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La mort n'est point notre issue

Envoyé par Gérard Rogemi 
En musant...François Cheng - La mort n'est point notre issue

La mort n'est point notre issue,
Car plus grand que nous
Est notre désir, lequel rejoint
Celui du Commencement,
Désir de Vie.
La mort n'est point notre issue,
Mais elle rend unique tout d'ici :
Ces rosées qui ouvrent les fleurs du jour,
Ce coup de soleil qui sublime le paysage,
Cette fulgurance d'un regard croisé,
et la flamboyance d'un automne tardif,
Ce parfum qui assaille et qui passe insaisi,
Ces murmures qui ressuscitent les mots natifs,
Ces heures irradiées de vivats, d'alléluias,
Ces heures envahies de silence, d'absence,
Cette soif qui jamais ne sera étanchée,
et la faim qui n'a pour terme que l'infini...
Fidèle compagne, la mort nous contraint
À creuser sans cesse en nous
pour y loger songe et mémoire ;
À toujours creuser en nous
le tunnel qui mène à l'air libre.
Elle n'est point notre issue.
Posant la limite,
Elle nous signifie l'extrême exigence de la Vie,
Celle qui donne, élève.

Trouvé i c i
Très beau, je trouve.
Chacun sa musique intérieure.
Utilisateur anonyme
11 avril 2011, 00:59   Joli bibelot chinois
"Sola nel mondo eterna, a cui si volve
Ogni creata cosa,
In te, morte, si posa
Nostra ignuda natura;
Lieta no, ma sicura
Dall'antico dolor".

Un des plus glacialement beaux poème de Léopardi. Dans un dialogue entre Frédéric Ruysch et ses momies qui est, en outre, à se tordre.

On retrouve ce même mélange de gravité et de légèreté dans le poème d'Ungaretti sur le même sujet :

"O sorella dell'ombra,
Notturna quanto più la luce a forza,
M'insegui, morte."

Je suis vraiement désolé de vous dire qu'à côté de ces chants, la musique de François Cheng c'est un peu du mirliton.
11 avril 2011, 03:01   La gueuse
"Death be not proud, though some have called thee
Mighty and dreadful, for thou art not so;
For those whom thou think'st thou dost overthrow
Die not, poor death, nor yet canst thou kill me."

John Donne
En musant... François Tcheng, S'abaisser jusqu'à l'humus
S'abaisser jusqu'à l'humus où se mêlent
Larmes et rosées, sangs versés
Et source inviolée, où les corps suppliciés
retrouvent la douce argile,
Humus prêt à recevoir frayeurs et douleurs,
Pour que tout ait une fin et que pourtant
rien ne soit perdu.
S'abaisser jusqu'à l'humus où se loge
La promesse du souffle originel. Unique lieu
De transmutation où frayeurs et douleurs
Se découvrent paix et silence. Se joignent alors
Pourri et nourri, ne font qu'un terme et germe.
Lieu du choix : la voie de mort mène au néant,
Le désir de vie mène à la vie. Oui, le miracle a lieu,
Pour que tout ait une fin et que pourtant
toute fin puisse être naissance.
S'abaisser jusqu'à l'humus, consentir
À être humus même. Unir la souffrance portée
Par soi à la souffrance du monde ; unir
Les voix tues au chant d'oiseau, les os givrés
au vacarme des perce-neige !
François Cheng, membre de l'Académie Française, est ici un poète chinois. Cet auteur a occupé une bonne partie de son travail intellectuel (proprement infini car il n'est aucune réconciliation intellectuelle possible entre poésie française et poésie chinoise sauf parfois chez Debussy, voire Fauré, et paradoxalement Henri Michaux) donc de sa vie même, à parler chinois en français comme à la fin du XXe siècle des chanteurs français (les premiers poètes chinois, comme les premiers grecs, étaient des aèdes) à chanter anglais en français, comme un Eddy Mitchell.

Il n'est probablement aucun Français aujourd'hui qui sache encore aussi bien cette poésie chinoise, et bien sûr la langue chinoise qui n'est que poésie, que François Cheng, homme vieillissant, qui a choisi, afin de finir ici-bas en rossignol, notre langue pour chanter chinois. Mon admiration pour cette entreprise de toute beauté, d'une merveilleuse inutilité, est totale.
Utilisateur anonyme
29 avril 2011, 22:41   Re : La mort n'est point notre issue
La distance entre Eddy Mitchell et François Cheng est à la mesure de l'infini de Léopardi.

