumain", comme l'a préconisé Patrice Wotling) sont limpides, qu'ils soient formulés poétiquement (dans le Zarathoustra), ou philosophiquement; mais du moins Nietzsche ne s'ingénie pas à les extraire du fonds vital, de la source irrationnelle d'où ils ont jailli ("c'est là, devant ce rocher, que m'est venue l'idée de l'Eternel Retour"), et tout son art consiste à les préserver dans la langue elle-même. La prose de Heidegger, à cet égard, lui aurait semblé bien indigeste.
23 avril 2011, 22:07   Heidegger à Hollywood
(En attendant une réponse plus appropriée, et je ne sais si ce sont les pipes dénichées par Francis dans un fil voisin qui en sont cause, mais la remarque d'Olivier me fait irrésistiblement penser à ce qu'avait dit d'Angelina Jolie certain acteur de cinéma qui avait tourné avec elle : qu'elle en faisait parfois un peu trop avec sa bouche.
Et pourtant... dans un cas comme dans l'autre, cela n'empêche pas les fulgurances.)
Utilisateur anonyme
23 avril 2011, 23:08   Re : Chemins qui ne mènent nulle part
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Pour moi, Cher Didier, la pensée d'un philosophe ne peut être jugée, évaluée en dehors de la forme dans laquelle il l'exprime. Cela dit je m'arrête au texte que vous avez cité plus haut (vu qu'il serait ridicule d'émettre un jugement sur une oeuvre que j'ignore, et dont je crois pertinemment qu'elle pourrait même m'intéresser à de nombreux points de vue). Selon vous, pour simplifier, j'érige mon incompétence en principe général. On pourrait tout aussi bien dire que le principe général (qui veut qu'une pensée peu intelligible est peu intelligente - principe hugolien), explique l'incompétence et la stupidité de certains - et notamment la mienne - lorsqu'ils sont confrontés à ladite pensée. L'"étant de l'étant" ne m'inspire aucune confiance, pour dire les choses très grossièrement (et là je vous entends soupirer). Le "taciturne explicite" non plus. Et "Là où ce "autour de quoi" n'est pas constamment ni explicitement nommé" pas davantage. Oui, Didier, tout cela est éminemment profond et sublime, je le sais, j'en suis sûr - mais comme je préfère à ces fumigènes verbaux les éclats poétiques, les images, les antithèses, les paradoxes (monde vrai et monde apparent), les mots d'esprit de Nietzsche ! On peut ne pas les comprendre, mais on peut au moins en ressentir l'effet - ce à quoi sert le style du philosophe, lorsqu'il est amené à transmettre des vérités irrationnelles.

A ce propos, Cher Didier, comment peut-on ne pas voir que Nietzsche est aussi, et peut-être avant tout, un penseur intuitif, donc procédant par "révélations", par saisissements ? Quant à moi je me méfierais plutôt des tentatives d'amputer Nietzsche de son souffle mystique - et mythique - dont on ne peut contester sérieusement l'existence. Certes, l'Eternel Retour est un concept nouveau, mélange complexe de théorie astrophysique et de sur-morale, mais n'oublions pas qu'il est une résurgence de la pensée présocratique, et qu'il signifie, malgré tous les efforts des contemporains pour le nier, le retour éternel de l'Univers - réalité inaccessible à la simple raison.

[Ajout : de cela je ne conclus absolument pas que Nietzsche prône un quelconque "irrationalisme" de type völkisch, bien évidemment. Toutefois l'intuition, l'instinct, le "sens de la terre", le féminin, le religieux, sont éléments constitutifs de sa pensée.]
24 avril 2011, 04:23   Aboli bibelot
» Que "sentez-vous clairement" quant au dépassement tant du "monde vrai" que "du monde apparent" dans l'extrait du "Crépuscule.." ?

Ce qui est aboli, c'est l'apparence en tant qu'"apparence" de quelque chose d'autre qu'elle-même, en tant que manifestation d'un être dont elle ne serait que le pendant figurable. C'est l'apparence-moitié en tant que moitié qui est supprimée, puisque l'autre moitié a été balayée comme illusoire.
Quand on est une moitié de rien on n'est plus une moitié. Exit l'apparence redevable de l'être.
Il subsiste alors l'apparence toute seule, qui n'en est plus une. Qui est le devenir.
Et qu'est-ce que le devenir ? À vrai dire, c'est la notion même de monde qui est abolie, un "monde" comme concrétion d'être, comme agrégat solide quelconque, comme substrat stable, pour être dissous dans un jeu de forces s'exerçant.
Le devenir est un facsio de forces s'exerçant. « Force partout, il est un jeu des forces et onde des forces, à la fois un et multiple, s’accumulant ici tandis qu'il se réduit là-bas, une mer de forces agitées dont il est la propre tempête, se transformant éternellement dans un éternel va et vient... »
Cela n'a ni fin ni commencement.

L’Éternel Retour est une façon de dire que cela ne va nulle part, que ce devenir ne tend vers aucun but, qu'il n'y a pas d'état final. Ce qui est dénué de sens est condamné à se répéter. L'absence de finalité a pour conséquence majeure que le devenir est absolument justifié en chacun de ses moments, et qu'il est donc inévaluable.
Où l'on retrouve l'apparence toute seule, dont aucune extériorité figée et aboutie ne peut relativiser et réduire la valeur car alors elle ne serait que moindre être par rapport à ce qu'elle reflète, et vers quoi elle tend.
Enfin, conséquence finale, tout est toujours en n'importe quel point du devenir ; l'abyme de l'absence d'être s'ouvre en n'importe quel moment du déroulement de sa progression circulaire (il n'est point besoin de se porter vers quelque extrémité originelle !).

