Ils professent à l'université et parlent mal. Est-ce un paradoxe? En partie seulement, si l'on considère que l'instruction et l'intelligence n'y font rien en l'affaire: ils veulent mal parler. Notre démocratie ne finissant plus d'étendre son triomphe gagne l'Université: ses professeurs, en qualité d'individus autonomes, entendent logiquement se soustraire aux contraintes de la langue (d'autant plus si les succès universitaires et médiatiques les gonflent de suffisance). Ne demandons pas à nos fiers Sicambres de courber la nuque devant la langue intangible.
Il y a un autre aspect. Ces scientifiques utilisent pour constituer leur science quelques mathématiques mais surtout nos langues usuelles. Cela explique beaucoup la difficulté des sciences de l'homme à se constituer en sciences. D'ailleurs, ces économistes du samedi matin n'ont pas l'air forts savants: savoir si la croissance sera tirée par la poule ou l'oeuf, pardon, par la production ou la consommation semble être l'horizon indépassable de leurs réflexions. Pourtant, si l'homme ne s'améliore pas, les sciences de l'homme semblent progresser autant que leurs soeurs dites naturelles. Seulement, elles progressent d'un autre pas, cahin-caha. A cela quelques raisons.
L'usage courant malheureusement très approximatif que l'on fait de nos langues contamine leur usage scientifique.
La transmission des sciences de l'homme ignore les étapes. On livre en vrac un savoir en réalité aussi hiérarchisé que celui des sciences naturelles.
Les postures solitaires de nos grands penseurs finissent par accréditer la légende noire des sciences de l'homme: leurs théories et leurs observations se contredisent toutes. Foutaise!
Les sciences ont besoin de sélection sociale: des académies, des monastères. Il règne, notamment, une confusion entre les métiers de journaliste et de savant. Les deux corporations s'échangent les rôles. Les journalistes, plutôt que d'ânonner, l'air réjoui, les dépêches de l'AFP ou de donner la leçon (à la façon d'Alexandre Adler, le savoir universel, demandant l'autre matin à tel candidat à la présidence du Pérou de "mettre de l'eau dans sa tequila" - sûrement pensait-il au pisco) devraient s'en tenir à leur métier: mener l'enquête. Les savants, plutôt que de pavaner devant le gros medium, feraient mieux de marcher sur les pas d'Isidore de Séville ou de méditer sur le dévoilement progressif du Sens selon l'Eglise, et de mettre de l'ordre dans le fatras de leurs sciences.