Voilà, comme cela tout le monde est content.
Comment Brunet ? Vous ne semblez pas comprendre: François Cheng chante chinois comme Eddy Mitchell chante américain. Tous deux le font en français avec talent. Ne méprisez aucune langue de civilisation cher Brunet Latin. Dans mille ans, la civilisation américaine sera considérée sur un pied d'égalité avec les plus grandes, dont la Chinoise. Je vous répète qu'il s'agit de chant lequel fait à la métaphysique un socle très bas mais un socle tout de même.
Oui, relativisons... C'est affaire d'onomastique, il n'appartient pas à tous les noms de pouvoir claquer comme l'oriflamme noir Leopardi, planté au cœur de rien, et en affirmant l'illusion, seule présence digne de ce nom gagnée sur lé néant.
Utilisateur anonyme
30 avril 2011, 18:17   Re : La mort n'est point notre issue
Monsieur Marche,

Je suis loin de mépriser quoique ce soit ou qui ce soit.

Votre poète ne m'émeut pas voilà tout.

Cheng écrit en français. Pour soutenir, comme vous le faites, que Cheng chante chinois vous devez comprendre, parler et lire cette langue, ce qui n'est pas mon cas.

Et si tout l'intérêt de ce chant réside dans cette mise en abyme (entendre le chinois au travers du français) vous comprendrez qu'il me soit inaccessible et ne m'émeut guère plus qu'un bibelot chinois en porcelaine de Sèvres.

Quant à Eddy Mitchell que je ne connais guère, je ne savais même pas qu'il chantait en français.
Cher Brunet Latin,

Je vous comprends tout à fait. Oublions cela, voulez-vous ? M. Cheng est un admirable traducteur du Plume de Michaux en chinois, cependant, je ne goûte pas plus que vous ses textes poétiques en français. Connaissez-vous le peintre et calligraphe Zao Wou-ki ? Ce que j'ai avancé sur François Cheng à propos de littérature trouve à s'illustrer en peinture dans l'oeuvre de ce peintre français d'origine chinoise, qui a continué en France une oeuvre commencée ailleurs dans des idiomes picturaux exotiques. Je suis très amateur de l'art de Zao Wou-ki.

Eddy Mitchell venait comme un cheveu sur la soupe, je l'admet, même si je maintiens que, par transparence un imaginaire exotique (nord-américain) s'exprime dans sa manière et son métier (pas question de lui céder le qualificatif "d'art") ce qui peut, dans une autre échelle, ressembler au phénomène transculturel qui habite les oeuvres de ces deux artistes.

(Ciel qu'il est difficile et laborieux de s'expliquer ou de seulement se faire entendre en bannissant tout trait d'humour !)
L'Amérique "mythique" , pas celle des bobos de la côte est, a été , paradoxalement, une passion populaire très française qu'a fort bien incarnéeEddy Mitchel. Personnellement j'ai assez aimé le chanteur et le personnage. Déjà avant lui le jazz avait inspiré la musique de Trénet et de Brassens..
Cassandre,


Je pense les bobos davantage concentrés sur la côte ouest, notamment dans la Bay Area et aussi vers Seattle.
02 mai 2011, 05:07   Des barbares en Europe
Citation
Stéphane Bily


Plume court tout à côté !...
Ah, la Grande Garabagne...
Ces vers de Gerard Manley Hopkins me hantent depuis longtemps, et me semblent intraduisibles, au-delà de ce qui peut être rendu dans une autre langue :
That night, that year,
Of now done darkness I wretch lay wrestling with (my God !) my God.
Utilisateur anonyme
02 mai 2011, 15:11   Re : La mort n'est point notre issue
Citation
Francis Marche

Je suis très amateur de l'art de Zao Wou-ki.

(Ciel qu'il est difficile et laborieux de s'expliquer ou de seulement se faire entendre en bannissant tout trait d'humour !)