Contrairement à vous, cher Didier, je ne trouve pas qu'il faille nécessairement s'entourer de précautions et d’intermédiaires pour aborder Nietzsche, et pouvoir se faire une idée suffisamment précise de ce qu'il a voulu dire. Les textes sont assez clairs, et souvent, pour ce qui est des motifs principaux de cette pensée, obvies, et je suis plutôt d'avis que les seuls tiroirs à double fond qu'il recèlent sont qu'il n'y en a pas. Il suffit de se rappeler que les masques sont l'unique réalité.
Utilisateur anonyme
24 avril 2011, 08:39   Re : Aboli bibelot
(Message supprimé à la demande de son auteur)
24 avril 2011, 09:20   Re : Aboli bibelot
Merci Didier pour votre effort pédagogique. Je ne prétends pas cependant que "l'étant de l'étant", etc. ne signifient rien, je dis qu'ils dénotent un style à mon sens exagérément abstrait et fort peu intuitif (là où Nietzche sait évoquer, frapper les esprits, faire entendre la musique de la vérité...). Quiddité ? Bien sûr, tant qu'il ne devient pas "quiddité de l'étant taciturne" ou autre formule outrancièrement alambiquée.

En ce qui concerne notre point de désaccord majeur, il est certain qu'il restera sans doute majeur car à mes yeux Nietzsche est tout sauf systématique. Il s'en est lui-même gardé toute sa vie ("L'esprit de système est un manque de probité."). Dire qu'il y a une totalité de la pensée nietzschéenne, une cohérence au-delà de la fragmentation me paraît juste, mais on ne saurait parler de système au sens fort du terme. D'autre part, pourquoi ne pourrait-on pas être à la fois intuitif et rigoureux, poète et scientifique, musicien et architecte ? Vous commettriez une erreur en voulant nier la part irrationnelle et mystique de Nietzsche. Tout le Zarathoustra est un chant, écrit sous le coup d'une vaste inspiration, sous l'influence d'un daimon (et quand on a dit ça, on n'a pas dit que Nietzsche n'était que, on n'a pas dit qu'il n'avait pas une claire conscience philosophique de ses idées les plus "musicales"...)

Pour finir, vous dites que le Retour est sans rapport avec l'idée de temps cyclique. Permettez moi de tripler à mon tour les ??? ou les !!! Vous tirez Nietzsche à vous, Didier ! L'Eternel Retour est aussi une pensée du temps et de l'espace !

Un dimanche qui "démarre fort" !
Utilisateur anonyme
24 avril 2011, 09:35   Re : Aboli bibelot
(Message supprimé à la demande de son auteur)
24 avril 2011, 22:48   Re : Aboli bibelot
Cher Didier, pour l'instant, je vous poserai une seule question : peut-on encore parler à propos de Nietzsche de "métaphysique de la subjectivité", alors qu'il a fait voler en éclats le sujet, et que sa "volonté de puissance" n'est pas, n'est plus subjective ?
(Question subsidiaire : une chose chez Nietzsche m'a toujours frappé, c'est l'accent non-intellectualisant, non-idéel, ou comme vous voudrez nommer cela, de sa démarche, qui pourrait être résumée ainsi : le corps n'est jamais chez lui une métaphore de l'esprit, mais l'esprit est toujours un symptôme du corps. Autrement dit, plutôt qu'à une aventure de la pensée, parachevée ou achevée, à laquelle nous serions conviés, ne serait-il pas question, aussi ou surtout, de l’exposition des motifs de l’urgence et de la nécessité d'une ré-incorporation ? Ce qui est lié à la question de la "simplification" que vous soulevez : il est extrêmement difficile de s’accommoder de l'absence de ce que nous cherchons derrière les choses, et d’accepter purement et simplement leur superficialité. Ce qui inciterait davantage à le prendre et le comprendre au pied de la lettre.)
25 avril 2011, 00:30   Re : N'ayez pas peur
Passionnant et pourtant je vais aller dormir.
Utilisateur anonyme
25 avril 2011, 16:00   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
26 avril 2011, 07:11   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
26 avril 2011, 08:58   Re : N'ayez pas peur
Cher Didier, le demi-habile que je suis bute toujours contre la difficulté de saisir quoi que ce soit qui ressemble à un "sujet" après avoir été dissous par caducité dans le même mouvement que son vis-à-vis, l'objet ; lorsque vous écrivez : " La critique nietzschéenne de la conscience cartésienne n'est qu’une inversion du « cogito ergo sum » en "vivo ergo cogito", qui renforce d’autant plus la domination du sujet qu’il semble disparaître", je ne sais ce qui est renforcé, parce que le sujet a totalement perdu les attributs qui le constituaient en tant que tel dans le processus de liquidation de la dualité sujet/monde .
L'on peut se figurer l'expérience de pensée suivante : pour peu que sujet et objet forment les deux faces des représentations, en tant que points d'évaluations perspectifs, ces représentations en constituent l'interface. À l'issue de sa critique, Nietzsche ne garde que l'interface, mais c'est une interface sans faces ( "quelque chose" pense en moi, mais après l'évacuation du sujet personnel, du "je", il est encore de trop : « en définitive ce "quelque chose" contient déjà une interprétation du processus et n'appartient pas au processus lui-même. » (Par-delà...)). Nietzsche strictement ne veut garder que le processus, l'interface, la représentation pure sans l'agent de l'action de "se" représenter. Le monde est alors "un tissu d'interprétations irréductibles à une quelconque unité", lesquelles sont autant de manifestations ponctuelles et éphémères de la réalité : la vie, la volonté de puissance, le devenir.
Bref, la radicalité de sa déconstruction du sujet est telle, que je ne vois pas comment l'on peut après elle parler encore en termes de "subjectivité", et quel sens celle-ci peut bien avoir. Qu'il l''achève", j'en suis d'accord avec Heidegger et vous, mais il est déjà au-delà, il ne fait que penser l'éclatement post-subjectif, il est en plein dedans.
Alors, cher Didier, quel sujet est renforcé après une telle pulvérisation (le sujet comme sub-jectum nous tirera-t-il d'affaire ? j'en doute un peu...) ?
Utilisateur anonyme
26 avril 2011, 09:38   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
26 avril 2011, 15:12   Hammerklavier
c'est une contradiction dans les termes

