Dans l’article
États-Unis : la dette explose, le marché reste zen de Marie de Vergès paru dans l'édition du 22 mai du
Monde on lit ceci : « la dette des Etats-Unis a atteint, lundi 16 mai, le plafond fixé par le Congrès : 14 290 milliards de dollars (10 035 milliards d'euros). Soit à peu près le produit intérieur brut du Canada ».
Un lecteur voit l’erreur et réagit ainsi sur le site :
"14 290 milliards de dollars (10 035 milliards d'euros). Soit à peu près le produit intérieur brut du Canada" Quelle erreur!!! Recoupez vos données! 14 000 milliards de dollars c'est le PIB des USA!!!!! Le PIB du Canada c'est 1 500 Mds US$.
La référence au Canada montre qu'il ne s'agit pas d'un lapsus. Pourtant, n'importe qui, en tout cas n’importe quel journaliste, sait ou devrait savoir que la dette publique américaine approche des 100 % du PIB et que le poids démographique, économique et financier du Canada est de l'ordre du dixième de celui des États-Unis. Pourtant, Le Monde reste imperturbable : le lendemain, le même texte est affiché, sans erratum.
J’ai observé plusieurs fois le phénomène, que ce soit à propos d’erreurs de langue ou comme ici d’erreurs factuelles. Même en cas de faute grossière et très lourde de sens signalée par un lecteur on ne corrige pas. Personne au Monde ne réagit car personne n’est responsable, personne n'a honte, tout le monde s'en contrefiche, il n’y a pas de sens de l’honneur, de l’honneur professionnel en l’occurrence. Remarquons que cela vaut non seulement pour l’auteur de l’article à titre individuel mais aussi pour l’ensemble du personnel du journal : il n’y a pas de sens de l’honneur professionnel collectif.
Nous touchons là un phénomène qu’on rencontre tous les jours dans notre société : plaignez-vous auprès d’un postier d’une négligence dont vous avez été la victime ou auprès d’un employé d’un grand magasin d’un défaut de signalisation ou de l’absence persistante d’un produit, vous obtiendrez presque toujours la même réaction d’incompréhension, un haussement d’épaules indifférent et impuissant signifiant : mais pourquoi me dire ça à moi ? c’est pas moi qui ai commis la faute, je ne suis pas responsable ! Personne ne pense ou ne tient compte du fait pourtant évident que je m’adresse à lui en tant que représentant de l’institution, du système, de l’entreprise, et que je ne devrais pas avoir à rechercher la personne en charge de cette question particulière, ce que je n’ai du reste ni le temps ni le moyen de faire.
Cette déresponsabilisation et cette perte du sens de l’honneur professionnel (je me content ici de parler de l’honneur professionnel, mais il s’agit d’un phénomène bien plus général bien connu des In-nocents) sont sans doute liées à une bureaucratisation générale des mentalités dans la vie professionnelle. Il serait évidemment facile d’instaurer une règle demandant aux gens qui lisent obligatoirement les réactions des lecteurs, les si curieusement nommés "modérateurs", d’alerter la direction en cas d’erreur grave signalée par un lecteur. Le fait qu’on n’y ait pas songé ou qu’on y ait renoncé, ou que cela reste lettre morte illustre la généralisation du phénomène décrit ici.