Auriez-vous quelques exemples de son art à nous montrer?
Il y a aussi les entretiens avec Michel Ragon.
Cette nuit, cette année
de nuit accomplie je gis suffoqué en lutte contre (mon Dieu !) mon Dieu
... je gis, misérable, ayant lutté ...
à Alain: Il n'y a pas deux fois night

Cette nuit,
Cette année, à présent faites ténèbres, je gis, pauvre de moi, en lutte avec --- mon Dieu! --- mon Dieu.
Pourquoi ayant lutté ?
Pourquoi suffoqué ? wrestling n'est pas synonyme de struggling ...
À strictement traduire, vous avez raison, Francis.
"Suffoqué" était dans mon esprit le sens possible d'une fusion entre le verbe retch et wretch, rendant peut être mieux le côté éperdu du distique. Trop grande liberté.
Je préfère "nuit" à "ténèbres".


Cette nuit, cette année
de nuit accomplie je gis pitoyable luttant avec (mon Dieu !) mon Dieu
03 mai 2011, 01:12   La Quête du Graal
Eliminer systématiquement les répétitions dans une traduction quand elles se trouvent dans l'original, voilà qui peut en effet faire un choix discutable; mais en créer qui ne s'y trouvent pas, d'un vers à l'autre qui plus est, voilà qui est à proscrire indiscutablement.

G.M. Hopkins est un poète difficile, parfois comparé à Mallarmé, et sa traduction est un peu le Graal de l'angliciste.

A propos de Graal, voyez ceci

Com je gisoie en cel lieu dont vous avés oï parler, si fu en joesdi absolu et le venredi beneoit et si avoie je a Nostre Segnour dit le service que on apele tenebres

Gésir et ténèbres sont de vieille poésie dans la tradition épique chrétienne, que ne renia certes pas G.M. Hopkins.
03 mai 2011, 01:17   Re : La Quête du Graal
Le redoublement de la nuit la rend plus noire.
03 mai 2011, 01:22   Re : La Quête du Graal
Exact Alain, et se coucher tard nuit.
Merci pour ces essais de traduction. Celle de Leyris (Pierre) ne m'a jamais vraiment satisfait.

Voici le poème intégral :


NOT, I'll not, carrion comfort, Despair, not fest on thee;
Not untwist -- slack they may be -- these last strands of man
In me or, most weary cry "I can no more." I can;
Can something, hope, wish day come, not choose not to be.
But ah, but O thou terrible, why wouldst thou rude on me
Thy wring-world right foot rock? lay a lionlimb against me? scan
With darksome devouring eyes my bruised bones? and fan,
O in turns of tempest, me heaped there; me frantic to avoid thee and flee?

Why? That my chaff might fly; my grain lie, sheer and clear.
Nay in all that toil, that coil, since (seems) I kissed the rod,
Hand rather, my heart lo! lapped strength, stole joy, would laugh, cheer.
Cheer whom though? the hero whose heaven-handling flung me, foot trod
Me? or me that fought him? O which one? is it each one? That night, that year
Of now done darkness I wretch lay wrestling with (my God!) my God.


Traduction de René Gallet :

Non, je ne veux, immonde réconfort, Désespoir, pas me gorger de toi,
Ni défaire les ultimes fibres, même sans force, de l'homme
En moi, ou, harassé, crier «Je n'en puis plus». Je puis :
Puis quelque chose, espérer, souhaiter l'aube, ne pas choisir de ne pas être.
Mais ah, mais ô toi terrible, pourquoi sur moi durement mouvoir
Ton pied droit étau-du-monde ? M'infliger ta poigne de lion ? Scruter
De sombres yeux dévorants mes os meurtris ? Et souffler
O ces brutales rafales sur moi, ramassé, éperdu du désir de t'éviter et fuir.
Pourquoi ? Pour que s'envole ma paille, que reste mon grain, pur et net.
Et même en cette traverse, cette tourmente, puisque j'ai (je crois) accepté sa puissance,
Sa main juste, mon cœur, oui !, a eu gorgée de force, dérobée de joie, prêt à rire, applaudir.
Mais applaudir qui ? Le héros qui m'a de geste céleste jeté, du pied
Pressé ? Ou moi qui l'affrontais ? O des deux lequel ? Chacun d'eux ?
Cette nuit, cette année-là
De ténèbres passées, j'ai lutté, en misérable, avec (mon Dieu !) mon Dieu.

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