soit un contradictio in adjecto comme il est dit dans le Crépuscule à propos, justement, de l'esprit allemand...!
26 avril 2011, 15:52   Re : N'ayez pas peur
C'est impressionnant, j'ai le sentiment de revivre le match Wilander-McEnroe en Coupe Davis...

Alain et Didier, tous deux en fond de court... et la balle qui va et qui vient, inexorablement...
26 avril 2011, 16:13   Wimbledon
You can't be serious.
26 avril 2011, 19:09   Re : N'ayez pas peur
Cette controverse est l'une des meilleures et je souscris à la remarque de Stéphane. D'autant que Jean-Marc, cédant au plaisir du bon mot, révèle son ignorance du tennis : Mc Enroe ne restait jamais bien longtemps en fond de court
26 avril 2011, 19:23   Re : N'ayez pas peur
Belles dernières balles ! Si vous aimez le jeu au filet, il y a Llodra, parmi les joueurs actuels, qui n'est pas mal.

Mais je laisse la place aux philosophes.
26 avril 2011, 19:44   Re : N'ayez pas peur
Au fait Francis, j'ai revu hier, avec un certain plaisir, Le Président (1961), où le président du Conseil Beaufort, fortement interprété par Gabin, lors d'un discours face à une Assemblée médusée (pas par cela) évoque comme si cela allait de soi une "contradiction dans les termes".
Profession de foi politique du personnage : "Je suis un mélange de conservateur et d'anarchiste, dans des proportions qui restent à déterminer". Ah ça m'a bien plus, ça...
26 avril 2011, 21:58   Re : N'ayez pas peur
Citation
Éric Veron
Cette controverse est l'une des meilleures et je souscris à la remarque de Stéphane. D'autant que Jean-Marc, cédant au plaisir du bon mot, révèle son ignorance du tennis : Mc Enroe ne restait jamais bien longtemps en fond de court

Je ne vous remercie point, me voilà en train de visionner des extraits de matchs au lieu de travailler.
26 avril 2011, 22:22   Re : N'ayez pas peur
« La vie, qui est pour nous la forme la mieux connue de l'être, est spécifiquement la volonté d'accumuler de la force :tous les faits vitaux ont ce même levier... »

Oui mais...

« « Les moyens d'expression du langage sont inutilisables pour dire le "devenir" : il appartient à notre indissoluble besoin de conservation de poser sans cesse un monde plus grossier d'êtres durables, de "choses", etc. Nous pouvons parler d'atomes et de monades en un sens relatif ; et il est sûr que le monde le plus petit est aussi le plus durable. Il n'y a pas de volonté ; il y a des fulgurations de volonté dont la puissance croît et décroit sans cesse... »

Pour aboutir à ceci :

« Je ne puis comprendre qu'un être à la fois un et multiple, changeant et permanent, connaissant, sentant, voulant — cet être est pour moi le fait fondamental. »

« Et savez-vous ce qu'est pour moi "le monde" ? Faut-il que je vous le montre au miroir ? Ce monde est un monstre de force sans commencement et sans fin, une quantité de force d’airain qui ne devient ni plus grande ni plus petite, qui ne consomme pas, mais utilise seulement, immuable dans son ensemble, une maison sans dépenses ni pertes, mais aussi sans revenus et sans accroissement, entourée du "néant" comme d'une frontière. [...] ... ce monde, qui est le monde tel que je le conçois, ce monde dyonisien de l'éternelle création de soi-même, de l'éternelle destruction de soi-même, ce monde mystérieux des voluptés doubles, mon "par-delà le bien et le mal" sans but, si ce n'est un but qui réside dans le bonheur du cercle, sans volonté, si ce n'est pas un cercle qui possède la volonté de suivre sa veille voie, toujours autour de lui-même et rien qu'autour de lui-même : ce monde tel que je le conçois — qui donc a l'esprit assez lucide pour le contempler sans désirer être aveugle ? Qui est assez fort pour présenter son âme à ce miroir ? »

(Le surhumain.)

Je crois l'avoir déjà dit, il s'agit en dernier ressort d'une force, d'un jeu de forces agissant, sans volonté, mais dont la manifestation en sa périphérie écumante, miroitante d'"êtres" et de formes, qui sont autant d'éclaboussures furtives, se traduit en "volonté".

J'ajouterai, puisque vous avez esquissé le thème de la "vérité" chez Nietzsche, cher Didier, que ce dernier, pour des raisons qui lui sont propres, choisit d'ériger cet élément premier (le jeu de forces, le déploiement multiple et contradictoire du "devenir") en critère d'évaluation ultime : de ce que doit être la vie (nos vies particulières), en accord avec cet élément, au point de surtout n'en rien retrancher (c'est la grande "affirmation"), au plan éthique, donc, mais également épistémologique, et c'est là où le bougre réintroduit en douce la bonne veille "vérité-correspondance" : car c'est bien le rôle dévolu à l'art, en tant que moyen le plus à même de refléter fidèlement, de par sa propre nature foncièrement perspective et "fausse", de faire apparaître, de manifester ce devenir protéiforme. La vérité réside donc bien dans un type d'accord entre le représenté (vie, devenir), et la représentation, qui dépeint au mieux ce qui est différence, apparence, fugacité.
L'art est le miroir idéal dans lequel se mire et se réfléchit le "monstre de force", le "monde dyonisien", et sa rectitude épistémique consiste dans sa capacité représentative, dans sa correspondance avec l'être véritable, la réalité ultime selon Nietzsche, au contraire de la science, qui ne peut que prendre des vues sur ce qui est relégué au rang d'illusions, des scories figées, censément des desquamations du monstre en mouvement perpétuel.
Ainsi le "c'est vrai parce que c'est faux" prend tout son sens, et devient même indice de cohérence. Pied de nez du Fritz.
27 avril 2011, 01:15   Re : N'ayez pas peur
Vous voulez dire que Gabin prononce l'expression "contradiction dans les termes" comme il aurait dit "Gedankexperiment" ? Je suis (un peu) comme vous: je m'interroge sur la langue commune et les phrases observationnelles. Nous sommes tous, quand nous voulons penser, en situation de vérifications croisées comportementales, les uns par rapport aux autres, si bien que le risque existe que nous naviguions en rond. En modeste praticien (médecin de campagne) du langage je m'interroge sur l'origine de certains concepts précipités dans la métalangue - "expérience de pensée" par exemple. Ce concept (bien concept, non pratique ou méthode), qui l'énonça le premier (Maïmonide ?) et comment pensait-on alors, avant sa formulation ? Et qu'a-t-on perdu, par infortunée substitution, comme outil de pensée lorsque le concept en est venu à généraliser cette pratique ? Comment pouvait-on, avant lui, se passer d'elle ? Voilà ce qui m'intéresserait de savoir. La généalogie du concept participe-t-elle d'une circon-évolution, d'une complexification des moyens de la pensée ? Et pareille évolution est-elle inéluctable ? Sommes-nous condamnés à nous y soumettre comme à un mouvement immaîtrisé, commun et obligé ? J'ai le sentiment que l'on ne peut ni refaire le monde ni infléchir sa course si le fleuve du langage commun -- qui est un fleuve d'ignorance dans lequel nous sommes tous pris -- doit nous emporter ainsi de gré ou de force. Enfin, c'est une remarque très ancillaire à vos démonstrations croisées et qui ne devrait pas les faire dévier.

Continuez messieurs. Service à Alain Eytan...
27 avril 2011, 04:42   Re : N'ayez pas peur
Eric,

Vous me décevez : je parlais du match pour sa durée, je crois qu'il fut le plus long de l'histoire du tennis. Si vous me relisez, vous verrez que Ce sont Alain et Didier qui sont en fond de court, froids, méthodiques, répondant à une salve par une salve. Préférez-vous Lendl, alors ?
27 avril 2011, 05:01   Re : N'ayez pas peur
Comme l'occasion fait le larron, et compte tenu de la très grande solidarité existant entre l'idée et le son, le signifié et le signifiant, il est probable que certains contenus de pensée, concepts, idées, n'auraient pu être conçus sans les mots pour les exprimer.
Selon Saussure, la langue constitue l'interface entre les masses amorphes et informes de la pensée d'un côté, des sons de l'autre, sans laquelle aucune idée distincte n'aurait pu se faire jour, langue qui taille véritablement la bavette dans ces masses et produit le signe, articulus idée-son.
À vous de voir, cher Francis, si l’hypothèse de contenus de pensée purs mais tout de même délimités, comme des concepts-nu-pieds qu'on garderait au chaud dans le lit jusqu'à ce que les chaussons idoines pour les en sortir soient dénichés, tient debout...
Utilisateur anonyme
27 avril 2011, 07:27   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
27 avril 2011, 08:41   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
27 avril 2011, 09:07   Fashion victims
Oui, mais ô combien est horrible et avilissante pour la liberté cette idée à laquelle je vous sens aboutir que la mode fasse le concept et qu'aucune vérité ne connaisse de condition d'existence avant qu'elle ne soit, par elle, habillée.

Hier, je ne sais plus dans quel média, j'ai entendu le navire sans gouvernail (sans direction, comme l'est le mouvement du nuage de moucherons au printemps) de la mode langagière nous rappeler comment la communauté des locuteurs se meut sans dérive ni compas: quelqu'un de sérieux, d'informé, s'était rendu dans un pays et en revenait en nous rapportant, de manière insistante et répétée, que des responsables du directorat de ceci ou de cela qu'il avait rencontrés lui avaient affirmé que ...

Qu'est-ce qu'un directorat ? Rien bien sûr. Un mot dérivé de la translittération anglaise (directorate) d'un concept français: la direction (la "Direction du renseignement", la "Direction du tourisme", la "Direction départementale du travail d'Ile-et-Villaine", etc.). Fleuve, maelström de l'ignorance, emportez-nous, et évoluons ensemble, de concept faux en faux concept, dont chacun n'a d'autre usage que de se substituer à son prédécesseur...

Ce n'était qu'une parenthèse.
Utilisateur anonyme
27 avril 2011, 09:13   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
27 avril 2011, 09:18   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
27 avril 2011, 09:32   Re : N'ayez pas peur
Citation
Jean-Marc
Eric,

Vous me décevez : je parlais du match pour sa durée, je crois qu'il fut le plus long de l'histoire du tennis. Si vous me relisez, vous verrez que Ce sont Alain et Didier qui sont en fond de court, froids, méthodiques, répondant à une salve par une salve. Préférez-vous Lendl, alors ?

Il a longtemps été le plus long, il ne l'est plus - Lendl était et demeure mon idole.
Utilisateur anonyme
27 avril 2011, 09:33   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
27 avril 2011, 10:44   Re : N'ayez pas peur
Les musulmans modérés, la métaphysique de la subjectivité, le jeu de fond de court, les directorats en tout genre, les films avec Jean Gabin,... quel fil !
28 avril 2011, 04:40   Re : N'ayez pas peur
Cher Didier, il n'y avait aucune "optique biaisée", mais la flemme de recopier tout le passage, parce que le reste n'en dit pas davantage.
Je possède la traduction d’Henri Albert, qui est très différente de celle que vous donnez ; voici la suite du même passage à partir de l'endroit où j'en avais interrompu la citation ("Qui est assez fou pour présenter son âme à ce miroir ?"):

« Son propre miroir au miroir de Dionysos ? Sa propre solution à l'énigme de Dionysos ? Et celui qui serait capable de cela ne faudrait-il pas qu'il fît davantage encore ? Se promettre lui-même à l'"anneau des anneaux" ? Avec le vœu de son propre retour de soi-même ? Avec l'anneau de l'éternelle bénédiction de soi-même, de l'éternelle affirmation de soi-même ? Avec la volonté de vouloir toujours et encore une fois ? De vouloir en arrière, de vouloir toutes choses qui ont jamais été ? De vouloir en avant, de vouloir toutes choses qui seront jamais ? Savez-vous maintenant ce qu'est pour moi le monde ? et ce que je veux lorsque je veux ce monde ? »

(Dans ce dernier passage en tout cas, l'agent de la volonté, de la volonté de vouloir le monde tel qu'il est, est l'individu assez fort pour l'affronter, ce n'est pas pas le monde qui "veut"...)
Je crains de n'avoir pas été assez clair à propos de cette "volonté", voici comment je comprends la "volonté de puissance" : l'"élément premier" dont parle Nietzsche, c'est ce "monstre de force", mais il est plusieurs façons de l'envisager ; d'abord, en tant que totalité, cette force est une donnée de quantité et de qualité invariables, elle "ne devient ni plus grande ni plus petite", "immuable dans son ensemble", "sans dépenses ni pertes" ; ce monde considéré comme totalité, envisagé dans son ensemble, comme un tout, est égal à lui-même en chacun des moments de son déploiement.
Comment cette totalité définie comme valeur invariable pourrait-elle se voir appliquer à elle-même la volonté de s'excéder ? Cela n'a guère de sens, ce n'est pas à ce niveau-là qu'une telle volonté s'exerce... Mais ce donné initial qui constitue la "matière" du devenir, pour ainsi dire, cette force s'exerce en se distribuant, en se ramifiant, en se diversifiant à mesure de son déploiement comme devenir ; entre la totalité donnée et son exercice comme force se distribuant en émanations successives d'êtres (dont "nous" sommes) se crée un champ de force, qui est la "volonté de puissance", pratiquement, si j'ose dire, par capillarité. Cette volonté n'est que le mode de propagation optimale d'une partie du quantum de l'énergie initiale disponible en chacune de ses localisations possibles.


» Mais : la volonté de puissance n'est pas la façon dont ce monde nous apparaît, la façon dont nous (humains) retraduisons sa réalité brute de forces, n'est pas volonté de puissance du point de vue de l'homme : pour Nietzsche c'est le contraire ! L'homme, à l'image du monde, est volonté de puissance, le monde pour l'homme est, en totalité, le terrain de jeu de la volonté de puissance en lui.

Non, c'est la façon dont cette force s'incarne en nous et "cherche" (le plus mécaniquement possible, il n'est point besoin d'anthropomorphisme pour se figurer la chose) à se propager au maximum de ses ressources allouées à ce moment-là, en cet être-là.


» Qu'est-ce qui interprète ? Où ? Qui interprète, sachant que (VdP citée supra) il s'agit d'une représentation ?
Pour qui, si l'on veut renverser la question, prévaut la VdP et son libre exercice ? Sur quoi s'exerce-t-elle, sur quoi porte sa domination ? Réponses : l'homme, et l'étant dans sa totalité tel qu'il se donne à travers l'homme, le sujet. (Pourquoi refusez-vous de regarder ce point en face ? Vous ne trouverez pas une parole de Nietzsche qui le démente !). Le sujet souverain, serait-il "cosmique", diffracté à la totalité mouvante de l'étant qu'il "y" a pour lui, ou cette totalité elle-même agissante en son point d'accès propre (d'autant "une" qu'elle est "finie", finitude qui est l'explication première de la nécessité de l'ERM) reste…


(Mais Didier, comment cela, "sur quoi s'exerce-t-elle ?" : si l'interprétation est volonté de puissance, pour asseoir une domination, en tant que volonté inconditionnée, disiez-vous, alors elle ne s'exerce sur rien du tout, elle n'a pas d'objet propre autre que celui de s'exercer, puisque toute fin à laquelle elle serait subordonnée la rendrait redevable d'autre chose qu'elle-même, c'est à dire conditionnée.)

Qu'en dit pourtant Nietzsche ?


« On n'a pas le droit de demander : qui donc est-ce qui interprète ? C'est l'interprétation elle-même, forme de la volonté de puissance, qui existe (non comme un "être", mais comme un processus, un devenir), en tant qu'elle est un affect. »

Comment faut-il comprendre cela, ou à tout le moins, comment le peut-on ? De même que je parlai d'"'interfaces sans faces", il s'agit ici d'"interprétations sans interprétés ni interprétants", dont les substrats posés de part et d'autre sont dénoncés comme "fictions".
Il n'y a pas d'être ! ne cesse-t-il de claironner, pas de "chose", pas de "monade", pas de "moi", pas de "sujet", pas d'"objet", alors quoi ? Il n'y a que des forces s'exerçant bien en deçà, et l'"interprétation" n'est que le résultat d'une force se déployant et s'affirmant de son mouvement propre, dont le point d'émergence se cristallise, se réifie en pur point de vue ; point d'émergence dont le "sujet" n'est que l'artificielle substantialisation fétichisée en être durable et stable.


» "Simplement", chez Nietzsche, la subjectivité s'est rendue absolument inconditionnelle (cf. "L'Inconditionné")

Franchement, cher Didier, je ne sais au juste ce que cela veut dire. Peut-être est-ce une question de définition préalable de la "subjectivité", et donc du "sujet"...
Toute existence du sujet est "conditionnée" par la possibilité d'un rapport d'inhérence entre un contenu quelconque, des "pensées", et un identifiant à quoi ce contenu est rapporté comme étant "sien", par réflexivité. Souvenez-vous de la définition parfaitement claire (à mon sens) de Kant :
« Je, dont on ne peut pas même dire qu'il soit un concept et qui n'est qu'une simple conscience accompagnant tous les concepts. Par ce "je", par cet "il" ou par cette "chose qui pense" (tiens), on ne se représente rien de plus qu'un sujet transcendantal des pensées = X, et ce n'est que par les pensées qui sont ses prédicats que nous connaissons ce sujet, dont nous ne pouvons jamais avoir, séparément, le moindre concept. »
La postulation de la permanence dans le temps de ce "je" comme sujet d'inhérence, à quoi toute l'expérience est rapportée, comme pôle unitaire et fonctionnel d'appropriation du divers au même, est le "sujet", dans une acception fort simple, et la "subjectivité" désigne finalement tout ce qui s'y rapporte, dans ces conditions.
Ce bougre de Nietzsche balaye la permanence substantielle d'un tel "je", et du coup tous ses prédicats, qui sont en fait les conditions de la saisie de ce "soi", les relègue purement et simplement au rang d'artifices illusoires n'"existant" pas, allant jusqu'à "briser la superstition des logiciens" qui veut que tout prédicat ne soit possiblement exprimé que par son rattachement à un sujet.
Laissant alors courir les prédicats, les interprétations, les évaluations et les pensées tout seuls, étant mus et rendus possibles en vérité par des processus sous-jacents relevant d'une instance réelle fondamentalement a-humaine.
il n'y a plus de "sujet" qui vaille, dans ce sens, après cela.
Non que le croie ou l'approuve, mais concernant sa vision des choses, je me le tiens pour dit.

Alors Didier, et ce point est particulièrement important dans cette discussion, avant que nous ne poursuivions plus loin, par rapport à cette "subjectivité" parfaitement déterminée par les réquisits que j'ai dits et qui la définissent et la font être ce qu'elle est, qu'entendez-vous au juste par subjectivité inconditionnelle ?

(Je pressens une simple confusion entre subjectivité et volonté, s'appuyant sur le postulat que puisqu'il n'est pas d'exercice de la volonté sans agent, sans sujet, alors la notion d'une "volonté inconditionnelle" aboutit nécessairement à celle de subjectivité tout aussi inconditionnelle ; en plus d'une reconduction de la "superstition logiciste" mentionnée, nous aurons en plus bel et bien perdu le sujet en route...)
Utilisateur anonyme
28 avril 2011, 09:52   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
28 avril 2011, 14:04   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
28 avril 2011, 16:28   Re : N'ayez pas peur
Bravo aux deux jouteurs. Quel suspens !
28 avril 2011, 20:34   Re : N'ayez pas peur
Merci, chère Cassandre...

Cher Didier, ce n'est pas que nous nous comprenions mal, c'est surtout que nous avons des styles de jeu assez différents ; je sens que vous souhaitez par moments imposer le vôtre, c'est tout à fait naturel, avec un vocabulaire et une vision des choses très identifiables, dans une lecture fondée, biaisée dirais-je, diffractée par le rôle attribué à Nietzsche dans une sorte de reconstitution de l'histoire de la philosophie, dans laquelle le principal intéressé est lui-même embarqué à son corps défendant.
Je résiste parce que ce n'est pas si évident, de l’embarquer ainsi, que personnellement je privilégie une lecture "directe", considérant les idées comme elles sont exprimées et pour ce qu'elles sont (que je crois qu'elles sont, bien sûr), à saisir à bras-le-corps et éprouver immédiatement, et non par le truchement d'une histoire de la pensée.
Cela est particulièrement frappant dans la dispute concernant le "sujet" disparu/subsistant : je crois que vous me concéderez que l'acception que vous lui donnez n'est pas celle que lui attribue Nietzsche, qui pour sa part ne doute pas qu'il l'a bel et bien fait passer à l'as, parce qu'ayant rompu le cordon rattachant un sujet d'inhérence à ce qui est censé s'y rapporter.
À strictement parler, vous lui enfournez ce "sujet" dans la bouche, il reste à savoir dans quelle mesure il ne lui reste pas en travers de la gorge.

C'était un off-court, cher Didier, sous le parasol, je vais encore un peu m'y prélasser, parce que moi, je suis un lent, un très grand paresseux, et voilà que vous me proposez d'escalader illico l’Everest "homme".
Are you serious ?!
28 avril 2011, 21:29   Re : N'ayez pas peur


Alain sous son parasol, les yeux pleins de Nietzsche.
Utilisateur anonyme
28 avril 2011, 21:31   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
28 avril 2011, 21:49   Re : N'ayez pas peur
Là, j'ai compris, un peu, cher Didier. Alain ? Vite, s'il vous plait.
28 avril 2011, 22:23   Re : N'ayez pas peur
Non, Eric, non...

Le fond de court, vous dis-je, le fond de court...

Le McEnrysme vous perdra...
28 avril 2011, 22:34   Ciel des idées
Utilisateur anonyme
29 avril 2011, 07:38   Re : Ciel des idées
(Message supprimé à la demande de son auteur)
29 avril 2011, 12:24   Re : N'ayez pas peur
Oui, oui, je l'entendais bien ainsi : c'est l'expression "ciel des idées" qui vous fait rappeler cela ? Oh, il s'agissait juste pour moi de trouver une bête image qui condensât les idées de "philosophie" et de "tennis", puisque la métaphore est maintenant filée par chacun des intervenants ; j'ai été bien content de tomber sur celle-ci. Et rassurez-vous, j'ai lu assez de philosophie (ttt ttt ttt... pas assez, pas assez...) pour savoir que le débat qui a lieu sur ce fil est de teneur politique tout aussi bien, et que la philosophie n'est pas une activité vaine.
Utilisateur anonyme
29 avril 2011, 12:47   Re : N'ayez pas peur
(Message supprimé à la demande de son auteur)
29 avril 2011, 22:58   Re : N'ayez pas peur
Cher Didier, je vous ai relu attentivement. Vous avez en fin de compte fort bien illustré, si vous permettez, le schéma de raisonnement que je n'avais pas noué, crasse lenteur ou inadvertance de ma part, car franchement..., rendant compte de cette "subjectivité inconditionnelle", qu'on pourrait très rapidement résumer ainsi : si la vie est volonté de puissance, et si l'on veut la vie, alors on veut la volonté ; "vouloir la volonté", le voilà, notre inconditionnel, et pour peu que l'on embarque une "subjectivité" dans l'affaire, celle-ci se voit parée des attributs de celui-là (le vouloir). L'égo en est soufflé, surdimensionné aux proportions d'un monde subjectivé.
Cela me remet en mémoire le titre d'un petit livre de Bouveresse : Vertiges de l'analogie !

C'est un peu la faute de Nietzsche : il a planté au cœur de la réalité censée être la plus inhumaine, monde, vie, devenir, force, un élément hautement (apparemment) "subjectif", la volonté, dans le même temps qu'il s'acharnait à annihiler toute subjectivité de ce qui devait en être l'émanation (« Il n'y a ni "esprit", ni raison, ni pensée, ni conscience, ni âme, ni volonté, ni vérité : ce ne sont là que des fictions inutilisable. » (VdP).
Rapidement, quelques remarques : cet élément est-il si "subjectif" que cela ? Il y a tout de même que nous sommes d'emblée avertis : « J'affirme que la volonté de la psychologie n'existe pas du tout... » (VdP); ensuite la volonté de puissance est dissociée, par subsomption, de la vie même, eh oui, car elle l'excède : « Il s'agit moins encore d'une volonté de vivre, car la vie n'est qu'un cas particulier de la volonté de puissance ; il est tout à fait arbitraire de prétendre que tout tend à passer dans cette forme de la volonté de puissance. » (VdP).
Je continue de penser que plus que Nietzsche puisse se laisser docilement "récupérer" par l’impressionnant prisme de Heidegger, c'est en revanche ce dernier qui me semble mordre en plein à l'hameçon dont n'a cessé de vouloir se prémunir Nietzsche : le "je pense" équivaut exactement à un "je veux", un "je me représente", ou "je fais apparaître un monde par ma représentation", du point de vue de la structure logico-syntaxique, antéposant une substance-sujet à tout verbe ( « Dire que, lorsque l'on pense, il faut qu'il y ait quelque chose "qui pense" c'est simplement la formulation d'une habitude grammaticale qui, à l'action, ajoute un acteur. » (VdP)).

Enfin, pour terminer sur une note plus personnelle, puisque vous avez évoqué le politique dans un rapport possible avec Nietzsche, je voulais juste souligner à quel point il est pour moi inconcevable d'envisager pratiquement, éthiquement, le moindre des critères d’évaluation qui ont conduit Nietzsche à établir ce que devait être la vraie, la bonne, la juste vie.
Il n'en est pas question ! Le phénoménisme perspectif nietzschéen m'impressionne et m'en impose, incontestablement, mais par exemple, entre son énergumène qui veut tout, encore plus et sans en rien retrancher, Dionysos, et la douce et humaine figure du Christ, qui est un Mensch (au sens le plus yiddish du terme), justement révulsé par l'inhumanité, et qui n'a de cesse qu'il ne choisisse, ne trie et ne garde que ce qui convient à nos sensibilités, je choisis le Christ.
30 avril 2011, 21:43   Oh Barbara
Citation
Francis Marche
Oui, mais ô combien est horrible et avilissante pour la liberté cette idée à laquelle je vous sens aboutir que la mode fasse le concept et qu'aucune vérité ne connaisse de condition d'existence avant qu'elle ne soit, par elle, habillée.

Hier, je ne sais plus dans quel média, j'ai entendu le navire sans gouvernail (sans direction, comme l'est le mouvement du nuage de moucherons au printemps) de la mode langagière nous rappeler comment la communauté des locuteurs se meut sans dérive ni compas: quelqu'un de sérieux, d'informé, s'était rendu dans un pays et en revenait en nous rapportant, de manière insistante et répétée, que des responsables du directorat de ceci ou de cela qu'il avait rencontrés lui avaient affirmé que ...

Qu'est-ce qu'un directorat ? Rien bien sûr. Un mot dérivé de la translittération anglaise (directorate) d'un concept français: la direction (la "Direction du renseignement", la "Direction du tourisme", la "Direction départementale du travail d'Ile-et-Villaine", etc.). Fleuve, maelström de l'ignorance, emportez-nous, et évoluons ensemble, de concept faux en faux concept, dont chacun n'a d'autre usage que de se substituer à son prédécesseur...

Ce n'était qu'une parenthèse.

De même qu'est consternante pour l'idée de liberté le fait que nous apprenions un langage déjà constitué, aux significations plus ou moins arrêtées, aux valeurs déterminées, à la syntaxe préformée imposant un, son ordre du monde, le découpant même en tranches, l'aménageant au cordeau de schèmes conceptuels venus d'on ne sait où, en choses-objets visuo-tactiles, en sujet-verbe-prédicat (à part vos Chinois peut-être et Nietzsche, mais Heidegger lui n'y coupe pas), en faits, en syllogismes, en Barbara, Celarent, Darii, déterminés de part en part par vos structures profondes contre lesquelles on n'en peut mais. Ah mais la liberté de pensée.
Utilisateur anonyme
01 mai 2011, 10:57   Re : Oh Barbara
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Permettez-moi de vous narrer, cher Didier, ce qui me rendit Nietzsche si proche : cela se passait dans le métro, j'étais très jeune, et considérais du regard les autres occupants de la rame ; j'avais d'eux une certaine image, une vue qui les incluait dans l'espace confiné que mon regard restituait en le suscitant. Je m'imaginais que chacune des autres personnes devait avoir du lieu et des autres une image assez semblable à la mienne, d'où eux-mêmes étaient évidemment exclus.
Puis je me demandai tout à coup pouvait bien se trouver l'image totale, générale, objective de la situation, la vue de toutes ces vues, le puzzle reconstitué dont chaque point de vue particulier n'était qu'un des éléments. Cela me tarabusta, parce que je finis par me persuader que l'état de choses en question, le fait que nous étions dans cette rame de métro, qui était sans aucun doute un élément de réalité, n'existait tout simplement pas comme (re)présentation englobante, qu'il ne pouvait même y en avoir, par définition, que des vues partielles, forcément parcellaires, dont chacune réussissait par un mécanisme aussi sophistiqué qu'artificieux à travestir cette unicité perspective fondamentale en vue d'ensemble putative, fiction qui permettait qu'on y évoluât finalement assez sûrement, sans trop se soucier de la partialité absolue de chaque angle projectif de départ.

Après avoir émietté les plans spatiaux en un réticule de "tissus d'interprétations irréductible à une quelconque unité", réalisant une "monadologie sans Monade de toutes les monades ni harmonie préétablie", Nietzsche allait encore plus loin, puisqu'il délogeait la monade elle-même de son socle d'unité stable et permanente, serait-ce en tant que perspective, en instituant le devenir comme seule réalité : le tachisme spatial s'ouvrait en profondeur en une juxtaposition de points temporels incommensurables, qui n'étaient plus reliés entre eux par le fil orienté et agrégatif d'un substrat-sujet.
Cela donnait la monadologie sans Monade de toutes les monades, ni harmonie préétablie, ni monades.
Eh bien le voilà, mon Nietzsche métropolitain ! j'y suis attaché, et on ne m'en fera pas décarrer de sitôt...
Interface sans face, avais-je dit...

« Force est par conséquent de comprendre, si l'on cherche à suivre la critique nietzschéenne de la métaphysique, que le sensible ne se laisse saisir comme sensible que dans la mesure où il est plus originel que le sensible de la métaphysique, plus originel que la séparation du sensible et du non-sensible, ou de l'intelligible et du non-intelligible.
La séparation métaphysique est mortifère, aux yeux de Nietzsche, précisément parce qu'elle nous coupe du rapport au sensible : au sensible d'avant la séparation... » (Robert Legros, La Métaphysique nietzschéenne de la vie)

À propos de cette fichue flemme, Didier, je ne puis que soupirer avec Lichtenberg : « Dans la langue de l'homme raisonnable, paresse, ânerie, mais en portugais, vida celeste. »
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